Chapitre 1

Eleanor

8 avril 2003

Tout ce que ma mère savait de la vie, elle l’avait appris avec Monsieur Rogers.

Elle disait de lui qu’il était le meilleur professeur en choses de la vie, et elle jurait à qui voulait l’entendre qu’il lui avait sauvé la vie un nombre incalculable de fois. Lorsqu’elle avait des problèmes, elle les affrontait sans se dérober. Lorsqu’elle était heureuse, elle profitait pleinement de son bonheur. Lorsqu’elle souffrait, elle recherchait l’origine de sa douleur.

Je n’ai jamais rencontré une femme qui canalisait autant sa propre énergie. Sa maîtrise d’elle-même était une chose admirable. Elle n’élevait jamais la voix, c’était la personne la plus calme au monde. Auprès d’elle, il était impossible de se mettre en colère. Je le pensais sincèrement.

C’est elle qui avait instauré les mardis avec Rogers.

Le mardi était le seul jour de la semaine où nous ne dînions pas à la table de la salle à manger, mais où nous sortions les plateaux télé. Tous les mardis, sans exception, elle, mon père et moi regardions un épisode de Mister Roger’s Neighborhood1. Ce rituel peut paraître étrange, mais c’était une chose que maman faisait depuis son enfance. Elle regardait la série toutes les semaines avec ma grand-mère, et lorsqu’elle avait rencontré mon père, elle lui avait fait promettre de perpétuer la tradition si jamais ils avaient des enfants.

J’adorais cette émission, moi aussi. Il y avait probablement très peu d’adolescents de seize ans qui connaissaient, et encore moins qui aimaient, Mister Rogers, mais franchement, ils perdaient quelque chose. Certes, c’était un vieux programme, mais les leçons qu’il enseignait étaient toujours d’actualité.

Ce mardi après-midi là ne m’avait pas semblé différent des autres. Nous avions mangé un pain de viande avec de la purée, parlé musique, ri aux mauvaises blagues de papa, et nous avions commenté la collection de cardigans de Monsieur Rogers, qui rappelait la mienne, quand on sait que maman m’en tricotait un tous les ans pour mon anniversaire.

Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que trois mots viennent tout chambouler.

– J’ai un cancer.

Mon corps réagit d’une façon que je n’aurais pas crue possible. Je m’effondrai dans les coussins du canapé comme si quelqu’un m’avait donné un grand coup de poing dans la poitrine, expulsant brutalement tout l’air contenu dans mes poumons.

Je me tournai vers ma mère, incrédule, sonnée, blessée. La paume de mes mains devint moite, mon estomac se noua et j’eus l’impression que j’allais vomir.

– Quoi ? murmurai-je, à peine capable de parler.

Trois mots. Seulement trois mots. Trois mots qui modifiaient mon état d‘esprit. Trois mots qui me brisaient le cœur. Trois mots que je n’aurais jamais voulu entendre.

J’ai un cancer.

Je regardais les lèvres de maman pendant qu’elle me parlait. Du moins il me semblait qu’elle me parlait. Avait-elle vraiment dit quelque chose ? L’avais-je imaginé ? Est-ce que j’entendais des voix ? Ou bien étaient-ce des échos de mon passé qui revenaient me hanter ?

Grand-père avait eu un cancer.

Il s‘était battu contre le cancer.

Il était mort d’un cancer.

Rien de bon ne pouvait sortir de ce mot.

Je hochai la tête, en proie au plus grand désarroi, lorsque des larmes se mirent à couler lentement sur les joues de maman. Je tournai les yeux vers papa et je vis qu’il allait pleurer, lui aussi.

– Non.

C’est tout ce que je parvins à dire.

Tout ce qui me vint à l’esprit.

Je secouai la tête.

– Non. Non. Ce n’est pas vrai.

Papa se pinça l’arête du nez.

– Malheureusement si.

– Non, répétai-je. Non, ce n’est pas vrai.

Il était impossible que maman ait un cancer.

Les gens comme elle n’avaient pas de cancer. C’était la femme la plus saine au monde. Je veux dire, quand même, pour elle un jus carotte-pomme-concombre comme en-cas, c’était le comble du déraisonnable. Si on l’avait coupée, du jus de brocoli aurait probablement coulé à la place du sang. Les personnes aussi saines que ma mère ne tombaient pas malades. Elles devenaient de plus en plus saines. Il était inimaginable que…

Oh, non…

Maintenant papa pleurait, lui aussi.

Or, papa ne pleurait pas. Je pouvais compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où je l’avais vu verser une larme.

– Eleanor…

Quand il m’appelait Eleanor, c’est que les choses étaient sérieuses, et mon père n’était pratiquement jamais sérieux. Il renifla et ferma les yeux.

– C’est dur pour nous tous. Nous voulions te le dire lorsque nous l’avons appris, mais nous ne savions pas comment. Et puis, il y a encore des examens à faire et…

– C’est grave ?

Ils gardèrent le silence.

Ce n’était pas bon signe.

J’avais l’impression que l’on m’arrachait le cœur par petits bouts.

Ma mère porta la main à sa bouche et ses larmes redoublèrent.

Mon père reprit la parole, m’appelant par mon nom entier, encore une fois.

