Chapitre 1

Un accident manqué de peu avec un mufle

Comme chaque matin de la semaine, je suis en retard. Et j’ai le cerveau en ébullition à force de penser aux dossiers des clients qui m’attendent chez Carter Corp. J’ai hâte de m’y rendre mais la passion de mon chien pour les arbres et sa balle de tennis risquent bien de me faire parcourir la totalité du parc avant de pouvoir rejoindre le bureau…

 

 

 

Pourquoi ai-je détaché sa laisse ? Si j’y avais réfléchi, je ne me retrouverais pas à sept heures trente du matin à courir derrière mon petit bouledogue français et à hurler « Blaaaanchette » devant les regards ahuris des passants. Tout cela pourrait sembler normal si, en plus, je ne sautillais pas derrière une balle de tennis jaune, son jouet préféré. Le problème, c’est qu’une fois sur deux, c’est moi qui vais la récupérer parce qu’elle a atterri dans un buisson ou un peu trop près d’un pigeon. Oui, parce que Blanchette a une trouille bleue des pigeons.

Complètement essoufflée, j’arrive enfin à le rattraper et à reprendre le contrôle de mon compagnon à quatre pattes.

— Il faut vraiment qu’on trouve une stratégie pour aller plus vite le matin !

Le regard que me lance mon animal est équivoque et je soupire tout en me penchant pour ramasser la balle baveuse. Je grimace.

— Si tu pouvais dépasser ta peur des pigeons et baver un peu moins, on serait plus efficaces ! Ne me fixe pas comme ça, je sais très bien que je devrais mettre mon réveil trente minutes plus tôt et arrêter de peindre en pyjama !

Oui, j’adore peindre le matin, cette activité me détend avant ma longue journée de travail chez Carter Corp. – même si cette passion m’a déjà obligée à jeter (presque) tous mes pyjamas préférés à cause des taches bleues, vertes ou roses laissées par mes tubes d’acrylique.

Ne vous méprenez pas, j’adore mon job au service communication et je compte bien atteindre mon objectif ultime le plus rapidement possible. Lequel ? J’ambitionne de diriger le département des actions humanitaires et d’y développer un secteur « écologie ». L’année passée, je suis rentrée de Paris où j’avais eu la chance de terminer une spécialisation en conception-rédaction publicitaire. Mon sens graphique et esthétique et ma passion pour la peinture m’ont aidée à convaincre les directeurs de l’une des plus importantes entreprises de la ville de m’engager.

En rebroussant chemin pour retourner à mon petit appartement new-yorkais, je profite de m’arrêter auprès d’un vendeur ambulant pour lui acheter un cappuccino. Je le sirote en observant le décor autour de moi. Des joggeurs foulent les allées boisées en soufflant, des businessmen discutent au téléphone d’un pas pressé, d’autres passants promènent leur chien en profitant de ces dernières minutes de calme avant leur journée. Les odeurs de feuilles, d’herbe et de bagels au fromage qui flottent dans l’air me font sourire. Je n’aurais jamais pensé un jour me retrouver ici.

New York, quel pied ! J’adore cette ville qui ne dort jamais et qui dégage une énergie incroyable. Si elle pouvait d’ailleurs m’en transmettre un peu ce matin, je lui en serais reconnaissante.

Il faut dire que ça me change de Paris où l’ambiance et les gens sont si différents…

Je me revois découvrir Montmartre, manger une crêpe, redescendre pour passer devant le Moulin Rouge, sortir boire des verres à République, rentrer au petit matin avec le premier métro. Autant d’insouciance me faisait un bien fou après avoir passé des années à bosser tous les soirs et les week-ends pour économiser le montant nécessaire pour vivre une année en France.

Je sors de mes pensées et accélère le pas, passe devant un kiosque à journaux et ne peux m’empêcher de lire l’une des manchettes en fronçant les sourcils :

 

Trafic d’armes et de drogue : aucune preuve,

Maccini à nouveau tiré d’affaire

 

— Incroyable, je m’exclame en regardant Blanchette. Ce type est aussi doué que le monstre du Loch Ness pour se planquer. On connaît son existence, tout le monde est au courant de ses magouilles mais personne ne l’attrape jamais.

Et moi, je parle à mon chien. Rassurez-moi, vous parlez à votre animal, vous aussi, n’est-ce pas ?

Maccini est connu dans tout l’État pour son business. On entend régulièrement parler de lui dans l’actualité, tant et si bien que j’ai parfois l’impression d’être à Naples, encerclée par la Camorra.

Bon, à cette allure, je vais encore m’attirer les foudres de Cassidy, la responsable des ressources humaines surnommée « l’iceberg-sans-cœur-des-RH ».

Je ramène Blanchette dans mon studio cosy, lui verse de l’eau dans sa gamelle et caresse sa grosse tête avant de le laisser pour la journée. Je me rappelle quand mon adorable chien a débarqué dans ma vie. J’avais trouvé une alternative car mon frère m’avait interdit de l’appeler Blanche-Neige, argumentant que ça n’allait pas du tout à un bouledogue français1. D’autant plus qu’il s’agit d’un mâle. Mais, que voulez-vous, j’ai du mal avec le concept de « genre ».

Sur le chemin de Carter Corp., je sors mon téléphone de ma poche et vérifie l’écran. Pour la millième fois depuis ce matin.

Rien.

Toujours pas de message. Mon cœur se serre et j’ai un mauvais pressentiment devant cet écran irrémédiablement noir. Mon petit frère ne m’a donné aucune nouvelle depuis deux jours et ce n’est pas dans ses habitudes. Lui et moi, on est comme les deux doigts de la main, comme Laurel et Hardy, comme Batman et Robin, comme Frodon et Sam, comme Blanchette et sa balle de tennis jaune… inséparables, quoi ! Il est ma moitié et nos liens se sont d’autant plus resserrés depuis que mes parents ont tout fait foirer en faisant éclater notre famille. Du coup, Jason m’a suivie à New York, laissant derrière lui le bled paumé de notre enfance et le souvenir de nos heures passées à réparer de vieilles voitures dans le garage de la maison. La belle époque où mon père, mon frère et moi partagions une passion pour la mécanique.

Le crissement de pneus sur le bitume me fait sursauter et me tire de mes réflexions. Sous le coup de la surprise, je lâche mon téléphone et le vois rebondir sur le capot de la voiture qui vient de s’arrêter in extremis devant moi.

Mon cœur bat la chamade.

Je rêve ou j’ai manqué de peu de me faire écraser en pleine rue ? Je jure :

— Nom d’un petit bonhomme !

J’entends le bruit d’une vitre qui s’abaisse et une voix grave me répondre d’un ton amusé :

— Je ne suis pas un petit bonhomme… remarque, c’est bien plus distingué et élégant que « merde » ou « putain ». Ce que les autres passants auraient probablement lancé dans la même situation.

Flûte, il m’a entendue, le mufle ! Je le fixe d’un air méchant (ou plutôt, j’essaie, il a tout de même failli m’aplatir sur le trottoir) et l’observe. Du moins, ce que je peux apercevoir de lui puisque je ne vois que le haut de son visage, le reste étant caché par une vitre teintée. Des yeux perçants, des cheveux sombres ébouriffés, des traits harmonieux étrangement familiers. Je ramasse mon téléphone, évalue les dégâts, le remets dans mon sac et fronce les sourcils en lui faisant remarquer :

— On vous a déjà dit qu’il fallait au minimum s’excuser lorsqu’on manque de tuer des gens ?

