Chapitre 1

Landon


DERNIÈRE ANNÉE ET TROISIÈME ANNÉE DE LYCÉE 2003

Je n’ai jamais cherché à être un monstre, mais je me demande si certaines personnes sont nées ainsi, avec un sang noir qui coule dans leurs veines et empoisonne leur âme.

Mon prénom est la preuve que j’aurais dû être une personne meilleure.

Je descends d’une lignée d’hommes extraordinaires. Ma mère m’a nommé comme mon oncle, Lance, et mon grand-père, Don – deux des meilleurs hommes qui aient existé. Le prénom Don signifie « noble », et Lance veut dire « serviteur ». Et mes aïeuls ont tous deux incarné leur prénom du mieux qu’ils l’ont pu. Ils ont fait la guerre. Ils ont sacrifié leur vie et leur esprit pour les autres. Ils ont tout donné, sans retenue, et laissé d’autres profiter de leur générosité de cœur jusqu’à ce qu’ils n’aient plus rien.

Le mélange de leurs prénoms aurait dû faire de moi un noble serviteur, mais j’en suis loin. Si l’on demandait à mes camarades ce que signifie mon prénom, la plupart répondraient « connard ». Et ils auraient raison.

Je ne suis en rien comme mon grand-père ni comme mon oncle. Je fais honte à leur mémoire.

Je ne sais pas pourquoi j’ai cette obscurité en moi. Je ne sais pas pourquoi je suis autant en colère. Je sais simplement que c’est ainsi.

Je suis un enfoiré, même quand je ne veux pas l’être. Les seules personnes qui tolèrent mon comportement sont mes quelques amis et Monica, la fille dont j’essaie désespérément de me libérer.

Je n’ai rien de noble en moi et je ne suis en rien un serviteur. Je ne pense qu’à moi et aux quelques personnes qui ont le courage de me considérer comme un ami.

Je me déteste. Je déteste ne pas être une bonne personne. Je ne suis même pas décent. Je fais beaucoup de choses affreuses et je suis certain que Lance et mon grand-père se retournent dans leur tombe.

Pourquoi suis-je ainsi ?

Si seulement je le savais.

Mon esprit est un puzzle et je ne comprends pas comment les différentes pièces s’imbriquent entre elles.

Je me dirige vers le self après une matinée de cours inutiles et je saisis un plateau. C’est ma dernière année de lycée ; un semestre s’est déjà écoulé. Il n’en reste plus qu’un, et je pourrai enfin fuir la petite ville de Raine, dans l’Illinois.

J’avance vers ma table et grimace en voyant que Monica y est installée. J’envisage un instant d’attendre que Greyson, Hank ou Éric arrivent, mais elle m’a déjà vu et me fait signe de la rejoindre.

– Landon ! Prends-moi du lait allégé, ordonne-t-elle de sa voix aiguë.

Je déteste sa voix. Dans mes pires cauchemars, je l’entends hurler mon prénom.

Sa voix ne m’agaçait pas autant, auparavant, mais c’est sans doute parce que j’étais souvent ivre ou défoncé. On se connaît depuis longtemps. Monica et moi sommes voisins, et on a tous les deux des vies pourries. J’ai mes démons, Monica a les siens.

Quand nos soucis étaient trop lourds à supporter, on employait le sexe pour cesser de réfléchir. Nos relations n’avaient rien de romantique. En toute sincérité, on ne s’apprécie même pas, c’est pour ça que la situation me convenait. Je ne cherchais ni une petite amie ni quoi que ce soit de sentimental. J’avais seulement besoin de baiser pour ne pas penser.

Ça me convenait… jusqu’à ce que j’arrête l’alcool et la drogue.

Et Monica n’y voit rien de bien.

– Je t’appréciais davantage quand tu étais défoncé, a- t-elle dit la dernière fois qu’on a baisé.

J’ai répondu que je l’appréciais davantage quand sa bouche était sur ma queue, ce qui n’est même pas vrai. Je n’aimais même pas coucher avec Monica. Elle se comportait toujours comme les nanas des films porno. En théorie, ça aurait dû être génial. En vérité, c’était juste maladroit et, souvent, j’étais obligé de me faire jouir tout seul.

Le soir où je l’ai dit à Monica, elle m’a giflé, et une partie de moi a aimé ça. Les picotements de sa main m’ont rappelé que j’étais en vie, que je pouvais encore ressentir quelque chose. Or, la plupart du temps, j’ai l’impression d’être un bloc de glace : givré et douloureux pour ceux qui s’accrochent à moi trop longtemps.

Ce soir-là, Monica a dit qu’elle ne recoucherait plus avec moi, à moins que je sois défoncé.

Nos rapports désastreux sont donc officiellement terminés, du moins pour moi.

Apparemment, elle n’a pas compris le message. Ça fait des semaines que j’essaie de me débarrasser d’elle, mais elle ne cesse de réapparaître dans ma vie, souvent aux pires moments.

– Alors, tu es défoncé ? Tu as craqué ? Tu veux boire un shot sur mes seins ?