– Eleanor… je t’en prie, comprends-nous. Nous allons devoir nous serrer les coudes pour traverser cette épreuve.

– On va se battre, promit maman d’une voix tremblante, effrayée, saccadée. Nous allons nous battre, Ellie, je te le jure. Toi, ton père et moi. Nous n’allons pas baisser les bras.

Je n’arrivais plus à respirer. J’aurais voulu fuir. J’avais envie de me lever et de prendre mes jambes à mon cou et de m’enfuir hors de cette pièce, de cette maison, de cette réalité. Mais le regard de maman plongé dans le mien. Sa souffrance évidente. Son corps ébranlé par la peur et la douleur, tout cela faisait que je ne pouvais pas la laisser.

Pas comme ça.

Je me penchai vers elle sur le canapé et la pris dans mes bras. Je me pelotonnai contre elle, posant la tête sur sa poitrine où son cœur cognait à grands coups.

– Je suis désolée, murmurai-je, submergée de chagrin, et les larmes jaillirent de mes yeux.

Ne sachant que faire d’autre, je resserrai mon étreinte en répétant les mêmes mots en boucle.

– Je suis désolée. Je suis désolée. Je suis désolée.

Elle me serra contre elle comme si elle n’allait plus jamais me lâcher. Puis papa, à son tour, nous prit toutes les deux dans ses bras, et nous nous accrochâmes désespérément les uns aux autres.

Nos larmes se mélangèrent et nous restâmes soudés, tous les trois, ne formant plus qu’une seule entité.

Comme la douleur ne passait pas, maman posa ses lèvres sur mon front et me parla doucement, ce qui me fit pleurer de plus belle.

– Je suis tellement désolée, Ellie.

Mais cela allait s’arranger, parce que nous allions nous battre.

Nous allions nous battre ensemble.

Et nous sortirions victorieux de cette épreuve.


Chapitre 2

Eleanor

21 juin 2003

Tout ce que je savais de la vie, je l’avais appris grâce à Harry Potter.

Je disais de lui qu’il était le meilleur professeur en choses de la vie et je jurais à qui voulait l’entendre qu’il m’avait sauvé la vie un nombre incalculable de fois. Lorsque j’avais des problèmes, j’inventais des formules magiques pour transformer mes ennemis en rats, en limaces ou en crapauds.

Inutile de dire que mes aptitudes relationnelles étaient défaillantes, ce qui me convenait, parce que j’étais très forte pour éviter les humains – du moins jusqu’à ce qu’on me force à interagir avec eux.

– Tu es consignée hors de ta chambre, dit maman du pas de la porte en se frottant le visage à deux mains.

Ses cheveux châtains étaient attachés en un chignon informe, et le tablier qu’elle nouait autour de sa taille pour peindre protégeait à peine un tee-shirt sur lequel on pouvait lire Pink Floyd. Ses Converse vert fluo étaient maculées de peinture et ses lunettes à épaisses montures roses étaient perchées sur le sommet de son crâne. Elle me fit un sourire étincelant.

Elle avait passé la journée dans le garage à peindre, parce que les week-ends étaient les moments où elle donnait libre cours à son amour de l’art. Pendant la semaine, elle n’était qu’une nounou tout ce qu’il y a de plus normale qui sauvait des enfants de la monotonie de leur vie. Mais le week-end ? Elle laissait pendre ses cheveux.

Deux mois s’étaient écoulés depuis que son cancer avait été diagnostiqué, et j’adorais la voir peindre. Tant qu’elle peignait, j’avais le sentiment que tout allait bien. Tant qu’elle était toujours elle-même, le quotidien était plus facile. Et dans l’ensemble, elle était elle-même. Parfois elle était fatiguée, mais quand même, c’était maman. Elle faisait juste la sieste un peu plus souvent que d’habitude.

Je plissai les yeux en levant la tête de mon roman.

– On ne peut pas consigner quelqu’un hors de sa chambre.

– En fait si, on peut. Ton père et moi en avons discuté, et nous avons pris la décision de te consigner hors de ces quatre murs. C’est les vacances d’été ! Tu dois sortir, aller traîner avec tes copains.

Mon regard se posa sur elle puis sur mon livre puis de nouveau sur elle.

– D’après toi, qu’est-ce que je suis train de faire, là ?

J’adorais ma mère. De toutes les mères, c’était elle la meilleure, mais cet après-midi-là elle se comportait de façon vraiment intrusive. Ce n’était pas n’importe quel jour d’été, après tout. On était le 21 juin 2003. Le jour que j’attendais depuis trois ans.

Trois longues années douloureuses.

Elle se comportait vraiment comme si elle avait oublié que Harry Potter et l’ordre du Phénix paraissait ce jour-là. Le fait qu’elle ose même parler d’autre chose que de Harry, Ron et Hermione était tout simplement hallucinant.

– Eleanor, c’est l’été, tu es en vacances et tu n’as même pas encore mis le nez dehors.

– Il fallait bien que je relise les quatre premiers volumes de la saga Harry Potter pour me préparer à la lecture de celui-ci.

