Je tenais à faire ce mot pour vous, lectrices, lecteurs, avant que vous ne commenciez Can’t Help Falling in Love. L’histoire que vous allez lire comprend des passages aux thématiques difficiles comme les abus sexuels et violences sur mineurs, la dépendance (alcool ou drogue), les troubles du comportement alimentaires et certains comportements toxiques. Pour celles et ceux qui auraient vécu ce genre de traumatismes, je voulais que vous sachiez ce qu’il y a dans ce roman. À titre personnel, je sais qu’il y a des moments où l’on est mieux armé qu’à d’autres pour lire une histoire qui peut réveiller quelque chose en nous, et c’est OK. Surtout, prenez soin de vous, c’est essentiel.
« Call 911 now1 ! »
Skrillex, First of the Year (Equinox)
– Ne bouge pas, surtout ne bouge pas…
Je me répète cette même phrase depuis cinq minutes, la tête cachée sous la couette pour faire le moins de bruit possible. Je dois rester dans mon lit, je le sens jusqu’au plus profond de mes os. Comme ça, il ne saura pas que je suis là, et il me laissera tranquille. Depuis la pièce d’à côté, j’entends maman supplier à voix basse, elle ne veut pas nous réveiller, ma sœur et moi. En revanche, lui s’en moque, il parle fort, sa voix est grave et… différente. C’est maman qui m’a expliqué pourquoi il se transformait une fois qu’il faisait nuit dehors, et qu’il buvait trop de boissons pour les grands. Alors elle veille sur nous, et fait tout pour nous protéger.
Mais du haut de mes six ans, je sais déjà que je devrais aider maman à le calmer, sinon demain elle portera encore des lunettes de soleil dans la maison. Et les gens nous regarderont bizarrement sur le chemin de l’école ; je déteste ça. Je serre fort les yeux une dernière fois pour trouver le courage de bouger. Je me lève donc de mon lit, frissonne lorsque mes pieds touchent le sol froid. À pas feutrés, je m’avance prudemment de la porte et colle mon oreille contre le battant en bois.
J’entends maman pleurer, chuchoter quelque chose puis le son d’un nouveau coup et c’est le silence. Je ne peux retenir, malgré moi, un petit gémissement ; je m’inquiète pour elle au point que mon ventre me fait mal. Je ne comprends mon erreur que lorsque les bruits de pas se rapprochent de ma petite chambre. Il y en a treize entre les deux pièces, et je compte par habitude chacun d’eux. Mon ventre se serre de plus en plus, par automatisme je recule vers le lit, mais la peur ralentit mes mouvements.
2… 5… 9… 11…
La porte s’ouvre d’un coup, me faisant sursauter, et la silhouette d’un homme apparaît à contre-jour. Il crispe les poings et titube dans ma direction. En seulement deux enjambées, il me rattrape, m’agrippe le bras et colle son visage puant l’alcool à quelques centimètres du mien.
– Maintenant que ta salope de mère a fermé sa gueule, ça va être ton tour…
Mes yeux se remplissent de larmes et je n’arrive qu’à chuchoter ma prière, mais je sais qu’elle ne sera pas entendue. Elles ne le sont jamais.
– S’il te plaît, ne me fais pas mal… Je serai sage, je te promets ! S’il te plaît… Papa.
– Stop ! Stop ! Stop !
Je garde le silence, fermant les yeux dans une vaine tentative de protéger mon cerveau, déjà bien malmené, par les cris de Vince. Il est à peine 15 heures, il est dégoulinant de sueur et je suis sûr d’avoir déjà reçu un ou deux postillons sur mon tee-shirt.
Je connais Vince depuis dix-sept ans maintenant, quand il m’a « découvert » comme il aime me le rappeler chaque fois que l’on se voit. Chaque putain de fois. En tant qu’agent, c’est le meilleur, un vrai requin. C’est grâce à lui que j’ai connu cette évolution foudroyante au sein de Hollywood. Mais quand vous tournez votre premier blockbuster à tout juste huit ans, vous espérez avoir une sorte de guide, de figure parentale pour vous épauler. Et dans ce rôle il était franchement à chier ! Il ne m’a jamais protégé de quoi que ce soit, ou même tout simplement mis en garde contre le revers de médaille de la célébrité… Non il m’a lâché dans l’arène avec pour seule arme une jolie gueule.