— Non, personne n’a jamais osé. Apparemment, il n’y a qu’une femme comme toi pour l’exiger d’une manière aussi charmante.

— Je rêve ! Et ça te fait sourire en plus ? Garde ton baratin et mets-toi un objectif pour la journée…

Il me coupe :

— Un objectif comme enregistrer ton numéro pour m’excuser quand je serai d’humeur à le faire ? Ça devrait être possible.

Je le fusille du regard.

— Non mais c’est quoi, ton problème ? On va dire deux objectifs ; un pour aujourd’hui et un pour la vie. Éviter d’écraser un piéton et… et… et arrêter d’être con. Mais, à mon humble avis, ce n’est pas gagné.

— Mmmh le moins que l’on puisse dire, c’est que tu n’as pas ta langue dans ta poche… une vraie furie.

Étonnée par sa repartie et son calme apparent, je reste muette pendant quelques secondes puis je reprends contenance.

— Et moi, je suis étonnée qu’un type comme toi ait pu obtenir son permis de conduire ! D’ailleurs, tu ne devrais pas donner des coups d’accélérateur aussi violents, tu consommes davantage en roulant ainsi. Ça te dit quelque chose, la protection de l’environnement et l’empreinte carbone ?

— Le carbone, je le préfère sur ma voiture. Mais je pense que les automobiles et l’amour des belles voitures représentent des notions abstraites pour une femme comme toi.

Je fulmine. Il va voir, je vais le remettre à sa place en deux secondes et son ego démesuré va en prendre un coup. J’observe sa voiture, passe un doigt sur la portière, incline la tête et plonge mon regard dans le sien pour débiter :

— Lamborghini Aventador S Roadster. La saga S a débuté en 1968 avec la Miura S. Puis Islero, Countach et Urraco.

Il semble pris de court et amusé en même temps, mais garde le silence. Son regard s’assombrit alors j’en rajoute une couche :

— Je continue, tu pourrais apprendre quelque chose aujourd’hui, cela te changerait de ton quotidien. Gros moteur V12. De zéro à cent en trois secondes. Vitesse : trois cent cinquante kilomètre-heure. Sept cent quarante chevaux. Châssis monocoque en fibre de carbone. Jantes vingt pouces Dione argent en alliage d’aluminium.

Il me sonde d’un air dubitatif :

— Impressionnant. Tu viens de taper Aventador sur Google ?

— Non, j’ai un père passionné de belles mécaniques. Mais contrairement à toi, j’ai choisi de m’en servir pour être une partie de la solution et pas du problème en devenant plus responsable. Tu connais les voitures électriques, par exemple ?

— Je resterais bien à papoter avec toi mais il se trouve que j’ai des choses à faire. Et comme, contrairement à ce que tu sembles penser, je ne suis pas un mufle meurtrier et tueur de piétons, j’aimerais beaucoup t’inviter à dîner pour me faire pardonner.

Il me tend sa carte de visite à travers la fenêtre, j’y lis « D.O. Import-Export » et son numéro de portable noté en dessous.

— Si tu crois une seconde que cela me plairait de passer davantage de temps avec toi, tu es encore plus prétentieux que je ne le pensais. Et n’oublie pas : les furies sont des déesses vengeresses…

Il fait vrombir son moteur et j’aperçois une lueur passer dans ses yeux :

— Bien, aurais-tu l’obligeance de bouger de la route maintenant ? Je n’aimerais pas abîmer une aussi belle carrosserie…

Le double sens me fait sourire malgré tout et après avoir donné un coup d’accélérateur, l’homme reprend sa route. Je regarde la voiture s’éloigner et repense à mon frère. Il aurait certainement bavé devant un tel modèle. De mon côté, j’aime toujours la mécanique mais je tente de me servir de mes connaissances pour réduire mon empreinte carbone. D’ailleurs, j’ai le projet de changer le moteur de ma 2 CV turquoise pour le remplacer par des batteries électriques. J’en ai déjà parlé à Jason et on ne devrait pas tarder à commencer.

Ma petite joute verbale avec l’inconnu n’a pas arrangé mon retard. Je repars en direction du building de Carter Corp. tout en invoquant le Dieu du travail (s’il existe) pour que Cassidy ou mon supérieur Gabriel ne s’aperçoivent pas de mon absence de si bon matin.

La seule perspective qui me réjouit est celle de retrouver Matt, mon binôme au service communication et Lisa, mon amie qui travaille à l’accueil du siège. La journée a plutôt mal commencé mais si j’avais su ce qui m’attendait par la suite, j’aurais probablement revu mes priorités.

Je rêve déjà de retrouver mon lit, de dormir, de peindre et d’aller promener Blanchette pour que ma prochaine journée commence d’une meilleure façon. Un peu comme dans un film fantastique où l’héroïne revit sa journée pour en corriger certains éléments2.

Mon téléphone me sort de ma rêverie et je peste en tentant de mettre la main dessus dans ce sac beaucoup trop grand pour trouver ce dont on a besoin – en moins de dix minutes j’entends.

La perspective que ce soit Jason me pousse à accélérer mes gestes. Quand je constate que je ne connais pas le numéro, j’hésite à répondre mais un mauvais pressentiment me saisit. À l’autre bout du fil, une voix féminine me demande :

— Lexi Wright ?

— C’est moi, oui. À qui ai-je l’honneur ?

— Je vous appelle du service des urgences de l’hôpital Bellevue. Nous venons d’admettre Jason Wright pour des blessures multiples. Nous avons trouvé vos coordonnées dans son téléphone, pourriez-vous venir ? Les médecins souhaiteraient vous poser quelques questions sur ses antécédents médicaux et nous avons des documents à vous faire compléter.

— Jason ? C’est mon frère. Oh mon Dieu ! Comment va-t-il ? Il va s’en remettre ? C’est grave ?

— Il est inconscient pour le moment mais nous avons bon espoir qu’il se réveille bientôt.

Morte d’angoisse, je me demande ce qui a bien pu se passer. Je connais les penchants de Jason pour les magouilles et ses fréquentations parfois douteuses, elles m’ont déjà causé quelques cheveux blancs et des nuits d’insomnie. Dans quelle galère s’est-il encore fourré ? Je ne réfléchis pas longtemps avant de m’entendre répondre :

— J’arrive tout de suite !

Jason représente toute ma vie et je me suis fait la promesse d’être toujours là pour lui quoi qu’il puisse m’en coûter. Même si j’appréhende de manquer le travail, je ne peux pas faire autrement. J’appelle rapidement Matt pour le prévenir et lui demander de me couvrir le temps que je me renseigne sur l’état de santé de mon frère. Je saute dans un taxi pour rejoindre l’hôpital, le cœur battant à cent à l’heure et une nausée grandissante au creux de l’estomac.

J’ai l’habitude de gérer tous les coups durs et les coups de mou de mon petit frère. Un jeune homme adorable mais un peu paumé qui semble, malgré toute ma bienveillance et mon amour, s’engluer dans un comportement autodestructeur. À mon avis, le rejet de mes parents est pour beaucoup dans l’explication de son attitude, dans les risques qu’il prend. Comme pour leur dire « est-ce que j’aurai votre attention si j’ai mal, si on me tabasse, si on me porte un coup de plus, si on me brise ? ».