Franchement, elle aurait dû comprendre. C’était comme si, à son époque, un nouvel album de Black Sabbath était sorti et que, au lieu de la laisser l’écouter, grand-mère l’avait envoyée acheter du lait à l’épicerie du coin.

Vraiment pas cool.

Black Sabbath et le lait.

Harry Potter et la vie sociale.

– Shay dit qu’il y a une fête ce soir, annonça maman en se laissant tomber sur mon lit. Il y aura sûrement de l’herbe et de l’alcool, plaisanta-t-elle en me poussant du coude.

– Oh, génial, dis-je ironiquement. En effet, comment passer à côté d’une telle partie de rigolade ?

– D’accord, je sais que tu n’es pas la fêtarde que j’étais moi-même lorsque j’étais ado, mais il me semble que tous les jeunes de seize ans devraient aller à une soirée non surveillée au moins une fois dans leur vie.

– Pourquoi est-ce que je voudrais faire ça ? Pourquoi est-ce que toi, tu veux que je le fasse ?

– Nous n’avons pas fait l’amour depuis le début des vacances, intervint papa d’un air détaché.

 Papaaa, grognai-je en me couvrant les oreilles. Arrête !

Il entra dans la chambre, s’assit sur le lit derrière maman et passa son bras autour de ses épaules.

– Oh, c’est bon, Ellie. On sait tous que les relations sexuelles constituent un acte naturel et magnifique que nous devrions tous célébrer lorsqu’il est accompli de façon consensuelle et respectueuse.

– Oh, c’est bon, s’il te plaît, tais-toi. Non, sérieux, arrête !

Je serrai mes mains plus fort sur mes oreilles et ils se mirent à rire.

– Il te fait marcher, dit maman. Mais le fait est que nous espérions nous faire un marathon de films d’horreur, et je sais que tu détestes les films d’horreur.

C’était vrai et je lui fus reconnaissante de me prévenir, lorsque j’étais petite, j’étais rentrée à l’improviste alors qu’ils regardaient Chucky1 et, pendant des semaines, j’avais été persuadée que mes poupées voulaient ma peau. Je m’étais débarrassée de toutes mes peluches. On ne se rend pas compte à quel point les Patoufs sont flippants tant qu’on ne les a pas imaginés avec un couteau de boucher à la main.

Et je ne vous parle même pas de la fois où papa a pensé que j’étais assez grande pour regarder Shining.

Alerte spoiler, je ne l’étais pas.

Depuis cette époque-là, chaque fois qu’ils décidaient de se faire une soirée films d’horreur, je m’arrangeais pour aller chez Shay. Je n’aurais donc rien trouvé à y redire ce soir si cela avait été un soir comme les autres.

– Vous ne pouvez pas attendre quelques jours ?

– On pourrait, mais vu que c’est notre anniversaire de mariage…

Maman n’en dit pas plus, pensant à l’évidence que cela serait suffisant pour me convaincre.

Alerte spoiler, ça ne l’était pas.

– Oh là là, c’est aujourd’hui ? Mais vous ne l’avez pas déjà fêté l’année dernière ?

Papa sourit.

– C’est dingue, tu es capable de te souvenir de la date de parution d’un livre, mais pas de celle de l’anniversaire de mariage de tes propres parents.

– Tu comprendrais si jamais tu lisais ces romans, papa.

– C’est sur la liste des choses que je dois faire, plaisanta-t-il.

Il disait ça depuis que le premier Harry Potter était paru. Je n’y comptais plus trop.

– Ce que je veux dire, Ellie, c’est que ce serait super pour ton père et moi d’avoir la maison pour nous ce soir. D’ailleurs, tu sais très bien à quel point c’est difficile d’avoir des moments d’intimité pour… enfin, tu sais, poursuivit maman.

– Faire l’amour, ajouta papa en levant toute ambiguïté. Sincèrement, ça ne nous dérange pas que tu restes, mais tu sais à quel point ces murs sont fins. Alors, si tu es partante pour entendre hurler les personnages d’un film d’horreur et ensuite les cris de ta mère, ce n’est pas un problème, reste.

– Pour l’amour du… j’aimerais que tu te taises maintenant.

Le passe-temps préféré de mes parents était de me mettre aussi mal à l’aise que possible. Et ils étaient très doués pour ça. Cela les amusait beaucoup de me voir souffrir.

Papa ne put s’empêcher de continuer à me faire marcher.

– Si tu veux, tu n’as qu’à mettre des bouchons d’oreilles pendant que nous…

Je bondis de mon lit en hurlant.

– D’accord ! D’accord ! Vous avez gagné. Je vais à cette soirée avec Shay.

Ils sourirent, satisfaits.

– N’empêche, je trouve ça dégoûtant que vous parliez de sexe pour me mettre mal à l’aise afin d’obtenir ce que vous voulez.

– Oh, chérie !

Maman sourit en posant la tête sur l’épaule de papa qui la serra plus fort contre lui. Ils étaient tellement amoureux, c’était écœurant.

– Le meilleur quand on est parents, c’est de mettre son ado mal à l’aise. N’oublie jamais ça.

– Je tâcherai de m’en souvenir. Je rentrerai vers dix heures, alors arrangez-vous pour avoir fini d’ici là.