Je n’ai pas l’énergie de supporter Monica, mais si je ne m’assois pas, elle ne fera que parler plus fort.

Je pose donc mon plateau sur la table et la salue d’un mouvement de tête.

– Putain, mec, il est où mon lait ? demande-t-elle.

– Je ne t’ai pas entendue, je réponds sèchement.

Elle saisit ma briquette de lait, sans se soucier que j’aie soif, et elle l’ouvre sans gêne. Elle a de la chance, car je n’ai pas l’énergie de me disputer. Je n’ai pas dormi de la nuit et je préfère garder ma colère pour les gens qui comptent vraiment. La liste de ces personnes est courte, et le prénom de Monica n’y figure pas.

– Je me disais : tu devrais organiser une fête chez toi ce week-end, déclare-t-elle en buvant mon lait.

Il n’est pas allégé, donc j’ai la satisfaction de savoir qu’elle n’a pas complètement gagné.

– Tu dis tout le temps ça, je réponds en attaquant mon repas.

C’est la première semaine après les vacances d’hiver, et je suis soulagé de voir que le lycée sert toujours la même nourriture merdique. S’il y a bien une chose que j’aime, dans la vie, c’est la régularité. La constance.

– Ouais, mais tu devrais vraiment faire la fête ce week-end, vu que c’est l’anniversaire de Lance. On devrait fêter sa mémoire.

Mon sang ne fait qu’un tour en l’entendant parler de Lance comme si elle l’avait connu. Or, c’est justement pour ça qu’elle parle de lui, pour m’énerver. Pour faire de moi le monstre qui lui manque depuis plusieurs semaines. Monica a besoin de moi pour oublier ses blessures, mais elle ne peut pas le faire sans rouvrir les miennes.

Cela fait presque un an que Lance m’a quitté.

J’ai l’impression que c’était hier.

– Ne me cherche pas, Monica, je gronde en serrant les dents.

– Pourquoi ? J’adore te chercher, justement. C’est mon passe-temps favori.

– Tu n’as pas de vieilles queues à sucer ?

Je soupire et Monica me lance un sourire sinistre. Elle adore que je mentionne son goût pour les hommes plus âgés. C’est ainsi qu’elle cherche à m’atteindre, depuis que je ne veux plus coucher avec elle, elle se tape un vieux et me raconte tout en détail.

Hélas, sa stratégie est stupide, car je m’en fiche.

La seule chose que son manque de confiance suscite en moi, c’est de la pitié.

Monica incarne à merveille le cliché de la gosse de riches qui a des soucis avec son père. Bien sûr, le fait que son père soit un véritable connard n’aide en rien sa situation. Quand Monica lui a dit qu’un de ses associés l’avait tripotée à la soirée de Noël, il l’a traitée de menteuse. Mais je sais qu’elle ne mentait pas, car je l’ai vue s’enfermer dans sa chambre ce soir-là, et s’effondrer. On ne pleure pas comme ça à moins que ce ne soit vrai. J’ai appris par la suite que ce n’était pas la première fois qu’un des collègues de son père la touchait sans sa permission. Or, chaque fois qu’elle le lui a dit, il a répondu qu’elle inventait n’importe quoi pour attirer son attention.

Elle l’a donc pris au pied de la lettre : elle fait n’importe quoi en espérant attirer l’attention.

Elle cherche désespérément l’attention des hommes dont son père nie les actes. Elle a des soucis avec son père, donc elle couche avec des hommes de son âge. Elle les appelle même « daddy » au pieu, ce que je trouve dérangeant à plus d’un égard.

Elle a crié « daddy » en étant au lit avec moi, une fois, et je me suis aussitôt rhabillé. Je ne voulais pas encourager ses démons ; je voulais seulement faire taire les miens.

Honnêtement, je suis content de ne plus coucher avec elle.

Monica hausse un sourcil en me regardant.

– Quoi, tu es jaloux ?

C’est ce qu’elle souhaite, ce dont elle rêve désespérément.

Mais ce n’est pas le cas.

– Monica, tu sais qu’on n’est pas ensemble, n’est-ce pas ? Tu es libre de faire ce que tu veux avec qui tu veux. On n’est pas en couple.

J’ai toujours été très clair avec les nanas qui me tournent autour. Je ne leur fais jamais croire que ça peut devenir sérieux entre nous. Mon esprit ne peut pas supporter une relation sérieuse, et j’ai conscience que je serais un piètre petit ami. Je n’ai pas l’énergie d’être le quelqu’un de quelqu’un, seulement le plan cul de quelqu’un. Rien de plus.

Monica me fait un clin d’œil, pensant que nous jouons au chat et à la souris et qu’elle est le chat, à l’évidence. Je suis sans doute fautif. La pire chose qu’une personne brisée peut faire, c’est fréquenter une autre personne brisée. Dix fois sur dix, ça vire au désastre.

Monica sort son téléphone de sa poche et envoie une série de messages en marmonnant des choses que je n’écoute qu’à moitié, racontant que telle ou telle personne est moche, bête ou pauvre. Aussi canon que soit Monica, c’est une des personnes les plus moches que j’aie jamais rencontrées.