« Si je meurs ? »

Comme s’il avait besoin de se faire mal physiquement pour ne plus avoir mal à l’intérieur, comme pour justifier cette douleur qui ne lui laisse aucun répit. Autant avoir un bleu sur la peau qui se voit plutôt qu’un bleu à l’âme…

J’espère qu’il ne s’est pas fait agresser. Ça me donnerait envie de retrouver les auteurs de cette attaque pour faire payer à ces débiles leur intolérance. Depuis son arrivée à New York, Jason essaie de se débrouiller mais il se retrouve toujours dans des plans foireux.

Qu’est-ce qu’il a bien pu faire, cette fois-ci ?

La bouche sèche, le pouls battant à tout rompre, je m’éjecte du taxi dès qu’il s’arrête devant l’hôpital. Paniquée, c’est à bout de souffle que je m’affale sur le comptoir comme un flan qui tomberait sur une assiette et prononce dans un filet de voix :

— Veuxvoirmonfrère, contusionsinconscient… ilestoù ?

L’infirmière me regarde avec des yeux ronds et je me rends compte que j’ai parlé tellement vite qu’elle n’a pas dû capter grand-chose. D’un air bienveillant, elle me demande calmement :

— On va recommencer à zéro, d’accord ?

— Oui, pardon, je suis désolée. J’aimerais voir mon frère Jason Wright. Vous m’avez appelée pour que je vienne le plus vite possible.

Une voix derrière moi nous interrompt :

— Je suis l’interne, c’est moi qui me suis occupé de lui quand il est arrivé. Venez, je vous conduis à sa chambre.

Je le suis dans un couloir éclairé par une lumière blanche et retiens un haut-le-cœur. L’ambiance survoltée des urgences, l’odeur de désinfectant et les « bip » qui s’échappent des chambres accroissent mon angoisse. Je ne peux retenir plus longtemps les nombreuses questions qui me taraudent tandis que le jeune médecin au visage pâle et aux traits tirés poursuit sa course sur le sol en lino :

— Alors, qu’est-ce qui lui est arrivé ?

— On ne connaît pas les circonstances exactes mais il présente plusieurs hématomes importants et des fractures multiples.

Je peine à avaler ma salive tandis qu’il débite la suite d’un ton fatigué :

— Mais il devrait s’en sortir. Au vu de ses blessures, cela aurait pu causer des hémorragies internes…

Je pousse un petit cri d’horreur qui incite certainement le jeune homme à prendre conscience de ce qu’il vient de me dire :

— Rassurez-vous, il va s’en tirer ! On attend juste qu’il se réveille pour en savoir plus. En attendant, il nous faudrait des informations sur d’éventuelles allergies…

— Le kiwi, ça compte ?

— Pas vraiment, non. On y est. Sa chambre est là, il semble en mauvais état pour le moment mais ne vous inquiétez pas, ses blessures vont se résorber petit à petit.

Je pousse la porte en retenant mon souffle.

Une fois à l’intérieur, je suis incapable de m’approcher du lit, je reste figée sur place. Je commence à manquer d’air.

Respire Lexi. Respire.

Le spectacle que j’ai sous les yeux ressemble à un amas de bosses virant du jaune au violet en passant par toutes les teintes de bleu. Une vraie toile de peinture. Seulement, ce n’est pas un tableau que j’ai sous les yeux, c’est mon frère. Heureusement, il semble respirer de manière autonome. Paupières closes, il a la lèvre fendue et le nez fracturé, un vilain coquard recouvre son œil droit.

Il n’en faut pas plus pour que j’éclate en sanglots.

Comment ce petit garçon a-t-il pu se transformer en cette boule de souffrance ? Avec ses boucles blondes, ses fossettes craquantes et son air angélique, il attirait en permanence la sympathie de tout le monde. On adorait aller ensemble à la boulangerie acheter le pain le dimanche matin, la vendeuse nous offrait toujours des tartelettes au chocolat qu’on planquait dans les tiroirs de notre chambre pour les manger avant le dîner.

Jason avait ce pouvoir magique de séduire tout le monde.

Je regarde mon double, mon ombre, couchée sur ce lit, inerte. On nous a toujours dit que l’on se ressemblait physiquement. Même sourire, même couleur de cheveux châtains aujourd’hui, même fossettes. Nos physiques sont aussi semblables que nos caractères sont différents.

Mon téléphone sonne et quand je lis le nom de Lisa, je renifle, sèche mes larmes et sors de la chambre. Entendre la voix de ma collègue et meilleure amie ne pourra que m’apporter un peu de réconfort.

— Comment tu te sens ma belle ? Et comment va ton frère ?

— Lisa, je ne sais pas ce qui s’est passé. Il est… il a l’air vraiment mal en point.

— Et qu’ont dit les médecins ?

— Apparemment, il devrait s’en sortir. Je suis vraiment embêtée de ne pas avoir pu venir au bureau ce matin. Tu sais si Gabriel a remarqué mon absence ?

— Ne t’inquiète surtout pas pour ça, on gère, Matt et moi, et on te couvre. Occupe-toi de ton frère et si tu as besoin de quoi que ce soit, y compris de la nourriture chinoise accompagnée de cocktails ce soir, tu m’appelles.

— Lisa, je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

— Oh, tu finirais par manger les croquettes de Blanchette et tu deviendrais une de ces petites vieilles qui radotent sur leur jeunesse qui a filé trop vite. Tu parlerais aux murs et à tes toiles. Et ah, peut-être que tu finirais même par peindre ton propre chien en bleu et tu deviendrais célèbre pour cette œuvre sur pattes, la première peinture vivante que tu pourrais promener à Central Park.

— Lisa, tu devrais écrire des romans avec une telle imagination. Mais merci, ça me change bien les idées.

— Toujours là pour toi.

— J’essaie de revenir au bureau le plus vite possible.

Je raccroche, le cœur un peu plus léger que tout à l’heure et regagne la chambre de Jason. En poussant la porte, je sens que l’atmosphère a changé. Et pour cause, mon frère tourne la tête vers moi et lance d’une voix pâteuse :

— Salut petite sœur.

— Je ne suis pas ta petite sœur, morpion.

— En taille, tu es ma petite sœur. Allez, viens là.

Je m’approche pour lui prendre la main, j’ai envie de le serrer dans mes bras mais j’ai peur de lui faire mal.

— Alors, terreur, qu’est-ce que tu as encore fait cette fois ? Tu m’as fichu la trouille. Ta carte à point de conneries est épuisée, frérot.

— Où est-ce que je peux en commander une nouvelle ?

Nous rions et il se tient les côtes en grimaçant :

— Arrête de me faire rigoler, sœurette, je n’ai pas les os assez solides.

— C’est toi qui as un humour de merde. Plus sérieusement Jason, qu’est-ce qui s’est passé ? Et ne me raconte pas de craques, ça a clairement l’air plus grave que les autres fois.

Son air stressé et ses doigts qui se rétractent dans un réflexe me font craindre le pire. J’essaie de m’adoucir pour l’inciter à se confier :

— Peu importe ce qui t’arrive, on trouvera une solution. On en trouve toujours, non ?

— Je crains que cette fois-ci, ce soit plus… compliqué.

— Tu me fais peur, Jason.

Il prend appui pour se redresser dans son lit et pousse un râle de douleur. Le voir dans cet état me rend triste, j’aimerais tellement qu’il soit heureux. Qu’il arrête ses conneries. Qu’il se range et qu’il trouve un équilibre.

