Chapitre 1

Clément

Trois ans et six mois depuis la rencontre

– J’ai envie de la voir.

Je soupire. Sandy me répète chaque jour la même chose depuis à peu près cinq mois. Et moi, je lui offre chaque fois la même réponse :

– Alors, va la voir.

Il grogne et s’agite. Je manque de déraper sur sa peau à cause de ça. Il commence à m’agacer.

– Arrête de bouger, si je rate ma pièce, je te jure que tu vas le regretter !

– T’es pas sympa, répond-il, boudeur.

On dirait un gosse.

– Je ne suis pas ta mère ou ta sœur, je te préviens que ça ne marchera pas avec moi, ce petit ton.

Je dis ça, mais en fait, ça marche très bien. Je suis toujours aussi faible et je crois que je le suis plus encore depuis notre retour de Lège-Cap-Ferret. Ça n’a pas été facile. J’ai passé le premier mois avec lui, mais en septembre, j’ai dû repartir parce que j’avais trouvé un emplacement sympa à Nice. Je comptais refuser, mais la bande m’a poussé à accepter. C’est parce que Lara et Luigi m’ont promis de prendre soin de Sandy que j’ai accepté. Après ça, j’ai fait quelques villes aux alentours et j’ai même réussi à voir Seven en octobre, mais cela n’a duré qu’un week-end et je me demande si ça ne m’a pas fait plus de mal que de bien. C’était trop court, insuffisant, et en même temps, c’était trop et trop tôt. Cela n’a fait que renforcer mon cruel manque de lui. Et depuis, j’ai l’impression qu’il m’évite. Mais comment le lui reprocher alors que j’ai moi-même pris mes distances ? J’avais besoin de souffler, de faire le point, et je n’arrivais pas à le faire en m’occupant de Sandy et de Seven en même temps. Je ne pouvais plus prendre soin de moi et encore moins d’eux, alors j’ai choisi mon meilleur ami, je suis parti, j’ai mis mes propres cauchemars de côté et j’ai décroché de l’homme que j’aime. Enfin, en apparence, parce que dans mon cœur, aucune distance n’a été prise, j’en étais bien incapable.

 

Seven est toujours le même par téléphone, mais il dit ne pas quitter Paris en ce moment et ne pas pouvoir faire autrement à cause de la promotion de son nouveau livre, ce qui fait qu’on ne se voit pas. Je le crois, mais cela n’efface pas mon sentiment de solitude, ce qui a pour conséquence de m’agacer contre moi-même parce que j’ai voulu avoir du temps pour moi, et maintenant que je l’ai eu, je m’impatiente. Alors quand Sandy me répète combien Danny lui manque, ça me rappelle combien Seven me manque, à moi, et ça ne m’aide pas à tenir. Malgré tout, je le comprends, je suis sûrement le mieux placé pour cela. J’ai beau lui dire d’aller la voir, je sais que c’est encore un peu tôt. Sa famille va bien mieux, sa mère et sa sœur se disputent moins et commencent doucement à s’entendre, mais il y a encore trop de tensions pour qu’il ose les laisser seules et il a raison. Il faut parfois savoir prendre le temps, même quand on a l’impression que tout va trop lentement. Au moment où on cesse d’y penser, tout se débloque.

Je devrais peut-être arrêter de penser à Seven, alors ? Si seulement c’était possible…

– T’en as pour longtemps ? me demande soudain Sandy, me tirant de mes pensées.

– T’as rendez-vous ?

– Je veux voir Maria…

– Moi aussi, je veux la voir, alors reste tranquille et on pourra rentrer plus vite.

C’est lui qui voulait que je le tatoue, et maintenant, il s’impatiente. C’est tout Sandy, ça. Je comprends pourquoi Cookie perd patience avec lui, je finis même par me demander si ce n’est pas pour cette raison qu’elle ne passe que la moitié de l’année à Lyon, pour éviter ce client embêtant. En attendant, cela m’arrange, j’ai pu m’installer dans son salon pour le mois de décembre et rester avec mes amis pour la naissance de la fille de Lara et Luigi. Ma si jolie Maria…

Cette petite, c’est une source de joie, le rayon de soleil dans nos vies. Quand elle est née, ça a été la panique. Lara a perdu les eaux en pleine soirée, alors qu’on était tous réunis, et si les aînées n’avaient pas pris les choses en main, elle aurait accouché sur le canapé de la mère de Sandy. Je ne doute pas que Violette aurait su gérer la situation, mais cela m’a tout de même rassuré de savoir mon amie à l’hôpital pour donner naissance à sa fille.