– D’accord, mais tu as la permission de minuit ce soir. Tu es jeune ! Allez, vas-y ! Libère-toi ! Fais des folies ! cria papa. Et garde un œil sur Shay, tu veux ?

– D’accord.

– Oh, au fait, tu veux des capotes ? demanda maman, ce qui me fit grincer des dents.

Elle était ravie.

– Non, Chère Mère. Tout va bien.

*
*     *

– Ça va ? demanda Shay en se regardant dans son miroir de poche pour se remettre une couche de gloss sur les lèvres alors que nous étions sur le porche de la maison de je ne sais quel pote.

Ma cousine Shay était superbe. Elle avait ce genre de beauté quasiment injuste pour une lycéenne, et c’était comme ça depuis toujours. Ma tante Camila était une Hispanique magnifique. Heureusement pour elle, Shay ressemblait plus à sa mère qu’à mon oncle Kurt, et c’était tant mieux parce que Kurt était un connard. Franchement, moins elle voyait son père, mieux c’était.

Ça, on pouvait dire qu’elle avait vraiment hérité du physique de sa mère. J’étais sûre que le jour de sa naissance Shay s’était pavanée sur un tapis rouge devant des paparazzis l’interrogeant sur ses vêtements, et je l’imaginais bien répondre :

– C’est une petite grenouillère de chez JC Penney2.

Ses cheveux étaient d’un noir de jais, et ses yeux d’un brun profond avec des cils d’une longueur à faire pâlir de jalousie toutes les filles. Elle avait des courbes aux endroits où moi j’étais plate comme une limande, mais ce qu’il y avait de mieux chez elle, c’était qu’elle ne jouait pas de sa beauté. C’était une des filles les plus réalistes et les plus drôles que j’aie jamais rencontrées. En outre, elle était totalement féministe, grâce à son connard de père.

On ne parlait pas souvent de Kurt depuis que les parents de Shay avaient choisi de vivre chacun de leur côté, et je pense que c’était beaucoup mieux comme ça. Avant, chaque fois qu’elle mentionnait son père, elle l’appelait ce connard-de-merde-qui-lui-pourrissait-la-vie-et-celle-de-sa-mère.

Papa continuait d’appeler Kurt son frère, même s’il n’en était pas fier. C’est comme Mufasa qui considérait toujours Scar comme son frère alors qu’il savait que celui-ci n’était qu’un sale con3. En même temps, les choses auraient peut-être été différentes si Mufasa avait blacklisté Scar.

Hakuna matata4, j’imagine.

Elle ne disait pas qu’elle détestait les hommes, mais une chose était sûre, elle se définissait comme aimant la compagnie des femmes.

Ça me plaisait chez elle, parce que beaucoup trop de filles de notre âge se dénigraient entre elles pour flatter les garçons. Quelle perte d’énergie ! On aurait dit que le lycée leur avait complètement fait oublier leur période Spice Girls, à l’école primaire.

Shay était perchée sur ses talons hauts, et je dois dire qu’elle avait vraiment le chic pour porter des talons hauts.

Moi, à la seule idée de les essayer, j’avais mal aux mollets.

– Ouais, ça va.

Je baissai les yeux sur le cardigan jaune avec des libellules que maman m’avait fait. Dessous, je portais un tee-shirt Metallica vintage que j’avais fauché à mon père parce qu’il ne pouvait plus y faire entrer son ventre depuis 1988. Mon jean troué préféré et mes Converse jaunes complétaient ma tenue.

J’avais tiré mes cheveux châtain foncé en queue-de-cheval et, pour tout maquillage, je n’avais sur le visage que les traces invisibles du savon que j’avais utilisé pour me laver ce matin. Mes bagues dentaires, elles au moins, étincelaient. J’aurais dû porter un soutien-gorge push-up. En même temps, cela n’aurait pas changé grand-chose. Les soutiens-gorge push-up n’ont d’utilité que lorsqu’il y a réellement quelque chose à remonter.

Mon sac en bandoulière tissé main – également fait par ma mère – jeté sur l’épaule, je commençais déjà à compter les heures qui restaient à attendre que la fête soit finie.

– Il y aura principalement des mecs de l’équipe de basket et leurs potes, m’annonça Shay comme si cela allait me faire changer d’avis sur la soirée que je me préparais à détester.

– C’est bon.

– Il y en a qui sont sympas, tu sais. C’est pas tous des abrutis.

– Ça promet.

– Allez, c’est parti, dit Shay en ouvrant la porte et en pénétrant dans une maison bondée de gens que j’aurais préféré ne pas avoir à rencontrer.

Voir mes copains de classe en dehors du lycée me semblait être une punition particulièrement cruelle. Je les supportais bien assez comme ça pendant l’année scolaire, et la dernière chose dont j’avais envie, c’était de me retrouver serrée comme des sardines avec eux.

Mon idée d’une soirée réussie, c’était plutôt de regarder une série en replay, en pyjama avec mes parents, tout en me gavant de pop-corn et de cheeseburgers trop gras. Maman mangerait un burger vegan, bien sûr. Des années plus tôt, elle avait regardé un documentaire sur les mauvais traitements infligés aux animaux et cela avait changé sa vie.

Mon père l’avait regardé aussi, mais lui mangeait toujours ses steaks cuits à point.