À vingt-cinq ans, j’aimerais pouvoir être honnête avec lui, une fois pour toutes, mais je ne dis rien. Au contraire, je serre les dents et je masque mes émotions derrière des lunettes de soleil tout en enfonçant un peu plus ma casquette sur mon crâne. Il continue de me hurler dessus durant cinq bonnes minutes, et je me demande si je vais survivre à ça encore longtemps. Mon mal de tête va finir par m’achever. En même temps, ça résoudrait pas mal de problèmes si je disparaissais de la surface de la planète. Pouf, plus de Logan Davis. Enfin, les gens me connaissent sous le pseudonyme de Logan Collins. Ne me demandez pas pourquoi Vince a cru bon de changer mon nom de famille, je n’en ai pas la moindre idée.
– Tu m’écoutes quand je te parle, Logan ? Ces photos sont une catastrophe pour ta carrière ! On ne va pas s’en sortir avec un nouveau démenti et un sourire ultra-bright, cette fois-ci. Tu as vraiment merdé !
Mes yeux se portent sur l’écran d’ordinateur qu’il tourne vers moi, une série de clichés me montrent en train de faire la fête dans un club hier soir. Ceci explique pourquoi j’ai l’impression d’héberger une rave party sous mon cuir chevelu. Même si j’ai déjà vu tout ça sur la route pour venir ici, je n’arrive pas à en décrocher mon regard. D’autant que, à la différence de ceux qui sont publiés dans les tabloïds, les clichés contenus dans l’e-mail de Vince ne sont pas censurés, on y voit absolument tout. Au début les images n’ont rien de choquant, et je me souviens même de certains moments. Mais plus on avance dans la soirée, plus les photos deviennent… compromettantes. On me voit enchaîner différentes boissons, embrasser des filles mais surtout penché à plusieurs reprises sur la table en train de sniffer un truc. On pourrait croire que c’est le pire, puisque rien que ça va être un beau merdier à nettoyer, mais ça ne s’arrête pas là. Oh que non ! Ils ont fait fort sur ce coup-là, je dois le reconnaître, et ce fichier me met plus mal à l’aise que les autres sans que je comprenne pourquoi. Le monde entier a déjà vu mon cul dans plusieurs de mes films, c’est un fait mais lorsque Vince clique pour lancer la vidéo, je détourne le regard, gêné. Juste le temps d’une seconde, avant d’être irrémédiablement attiré par la musique et les sons qui sortent de l’écran. On m’y voit en pleine action, en train de baiser une fille sur la banquette du club. La vidéo dure huit minutes, putain, et la nana est tout sauf discrète. On arrive à l’entendre malgré la musique ! Vince nous épargne à tous les deux le final en continuant à faire défiler le reste des photos. Je vois à ses yeux qu’il en cherche une en particulier et lorsqu’il tombe dessus, ses narines se dilatent de colère.
– Peux-tu me dire ce que tu vois ?
Je me penche vers l’écran, ne comprenant pas ce qui le gêne sur cette photo en particulier.
– Hum… Moi en train de ranger mon matos ?
– Exactement, tu ranges ton « matos ». Tu n’as pas l’impression qu’il te manque quelque chose à tout hasard, génie ?
– Vince, je marmonne, j’ai passé l’âge des devinettes, j’ai un mal de crâne de fou et je suis attendu sur le plateau dans une heure alors si tu pouvais…
Il ne me laisse pas finir ma phrase, il explose littéralement de colère et se lève en hurlant :
– UNE PUTAIN DE CAPOTE ! Voilà ce qu’il te manque !
Je fronce les sourcils comme si ses mots n’avaient aucun sens ; mon regard se porte sur le cliché et on voit, clairement, que je ne porte pas de préservatif. Je lève un peu ma casquette afin de me masser le front. Les gens ne se rendent pas compte à quel point, dans le milieu du showbiz, tout est à portée de main. Et quand je dis tout, c’est bien tout : pognon, drogue, alcool, filles… J’ai vu des trucs, en soirée, qui feraient rougir même le plus grand hardeur de porno ; alors, baiser sans capote n’est pas quelque chose d’inhabituel. Mais je ne m’attends pas à ce que Vince comprenne ça, il a passé l’âge de ces fêtes…
– Aujourd’hui, toutes les filles prennent la pilule, non ?