Cela dit, je suis mal placé pour la juger. Quand j’étais défoncé, j’étais un véritable connard, pire que maintenant. Il se trouve que quand on se drogue, le niveau de compassion qu’on éprouve pour les autres est extrêmement bas. J’ai dit et fait des choses affreuses, et je suis certain que ça se retournera tôt ou tard contre moi.

– Le bruit court qu’il y a une fête chez toi, ce samedi, déclare Greyson en arrivant avec Hank et Éric.

Ouf. Être seul avec Monica est un cauchemar.

– De quoi tu parles ? je demande.

Il me montre son téléphone et le message que Monica lui a envoyé. Pourquoi ne suis-je pas surpris ? J’imagine que ce même message a été envoyé à la moitié du lycée qui va donc se pointer chez moi samedi soir, que je le veuille ou non. Apparemment, j’organise une fête chez moi ce week-end.

Joyeux anniversaire, Lance.

Je tourne le dos à Monica pour chuchoter en direction de Greyson.

– Mec, elle est tarée.

Il éclate de rire et passe sa main dans ses cheveux noirs.

– Je déteste te dire que je t’avais prévenu, mais…

Il ne termine pas sa phrase, mais ricane en secouant la tête. Greyson m’a dit dès le premier jour que coucher avec Monica était une mauvaise idée, mais je ne l’ai pas écouté. J’ai préféré baiser d’abord et penser aux conséquences plus tard. Ça s’est vite retourné contre moi.

Monica s’est levée et me tape dans le dos.

– Eh, surveille mes affaires, je vais aux toilettes.

Je hausse les épaules, n’ayant pas l’énergie de lui répondre. Parler à Monica est plus fatigant que le pire des devoirs. Je choisirais sans hésiter un devoir d’algèbre plutôt qu’une conversation avec elle, et je suis nul en maths.

Monica sort du self alors que Shay y entre, et ma gorge se noue. Ça fait un an que ce phénomène se produit chaque fois que Shay Gable entre dans une pièce. Je ne comprends pas ce que ça signifie, mais c’est impossible à ignorer.

C’est sans doute le début d’un rhume, je me dis, comme à chaque fois.

Je déteste Shay Gable.

Si j’ai une certitude dans ma vie, c’est ça.

Ça fait des années qu’on se connaît. Elle a un an de moins que moi, mais sa grand-mère est ma femme de ménage et elle l’amenait à la maison quand ses parents n’étaient pas là.

On s’est détestés dès le premier jour. Certaines personnes deviennent instantanément amies, nous, c’est le contraire. Nous sommes tout de suite devenus ennemis. Je la déteste, elle et son côté sainte-nitouche. Même quand nous étions gamins, Shay ne désobéissait jamais. Elle avait toujours de bonnes notes et se faisait de nouveaux amis en claquant des doigts. Elle ne se drogue pas et elle ne boit jamais. Je parie qu’elle prie tous les soirs et embrasse sa grand-mère avant de se coucher.

La parfaite petite fille.

Tu parles. C’est plutôt la parfaite petite menteuse.

Je n’ai jamais cru à son jeu. Personne ne peut être parfait à ce point. Tout le monde a des démons cachés quelque part.

Nous avons le même cercle d’amis, mais ça ne change rien à notre animosité. Or, notre haine mutuelle me convient parfaitement. C’est étonnamment agréable, d’ailleurs. Ma haine pour Shay est une des seules constantes de ma vie. La détester semble être la défonce que j’ai toujours cherchée, et au fur et à mesure que les années passent, je prends de plus en plus plaisir à être rejeté par elle. Notre antipathie est intense, et plus je vieillis, plus j’en ai besoin. J’y suis accro.

Shay a grandi comme le fantasment la plupart des filles. Son corps s’est développé aussi vite que son esprit. Elle a des courbes partout où les mecs en rêvent, un regard qui pétille en toute situation et une fossette si profonde qu’on se surprend à vouloir qu’elle sourie tout le temps. Lorsqu’il m’arrive de l’observer, je me déteste d’apprécier ce que je vois. Cette année, après les vacances d’été, Shay est revenue encore plus adulte que l’an passé, avec plus de courbes, plus de seins et plus de cul. Si je ne la détestais pas autant, j’aurais même envisagé de la sauter.

Or, elle n’est pas seulement sublime. Elle est brillante, aussi. Mais je ne lui dirai jamais que je le pense. Pour autant qu’elle sache, mes pensées pour elle sont emplies de haine et de dégoût. Toutefois, quand je l’observe sans qu’elle le voie, je regarde sa façon d’étudier les gens comme s’ils étaient des œuvres d’art et qu’elle cherchait à comprendre comment ils ont été créés. Elle écrit constamment dans des carnets, aussi, comme si sa vie dépendait des mots qu’elle couche sur le papier.

Je ne connais personne qui écrit autant ses pensées que Shay. Elle a dû noircir des milliers de pages.