Elle est née depuis dix jours seulement, mais quand elle est arrivée, elle a illuminé nos vies à tous. La mère de Sandy s’est souvenue de ses propres accouchements, et quand sa fille et elle ont parlé de celui de Sandy, cela leur a rappelé des bons souvenirs et les a rapprochées. Pour la première fois, mon meilleur ami n’a pas parlé de Danny – même si je sais qu’il a pensé à elle, parce qu’au fond je suis sûr qu’il aurait voulu lui envoyer une photo de Maria –, et moi, j’ai oublié mes problèmes et le manque de Seven. Cette petite a été comme une bénédiction, une dont nous avions tous besoin.

– Tu crois qu’elle m’attendra ?

– Qu’est-ce que tu crois, qu’elle va se mettre sur ses deux petits pieds et partir en courant alors qu’elle n’a même pas deux semaines ? réponds-je, moqueur.

– Je parle de Danny.

– Je sais.

Il sourit, et juste pour ça, je suis content de ma blague. Sandy ne sourit plus autant qu’avant et ça me rend triste, j’aimerais qu’il aille vite mieux, mais j’ai l’impression que loin de la femme qu’il aime, ça n’arrivera pas…

– Elle t’attendra, dis-je, convaincu.

– Comment tu peux en être sûr ?

– Je le sais, c’est tout.

Je le sais parce que j’échange régulièrement avec elle par SMS. Elle a demandé mon numéro à Jules, et depuis le départ de Sandy, elle prend des nouvelles de lui. Elle m’a avoué ne pas oser lui écrire parce qu’elle souhaite lui laisser l’espace dont il a besoin, mais incapable de rester dans l’ignorance, elle m’a contacté, moi, pour s’enquérir de son état. Je crois que c’est là que j’ai réalisé combien elle aime Sandy et combien, pour cette simple raison, je l’aime, elle. Je ne suis pas d’accord avec les autres qui pensent qu’ils ne sont pas bons l’un pour l’autre. Je sais qu’ils ont besoin de prendre un peu de distance, mais pour moi, ces deux-là sont une évidence et ils finiront par se retrouver. Il ne peut pas en être autrement. Jamais encore je n’ai vu Sandy se donner autant, aimer à ce point et vivre si intensément. Il est allé dans l’extrême, c’est un fait, mais il a enfin vécu, et plus seulement existé. C’était tout ce que je lui souhaitais depuis notre première rencontre. Et puisque Danny lui permet cela, elle se place dans le haut de la liste de mes personnes préférées.

 

Sandy s’agite encore, et cette fois, je m’agace vraiment. Je lui cède tout, mais pas ça, je déteste qu’il m’empêche de travailler correctement.

– Tu vas arrêter, à la fin ?!

– Mais c’est ta faute !

– Ma faute ?

– Tu me tatoues.

– C’est toi qui l’as voulu, je te signale.

– Ouais, mais tu sais très bien que ça m’excite.

Je soupire. Il va me rendre fou, pour de vrai. Parfois, j’ai autant envie de le serrer dans mes bras que de lui mettre un coup dans le ventre. J’ai soudain une grande admiration pour Cookie qui doit le supporter autant que moi, si ce n’est plus.

– Je te préviens, si tu bouges encore une fois…

Je suspends ma phrase et le regarde droit dans les yeux.

– Tu feras quoi ?

– Tu n’as pas envie de le savoir, fais-moi confiance.

Il croise les bras, comme un gosse boudeur, et je me retiens de sourire. Je ne veux pas qu’il sache que, comme d’habitude, il a réussi à m’avoir. Je ne peux pas me fâcher contre lui, je l’aime trop pour ça. Si je l’ai fait passer avant tout, même avant moi-même, ce n’est pas sans raison.

Je reprends mon travail, en ignorant l’érection de Sandy qui prouve qu’il ne ment pas quand il dit que se faire tatouer l’excite, et il ne bouge plus. Je peux enfin finir ma pièce. Ce n’est pas trop tôt…

*
*     *

Je suis penché au-dessus du berceau de Maria, complètement captivé par ses toutes petites mains, quand je sens mon téléphone vibrer dans la poche arrière de mon jean. J’ai espoir que ce soit Seven et je suis déçu quand je vois le nom de Jules s’afficher. Je m’en veux un peu, mon ami ne mérite pas ça.