– Parce que tu crois que c’est de ça que je m’inquiète ? As-tu pensé qu’elle pouvait être malade ? Les MST, ça te dit quelque chose, Logan ? Crois-moi, un gosse serait le dernier de mes soucis…
Mon cœur rate un battement avant de dangereusement s’accélérer. À aucun moment cela ne m’a traversé l’esprit, même si je ne me souviens absolument pas d’avoir couché avec cette groupie. Mais je sais que ça m’est déjà arrivé avec d’autres filles, dans d’autres soirées. Suis-je déjà malade sans le savoir ? Est-ce que j’ai pu contaminer d’autres personnes à mon tour ? Suis-je déjà papa ? À cette idée, la nausée me saisit mais je lutte pour ne rien montrer, je vais même jusqu’à forcer un sourire.
– On va faire un petit check-up et je ferai mon mea culpa dans un talk-show de ton choix… Ellen ou Jimmy Fallon peut-être ? On ne va pas faire une histoire pour si peu ! Malgré ton âge, tu sais comment se passent ces soirées ! Et puis, le monde entier m’a déjà vu dans mon plus simple appareil.
– Dans un film, oui, mais pas le nez plein de coke en train de sauter une inconnue dans un club ! Regarde le titre, il est repris en boucle à la télé : « La terrible déchéance de l’enfant star », me rétorque-t-il en esquivant ma pique.
Il se rassied lourdement dans son fauteuil avant de fixer sur moi un regard noir.
– Combien de fois par semaine tu prends cette merde, Logan ?
Nous y voilà… Sans le savoir Vince met le doigt sur un sujet que je cherche à éviter à tout prix, que ce soit avec mes amis ou avec lui. Mais être acteur a quand même des atouts, dont celui de savoir parfaitement mentir, et j’en abuse tous les jours, comme maintenant.
– De temps en temps lorsque je suis en soirée, rien de bien méchant, rassure-toi.
Il me fixe sans rien dire de ses petits yeux marron avant de pousser un soupir de lassitude et, pour être tout à fait honnête, de déception.
– Je ne voulais pas en arriver là, tu sais… Mais dans trois jours ton tournage est fini et tu vas partir te mettre au vert avant que le prochain ne commence. Je ne te laisse pas le choix, Logan, me coupe-t-il voyant que je me prépare à protester. Je sais très bien que tu consommes de la cocaïne comme certains allument une cigarette ! Alors si tu ne veux pas que je t’envoie dans un centre spécialisé pour te sevrer, tu vas aller faire un tour en Virginie chez ta mère. Un long séjour, histoire de faire le point sur ce que tu as fait de ta vie ces dernières années. J’ai besoin que tu sois en forme, tu as encore beaucoup de projets à venir, une belle carrière devant toi, si tu ne bousilles pas tout avant.
Je suis abasourdi. Moi qui pensais que Vince n’en avait rien à foutre, de ma petite personne ! Je suis surpris de voir qu’il a porté une attention toute particulière à ce qui n’allait pas chez moi, et ça me gêne. J’ai l’impression d’être de nouveau un gamin et de me faire engueuler par mes parents, la seule chose que ces gens ont faite d’ailleurs… Je n’étais jamais assez bien, peu importe ce que je faisais, ils me disaient que je pouvais mieux faire ! Le jour de l’enterrement de mon père je n’ai pas versé une larme… J’étais encore jeune, mais je savais déjà ce que ça voulait dire pour moi : être seul avec Crystal et ses critères inaccessibles de fils parfait.
– Si tu tiens tant que ça à ce que j’aille mieux, m’envoyer chez elle n’est pas la meilleure solution, tu le sais. On s’entretuera au bout de vingt-quatre heures !
– Tu seras bien trop occupé à aller faire tous les examens que je vais te faire prescrire, et la montagne de prises de sang qui m’assureront que tu prends tout ça très au sérieux. J’ai construit ta carrière brique après brique, et tu sais le poids que j’ai dans l’industrie. Donc fous-toi encore une seule fois de moi avec un plan comme celui-là et je te grille. Définitivement.