— Je sens que tu vas être en colère. En fait, j’ai volé une voiture…

Je bugue. Je pense que je n’ai pas compris ce qu’il vient de me dire. Ça doit être la Lamborghini et son puissant moteur qui ont abîmé mes tympans. Il n’y a pas d’autre solution, n’est-ce pas ? Après plusieurs secondes passées à admirer le mur devant moi, je reviens à la réalité. J’ai forcément rêvé. Enfin, cauchemarder serait plus juste. Ainsi, pour être sûre, je demande avec un air naïf et plein d’espoir :

— Alors, tu as fait quoi ? Une petite chute dans l’escalier ? Tu as dit bonjour à un mur peut-être ?

— Tu n’as pas entendu ce que je viens de te dire ? J’ai volé une…

Je complète et termine sa phrase avec lui, perdant ainsi tout espoir de minimiser la gravité de son acte :

— Voiture ! Mais c’est pas vrai ! Les flics risquent de débarquer à tout moment. Et si tu finissais en prison ? Je n’ai pas les moyens de te payer un bon avocat. Oh mon Dieu, ta vie est fichue !

— Arrête sœurette, ne panique pas !

— Je panique si je veux !

Il ajoute d’une petite voix :

— Ce n’est pas toi qui m’as dit qu’il y avait toujours une solution ?

Je pousse un long soupir :

— Pour qu’on puisse en trouver une, il faut que tu me racontes tout dans les moindres détails. Ensuite, on réfléchira à un plan pour te sortir de cette merde.

Vu la tête de mon frère, je sens qu’il ne me dit pas tout mais je décide de prendre sur moi et d’attendre qu’il commence son récit pour l’interroger.

— On buvait quelques bières avec mes potes, tu vois…

— Je vois bien, oui. Et ces fameux potes toujours prêts à faire les quatre cents coups, ils sont où maintenant que tu es à l’hôpital ? C’est bizarre, je n’en vois aucun… j’ajoute, en colère.

— Je sais. Mais, au moins eux, ils m’acceptent comme je suis…

Sa remarque me brise le cœur et je repense à nos parents. À leur rejet. À l’implosion de notre famille, puis à notre départ.

Je n’ose même pas les appeler pour leur dire que Jason est mal en point. J’ai trop peur qu’ils s’en fichent comme du premier cafard qu’ils ont écrasé dans notre ancienne maison.

— Et ensuite ?

— Ensuite, on a rejoint le parking du Queen Casino et c’est là que je l’ai vue. Elle était là. Elle avait l’air de m’attendre ! C’était un peu comme si je voyais une créature de rêve. Un V8, sept cent vingt chevaux, minimum. Jantes de dix-neuf pouces, peut-être vingt. Ailerons en fibre de carbone. Ligne aérodynamique. Peinture mate ! Mate ! T’imagines ? C’était incroyable, un vrai coup de foudre !

Il fait une pause, l’air de regretter d’avance ce qu’il va me confier avant de dire en évitant mon regard :

— C’est là que Billy a lancé un pari débile : ouvrir la portière et se mettre au volant.

— Et tu l’as fait ? Mais je rêve ! Tu as encore une minute pour me dire que c’est une mauvaise blague.

— Tu sais que je suis bien meilleur que ça en blagues… puis, tout a dégénéré.

— J’imagine que c’est là que le propriétaire de ce bijou est arrivé et t’a fait une bonne petite crise de jalousie en te cassant quelques côtes ?

Il a l’air mal à l’aise et joue avec le drap du lit en le serrant fort entre ses doigts.

— Je me suis mis derrière le volant pile quand un groupe de mecs sortait du casino… la caisse était à eux et j’ai complètement paniqué. J’ai voulu me barrer. Mais au lieu de sortir et de courir, j’ai démarré.

— Je crois qu’il va falloir appeler l’interne, j’hyperventile ! Si tu n’étais pas sur ce lit, c’est moi qui te ficherais une baffe. Ou alors, je t’enfermerais chez moi avec Blanchette pour que tu ne fasses plus jamais de bêtises !

— Si je venais habiter chez toi, on sait très bien que tu finirais par commettre un meurtre. Tu ne tiendrais pas une semaine avec moi dans les pattes.

Je lui lance un petit sourire. Qu’est-ce que je l’aime, ce fauteur de troubles.

— J’ai encore un tout petit truc à dire. Les mecs m’ont poursuivi jusqu’à ce que je me plante dans un virage. Ensuite, ils m’ont tabassé…

— Quelle bande de petits merdeux. Si je les attrape, je leur fais bouffer leurs jantes.

— Je te déconseille de faire ça. Ces mecs, ce ne sont pas n’importe qui.

Le ton de la voix de mon frère me fait frissonner.

— Qu’est-ce que tu veux dire exactement ?

— Ce sont des hommes de main de Giorgio Maccini, Lexi. Et apparemment, il y avait de la drogue dans la voiture.

— DE LA QUOI ?

— Chut, moins fort. De la came. Mais je n’ai rien vu ! Je te jure ! Et je ne touche pas à ça, tu le sais.

Je fixe le mur puis la fenêtre pour observer le ciel. Il a commencé à pleuvoir, les nuages planent sur l’horizon de New York. Je cherche quelque chose de concret à quoi me raccrocher. Quand je reviens sur Jason, je vois son regard désespéré et mon cœur me brûle. J’ai du mal à assimiler tout ce qu’il vient de m’avouer et pourtant, j’ai l’impression qu’il n’a pas terminé.

— Jason, il y a autre chose, je me trompe ?

— Ils m’ont laissé quarante-huit heures pour leur rembourser cinq cent mille dollars. Il s’agit du prix de la caisse et de la drogue qui s’est éparpillée pendant l’accident. Mais, Lexi, comment je vais pouvoir trouver une somme pareille ?

Je m’étouffe avec ma salive. C’est dommage. Mon frère est dans la merde et moi, je vais mourir étouffée par ma salive dans un hôpital. La vie est une garce.

Je me sens complètement dépassée, je nage en plein film d’horreur. Un scénario pareil, ça n’arrive jamais dans la vraie vie, on est d’accord ? Comment est-on censé réagir quand son frère vous avoue qu’il a défoncé la voiture d’un groupe de mafieux en colère et qu’il a deux jours pour rembourser une somme faramineuse qu’il ne gagnerait même pas en travaillant toute sa vie ?

Un doute terrible me saisit, j’ai besoin de savoir :

— Jason, qu’est-ce qui arrivera si tu ne trouves pas cet argent ?

Je le vois déglutir et il semble retenir un sanglot :

— Ils vont me faire la peau. Ils vont me buter, Lexi. Et après, ils iront se servir où ils pourront. À la maison des parents sans doute… et je suis coincé ici, il faut que tu m’aides.

Dans ma tête, la course contre la montre a commencé et je recense toutes les solutions potentielles. Excluons d’office le crédit à la banque. Les parents ? Ils n’ont aucune épargne. Séduire le big boss Ryan Carter ? Argh, pas envisageable non plus. Il y a peu de chance que je parvienne à le convaincre de me prêter une telle somme en quarante-huit heures, même après un hypothétique coup de foudre. Vendre mes toiles ? Pour le moment, ma cote sur le marché de l’art ne doit pas être bien élevée. À tout péter, je pourrais gagner… deux cents dollars ?