Jules : Salut, toi. Comment tu vas ?

Moi : J’étais en pleine contemplation de Maria, j’ai l’impression de devenir un peu papa gâteau alors que ce n’est même pas ma fille, mais ça va. Et toi ?

Jules : Je t’ai dérangé alors !

Moi : Du tout, mais je pensais que c’était Seven.

Jules : Alors je t’ai carrément déçu.

Moi : Pour être honnête, je l’étais, mais je suis content d’avoir de tes nouvelles.

Jules : Ça ne me vexe pas, t’inquiète. Ici, ça va. C’est un peu compliqué de gérer le camping, et personne n’a vraiment le moral, mais on fait avec.

Moi : Et Danny ?

Jules : Danny est… Danny. C’est plus une ombre qu’une femme, mais ça va. Comment va Sandy ?

Moi : La question est plutôt comment moi je vais à cause de lui. Je n’en peux plus de l’entendre dire que Danny lui manque.

Je sais que Jules comprendra que je plaisante. Sandy pourrait passer ses journées à se plaindre – ce qu’il ne fait pas – que je ne lui en voudrais jamais ; c’est un fait que personne n’ignore.

Jules : J’ai de la chance, Danny se plaint à Nicky, je suis épargné. Courage à toi !

Moi : Merci…

Jules : Tu attendais un message de Seven, tu m’as dit. Ça va, tous les deux ?

Moi : Oui. Enfin, j’en sais rien. Je crois qu’on est dans une sorte de break, et je le trouve distant, en ce moment.

Jules : Un break ? Je n’aime pas ce mot. Tu veux qu’on s’appelle ? Je pense que ce sera plus simple pour en discuter.

Moi : OK.

Il a raison, quitte à me lamenter, autant que cela soit par téléphone. Je m’en veux un peu de lui imposer ça, il doit déjà gérer la situation là-bas avec le décès de l’un de ses meilleurs amis, son père qui ne veut pas le lâcher, le camping dont il a la charge et Danny qui est au plus mal. Mes problèmes sont ridicules à côté, mais avec Jules, je peux parler sans crainte. Il ne me juge jamais et il écoute toujours attentivement ce que j’ai à dire, sans compter qu’il est de très bon conseil, ce qui aide. Et puis ici, je me sens un peu seul. Je ne veux pas ajouter des problèmes à Sandy. Patrick, Violette et Riley sont déjà repartis, même s’ils vont revenir. Quant à Luigi et Lara, ils ont assez à faire avec Maria. Je ne me sens pas le droit de m’appuyer sur eux. Ça a toujours été comme ça, je n’ai jamais osé m’ouvrir par peur de déranger, entre autres choses…

– Hey, dis-je en décrochant.

– Ça fait du bien d’entendre ta voix.

– Tu me dragues ?

– Toujours, je ne cesserai jamais d’espérer, répond-il, d’une voix taquine.

Je sais qu’il plaisante, mais j’avoue aimer sa façon de flirter. C’est toujours plaisant.

– Alors, raconte-moi.

– Franchement, je ne sais pas quoi dire. On s’est quittés à Lège le cœur assez lourd, j’avais presque l’impression que lui et moi c’était fini, et pourtant, on a continué à discuter, principalement par SMS, on s’est même vus une fois, mais c’est tout… Il répond à mes messages, il m’appelle, il m’envoie des photos de Nine… En fait, il est comme d’habitude, et maintenant que je le dis, je me sens con. Pourtant, un truc cloche. Je ne sais pas pourquoi j’ai ce sentiment.

– Tu crois qu’il a un problème ?

– C’est ma première idée, ouais, mais pourquoi il ne m’en parle pas, alors ?

– Est-ce que ce n’est pas plutôt toi qui as des soucis en ce moment et qui vois les choses en noir ?

– Ce n’est pas impossible.

J’entends Jules rire à l’autre bout du fil.

– Quoi ?

– Rien, c’est juste que tu es un mec assez exceptionnel.

– C’est gentil, mais qu’est-ce qui me vaut un tel compliment ?

– Tu as une capacité à te remettre en question qui est assez rare. Et pas dans le sens où tu doutes de toi, non, tu n’es pas là à te demander ce que tu as pu faire pour que Seven soit comme ça et c’est cool. Je dis ça dans le sens où tu es toujours à l’écoute des avis des autres, tu ne penses pas détenir la vérité, tu envisages toutes les possibilités.

– Et pourtant j’ai souvent raison.