Il accompagne sa menace d’un regard qui crée un profond malaise en moi. On s’est déjà embrouillés tous les deux, mais il ne m’a jamais menacé de bousiller mon nom.
– Sors d’ici, je ne veux plus te voir, tu recevras d’ici quelques jours un e-mail avec les différents rendez-vous médicaux auxquels tu devras te rendre une fois arrivé chez ta mère, me congédie-t-il.
Je reste assis quelques secondes de plus mais Vince ne me regarde plus, il tape déjà quelque chose sur son ordinateur. Je me lève, furieux, et claque violemment la porte derrière moi, m’attirant l’attention des secrétaires. Puéril, je sais, mais c’est un peu la dernière chose qu’il me reste. Je cours presque me réfugier aux toilettes et fais attention à bien verrouiller derrière moi. Je me place devant le mur de miroirs au-dessus d’un immense comptoir en marbre noir avec seulement deux lavabos. Bordel, tout est démesuré dans cette ville…
Je m’asperge le visage d’eau et ça me fait du bien, je me calme un peu. L’agitation ne me quitte jamais complètement, cela fait des années qu’elle et moi sommes liés, mais j’arrive un peu mieux à respirer. Je repasse en boucle les menaces de Vince de me griller dans le milieu et un nouveau nœud se crée dans ma gorge. Malgré tout ce que je peux penser de mon métier d’acteur, j’aime ma vie ici, à Los Angeles. Je peux avoir tout ce que je veux, quand je veux, et il est hors de question que je perde ça. Alors si je dois me tenir à carreau durant un ou deux mois, je le ferai. Ça ne doit pas être bien difficile. Au même moment, je sors de mon manteau en cuir un petit sachet en plastique. La poudre blanche qu’il contient est tout autant l’origine que la solution à mes problèmes.
Je sais au fond de moi que je ne devrais pas céder, au contraire je devrais vider tout ça dans les W.-C. derrière moi. Mais rien que de la voir, je ressens presque déjà la sensation de bien-être et de pouvoir qu’elle va me donner. Alors j’ouvre le sachet et j’en verse une bonne quantité sur le comptoir en marbre. Ma carte de crédit est entre mes mains avant que je m’en rende compte et je sépare mon tas en deux rails bien propres.
Je m’examine dans le miroir en face de moi pour la première fois, aujourd’hui ; d’un geste impatient, j’enlève casquette et lunettes de soleil pour les poser à côté de moi. Mes cheveux châtain foncé sont en bataille et mes yeux bleus, complètement injectés de sang. Une légère barbe commence à gratter sur mes joues mais je sais qu’une fois arrivé sur le plateau de tournage, je serai aussi frais que séduisant. La magie du maquillage. Mais ce que l’on remarque directement, ce sont mes pupilles dilatées. Je suis excité et impatient de prendre cette dose. Ça me fait un choc, c’est la première fois que je me vois juste avant de prendre de la coke. Mais j’en ai trop besoin : entre la journée qui m’attend plus ces histoires de paternité ou de maladie, sans compter mon retour au bercail, c’est bien trop pour moi. Tandis que je me penche pour prendre ma dose, quelqu’un essaie d’ouvrir la porte des toilettes. Mon cœur part dans une course folle avant que je ne me rappelle que j’ai pensé à fermer à clé. Il ne manquerait plus que ça aujourd’hui : être pris en flagrant délit de consommation dans les locaux de mon agent. Je dois résister, je suis plus fort que ça, surtout si toute ma carrière est en jeu. Je m’éloigne d’un pas du lavabo et attrape mes cheveux à pleine main, je tire dessus en espérant calmer le mal de crâne qui m’assaille depuis que j’ai ouvert les yeux.
Mon téléphone émet un bip à cet instant précis, je l’attrape pour consulter le SMS de Lauren, la costar sur mon tournage en cours. Il s’agit d’une photo d’elle, nue sur le lit dans sa caravane à côté des studios. Un deuxième message arrive dans la foulée :
Lauren, 15 h 22 :
J’espère que tu es prêt et dur, bébé… Je t’attends.