La voix de Jason me ramène à la réalité :

— Pourquoi tu ne prononces pas un mot ? Tu réfléchis à la meilleure manière de faire disparaître mon corps ? En fait, c’est toi qui risques de me tuer après toutes les conneries que j’ai faites, c’est ça ?

— Patate, je cherche des solutions. On va tenter de sauver ta peau et de trouver ce fric et ensuite, si j’en ai envie… je t’achèverai ! Deal ?

Il essaie de rire mais les soubresauts qui se propagent dans sa cage thoracique ravivent ses douleurs.

— Deal.

— Repose-toi, je reviens te voir ce soir, d’accord ?

Il acquiesce et je dépose un baiser sur son front avant de quitter sa chambre.

Il fallait clairement que je sorte pour qu’il ne lise pas ma détresse ! Intérieurement, je bous. Je suis tétanisée, incrédule. Je m’adosse contre un mur du couloir et inspire plusieurs fois de suite pour calmer les battements de mon cœur. La scène que je viens de vivre est-elle vraiment réelle ? Je vais ouvrir les yeux et me réveiller, c’est certain.

Ouvre les yeux Lexi !

Mais ils sont déjà ouverts et, pour mon plus grand malheur, cette scène a bien eu lieu.

Ce que je ressens est bien pire qu’un simple coup de stress. En réalité, je meurs de peur. Comment peut-on décemment trouver cinq cent mille dollars en deux jours ? Après tout, nous sommes des gens normaux. Je travaille, je peins, je m’occupe de mon chien, je sors avec Matt et Lisa, j’aime boire des verres, je suis investie et passionnée. À un détail près : mon frère a de mauvaises fréquentations.

Résultat ? Aujourd’hui, je me demande comment sauver la peau de Jason. Je vais peut-être me repasser tous les films de gangsters et de mafia que je connais pour trouver une solution. Et si je planquais Jason ? Et si je l’envoyais en Suisse ? On pourrait peut-être le cacher dans un coffre-fort comme des lingots d’or, non ?

Je saisis ma tête entre mes mains. Ces hommes ont certainement des comptes en Suisse et des connexions partout dans le monde. Jason ne franchirait même pas la frontière. Sans compter que je ne saurais même pas où me procurer un faux passeport. Ça se tape sur Google, ça, « comment obtenir de faux papiers » ?

Ce n’est pas le moment de me laisser submerger. Ni de me faire virer pour absentéisme. Il faut que je passe au bureau mais je me demande comment je vais pouvoir travailler avec toutes ces questions qui tournent en boucle dans mon esprit.

La seule interrogation qui revient me hanter sans cesse est le problème suivant : comment trouver cinq cent mille dollars en quarante-huit heures ? Une équation insolvable.

Ça non plus, ça ne se tape pas sur Google, hein ?


Chapitre 2

Des collègues en or

Dans les rues de New York, la pluie tombe toujours. Elle assombrit les trottoirs, fait râler les gens. Moi, j’aime la pluie et l’odeur du béton mouillé. J’adore les parapluies colorés qui font ressembler les avenues à des tableaux.

Sauf aujourd’hui. Je suis aussi triste que la pluie qui tombe…

 

 

 

Alors que je suis en route pour Carter Corp., je repense à cette scène improbable qui vient de se dérouler à l’hôpital.

Maccini. Merde. Trafic de drogue, d’armes et de voitures, blanchiment d’argent, ce chef de gang est également à la tête de plusieurs casinos dans la ville.

Mon frère vole une voiture.

Certes, c’est mal.

Mais mon frère est décidément le roi des emmerdes ! Quand il vole une voiture, il faut que ce soit celle d’un mafieux. Quand est-ce qu’il va grandir et sortir de ce cercle vicieux qui risque de le propulser directement dans une tombe ?

Oh mon Dieu !

Mon frère risque de mourir. Des picotements apparaissent dans mes mains. Mes pieds. Mon ventre. Mes poumons. Mon cerveau. J’ai l’impression de flotter dans une autre dimension.

Avant de réaliser pleinement le bourbier dans lequel je m’empêtre, j’arrive au pied de l’immeuble de Carter Corp. Observer ce mastodonte de verre et de béton me ramène à ma vie quotidienne, ce sentiment de normalité me perturbe autant qu’il me fait du bien.

Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Impossible de se voiler la face, je vais être incapable de me concentrer sur autre chose que sur cette question d’argent. Vous saviez que des sociologues ont effectué des études sur l’impact des problèmes d’argent sur la réussite des étudiants à l’université ? Il a été prouvé que ceux qui avaient des problèmes financiers réussissaient moins bien. Comment se concentrer pleinement sur sa performance quand on se demande en permanence comment payer son loyer ou sa nourriture… ou comment sauver son frère ?

Les sociologues ne le disent pas. Aucune étude n’a été faite sur le meilleur moyen d’extirper son frère des griffes de la mafia !

Je pénètre dans le bâtiment et repère Lisa en pleine conversation avec un visiteur. Elle me lance un coup d’œil et je lui fais un signe pour lui faire comprendre que je me rends à mon étage et qu’on se parlera plus tard.

Mais une journée catastrophe ne serait pas une journée catastrophe si je ne croisais pas le monstre-sans-cœur-des-RH. Mon karma semble s’acharner sur moi à tel point que je m’interroge vraiment sur les crimes que j’ai pu commettre dans mes vies antérieures.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur un parfait tailleur couleur crème et des talons que je ne porterais même pas pour draguer Bradley Cooper.

Alerte rouge ! J’envisage une tactique de retrait stratégique quand j’entends, d’une voix mielleuse et nasillarde :

— Où étiez-vous ce matin, mademoiselle Wright ?

Flûte, trop tard. Est-ce que je lui dis que le terme « mademoiselle » n’existe plus et que c’est sexiste ? Je grince des dents en retenant les mots qui me brûlent la gorge, ce n’est pas le moment de faire un point avec elle sur des questions d’égalité et de féminisme. Nous risquerions d’être en désaccord. Comme nous le sommes à propos de tous les autres sujets, d’ailleurs.

— J’étais en train de danser une valse avec Peter Pan. Et vous ?

Évidemment, je n’ai pas dit ça.

— Cassidy, ravie de vous croiser.

Plus ravie, tu meurs. Je complète en espérant qu’elle lâche l’affaire :

— Navrée pour ce matin, j’ai eu un imprévu…

Elle me coupe la parole et siffle comme une vipère :

— Je vous rappelle que vous êtes payée pour travailler sur nos campagnes de communication. J’ai vaguement entendu parler de votre projet d’avancement afin de gérer le département des affaires humanitaires. Laissez-moi vous dire que ce n’est pas ainsi que vous parviendrez à grimper un échelon supplémentaire. Prenez garde, le barreau sur lequel vous êtes perchée risque fort de casser bientôt si vous vous entêtez dans ce genre d’attitude. Est-ce que le reste de vos neurones disponibles vous permet de comprendre les implications de ce que je viens de vous dire ?

— Il semble que mes neurones fonctionnent suffisamment pour saisir chaque mot que vous venez de prononcer. Je compte bien m’impliquer au maximum pour atteindre mes objectifs. En attendant, puis-je accéder à la cabine s’il vous plaît ?