– Prétentieux.

Je ris à mon tour.

– Pour en revenir au sujet, je ne peux que te conseiller de lui parler, mais si ma mémoire est bonne, la dernière fois que je t’ai donné ce conseil, ça n’a pas marché, il a éludé la question… Cela dit, s’il l’évite encore une fois, c’est peut-être que c’est lié ?

– Son côté distant serait lié à sa relation avec Lina ?

– J’en sais rien, c’est juste une idée.

– Je n’y avais pas pensé…

– Parce que tu as déjà trop à penser en ce moment, Clément.

Ce n’est pas faux. Sans ça, on n’en serait certainement pas là d’ailleurs. Mais c’est sûrement une bonne chose. Si j’en suis arrivé au point d’envisager de prendre de la distance, c’est que quelque chose n’allait pas à la base. Au fond, peut-être que je n’arrive pas à accepter qu’il y a quelqu’un d’autre dans sa vie, malgré tous mes efforts, toute ma volonté…

– Après, tu as aussi une autre solution, entends-je Jules dire à l’autre bout du fil.

– Laquelle ? demandé-je, intéressé.

– Tu peux le plaquer et sortir avec moi.

Je secoue la tête malgré moi. Il n’arrête jamais. Je l’entends rire et ça me fait du bien. C’était ce dont j’avais besoin aujourd’hui, je crois.

 

Je perçois un bruit de moto et je reconnais Haley. J’en ai la confirmation quand je la vois arriver, Sandy sur son dos.

– Je vais devoir te laisser, Jules. Je suis chez des amis et Sandy revient avec l’apéro.

– Je ne fais pas le poids face à ça, rit-il. Passe une bonne soirée !

– Toi aussi, et… merci.

– C’est toujours un plaisir.

Quand je raccroche, je me sens bien mieux, j’ai le cœur plus léger. Le simple fait d’avoir discuté avec Jules a aidé. Je ne sais pas si Seven a réellement un problème, mais je ne peux pas le savoir à moins qu’il ne me le dise, alors je vais essayer d’arrêter de m’en soucier. Je pense que j’ai déjà beaucoup à faire avec Sandy, et avec moi-même, pour l’instant. Je vais commencer par mon meilleur ami, ça me semble bien plus simple que de m’attaquer à mes propres difficultés…

 

Avant de ranger mon téléphone, j’envoie malgré tout un message à l’homme que j’aime, lui offrant une nouvelle possibilité de me parler s’il le souhaite parce que l’idée de ne pas être présent pour lui reste trop douloureuse pour moi.

Moi : Si tu as besoin, je suis là. Même si c’est pour parler d’elle.

– J’ai tout ce qu’il faut ! s’exclame Sandy.

– Plus qu’à attendre que Lara revienne avec sa mère et que Luigi se réveille, dis-je.

– Il dort encore ? Et Maria ?

– Moi, non, et elle, plus pour longtemps si tu continues à parler aussi fort.

Je me retourne et aperçois Luigi, encore à moitié endormi, l’air renfrogné.

– Mauvaise nuit ? le taquine Sandy.

– Ta gueule.

Depuis que la petite est née, il manque cruellement de sommeil. Ce soir, la mère de Lara prend Maria avec elle pour s’en occuper et laisser aux jeunes parents la possibilité de ne s’occuper que d’eux, juste quelques heures. De mon point de vue, ils feraient mieux de dormir, mais ils ont envie de faire un peu la fête et je pense que ça ne pourra que leur faire du bien, tout autant qu’à Sandy et à moi. Lara aurait voulu partir faire un tour en moto, mais Luigi ne veut pas trop s’éloigner, juste au cas où, alors on restera sur place. Personnellement, tant qu’il y a à boire et mes amis, l’endroit m’importe peu.

– T’as à fumer ? me demande Luigi.

Je tourne la tête vers Sandy et pose un regard soucieux sur lui. Il me rassure d’un sourire.

– Je ne fumerai pas ce soir, la prochaine fois, peut-être, mais ne vous privez pas.

Depuis son retour, il s’est calmé sur sa consommation. Il n’a pas l’intention d’arrêter complètement le cannabis, pas plus qu’il n’arrêtera le tabac ou l’alcool, mais il a trop abusé cet été, et il veut se prouver qu’il n’en est pas dépendant avant d’oser y retoucher. C’est aussi pour ça que je l’aime, parce qu’en dépit de son côté inconscient, de ses démons, de cette folie qui lui donne envie de partir chercher Danny et de s’enfuir avec elle pour reproduire les mêmes erreurs, il est assez intelligent pour faire en sorte de devenir une meilleure personne.