– Je vais te chercher un Coca, dit Shay.

– Et toi, tu bois de l’alcool ?

Elle secoua la tête.

– Plus depuis ce qui s’est passé avec Landon. Je préfère rester sobre pour ne pas sortir de nouveau avec lui sous l’effet de l’alcool.

– C’est bien pensé, mais si jamais tu te saoulais quand même, je m’assurerais que tu n’embrasses pas ce crétin.

– C’est pour ça que tu es ma cousine préférée.

– Je suis la seule cousine que tu aies. Essaie de me trouver de la glace pour le Coca, tu veux ? Je serai dans…

– Dans un coin.

Elle sourit.

– Je te parie cinq dollars que je vais te retrouver dans un coin avec un livre dans les mains.

– On dirait que tu me connais depuis toujours.

Elle se mit à rire et s’éloigna rapidement, bien que ce ne fût pas chose aisée. Chaque fois que Shay entrait dans une pièce, tout le monde réclamait son attention – et elle était tellement sympa qu’elle l’accordait toujours.

À sa place, moi, j’aurais continué à avancer sans répondre.

Je n’étais pas près d’avoir mon verre, mais j’eus la chance de me dégoter un petit coin sympa juste en dessous de l’escalier – très Harry Potter – pour lire.

Je mis mes écouteurs, non pas pour écouter quelque chose, mais parce que les gens tendent à vous laisser tranquille si vous portez des écouteurs. C’est un super-truc d’introverti, avoir l’air occupé pour éviter les interactions avec d’autres humains. En associant deux activités, ça marche encore mieux. Un livre seul ne suffit pas toujours à décourager les gens de vous parler, mais un livre et des écouteurs ? Vous pourriez aussi bien être un fantôme.

C’était tellement compliqué d’être introverti dans un monde extraverti, un monde où les normes sociales impliquaient des invitations à des soirées, des clubs à l’école, des semaines d’intégration et des rencontres avec des gens dont vous n’aviez rien à faire, uniquement pour dire que vous « viviez la vie à fond ».

La société, c’était ce qu’il avait de pire pour les introvertis, mais j’étais sûre que le vent était en train de tourner. J’attendais avec impatience le jour où les médias mettraient en avant l’idée que le fait de rester chez soi était la nouvelle tendance la plus cool et que se réunir était une chose qui appartenait au passé. Nous tous, les introvertis, nous nous réjouirions !

En silence… seuls… avec un petit café, un bon bouquin, en compagnie de nos fidèles compagnons, les chats.

Je m’assis confortablement par terre, les jambes repliées sous moi et le dos appuyé au mur. Plus je me recroquevillais dans mon petit coin, moins on me remarquerait.

Continuez, les moldus. Je ne suis même pas là. Je fais juste partie du mur.

Je mis la main dans mon sac pour en sortir mon roman et me replonger dans le monde de la magie. Il me fallut quelques minutes pour faire abstraction du bruit qui régnait autour de moi, mais J. K. Rowling me facilita la tâche et je fus rapidement totalement absorbée par ma lecture.

Étonnamment, la fête n’était pas si débridée. Certaines personnes buvaient, mais dans l’ensemble les autres étaient plutôt intéressées par le choix de la musique et se révélaient être de piètres danseurs. À quelques pas de moi, deux garçons parlaient résultats de basket et séances d’entraînement. Je m’attendais à voir plus de gens flirter. Mais j’imagine que mes préjugés sur les soirées de lycéens me venaient surtout des émissions de télé-réalité et des séries télévisées caricaturales.

En fait, qu’une fille soit en train de lire ne paraissait pas si extraordinaire que ça. Aussi surprenant que cela pût paraître, je ne détonnais pas.

Je ne levai les yeux de mon livre que lorsque j’entendis deux gars qui parlaient de Shay à voix basse.

En fait, ils ne parlaient pas seulement de Shay, ils parlaient aussi de moi.

Moi.

Ce n’était pas normal. J’avais fait en sorte de traverser toutes mes années d’école sans me faire remarquer et, dans l’ensemble, on m’avait fichu la paix. J’étais pratiquement certaine que personne ne savait qui était cette fille quelconque, habillée bizarrement, avec qui Shay mangeait tous les midis.

– Hé mec, il y a Sourire d’Acier, murmura une des voix en couvrant difficilement la mauvaise musique.

– T’es pas obligé de l’appeler comme ça, grogna l’autre.

– Bah, t’as vu sa bouche ? Difficile de la rater. C’est la cousine de Shay, non ?

– Ouais c’est ça. Eleanor, répondit l’autre.

Tiens ? Il avait employé mon véritable nom. La plupart des gens m’appelaient Sourire d’Acier ou la cousine de Shay.

Bizarre.

– Va la voir et essaie de l’amadouer, comme ça Shay verra que je m’entends bien avec sa famille. Ça m’aidera pour la draguer de nouveau.

Je jetai un coup d’œil vers les deux types, l’air faussement détachée, avant de reprendre ma lecture.

Évidemment, c’était Landon Harrison qui espérait reconquérir le cœur de ma cousine, ou plus exactement son corps.