Elle me fusille du regard et se décale, me laissant l’accès libre. Je sens le poids de sa présence derrière moi, l’ignore du mieux que je peux puis entends le bruit de ses talons sur le sol tandis que les portes se referment.

À peine arrivée, je vois Matt, mon binôme adoré et Colin, l’un des développeurs et pote de Matt, qui se tient à côté de son bureau.

— Hey, comment tu vas, princesse ? lance Matt. Et ton frère ? Il tient le coup ?

— Il s’en remettra.

— Et l’hôpital, pas trop dur de le voir dans un sale état ?

— Si, il m’a fichu la frousse, j’ai eu tellement peur…

— Je sais que c’est une situation délicate, ce n’est jamais marrant d’avoir une famille à problèmes.

Colin qui regardait son téléphone dans un coin lève le nez et ajoute l’air de rien :

— Et tu peux me croire, Matt sait de quoi il parle.

— Mec… répond Matt d’un ton de reproche.

Je lève un sourcil. Qu’est-ce qu’il veut dire ? Mon ami semble mal à l’aise mais je ne compte pas faire comme si je n’avais rien entendu :

— C’est-à-dire ?

— Je compatis et je comprends, c’est tout.

Bien, il ne semble pas décidé à en dire davantage. Quels secrets caches-tu derrière ton air affable, ta bonne humeur légendaire et ton sourire, mon cher ?

Colin nous dit à plus tard, nous laissant, Matt et moi, seuls à nos bureaux, qui se font face dans l’open space. Je l’interroge :

— Qu’est-ce que tu as dit à Gabriel pour justifier mon absence ce matin ?

— Je lui ai dit que tu étais fatiguée de me draguer du matin au soir sans le moindre espoir de me faire craquer !

— Matt, je gronde ! Sérieusement ?

— OK, OK, je capitule devant tant de professionnalisme. Je lui ai dit que…

— Lexi !

D’un bloc, nous nous retournons vers Gabriel Simons, notre manager. Je me retrouve dans un tout nouveau rôle : celui d’un iceberg qui se liquéfie au soleil. Je fonds. Et pas parce qu’il est plutôt canon. Non, parce que je suis persuadée de me faire virer au pire moment de ma vie. J’ai une pensée presque émue pour mes parents qui vont bientôt se retrouver avec une fille au chômage et un fils au cimetière.

— Content que tu aies pu venir malgré tout. Matt, tu peux m’envoyer l’affiche finalisée pour le prochain salon Art in the City ? J’ai adoré votre job sur ce projet. Lexi, tu peux me suivre dans mon bureau ? J’aimerais te parler quelques minutes.

Je lance un regard paniqué à Matt et suis Gabriel en zigzaguant parmi les bureaux. J’ai chaud. Je ne peux plus respirer. Je sens une goutte de transpiration couler dans mon dos. Il me fait entrer, s’assied derrière une grande table en acajou et m’enjoint de faire de même. Je prends place en face de lui, la gorge serrée.

— Je suis content que tu sois là. Après ce que m’a dit Matt ce matin, j’imaginais que tu allais rester toute la journée chez toi.

Qu’a-t-il bien pu lui raconter, bon sang ?

Dis quelque chose, dis quelque chose et arrête de le fixer comme ça, c’est louche !

— Finalement, la… euh… situation s’est arrangée.

C’est pas mal comme réponse, non ? Passe-partout. Sans détail mais d’après ce que je connais du bonhomme, je crains qu’il ne se satisfasse pas de ça. Je me mords la lèvre en attendant la suite et peine à avaler ma salive.

— Je me disais bien que Matt avait exagéré en parlant d’hémorragie incontrôlable.

Je pense que mon regard interloqué le pousse à poursuivre :

— Je ne veux pas du tout minimiser l’importance de ce que vivent toutes les femmes chaque mois. Je pense juste qu’en tant qu’homme, on ne se rend pas forcément compte de ce que vous endurez. Je me demandais si l’on devrait ajouter un congé de temps à autre pour cette période particulière. Je sais que certaines entreprises réfléchissent à la question. Je me dis qu’il s’agit d’équité, histoire que les femmes se sentent entendues dans l’entreprise et acceptées avec toutes les problématiques qu’elles doivent gérer au quotidien. Ou peut-être discuter d’une possibilité de télétravail éventuellement ? Qu’est-ce que tu en penses ?

Les femmes ? Les hémorragies ? Je rêve où il essaie de parler de… menstruations ?

Gabriel m’étonne par son implication et ses idées que je trouve intéressantes. Mais ce n’est pas exactement le moment idéal pour moi. Comment me sortir de cette séance ? Son questionnement est pertinent mais là, tout de suite, je suis préoccupée par d’autres sujets. De vie ou de mort, par exemple.

J’ai une idée :

— Merci pour ton approche, Gabriel. Je te propose de faire un point avec les femmes du département et de revenir avec des propositions concrètes concernant ce sujet. Cela te convient ?

— Oui, bien, très bien. Merci !

— Génial. Je peux ?

Je désigne la porte de son bureau. J’ai envie d’en sortir au plus vite et de retrouver Matt pour l’étriper. Aucune blague ou aucun de ses légendaires « princesse » ne m’empêcheront de le faire payer ! Je ressens un léger malaise de parler de mes périodes menstruelles avec mon boss mais je m’aperçois que la question mérite d’être soulevée. Après tout, il y a toujours un côté tabou à évoquer ce sujet. Et les liquides bleus censés représenter le sang dans les publicités pour serviettes hygiéniques me sortent par les yeux. À quel moment s’est-on dit que c’était honteux, d’avoir ses règles ? À quel moment a-t-on envoyé ce message aux femmes et encore plus aux hommes que c’était dégoûtant ? Je note ce projet dans un coin de ma tête et lance un sourire à mon manager en quittant la pièce.

Cette journée devient de plus en plus bizarre. En tant que jeune femme vivant aux XXIe siècle, je suis très sensible aux questions d’égalité, d’équité et de féminisme. Après tout, je suis multitâche et je compte bien mener plusieurs combats en même temps. Je n’ai pas dit mon dernier mot !

Je regagne ma place derrière mon bureau et me penche vers Matt :

— Pssst !

Il tourne la tête vers moi, l’air interrogateur :

— Sérieusement Matt, mes règles ? Tu aurais pu trouver autre chose, nan ?

— Genre quoi ? Tu sais bien que je suis ton preux chevalier mais je me suis senti… désarmé, sans mon épée, tu vois ? J’étais pris de court !

Je ne peux m’empêcher de sourire en l’imaginant avec une épée face à mon boss :

— Pour un créatif, je ne te trouve pas très… original !

Heureusement que je ne compte pas sur lui pour m’aider à trouver une solution pour Jason, il serait capable de me dire d’aller jouer au Casino. Et si je vendais un rein ? Ça doit valoir une fortune au marché noir. Je m’empresse de taper cette recherche sur Google.

— Tu fais quoi ?

Je sursaute, Matt s’est rapproché, il tient le dossier de l’exposition Art in the City dans les mains, nous devons encore travailler sur notre stratégie digitale. Je m’empresse de poser mon téléphone, écran vers la table.

— Lexi, tu es sûre que ça va ?

Mais comme je le fixe sans répondre, je pense qu’il doit se douter que non, ça ne va pas.

— Écoute princesse, va voir ton frère, prends le dossier et envoie-moi tes propositions par e-mail si tu dois attendre à l’hôpital. De mon côté, je commence à lister des propositions pour une campagne Facebook et Instagram, OK ?