Monica arrête Shay sur son passage, sans doute pour l’inviter à la fête chez moi, ce qui est absurde. Tout le monde sait combien on se déteste. Cela dit, c’est Monica. Elle est tellement obnubilée par sa propre vie qu’elle est incapable de remarquer celle des autres. Ou peut-être qu’elle invite Shay pour m’emmerder. Après tout, c’est un de ses passe-temps favoris.

Shay est avec ses meilleures amies, Raine et Tracey. Raine est également une de mes amies les plus proches, car elle sort avec Hank, un de mes super-potes. Quelle que soit la situation, Raine a le don de faire rire les gens et de détendre l’atmosphère. C’est elle que tous vont voir quand ils ont besoin de se détendre. Elle aime plaisanter en disant qu’elle porte le nom de sa ville de naissance parce que ses parents étaient trop paresseux pour trouver autre chose. « Heureusement que je ne suis pas née à Accident, dans le Maryland, dit-elle. La facture de la psy aurait été salée ! »

Quant à Tracey, c’est le rayon de soleil du lycée Jackson High. Je ne connais personne qui ait autant l’esprit d’équipe qu’elle et qui répande autant de paillettes et d’arc-en-ciel autour d’elle. En ce moment, Tracey semble vouloir gaver Reggie de sa joie de vivre, mais je ne crois pas qu’il soit intéressé. Reggie est le nouveau du lycée. Il arrive du Kentucky, et la plupart des nanas ont le béguin pour lui et son accent du Sud. Mais selon moi, c’est un connard et je suis un pro pour les repérer.

Après tout, je suis le mieux placé pour reconnaître ceux de mon espèce.

Tracey est trop naïve pour un mec comme lui. Même si elle peut être agaçante parce qu’elle en fait trop, c’est une fille bien. Elle ne veut de mal à personne, et c’est justement pour ça qu’elle n’a pas besoin d’un mec comme Reggie dans sa vie. Il la mangera toute crue et la recrachera dès qu’il aura eu ce qu’il voulait.

C’est ce qu’on fait, nous, les mecs : on dévore les filles bien avant de les jeter quand on a fini.

Reggie a plutôt besoin d’une meuf comme Monica. Ils sont faits l’un pour l’autre.

Les filles continuent à discuter, et je devine que Monica leur parle de la fête que je ne veux pas organiser. Shay me lance un regard dédaigneux et gêné.

Salut, ma biche.

S’il y a une chose que cette fille déteste plus que moi, ce sont mes fêtes. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle ne vient jamais. Nos routes se croisent rarement, mais lorsque c’est le cas, nous échangeons quelques brèves insultes avant de passer notre chemin. C’est notre truc, en fait. On prend plaisir à se détester.

Sauf cette fois-là, il y a neuf mois.

Sa grand-mère Maria est venue aux obsèques de Lance, et Shay était avec elle. Elles étaient aussi présentes à la réception qui s’est tenue chez moi, après, et Shay m’a surpris dans un moment peu viril.

Je regrette qu’elle m’ait vu comme ça : brisé, anéanti, à nu. Sincère.

Je regrette aussi que Lance soit mort, mais il en est ainsi. Les vœux, les rêves et les espoirs ne sont que fiction.

– Tu es sûr que tu veux faire une fête ? demande Greyson à voix basse, me tirant de mes pensées.

Les autres mecs parlent de basket et de nanas, mais Greyson n’y prête pas attention.

– Vu que ce sera l’anniversaire de Lance… ajoute-t-il.

Il est le seul à savoir que ce sera l’anniversaire de mon oncle, et je lui en suis reconnaissant. Greyson le sait parce qu’il n’oublie pas les choses importantes. C’est un super-ami. Il a une mémoire impressionnante, et il s’en sert pour faire du bien, contrairement à Monica qui n’est au courant que parce qu’elle collecte toute information susceptible de blesser ses victimes. Elle est tout le contraire de Greyson.

– Je préfère être entouré qu’être tout seul, je suppose, je réponds en haussant les épaules.

Je le vois sur le point de répondre, mais je lui coupe la parole.

– Ne t’en fais pas, la compagnie me fera du bien. Et puis, je doute que Monica fasse marche arrière.

– Ça peut se faire chez moi, si tu préfères.

Je lui ôte tout de suite l’idée de la tête. Si mes parents risquent d’être agacés que j’organise une fête, ils passeront vite à autre chose. Or, si le père de Greyson apprend que son fils a fait la fête chez lui, sa punition sera bien plus grave. Je ne sais pas grand-chose de Monsieur East en dehors du fait qu’il a des pulsions violentes et qu’il n’a aucun scrupule à lever la main sur sa femme et son fils.

Heureusement pour lui, je ne l’ai jamais vu faire. Sinon, il n’aurait plus que cinq doigts sur dix.

Un groupe de filles arrive à notre table en gloussant, elles nous saluent timidement de la main. Toutes les nanas ont le béguin pour Greyson, et celles qui ne l’ont pas l’ont pour moi. C’est étrange, d’ailleurs, car Greyson et moi sommes différents en tous points. Lui, c’est le bon élève par excellence, qui ne ferait pas de mal à une mouche. Et moi, je suis le diable incarné. Il faut croire que les femmes peuvent aimer un ange en journée, et vouloir pécher à la nuit tombée avec le diable.