Landon et Shay avaient tenu les deux rôles principaux dans la pièce du lycée l’année précédente. Ils étaient sortis ensemble pendant une répétition alors que Shay était un peu éméchée. Après ça, elle avait commis l’erreur la plus cliché pour une actrice, elle était tombée amoureuse du personnage de fiction incarné par l’acteur. Erreur de débutante.

Landon n’était définitivement pas Monsieur Darcy.

Cela ne faisait qu’une semaine qu’ils étaient ensemble quand il l’avait trompée le soir de la première de la pièce. Après qu’elle l’avait largué, il s’était mis en tête de la reconquérir, probablement surtout parce qu’il avait du mal à admettre qu’une fille puisse le rejeter, lui et son infidélité.

Dommage pour lui, Shay était une femme trop forte pour tolérer ses conneries. Elle ne lui accordait même plus un regard, sauf peut-être quand la vodka s’en mêlait.

– Ce serait mieux que tu ailles lui parler toi-même si tu veux une ouverture, non ?

Je lançai un regard discret vers l’autre gars. Greyson East était l’un des meilleurs élèves de notre classe. Tout comme Shay, tout le monde l’adorait. Il était tellement beau que c’en était agaçant. Il était toujours bien habillé et c’était la star de l’équipe de basket à qui aucune fille au monde n’aurait pu dire non. En termes de popularité à l’école, il détenait le record, d’après moi. Je veux dire c’était sa tête qui illustrait la page d’accueil du site web du lycée, quand même. Ce n’était pas rien dans notre lycée.

– Mec, je peux pas aller parler à cette cloche. Elle me fait flipper. Elle ne sait rien faire d’autre que lire et porter des pulls ringards.

J’aurais dû me sentir offensée de l’entendre me traiter de cloche, mais je m’en fichais complètement. C’était juste un moldu qui se comportait comme un moldu. Ils étaient comme ça. Il leur arrivait souvent de se comporter comme des imbéciles.

– Oh oui, quelle perte de temps ! dit Grey d’un ton las pour se moquer de son pote.

Je faillis sourire en percevant l’ironie dans sa voix, mais mon aversion prit le dessus.

– Tu peux bien me rendre ce service ? demanda Landon.

– Non, je n’ai pas envie de le faire. Laisse-la tranquille.

– Oh, allez, insista Landon. Tu me dois bien ça après l’histoire avec Stacey White.

Greyson soupira. Soupira encore. Puis encore une fois, longuement.

– Bon, d’accord.

Oh, non.

Non, non, non, non…

Je faisais tout pour me concentrer sur ma lecture, mais ma vision périphérique était rivée sur ses chaussures qui avançaient vers moi. Évidemment c’était des Nike, parce que tout chez Greyson était cliché. Il avait l’air tout droit sorti un clip de pub. Lorsque ces chaussures flambant neuves, sans la moindre éraflure, s’immobilisèrent devant moi, je levai les yeux à contrecœur.

Et ses yeux étaient posés sur moi.

Des yeux gris…

C’était le genre de gris dont on croit qu’il n’existe que dans les romans sentimentaux caricaturaux où le héros est un peu trop parfait. Personne n’avait les yeux gris dans la vraie vie. Je vivais depuis seize ans et je n’avais jamais rencontré un garçon avec des yeux gris, excepté Greyson. Bleu clair ? Bien sûr. Vert ? Oui, ça arrivait. Mais les yeux de Greyson ne ressemblaient à rien de ce que j’avais déjà vu. Je concevais que l’on puisse se sentir attirée.

Exposée à ce regard gris et à ce sourire, je compris mieux pourquoi la plupart des filles se liquéfiaient à son contact.

Oh mon Dieu, faites que ça cesse !

Lorsque nos regards se croisèrent il me fit un vague signe de la main et, en même temps, un petit sourire en coin qui m’agaça. Ces sourires marchaient peut-être avec les filles comme Stacey White, mais ça ne marchait pas avec moi. Je repris ma lecture en m’efforçant d’ignorer sa présence.

Mais les chaussures ne bougèrent pas. Alors, du coin de l’œil, je le vis se baisser, se baisser et se baisser jusqu’à se retrouver accroupi devant moi. Il me refit le signe de la main et le même sourire forcé.

– Salut Eleanor, ça va ? dit-il, comme si c’était dans nos habitudes de nous parler et qu’il prenait simplement de mes nouvelles.

Je marmonnai dans ma barbe.

Il haussa un sourcil.

– Tu as dit quelque chose ?

Pour l’amour de tout ce qui est juste dans ce monde, est-ce qu’il ne voyait pas mes écouteurs et mon livre ? Il ne savait pas qu’on était le 21 juin 2003 ? Pourquoi personne ne comprenait l’importance de dévorer un roman du début jusqu’à la fin dès l’instant où vous posiez le doigt dessus ?

Je détestais ce monde parfois.

– J’ai dit, arrête.

Je retirai mes écouteurs.

– Arrête de faire ça.

– De faire quoi ?

 Ça.

Je fis un geste de la main entre nous deux.

– Je sais que Landon t’a chargé de te servir de moi pour se rapprocher de Shay, mais c’est une cause perdue. Je ne suis pas intéressée et Shay ne l’est pas non plus.