Voilà la diversion que j’attendais ! Un sourire carnassier prend possession de mes lèvres et sans plus réfléchir je me penche pour taper mes deux rails. Avec le temps je ne sens presque plus la brûlure de la coke filant dans mon nez, je suis trop concentré sur l’après. La montée. D’ici quelques minutes je serai en pleine possession de mes moyens alors je remballe mes affaires le plus rapidement possible. Après un dernier regard dans le miroir qui me permet d’effacer une trace suspecte à côté de mon nez, je sors comme une furie du bâtiment, en zigzaguant au milieu des paparazzis qui m’attendent devant la voiture. Ils hurlent leurs questions sur mon passage, comme s’ils avaient une chance que j’y réponde. Alors que mon chauffeur m’ouvre la porte et que je m’installe confortablement dans mon siège, les premières sensations font leur apparition, je réponds à Lauren.
Logan, 15 h 35 :
Surtout ne bouge pas, j’arrive.
Je tente de remonter ma braguette rapidement même si j’ai encore du mal à maîtriser mes gestes. Il faut dire que l’orgasme foudroyant que je viens d’avoir il n’y a pas deux minutes a laissé des traces. Parvenant enfin à fermer mon jean, je me rends compte que je n’ai pas mis de capote, une nouvelle fois. Merde. Vince va vraiment finir par me faire la peau si je continue comme ça. Avant que je puisse me poser plus de questions, une magnifique paire de fesses nues apparaît dans mon champ de vision, ce qui a le don de me ramener à la réalité.
Une somptueuse blonde se tient devant moi. Je m’aperçois sans aucune once de gêne que je n’ai même pas pris le temps de lui demander son nom avant de m’enfouir en elle.
– Tu prends la pilule ?
Le petit rire de gorge qu’elle laisse échapper en rajustant sa tenue me laisse perplexe. Qu’est-ce que j’ai dit de drôle ? Elle se retourne vers moi après avoir nettoyé son rouge à lèvres qui a légèrement bavé.
– Ne t’inquiète pas, oui, je prends la pilule et si ça t’intéresse je suis clean également. Toi aussi j’imagine ?
Sa question me ramène à la discussion que j’ai eue avec mon agent il y a quinze jours. Dès le lendemain, j’ai dû foncer chez un docteur réputé pour sa discrétion pour aller faire une prise de sang. Normalement les résultats de ces tests sont assez longs à obtenir, pour ma part je les ai eus en vingt-quatre petites heures seulement. Négatif. Le soulagement que j’ai ressenti alors m’a coupé les jambes, mais il semblerait que ça ne m’ait pas appris grand-chose…
Sous le regard insistant de l’hôtesse de l’air, je me contente d’un hochement de tête sec afin qu’elle dégage au plus vite. Elle se baisse dans l’espace exigu et attrape son drôle de petit chapeau qu’elle remet sur sa tête avant de sortir des toilettes. Je prends le temps de me laver les mains et lorsque je me tourne pour les essuyer, mon coude entre en contact avec la paroi du fond. Je me demande comment on a fait pour tenir à deux là-dedans… Je jette la serviette dans le panier prévu à cet effet et sors à mon tour. Une fois de retour dans la cabine principale, je cherche Blondie des yeux mais elle n’est nulle part en vue. Je m’effondre sur le fauteuil en cuir moelleux et laisse mon regard filer vers la vue que nous offre ce vol. Si j’en crois l’écran sur le mur devant moi, je devrais arriver d’ici une heure.
Cela fait maintenant deux semaines que Vince m’a fait son petit sermon et je pensais qu’il avait laissé tomber, que tout ça n’était que des paroles en l’air. Cependant, il y a deux jours il est venu chez moi avec un petit dossier contenant plusieurs feuilles. La première était une liste d’examens à faire dont tous les rendez-vous étaient déjà fixés. Aucun moyen de me défiler. Puis une réservation pour ce vol en jet privé et enfin, une copie d’un échange d’e-mails entre ma mère et lui. J’ai dû le relire deux ou trois fois pour être sûr de bien comprendre ce que j’avais sous les yeux. Afin de marcher dans la combine de Vince, pour m’éviter un trop gros scandale, elle demande à être payée. Cette vieille peau a réclamé une petite fortune pour m’accueillir pour quatre semaines, cinq maximum, dans une maison que j’ai très probablement payée à un moment donné de ma carrière. Elle a même précisé que dans l’idéal, il faudrait que je sois parti pour le 15 janvier. Et Vince a accepté le tout sans broncher.