– La rumeur dit qu’il y a une fête chez toi ce samedi, Landon, dit une des nanas en jouant avec une mèche de cheveux. On peut venir ?

– Je te connais ? je réponds.

– Pas encore, mais on pourra y remédier à ta fête, dit-elle d’un ton lourd de sous-entendus.

Elle pousse la pointe de sa langue dans sa joue, au cas où je n’aurais pas compris sa pensée. Waouh. Je suis presque surpris qu’elle ne plonge pas directement sa main dans mon froc.

Elles sont plus jeunes que nous, en première année. Or, les premières années sont toujours les plus chaudes. C’est comme si elles passaient directement des scénarios innocents de leurs Barbie à étudier le Kama-Sutra avec Ken. Je comprends que les pères s’inquiètent pour leurs filles lorsqu’elles entrent au lycée. À leur place, je les enfermerais dans la cave jusqu’à leur trentième anniversaire.

– Si vous trouvez l’adresse, vous pouvez venir, je réponds en haussant les épaules.

Leurs regards s’illuminent et elles repartent en riant, déterminées à dénicher mon adresse. Si elles me l’avaient demandée, je la leur aurais sans doute donnée. Je suis d’humeur charitable, aujourd’hui.

– Alors tu vas vraiment faire la fête ? demande Greyson.

Je mords dans mon sandwich au poulet en m’efforçant de ne plus penser à Lance. Une fête fera l’affaire. Ce sera une bonne distraction.

– Ouaip. Carrément.

Je lève la tête vers Shay, qui parle à un geek qui doit être dans la fanfare du lycée. Elle fait toujours ça, elle parle à tout le monde. Elle n’est pas seulement appréciée par tout le monde. Tout le monde est amoureux d’elle.

Shay est la reine de Jackson High, et si les gens l’adorent autant, c’est parce qu’elle est la princesse Diana du lycée. Or, si les gens adorent Monica et moi, c’est parce qu’ils ont peur de nous.

C’est justement pour ça que je la déteste. Je hais son bonheur sans remords. Je hais sa façon de se mouvoir avec autant de confiance et de joie. Sa joie de vivre m’agace au plus haut point.

On dirait une véritable princesse, avec son port gracieux, ses yeux de biche et ses lèvres charnues qui sourient tout le temps. Sa peau est lisse et hâlée, et ses cheveux sont noirs et ondulés. Son corps a des courbes somptueuses, et je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer à poil. Pour faire court, Shay est superbe. La plupart des mecs disent qu’elle est bonne, mais je ne suis pas d’accord. Le terme me paraît bête et vulgaire, parce qu’elle n’est pas canon comme d’autres filles du lycée. Elle est resplendissante. Elle est l’étincelle qui illumine un ciel sombre. C’est une putain d’étoile filante.

Aussi cliché que cela puisse paraître, tous les mecs la désirent et toutes les filles veulent être comme elle.

Même quand elle sort avec un mec, ça finit bien. La rupture semble toujours paisible et amicale. Shay ne fait pas que ressembler à une princesse. Elle se comporte comme telle. Elle est calme et sereine. Digne. Elle ne manque jamais de saluer quelqu’un qui vient la voir. Elle n’exclut jamais quelqu’un d’une activité. Si elle organise quelque chose, elle invite les intellos comme les geeks et les joueurs de football.

Elle n’aime pas la séparation des classes, ce qui fait d’elle une exception dans notre lycée, et dans la vie en général. Shay semble être née avec un cerveau bien plus avancé que le nôtre, consciente avant nous que les statuts qui régissent le lycée ne seront rien dans quelques années. Elle s’adapte à tout le monde et à toutes les situations. Elle trouve une place dans le monde de chacun, et tout ça sans faire le moindre effort. Les geeks du lycée parlent de Shay avec la même admiration que les gothiques. Elle est merveilleuse aux yeux de tout le monde.

Tout le monde, sauf moi.

Et ça me convient parfaitement. Honnêtement, l’idée que Shay puisse être sympa avec moi me file la nausée.

Je préférerai toujours ses yeux assassins à son doux regard de biche.

Chapitre 2

Landon


Une fois par semaine, à la pause déjeuner, je suis forcé de voir la conseillère d’orientation. C’est censé être mon moment de récréation, mais au lieu de ça, je dois consulter Madame Levi. À croire que je suis dépressif.

Je regrette de ne pas avoir pris de drogue avant de venir, car les regards attristés de Madame Levi seraient plus supportables. En fait, je regrette souvent d’avoir arrêté la drogue et l’alcool. Ça a longtemps été mon moyen préféré pour oublier mes pensées lugubres.

Madame Levi a pitié de moi, ce que je trouve étrange parce que j’ai une belle vie. Ma famille est riche et je suis un des mecs les plus populaires du lycée. J’ai de bonnes notes et j’obtiens toujours ce que je veux. Je doute qu’elle puisse en dire de même.