– Comment t’as fait pour entendre ce qu’on disait avec tes écouteurs sur les oreilles ?

– Facile… je n’écoutais rien.

– Ben alors, pourquoi t’as des écouteurs ?

OHBONSANGPOURQUOITINSISTES ?

Il n’y a rien de pire qu’un extraverti essayant de comprendre les méandres de l’esprit d’un introverti. Je poussai un profond soupir.

– Écoute, je comprends… tu essaies de rendre service à un ami et tout ça, mais j’essaie réellement de lire ce livre en paix et j’aimerais être tranquille.

Greyson se passa la main dans les cheveux comme un fichu mannequin dans une pub pour un shampoing. Je peux jurer qu’il le faisait au ralenti tandis qu’un vent imaginaire soufflait dans sa chevelure.

– D’accord, mais est-ce que je peux, genre, rester à côté de toi encore quelques minutes, histoire que Landon croie que je lui fais une fleur ?

– Tu fais ce que tu veux, tant que tu le fais en silence.

Il sourit. Purée, c’était vachement difficile de ne pas aimer un tel sourire.

Je retournai à ma lecture et Greyson s’assit à côté de moi. De temps en temps, il glissait un :

– Je fais semblant de te parler pour que Landon pense qu’on est potes.

Je répondais :

– Je ne te réponds que pour que tu n’aies pas l’air trop ridicule, quoique…

Il souriait de nouveau et je remarquai ce sourire, puis je retournai à mon livre.

Finalement, Shay arriva avec mon Coca qu’elle me tendit, accompagné d’un gobelet en plastique contenant un Mr. Freeze.

– Je n’ai pas trouvé de glace, mais je me suis dit qu’un Mr. Freeze garderait ton verre froid pendant un petit moment. En plus, c’est un Mr. Freeze à la cerise alors, voilà5, c’est un Coca à la cerise.

Elle tourna les yeux vers Greyson et haussa un sourcil.

– Oh, Grey… salut, quoi de neuf ?

– Oh, rien. Je faisais juste connaissance avec Eleanor.

Il balança son fameux sourire encore une fois et Shay tomba dedans comme une fichue gazelle dans le repaire d’un lion.

– Oh, c’est sympa ! C’est la personne que je préfère au monde, alors tu vas te régaler. Je vous laisse bavarder tous les deux.

Shay me fit un petit signe de la main comme si elle ne voyait pas mon regard paniqué qui la suppliait : Coupe court, coupe court ! Viens à mon secours.

Elle s’éloigna d’un pas léger comme le papillon mondain qu’elle était et je me retrouvai coincée dans mon cocon avec Greyson.

– Et ça va durer longtemps, cette petite comédie ?

Il haussa les épaules.

– J’en sais rien. Aussi longtemps que Landon continuera à me jeter l’histoire Stacey White à la figure.

– Tu lui as fait quoi, à Stacey White ?

Il plissa les yeux et haussa les sourcils.

– Que veux-tu dire, ce que je lui ai fait ?

– Tu en parles comme s’il s’était passé quelque chose.

Il s’agita sur son siège et détourna le regard.

– En fait c’est le contraire. Il ne s’est rien passé justement, mais ça ne regarde personne.

– Ben, ça me regarde un peu quand même puisque c’est à cause de ça que tu es là à me regarder avec insistance.

– Ouais, c’est pas faux.

Il garda le silence un moment avant de poursuivre.

– Pourquoi Shay ne veut-elle pas redonner une chance à Landon ?

– Il l’a trompée. Au bout d’une semaine.

– Ouais, je sais, mais…

Je refermai mon livre. Il était évident que je n’arriverais pas à lire avant un moment.

– Il n’y a pas de mais. Je trouve hallucinant que vous, les mecs, pensiez que vous pouvez vous permettre n’importe quoi avec n’importe qui, simplement à cause de votre physique de beaux gosses. Mais Shay n’est pas idiote. Elle sait ce qu’elle vaut, elle aussi.

Greyson prit l’air étonné.

– Est-ce que c’est une façon détournée de dire que tu me trouves beau ?

– Hé, te monte pas la tête !

– Trop tard, c’est déjà fait.

Il se mit à tambouriner sur sa jambe du bout des doigts.

– Alors c’est quoi, ta came ?

– Je croyais qu’on faisait seulement semblant de parler.

– Ouais, mais ça devient lassant. Alors, comme ça, ton truc c’est… la lecture ?

Il désigna mon livre de la tête.

– Tu es vachement observateur, dis donc !

Il se mit à rire.

– Et toi, tu es impertinente.

– Je tiens ça de ma mère.

– Ça me plaît.

Je sentis la chaleur me monter aux joues, et cela m’agaça. Mon corps réagissait à cette personnalité-adorable-sans-le-faire-exprès, alors même que mon esprit avait été formé à le trouver antipathique, et c’était énervant. Toute l’année, j’avais observé les gars comme Greyson et la façon dont les filles se laissaient manipuler sans même s’en rendre compte.

Ma raison refusait absolument d’être une de ces filles, mais clairement, mon cœur se fichait bien de ça. Je détournai les yeux, parce qu’il se mettait à s’affoler dès que nos regards se croisaient.