Un mois, je dois tenir un bon mois ! C’est ce que m’a promis Vince, je dois me mettre au vert, laisser tous les scandales s’essouffler et me « sevrer ». Je grimace en pensant à ce mot. Je ne suis pas un drogué ! J’arrête quand je veux et je vais me tenir à carreau pour les semaines à venir, comme ça, je pourrai rentrer le plus vite possible à L.A. et reprendre mon rythme de vie. Un verre de whisky apparaît comme par miracle devant moi, mon regard remonte le long des doigts manucurés qui le tiennent. Blondie me sourit et je revois cette même bouche encerclant ma queue un peu plus tôt. J’attrape le verre en lui faisant un clin d’œil avant d’en boire une gorgée. La brûlure que l’alcool laisse sur son passage me fait du bien. D’une certaine façon, elle me permet de me focaliser sur autre chose pour quelques secondes. Je regarde mon verre comme s’il pouvait contenir toutes les solutions à mes problèmes, je fais tinter les glaçons quelques instants avant de finir son contenu cul sec.
Je réclame aussitôt un nouveau verre en demandant qu’il soit plus rempli cette fois-ci.
Savoir que je vais revoir ma mère me provoque des brûlures d’estomac, je décide de les arroser d’un peu plus de whisky. On dit que l’alcool donne du courage et aujourd’hui je peux le confirmer. J’ai tellement bu hier soir que je n’ai toujours pas dessaoulé, et je me maintiens durant le vol… Heureusement que Joy sera là. Sans elle, je pense que je n’aurais pas eu le courage de monter dans ce jet. Ma petite sœur a été ma bouée de sauvetage au tout début de ma carrière. Elle était tellement jeune, tout juste deux ans, quand les feux des projecteurs se sont braqués sur notre famille. Dans certaines fratries, une grande différence d’âge empêche que se nouent de vraies relations, mais malgré nos six ans d’écart nous étions très fusionnels. Elle a toujours eu ce regard brillant en me regardant, comme s’il me disait : « Logan, mon grand frère, ce héros. »
Je me demande si elle l’aura encore quand elle me verra débarquer à l’improviste tout à l’heure. Je réfléchis à la dernière fois que j’ai vu ma sœur en chair et en os. Je fronce les sourcils car je dois remonter loin dans mes souvenirs. Je me fige, mon verre à mi-chemin de la bouche. Serait-il possible que ça soit à sa remise de diplôme ? Non, c’était il y a plus de deux ans, ça ne peut pas être ça…
J’attrape mon portable pour ouvrir mes SMS et fais remonter nos très rares échanges. Les anniversaires, les fêtes ou des félicitations pour la sortie d’un nouveau film. Je tombe enfin sur une photo de nous deux en train de rire, ma sœur collée à moi avec son chapeau rouge de jeune diplômée. La date me saute aux yeux :
Je relève les yeux sur l’écran de vol pour relire la date du jour : 15 décembre 2018. Mon cœur s’emballe un peu ; comment ai-je pu ne pas voir ma sœur pendant plus de deux ans et demi ? Comme par réflexe, ma main droite se glisse dans la poche intérieure de mon blouson, mais se referme sur du vide. J’ai terminé mon dernier sachet hier soir lors de la soirée mémorable chez Steve et j’ai décidé de ne pas en racheter pour me plier aux désirs de mon manager. Je grogne de frustration et ferme les yeux tout en plaquant ma tête sur le siège pour me calmer. Je vais devoir m’arrêter en route pour acheter un cadeau à ma sœur, mais je ne sais plus rien de ses goûts. Deux ans et demi, c’est long…
Une main légère se pose sur moi et je sursaute. L’hôtesse de l’air que j’ai baisée tout à l’heure m’informe que nous allons atterrir et que je dois attacher ma ceinture. Je la fixe sans rien dire et elle se détourne pour aller s’asseoir plus loin, sur le siège qui lui est réservé. Nous atterrissons quelques minutes plus tard et je peux voir par le hublot que Vince a bien fait les choses : nous sommes sur un aérodrome privé. Il a dû débourser une petite fortune pour que l’on puisse se poser ici. Je regarde le nom de l’aéroport sur l’écran, et ne reconnaissant pas du tout l’endroit, je le maudis un peu plus. Je descends l’escalier de l’avion pour poser les pieds sur le tarmac du « Lynchburg Airport ». Aucun moyen pour moi de trouver de quoi m’amuser par ici, ça m’a l’air d’être un coin perdu…