Globalement, ma vie est plutôt cool. Il y a des hauts et des bas, bien sûr, mais c’est le cas de tout le monde.

En fait, c’est plutôt moi qui ai pitié d’elle.

En tant que conseillère d’éducation, elle doit avoir un salaire de misère, tout ça parce qu’elle n’est pas assez douée pour être psychologue. Son mari l’a quittée, donc j’imagine que ses seules interactions sont avec les élèves qui la consultent. Sa vie sociale, c’est nous, des abrutis qui n’ont absolument pas envie de lui parler.

Si ça, ce n’est pas pathétique, je ne sais pas ce qui l’est.

Je n’ai aucune envie d’être ici, mais mes parents me tomberont dessus s’ils apprennent que j’ai raté une séance. Du moins, ma mère. Mon père n’en a rien à foutre.

Hier soir, ma mère m’a laissé un message vocal en me disant qu’elle regrettait de ne pas pouvoir être là cette semaine. Qu’elle se doutait que l’anniversaire de Lance serait difficile pour moi, mais qu’elle n’avait pas pu modifier ses projets.

Je comprends, je suppose. Après tout, on ne peut pas annuler un voyage entre filles à Hawaï. Ce serait du jamais-vu. Et puis, ce sont les seuls congés de Rebecca, et Karen ne pouvait pas voyager jusque-là à cause du bébé. Quant à Kim, elle a désespérément besoin de vacances après son divorce.

« Je suis désolée, Land. J’aurais aimé être avec toi. Je t’ai laissé ma carte bleue pour que tu puisses te commander à manger. Tu peux appeler le traiteur, aussi. Son numéro est sur le frigo. Je t’appellerai matin et soir. Surtout : dors. Il faut te reposer. Puis n’oublie pas ton traitement. Je t’aime plus que tout, mon cœur. On s’appelle bientôt. Je t’aime. Ok. Bye. »

Elle dit toujours « je t’aime » deux fois.

Mon père a préféré m’écrire plutôt que m’appeler. Son message était bien plus encourageant.

Papa : Chez les Harrison, les hommes ne sont pas faibles. Garde la tête haute. Sois un homme.

Ça roule, papa.

S’il y avait une médaille pour le meilleur père sur terre, elle ne serait pas au cou de Ralph Harrison.

Je sais que si je ne vais pas à mon rendez-vous avec Madame Levi, elle en informera mes parents et que ma mère m’obligera à revoir le psy que je voyais après le lycée. Mais je n’ai aucune envie d’enchaîner une journée de cours et une séance dans un cabinet à l’odeur rance face à un sexagénaire qui vient sans doute de se taper sa secrétaire.

Ma thérapie préférée est une bonne partie de Mortal Kombat en buvant du Schweppes agrumes et en dévorant une énorme pizza. C’est l’avantage de vivre sans ses parents.

Au moins, le bureau de Madame Levi sent la rose, et elle a toujours un bol rempli de M&M’s.

– Alors, Landon, commence-t-elle en souriant. Comment ça va, cette semaine ?

Elle sourit tout le temps, ce que je trouve étrange. Pour quelqu’un qui gère les problèmes de dizaines de gamins en plus des siens, elle est bien trop joyeuse. Mais peut-être que c’est son kif. Peut-être qu’elle prend son pied en entendant les drames des autres. Je parie qu’elle se détend en regardant des documentaires sur des criminels.

– Comme la semaine dernière, je réponds en reculant dans le fauteuil.

Son bureau est couvert de papiers et de photos de sa nièce et de son neveu. Je parie que même leurs parents n’ont pas autant de photos des deux gamins.

Il y a quelques mois, une rumeur a circulé selon laquelle Madame Levi avait fait une fausse couche. Les gens ont dit que c’était pour ça que son mari l’avait quittée, pas parce qu’il la trompait. Depuis, son bureau est devenu une sorte d’autel à la gloire de sa nièce et de son neveu. Les gens disent qu’elle est obsédée par ces enfants parce qu’elle ne pourra jamais en avoir. Ils la font passer pour une tarée en mal d’amour.

Je n’ai jamais participé à faire circuler cette rumeur. Ma mère a fait une fausse couche l’été dernier, et ça l’a anéantie. Elle n’était jamais restée à la maison aussi longtemps. D’un côté, c’était super de l’avoir à la maison. D’un autre, l’écouter pleurer tous les soirs était un cauchemar.

Je ne pensais pas qu’il était possible de souffrir autant du malheur de quelqu’un.

Papa n’a pas jugé nécessaire d’annuler sa conférence en Californie pour rentrer soutenir sa femme, donc nous nous sommes retrouvés tous les deux dans notre immense maison. Je ne savais pas comment l’aider. Or, je ne suis pas doué pour consoler les autres. Comment aider une personne qui vient de perdre une partie d’elle-même ? Comment lui dire que tout va bien alors que ce n’est clairement pas le cas ?