– Je n’ai jamais lu Harry Potter, dit-il et, pour la première fois de ma vie, je me sentis désolée pour Greyson East.

Le pauvre, sa vie devait être bien triste !

– C’est probablement une bonne chose. Parce que si tu l’avais lu, je me verrais dans l’obligation de craquer pour toi de façon absurdement irréaliste, ce qui serait totalement contraire à mes principes.

– Tu es impertinente et directe.

– Le côté direct, ça, ça vient de mon père.

Il sourit.

Ce qui me plut.

Bref.

– Donc, les livres et les libellules ?

Je haussai un sourcil.

– Comment tu sais pour les libellules ?

– Bah, il y a des libellules sur ton pull et sur tes barrettes aussi.

Ah oui, d’accord. J’aurais parié sans hésiter que j’étais la seule fille de la soirée à porter des libellules dans les cheveux.

– C’est un peu notre truc, à ma mère et moi.

– Les libellules ?

– Oui.

– C’est pas ordinaire.

– Je ne suis pas une fille ordinaire.

Il plissa les yeux comme pour m’observer et analyser mon ADN du regard.

– Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je, l’estomac noué.

– C’est rien. C’est juste… j’ai l’impression que je t’ai déjà rencontrée.

– Bah ouais, on est ensemble en classe, répliquai-je sur un ton sarcastique.

– Non, ouais, je le sais, mais…

Il s’interrompit et secoua la tête.

– Je ne sais pas. Tu n’étais probablement pas à la soirée chez Claire Wade, si ?

– Aucun risque.

– Chez Kent Fed ?

Je lui opposai un regard vide.

– D’accord. Pourtant c’est bizarre, je jurerais…

Avant qu’il puisse finir sa phrase, il fut interrompu par Landon qui se jeta sur lui.

– Laisse tomber, mec. Shay n’est qu’une pétasse, dit-il, l’air renfrogné.

Visiblement, ma cousine avait blessé son ego.

– Si tu traites encore une fois ma cousine de pétasse, tu vas apprendre ce que c’est qu’une vraie pétasse, aboyai-je.

Landon me regarda et leva les yeux au ciel.

– Oh toi, la barjo, c’est bon !

– T’es pas obligé de te comporter comme un con, Landon, dit Greyson en prenant parti pour moi. Et puis, elle a raison, Shay ne t’a rien fait. C’est toi qui l’as trompée. Qu’elle ne veuille pas te reprendre ne fait pas d’elle une salope.

Attends, c’est quoi ça ?

Est-ce que Greyson East nous avait défendues, Shay et moi ?

Bah, très bien.

J’imagine que je porterai ses enfants un jour.

Ces stupides papillons dans mon estomac refusaient de s’en aller, alors vous pouvez imaginer mon soulagement lorsque Greyson se leva pour partir. J’ai la peau plutôt pâle, et quand je rougis, je prends la couleur de la tomate la plus mûre qu’on puisse imaginer. Je n’avais pas besoin qu’il soit témoin de ça.

– C’est bon, mec. On y va, dit Landon, regardant à travers moi comme si je n’existais même pas.

Je m’en fichais. Je le regardais exactement de la même façon.

– On continuera cette conversation une autre fois, Eleanor.

Greyson me fit au revoir de la main en partant.

– Bonne lecture, ajouta-t-il.

Je dis au revoir à voix basse avant de retourner à mon roman. Pourtant, de temps à autre, Greyson me revenait à l’esprit, côtoyant Ron Weasley.

Un peu plus tard, Shay réapparut et nous décidâmes de rentrer.

– Alors, il semblerait que vous ayez bien discuté, Greyson et toi, remarqua-t-elle.

Je haussai les épaules.

– Ça allait.

– C’est vraiment un mec sympa, Ellie. Rien à voir avec Landon. Greyson est sincère, lui.

Elle disait ça comme si elle essayait de me persuader d’autoriser les papillons à rester dans mon estomac, alors que moi, j’essayais de trouver un moyen de leur arracher les ailes.

Je haussai les épaules encore une fois.

– Ouais, il est pas mal.

– Pas mal, seulement ?

Elle me donna un coup de coude en se moquant de moi, elle avait probablement remarqué que j’avais rougi.

– Ouais.

Pas mal seulement.

Shay squattait chez moi cette nuit-là, et quand nous entrâmes dans la maison, la télé du salon était encore allumée. Les images d’un film d’horreur quelconque défilaient sur l’écran, alors je me précipitai pour attraper la télécommande et éteindre. Ils étaient là, endormis sur le canapé. Papa était allongé de tout son long et serrait maman dans ses bras.

– On les réveille, tu crois ? demanda Shay.

Je m’emparai d’une couverture pour les recouvrir.

– Nan. Ils finissent toujours par se retrouver dans leur lit le matin.

C’était courant de voir mes parents comme ça, maman dans les bras de papa, endormis en regardant la télé. Si jamais elle bougeait dans le canapé, papa souriait, replaçait ses bras autour d’elle et s’installait confortablement de nouveau. Je n’avais jamais vu deux personnes aussi fusionnelles. Sans mes parents, je n’aurais jamais cru à la notion d’âmes-sœurs.

Commander Eleanor & Grey