Une voiture m’attend un peu plus loin et un membre du personnel est déjà en train d’y ranger mes valises. Quelques minutes plus tard, le chauffeur m’accueille puis nous démarrons pour partir chez ma mère. À peine avons-nous quitté l’aéroport que je lui dis de s’arrêter chez un fleuriste pour acheter des tulipes. Lorsqu’il me demande sur le ton de la conversation à qui est destiné ce bouquet, je ne prends même pas le temps de lever les yeux de mon téléphone. Sale vautour ! Tous les mêmes à vouloir récolter la moindre information qu’ils pourront revendre au premier tabloïd du coin… Lorsqu’il se gare enfin devant le magasin, je ne descends pas de la voiture. Qu’il se démerde, c’est ton travail de combler mes désirs, Vince doit suffisamment le payer pour m’escorter ! Il met quelques secondes à percuter qu’il va devoir y aller pour moi. Je ricane en le voyant se précipiter à l’intérieur de la boutique. Les minutes défilent et je deviens anxieux, je ne peux empêcher mes jambes de sautiller et je mordille la peau de mon pouce droit. Mais qu’est-ce qu’il fout ? Au moment où je m’apprête à sortir du véhicule, je le vois qui revient. Je le fusille du regard derrière ma vitre et j’attaque dès qu’il s’installe sur son siège.
– Putain, mais vous êtes allé les chercher où, vos tulipes ?
– Veuillez m’excuser, monsieur Collins, mais les tulipes ne poussent pas en cette période. J’ai dû convaincre la fleuriste de me composer ce bouquet à partir d’une commande spéciale pour un mariage…
– Vous savez où vous pouvez vous les mettre, vos excuses bidon ?
Il pose les tulipes à côté de lui sur le siège passager sans rien dire, et je souris, fier de ma repartie. Je jette un coup d’œil aux fleurs et dois reconnaître qu’elles sont jolies, avec toutes ces couleurs vives. J’espère qu’elles plairont à Joy. Le chauffeur m’informe que nous ne sommes plus qu’à quinze minutes de notre destination, mais je ne l’écoute qu’à moitié, répondant aux nombreux textos que j’ai reçus ce matin.
Je suis en train de regarder une nouvelle photo de Lauren lorsque le chauffeur m’annonce qu’on est arrivés. Je lève les yeux et découvre, au bout d’un chemin bordé d’arbres, une maison de taille bien plus modeste que je ne l’avais imaginée. Elle a néanmoins du charme avec son porche où des fauteuils nous invitent à profiter du calme. Il n’y a qu’un seul étage, en revanche et l’entretien des espaces verts laisse à désirer…
Crystal, on dirait bien que tu as dû faire des sacrifices ces dernières années.
Cette pensée mesquine me fait sourire. Ça n’a jamais été le grand amour, entre ma génitrice et moi, encore moins ces dernières années.
Une fois que le chauffeur a déchargé mes valises sur le perron, je sors de la voiture à mon tour. Il me tend le bouquet de fleurs et part aussi vite qu’il est arrivé. Je prends une minute pour respirer l’air frais de Virginie avant de monter les quelques marches qui me séparent de la porte. J’hésite une seconde à entrer sans sonner, mais après tout, c’est moi qui l’ai payée, cette maison, alors j’abaisse la poignée et pousse le battant. Je n’ai pas le temps d’observer les lieux car mon regard se braque sur ma sœur en train de descendre un escalier.
Elle est clairement surprise de me voir. Pétrifiée serait plus juste puisqu’elle s’est arrêtée à quelques marches du rez-de-chaussée, sa bouche formant un joli O. Ma mère ne l’a donc pas prévenue de ma venue, ce qui ne m’étonne qu’à moitié. Je brise le silence pesant :
– Alors, c’est comme ça qu’on accueille son grand frère ?