Je ne sais pas comment réparer une personne brisée. Si je le savais, ça fait longtemps que j’irais mieux. Donc, plutôt que de lui dire des platitudes débiles, je me suis contenté de m’asseoir devant sa porte, tous les soirs, et d’écouter ses pleurs jusqu’à ce qu’ils se changent en ronflements.

Parfois, ça ne prenait que quelques heures. Parfois, j’y étais encore au lever du soleil.

Puis, dès qu’elle s’en est remise, elle a pris un avion et elle a disparu de nouveau.

Ma mère me manque chaque fois qu’elle part. Ses absences répétées ne font pas d’elle la meilleure mère au monde, mais quand elle est là, elle l’est vraiment. C’est comme si elle était faite pour être mère. Et même quand elle est en voyage, elle n’oublie jamais de m’appeler, matin et soir.

Avec mon père, c’est différent. Il pourrait être dans la même pièce que moi et ne pas remarquer que j’existe. Et même s’il le remarquait, il noterait d’abord mes défauts. Néanmoins, je suppose que sa présence est plus agréable que son absence, c’est juste que ça arrive rarement.

Est-ce tordu de souhaiter un nouveau drame pour que mes parents soient plus présents ? Sans doute, mais il est difficile de ne pas se sentir seul dans une maison aussi grande que la mienne. Ham, mon chien, est ma seule compagnie et j’imagine qu’il en a plus qu’assez de me voir scotché à des jeux vidéo.

– Alors, comment tu vas ? Tout va bien ? demande Madame Levi.

– Tout va toujours bien, je réponds.

Allez, va droit au but, bon sang.

As-tu eu des pensées lugubres, Landon ?

Non, pas aujourd’hui, mais reposez-moi la question demain, au cas où.

– Oui, mais étant donné les semaines à venir…

Sa voix prudente ne laisse pas de doute quant à ce dont elle parle. Madame Levi fait bien sûr référence à l’accident de Lance qui a eu lieu l’an dernier, et je vois que ça la met mal à l’aise. Certaines personnes ne sont pas douées pour parler de sujets sensibles, Madame Levi en fait partie.

Elle s’est clairement gourée de carrière.

– Tout va bien, je répète en me tenant plus droit. L’année dernière a été difficile, à cette même période, mais ça va, cette année. C’est ce qu’est censé faire le temps, après tout, non ? Rendre les choses plus faciles ? Ça fait un moment, maintenant.

– La guérison n’a pas de délai déterminé. Ça prend le temps que ça prend.

Eh ben, si ce n’est pas le truc le plus cliché que j’ai entendu depuis des semaines…

Madame Levi se penche en avant et sa voix devient plus grave.

– Sérieusement, Landon. Que ressens-tu à propos de Lance ? Tu penses beaucoup à lui, ces jours-ci ?

Je pense constamment à lui, comme une cigarette qui ne s’éteint jamais. Je sens sa flamme et sa fumée chaque fois que je ferme les yeux. C’est autant une malédiction qu’une bénédiction. Il y a des jours où je suis reconnaissant d’avoir autant de souvenirs de lui, et d’autres où je le hais d’envahir mes pensées. Il a le chic pour jaillir aux pires moments, en plus. Comme quand je suis en train de tripoter la nana que je drague depuis des semaines et qui a le malheur de sentir le citron, comme les bonbons préférés de mon oncle.

– Non. Je ne pense presque plus du tout à lui, je mens.

Madame Levi m’offre un sourire forcé.

– Pourquoi ai-je la sensation que c’est un mensonge ?

Parce que c’en est un, Madame Levi. On peut passer à autre chose ?

– Il y a des milliers de gens qui vivent des choses bien plus affreuses que moi. Je n’ai pas le droit de me plaindre, je déclare en haussant les épaules et en pianotant sur l’accoudoir du fauteuil.

Mon regard se fixe sur sa pendule, désespéré de voir l’heure passer. Je n’ai aucune envie de parler de mes sentiments. J’ai envie de rentrer chez moi et de faire comme tout le monde, de m’allonger sur mon lit pour sur-analyser ma vie dans les moindres détails.

– On ne peut pas comparer les souffrances, répond-elle en fronçant les sourcils.

Eh bien, on devrait. Il devrait y avoir une échelle officielle pour régir qui a le droit de se plaindre, selon des critères bien précis. Partout dans le monde, des gens n’ont pas assez à manger ou se retrouvent seuls au monde après avoir vécu un drame terrible. Bon sang, quelque part sur terre, quelqu’un tient dans sa main un certificat de décès fraîchement imprimé. Qui suis-je pour me plaindre ? Madame Levi m’étudie comme si elle cherchait à comprendre le fonctionnement de mon cerveau, mais elle perd son temps. Elle pourrait m’observer nuit et jour qu’elle ne pourrait pas me percer à jour. Je n’invite personne à connaître mes pensées, car personne n’en ressortirait indemne.

– Landon, tu sais que ce qu’a fait Lance n’a rien à voir avec toi, n’est-ce pas ? Il était profondément dépressif, et c’est terrible à vivre. Il avait d’énormes problèmes.