— Je suis désolée, j’ai l’esprit ailleurs et j’ai envie d’être avec lui pour le soutenir. Tu es…

— Le meilleur, le plus fabuleux collègue et ami du monde, le superhéros de la communication, le superman d’Indesign et Photoshop, ta muse…

— C’est bon, tu as fini ?

Nous nous regardons en souriant. Je me lève et fais quelques pas avant de me retourner :

— Merci Matt. Je n’arrête pas de penser à Jason.

— Je sais, je comprends…

Au moment où il prononce ses mots, je sais que c’est vrai et qu’il comprend vraiment. Ce que je ne sais pas en revanche, c’est pourquoi. J’imagine qu’il m’en parlera un jour autour d’un mojito…

Je sors du building pour prendre l’air et fais quelques pas dans l’atmosphère humide. Une fine bruine s’abat encore et je lève les yeux en direction du ciel, puis, les paupières closes, je me concentre sur la sensation des gouttes sur mon visage. J’ai beau retourner la situation dans tous les sens, je ne vois aucune issue. Avec regret, je sors mon téléphone portable et compose un numéro, le cœur battant beaucoup trop vite.

Les tonalités s’enchaînent avant qu’une voix bien connue résonne dans mon micro :

— Lexi, comme je suis content de t’entendre, tu vas bien ?

— Papa, je…

Comment présenter les choses ? Je me ronge un petit bout d’ongle tout en réfléchissant. Peut-être que si on donnait tous un rein ou un morceau de foie, on parviendrait à réunir la somme nécessaire ? Comment demande-t-on à son père de donner un bout d’organe pour sauver son fils alors qu’il a fichu dehors ledit fils ?

— Tout se passe bien au travail ? Je suis tellement fier que tu travailles chez Carter Corp., tu as un brillant avenir qui t’attend, ma fille !

Une fille qui n’aura bientôt plus qu’un rein et un poumon.

Je crains de ternir son enthousiasme mais à situations désespérées, mesures désespérées.

— Papa, j’ai un problème. Enfin, Jason a un problème.

Silence. Aïe, c’est mauvais signe. J’entends son souffle s’intensifier à l’autre bout du fil.

— Dans quels problèmes s’est-il encore fourré, ce bon à rien ?

J’ai mal au cœur de l’entendre parler de mon frère de cette façon, pourtant, j’ai toujours l’espoir que les choses s’arrangent entre eux. Un jour peut-être…

J’aurais dû mentir, j’aurais dû prétendre que j’avais besoin d’argent pour voir dans quelle mesure mes parents pouvaient m’aider à en trouver. Mauvaise idée. Je me résous à laisser tomber :

— Tant pis, fais comme d’habitude et ne te préoccupe pas de ça. Je vais gérer le problème. Mais tu sais, un jour, il faudra que tu lui pardonnes de ne pas être l’enfant dont tu rêvais. Les rêves sont parfois de mauvais guides. Ton fils a plein de qualités et… c’est toujours le même, papa. Il est toujours « lui ». Il est toujours celui à qui tu enseignais la mécanique, celui à qui tu as transmis ta force et ton humour. Et j’aimerais tant que tu puisses voir à quel point il te ressemble malgré tout ce que tu lui reproches… À bientôt, papa.

Je ne le laisse pas répondre et raccroche, les larmes aux yeux. Comment ma vie a-t-elle pu basculer comme cela ?

Pour l’heure, je retourne faire un point à l’hôpital avec Jason. J’ai encore tout le chemin pour envoyer quelques idées à Matt et surtout pour réfléchir à une solution pour mon frère.

Tu rêves Lexi, comme si ce problème allait se résoudre comme par magie dans un métro bondé et puant la sueur.

Je suis une grande rêveuse, c’est un fait. Mais je possède également un côté réaliste qui m’empêche de m’emballer donc, à part quitter le pays et changer d’identité, je ne vois pas le bout du tunnel. Je pourrais m’appeler Ida et mon frère Gunther et on se planquerait en Allemagne ? Remarquez, je n’ai pas du tout envie d’être obligée d’apprendre l’allemand.

— Lexi ?

La voix de mon frère me donne un regain d’énergie et je me force à plaquer un sourire sur mes lèvres avant d’entrer dans la chambre :

— Frérot, tu as l’air en forme comparé à ce matin ! Au moins, tu n’es plus retombé dans le coma, youpi !

Mon excès d’enthousiasme sonne faux et il me regarde, dépité.

— T’as raison, c’est absolument formidable…

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

Il jette un coup d’œil par la fenêtre et je sens une vague de stress me submerger. Je m’attends au pire. Il semble prendre une grande inspiration, ose enfin trouver mon regard, un regard dans lequel je peux lire une terreur inqualifiable :

— Ils sont venus tout à l’heure. Ils ont osé venir à l’hôpital. Ils… ils…

— Oh mon Dieu ! Ils t’ont fait du mal ? Je vais les retrouver, je vais leur arracher la peau. Et les ongles. Et les yeux !

— Ils voulaient s’assurer que je n’avais pas oublié notre deal et ils m’ont laissé un délai supplémentaire pour payer ma dette, étant donné mon état. Ils considèrent ça comme un geste amical.

— Amical ? Je crois qu’ils ne connaissent pas la définition du mot, je grogne. Combien de temps ?

Pitié, dites-moi qu’ils lui laissent toute une vie. Ou, au moins dix ans. Dix ans, cela me semble correct.

— Une semaine.

— Quoi ? Mais, ça ne change presque rien au problème.

Une semaine, c’est trop peu pour apprendre une langue étrangère, pour faire de faux passeports, pour trouver un appartement je ne sais où.

— Écoute Lexi, c’est mon problème et c’est à moi de m’occuper de ça et de trouver une idée pour me sortir de là. Je pourrais…

— J’ai déjà pensé à vendre nos organes mais ça ne rapporterait pas assez d’argent et je ne connais pas les bons réseaux.

— Non, je ne pensais pas à ça, t’es folle ! Je pourrais faire un deal, genre bosser pour eux un moment.

— Non mais je rêve ? Et finir ta vie en prison ? Voire mort ? Et si on appelait les flics ? Ils pourraient peut-être régler ça, si on les aidait à coincer le grand patron en échange, non ?

— Tu es encore plus dingue que ce que je pensais ! C’est une très mauvaise idée. On est morts tous les deux si on fait ça. Laisse-moi réfléchir…

— Je vais t’aider et ce n’est pas négociable. En tant que grande sœur, tu sais très bien que c’est moi qui prends les décisions et je te jure qu’on va trouver une solution. Repose-toi maintenant. Je t’aime petit frère, dis-je en l’embrassant tendrement sur le front.

Une fois chez moi, j’attrape la laisse de Blanchette, signal qu’il comprend instantanément et qui marque en général une course effrénée pour aller chercher sa balle de tennis, et quitte l’appartement pour une petite balade dans le parc. J’ai besoin de m’aérer l’esprit. J’ai pris l’habitude de chasser les pigeons par de grands gestes afin que mon chien continue d’avancer. Autrement, il se terre sous un banc et ne bouge plus. C’est devenu machinal, et j’oublie que les gens puissent être étonnés de croiser une passante qui semble répéter un numéro d’acrobate en gesticulant sans cesse.