J’ouvre grand les bras, ma main droite tenant toujours le bouquet, mais Joy reste plantée sur sa marche et croise les bras. Ah. Les miens retombent le long de mes flancs et, mal à l’aise, je me balance d’un pied sur l’autre. Une console sur ma gauche attire mon attention et je pose mes affaires dessus ; j’en profite pour retirer mes lunettes de soleil et ma casquette noire. Je passe la main dans mes cheveux, de la même couleur que ceux de ma sœur, mais les siens sont beaucoup plus longs. Sa silhouette toute fine mais musclée a été sculptée par toutes ces heures passées à danser, à s’entraîner encore, et encore. Elle se décide enfin à descendre les dernières marches mais lorsque je m’approche d’elle, elle lève une main pour m’arrêter. Et j’obéis instantanément ; elle m’a toujours menée à la baguette même si elle fait dix centimètres de moins que moi et doit peser cinquante kilos tout habillée.
– Qu’est-ce que tu fais ici Logan ?
– Je n’ai pas le droit de venir passer les fêtes de fin d’année en famille ?
– Cela n’a pas semblé être une de tes préoccupations ces dernières années, pourquoi ce revirement de situation ?
Touché.
– Car tu me manquais Jojo, voilà pourquoi !
Je sais pertinemment qu’elle déteste ce surnom mais ses épaules se détendent un petit peu dès qu’il passe mes lèvres. Alors je franchis les deux pas qui me séparent d’elle et je la prends dans mes bras. Elle disparaît littéralement dans mon étreinte et je m’imprègne de son délicat parfum floral.
– Et si tu arrêtais de mentir comme tu respires, pour une fois ? dit une voix sur ma droite qui me fait serrer les mâchoires dès le premier mot.
Crystal, notre mère, est assise dans un fauteuil dans ce qui semble être le salon et elle a déjà un verre de vin posé devant elle sur une table basse en bois. Il n’est même pas midi mais je me rappelle les verres de whisky déjà consommés en vol alors je m’abstiens de tout commentaire. Joy se dégage de mon étreinte et regarde dans sa direction en attendant que ma mère s’explique. Je serre les poings en détournant le regard de cette femme qui m’a donné la vie.
– Ton frère a été obligé de venir ici, car il a encore fait n’importe quoi. Sauf que cette fois-ci, il y a des preuves partout dans la presse.
– Qu’est-ce que tu as fait, Logan ? me demande ma sœur dans un souffle, comme si prononcer ces mots à voix haute risquait de lui faire mal.
– Rien de grave, ne t’inquiète…
– Si te faire prendre en photo en train de sauter une fille qui doit avoir l’âge de ta sœur dans un club, le nez plein de drogue, n’est rien de grave pour toi… Alors effectivement rien de grave, crache Crystal.
– Mais ferme ta gueule, putain !
Je hurle ce dernier mot avant de me rendre compte que je n’aurais pas dû dire ça. Le sourire méprisant qui apparaît sur le visage de Crystal me confirme mon erreur. Elle jubile. Ma sœur me regarde, choquée. Je tente de lui prendre les mains mais elle s’esquive, ses magnifiques yeux bleus embués de larmes. Je bous de colère contre cette bonne femme qui a toujours eu ce don particulier de me faire péter les plombs. Un silence assourdissant s’abat sur nous deux tandis que Crystal ricane en allumant une cigarette. C’est à cet instant précis qu’une voiture klaxonne devant la maison et me fait sursauter. Joy semble se ressaisir et me contourne vivement, attrape un sac à côté de la porte et se dirige vers la sortie. Je la saisis par le poignet au passage mais elle se dégage d’un mouvement brusque en me fusillant du regard.
– Ne pars pas comme ça, on doit parler !
– Riley m’attend, j’avais des choses prévues. La prochaine fois, tu prendras ton téléphone pour prévenir, me dit-elle avant de claquer la porte d’entrée derrière elle.
– Bienvenue à la maison, Logan, susurre Crystal depuis son fauteuil.
Fou furieux, je rouvre la porte et vois ma sœur monter dans une vieille voiture. Au volant je ne distingue que la silhouette de ce Riley. Son combo casquette et capuche de sweat m’empêche de bien l’identifier. Mais je le déteste instinctivement, et cela ne s’arrange pas quand, depuis sa voiture, ma sœur me fait un doigt d’honneur.
C’est qui ce mec, putain ?!?