Je déteste l’entendre parler de Lance comme si elle l’avait connu. Elle sait seulement ce qui a été écrit dans le journal le jour de sa mort. Lance n’était pas brisé. C’était mon meilleur ami. Ma famille. Mon héros. C’est ma mère et lui qui m’ont élevé, puisque mon père travaillait tout le temps. Lance est le petit frère de ma mère et ils étaient très proches. Quand il a emménagé dans notre maison d’amis, c’est la première fois que j’ai eu l’impression d’avoir une vraie famille. C’est Lance qui m’a appris à faire du vélo. C’est lui qui m’a appris à faire des ricochets. Mon sens de la morale me vient de lui. Et c’est lui qui me faisait rire.

Madame Levi ne sait pas de quoi elle parle, mais ça ne l’empêche pas de continuer.

– Ses actes n’ont rien à voir avec toi. Tu le sais, n’est-ce pas ?

– Oui.

C’est un mensonge, ça aussi, même si je préférerais que ça n’en soit pas un. J’aimerais vraiment ne pas voir de lien entre l’accident de Lance et moi, mais il n’est pas évident de séparer ses propres souffrances de celles des autres. Je suppose que c’est normal quand on aime quelqu’un. Nos pensées et nos sentiments s’emmêlent au point qu’il n’y a plus de distinction entre notre douleur et la sienne.

Je savais que Lance était dépressif, et je crois sincèrement que je suis le seul à en avoir réellement pris conscience. Les autres étaient trop obnubilés par leurs propres vies. J’ai donc endossé beaucoup de culpabilité, suite à sa mort. J’aurais dû faire quelque chose. J’aurais dû en parler à quelqu’un. J’aurais dû être là pour lui.

Ma tête se met à tourner et les larmes me montent aux yeux. Chez les Harrison, les hommes ne sont pas faibles.

Lance ne me parlait jamais de son mal-être, mais ça ne m’empêchait pas de le voir. Peut-être parce que je lui ressemblais beaucoup.

Et puis, il le cachait bien. Sa joie de vivre était comme une armure qui lui permettait de garder tout le monde à distance. Si personne ne savait qu’il était triste, personne n’aurait pitié de lui, et c’est bien la dernière chose qu’il souhaitait. La pitié des autres.

Samedi, il aurait eu quarante-cinq ans.

Je ne devrais pas y penser. Je ne devrais pas le laisser envahir mes pensées, mais il est bien là, fermement ancré dans mon cerveau.

Arrête, je me dis en secouant la tête quand je sens mes émotions prendre le dessus. Sois un homme. Sois un homme. Sois un homme.

– Tu es toujours avec moi, Landon ? demande Madame Levi, interrompant mes pensées.

Je remue sur le fauteuil et me racle la gorge. Je déteste voir les gens s’inquiéter pour moi.

– Je peux partir ? Vous en faites pas, je dirai à mes parents que mon âme est guérie, grâce à vous.

– Landon…

La sonnerie retentit, lui coupant la parole. Libre, enfin ! Je me lève d’un bond, empoigne mon sac à dos et me dirige d’un pas rapide vers la porte.

– Landon, attends.

Je me tourne vers elle et découvre qu’elle sourit de nouveau. Je commence à penser que c’est pour masquer son malaise lors de conversations délicates.

– Peut-être que le meilleur moyen de supporter les mois à venir est d’être occupé. Si tu es actif et que tu penses à autre chose, tu t’en sortiras, d’accord ?

Elle n’a pas besoin de le dire, c’est justement ce que j’ai prévu de faire. Il faut que je trouve quelque chose de suffisamment distrayant pour m’aider à endurer les semaines à venir, quelque chose qui me fera oublier que ma vie est pourrie.

J’ai besoin d’une distraction.

– À lundi prochain, dit-elle.

Je ne réponds pas. Je suis épuisé rien qu’à l’idée de repasser une heure avec elle. Mais ce n’est pas de sa faute.

Tout m’épuise.

*
*     *

La lumière m’aveugle, et je prie pour que ça cesse.

Tous les matins, lorsque je suis dans mon lit, j’ai le plus grand mal à en sortir.

Je suis fatigué. De la pointe des pieds jusqu’à la tête, je suis fatigué.

Mais je n’ai pas le temps d’être fatigué. Trop de gens comptent sur moi pour sourire et être l’homme bien qu’ils me savent capable d’être. C’est épuisant. Sourire est un supplice, car c’est un mensonge. Pour chacun de mes sourires, cinq grimaces se cachent derrière mon masque. Est-ce normal ? Est-ce que tout le monde ressent ça ? Est-ce que tout le monde est accablé par un tel poids ?

Lourd.

Je me sens si lourd.

Je vais le faire quand même.

Je vais me lever.

Je vais sourire. Rire. Je serai celui qu’ils veulent que je sois, car c’est ce qu’on attend de moi. On attend de moi d’être étincelant.

Même quand la lumière est aveuglante et me brûle.

L

Commander Landon & Shay, T1