Mon portable sonne et bien que je n’aie aucune envie de répondre, je décroche sans même regarder le numéro en pensant à Jason :

— Lexi, comment tu te sens ? Je vais boire quelques verres au Starlite avec Colin et Lisa, tu nous rejoins ?

J’ai deux options pour la soirée :

1) me morfondre chez moi et approfondir mes recherches sur les réseaux de trafic d’organes ;

2) rejoindre Matt et les autres pour me changer les idées pendant quelques heures.

— OK, OK, je viens, je crois que ça me fera du bien. On se rejoint devant dans trente minutes.

 

 

Je me suis changée et j’ai ébouriffé mes cheveux pour donner l’illusion d’avoir ce petit côté dynamique qui me fait tant défaut après cette journée de dingue.

En arrivant sur le parking, je détaille les nombreuses voitures garées (comme je le fais souvent) et remarque une superbe Lamborghini flambant neuve. Le genre de bolide qui nous met des étoiles dans les yeux à mon frère et moi depuis notre enfance, mais qui vaut près d’un demi-million de dollars, au bas mot.

Pourquoi tout semble vouloir me rappeler l’horrible chantage qui pèse sur les épaules de mon frère ? J’aurais bien aimé faire partie de ces gens qui n’ont qu’à revendre leur voiture pour se sortir des pires impasses. Ce n’est qu’en m’approchant et en l’observant de plus près que je m’aperçois que cette voiture ne m’est pas inconnue.

Non, ce n’est pas possible. La Lamborghini qui a failli me tuer (avec ce mec imbu de lui-même au volant) est bien garée à quelques mètres de moi. Il ne manquerait plus que je recroise le chauffard de ce matin. Je serais cette fois bien moins polie et calme.

Oublie ce type. Oublie-le. Oubliiiiie-le. Pourquoi est-ce que je repense à son regard impertinent, alors ? Mais qu’est-ce qui cloche chez moi ?

Vite, repérer Matt et oublier tout ça. D’ailleurs, je crois l’apercevoir un peu plus loin. Mais il semble en grande conversation avec un autre homme, enfin, plutôt en pleine dispute vu les gestes amples et saccadés qu’ils font. Et cet autre homme n’est de toute évidence pas Colin.

Non puisqu’il s’agit de… ce n’est pas possible bis !

Tout se met en place dans ma tête comme un puzzle qui s’assemble. Cet air familier même si je n’ai vu que la moitié de son visage. Ces cheveux bruns en bataille. Ces yeux rieurs et cet humour taquin.

Comment Matt a-t-il pu me cacher ça aussi longtemps ?

J’attends que le type grimpe dans son bolide en me cachant derrière des voitures et m’empresse de rejoindre mon ami, des questions plein la tête. Au point où j’en suis et vu mon degré de fatigue, je n’ai plus aucun filtre :

— Je rêve ou tu t’es subitement dupliqué ? Il faudra me donner la recette parce que ça doit être assez amusant et plutôt pratique d’avoir une copie conforme de soi-même, non ? Pourquoi ne m’as-tu jamais dit que tu avais un frère jumeau ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles. Allez, viens ! Colin et Lisa sont déjà à l’intérieur et je suis sûr qu’ils nous ont commandé à boire. Tu n’es pas impatiente de revoir mon fameux déhanché ?

Je lève un sourcil, croise les bras et reste sur place. Il ne m’aura pas avec sa stratégie de diversion. Je le vois faire machine arrière et capituler :

— OK. Oui, j’ai un frère. Il s’appelle Daryl… et pour être clair, je n’ai pas envie d’en parler.

Rien qu’à sa manière de prononcer son nom, je sens que le sujet est sensible.

— Très bien. Je suis juste surprise que tu ne l’aies jamais évoqué…

— Disons que Daryl et moi, on est… plutôt différents. Je le définirais un peu comme un problème familial, si tu vois ce que je veux dire.

— Oh oui, je crois que je vois très bien…

Matt m’entraîne à sa suite et je me retiens de poser toutes les questions qui me traversent l’esprit. Piquée par la curiosité et parce que je me demande tout de même si je pourrais éventuellement voler puis revendre la voiture de ce Daryl pour payer les dettes de mon frère, je l’interroge :

— C’est normal qu’il roule en Lamborghini ? Il fait quoi comme job ?

— Il aime les belles voitures… en quoi ça t’intéresse ? Je vais te donner un petit conseil Lexi : reste loin de lui, ce mec attire les emmerdes.

Pour ce qui est des mecs qui attirent les emmerdes, je pourrais bientôt passer une thèse sur le sujet. Matt m’entraîne à l’intérieur du bar où des groupes de jeunes gens rient et boivent des verres. Il est temps d’oublier quelques heures la réalité de la vie, le monde extérieur. Mon frère. La Lambo. Et Daryl. La musique pop emplit l’espace et nous apercevons Colin et Lisa, assis à une table. Colin fait un geste au serveur pour qu’il amène une bière supplémentaire pour moi et j’avale une grande gorgée dès que la boisson arrive.

— Quelle descente, remarque Matt, dubitatif.

— Après la journée que j’ai passée, j’ai besoin de me détendre !

— Santé, je suis contente que tu sois là, ajoute Lisa en levant son verre.

Nous trinquons en cognant nos bières les unes contre les autres et je me laisse emporter par les notes de musique, les blagues de Matt, la bienveillance de ma copine et quelques pas de danse.

*
*     *

Une fois dans mon lit, je me retourne encore et encore sans parvenir à trouver le sommeil. Et si c’était ça, la solution ?

Lexi, tu es timbrée !

Je ne cesse de penser à piquer cette voiture. Jason a bien réussi à en voler une alors… pourquoi pas moi ? Qu’est-ce qu’on risque en commettant ce genre de délit ? J’attrape mon téléphone et retrouve Google, Google qui semble être devenu mon meilleur pote depuis ce matin, pour y taper « sanction vol de voiture ». C’est vraiment n’importe quoi. Je me ronge un ongle en attendant le résultat : prison. Ah oui, quand même. Mais si j’ai un casier judiciaire vierge ? Et si je causais indirectement des problèmes à Matt ?

Je me revois avec mon père et Jason dans le garage de la grange. Papa dans sa salopette bleue. Jason avec son éternel jean et moi, penchée sous le tableau de bord. La voix de papa qui résonne. « Pour faire démarrer une voiture sans clé, il suffit de mettre en contact ces deux fils que vous voyez là. » Un vrombissement de moteur. Nous éclatons de rire.

C’est décidé, je vais voler cette voiture. Et je vais l’échanger contre la dette de Jason. Je peux le faire. Pour mettre mon plan à exécution, il faut que je revoie Daryl. Je me relève, fonce sur mon sac, renverse son contenu sur le lit et peste.

— Où es-tu, bon sang ?

Quelques secondes plus tard, je fais sursauter Blanchette en hurlant « VICTOIRE » dans l’appartement. J’ai retrouvé la carte de visite de Daryl Ortega. Je l’observe plusieurs secondes sans savoir quoi faire. L’appeler, mais pour lui dire quoi ?

Lexi, si tu continues à réfléchir comme ça, tu ne feras jamais rien. La semaine va filer et toi, tu vas assister au meurtre de ton frère. C’est vraiment ça que tu veux ?

J’inspire plusieurs fois de suite, saisis mon téléphone et compose le numéro.


Commander Is it love? Daryl