Il passe son bras autour de mon cou, le sac de courses pendu à son autre main, et je suis heureux de le sentir plus détendu que tout à l’heure, lorsque nous étions au salon. Je pense que c’est dû à cette petite soirée entre nous qui s’annonce. Il en a besoin, c’est avec nous qu’il recharge ses batteries. Je ne peux que comprendre parce que je fonctionne de la même façon.

Toute la bande n’est pas là, ce qui est vraiment regrettable, mais quatre d’entre nous sont présents et c’est déjà bien. Quand nous sommes ensemble, les problèmes paraissent plus supportables.

 

Lorsque j’entre dans le grand salon de mes amis, je souris en voyant la moto qui y trône fièrement. Chaque fois que je l’aperçois, ça me fait sourire, parce que je repense à comment elle est arrivée là et ça me rappelle que Luigi et Lara sont la preuve que malgré les disputes et les difficultés on peut être heureux si on s’en donne les moyens. C’est ce que j’aimerais réussir avec Seven. Je tiens à ce que ça marche entre nous. Jamais je n’ai voulu le quitter et j’espère qu’il le sait. Si je suis parti ainsi, incapable de lui dire quand on se reverrait, ce n’était pas parce que je ne l’aime pas, c’était justement parce que je l’aime trop et que j’avais peur de tout gâcher avec mes cauchemars qui ne semblaient pas décidés à me laisser en paix.

 

Sandy me lâche pour aller mettre les bières au frais, suivi par le propriétaire des lieux, et pile à ce moment, je sens mon téléphone vibrer. C’est quand je m’attends à un message de Seven que je n’ai rien, et quand je pense que ce n’est pas lui, il m’écrit et met mon cœur en bordel.

Seven : Je t’aime. Tu le sais déjà, mais ce que tu ignores, c’est que je crois que je t’aime plus que tout au monde.

Il y a des jours, comme ça, où je me fais la réflexion qu’aimer est un sentiment extraordinaire et que certaines personnes ont un pouvoir immense sur nous, qu’on le souhaite ou non. Seven est cette personne pour moi ; il me fait ressentir des choses qui m’étaient inconnues avant lui. D’un seul message, il change toute ma perception de la vie.

Chapitre 2

Clément

Les jours défilent lentement depuis que j’ai quitté Lyon. Décembre, janvier, février, mars, avril, mai… Jamais le temps ne m’a paru aussi long parce que chaque seconde en est une supplémentaire que je passe loin de Seven et je suis en train de devenir complètement fou. Mes émotions jouent au yo-yo et je déteste ça. Passer ainsi d’un sentiment à l’autre ne me ressemble pas.

Presque quatre ans de relation et je ne sais même pas si on a réussi à passer une année entière ensemble. Et plus le temps défile, moins on se voit. Je suis à bout. J’ai voulu du temps pour moi, mais je ne m’attendais pas à ce que ça soit si long ! J’ai beau me plonger dans le travail, maintenant que je suis loin de mes amis, je n’arrive pas à penser à autre chose qu’à Seven et à cette impression qu’il est distant. Je tente de me dire qu’il se recentre sur lui, qu’il a besoin de son propre espace et de son propre temps pour mieux repartir avec moi, que je dois être patient, compréhensif, mais j’atteins mes limites, là. Je suis à un point où j’ai absolument besoin de le voir pour savoir si je me fais des idées ou s’il se passe vraiment quelque chose. Au diable mes résolutions, elles ne me conviennent plus.

 

En soupirant, je ferme mon livre et retire mes lunettes. Je vais peut-être le regretter, surtout s’il me dit qu’il ne peut pas, mais je prends mon téléphone et envoie un message.

Moi : J’ai besoin de te voir.

C’est la première fois que je lui demande quelque chose, la première fois que je me montre vulnérable, et je déteste devoir faire ça, mais je ne me supporte plus moi-même. Une nuit sur trois, je fais des cauchemars, et la journée, je me ronge en essayant de comprendre ce qui ne va pas. Je ne suis pas le genre d’homme à me prendre la tête. Jules avait raison d’émettre l’hypothèse que l’état de Sandy pesait sur moi et que, peut-être, c’était l’ambiance générale qui était trop lourde et me faisait imaginer des choses, mais je suis maintenant certain que ce n’est pas la seule raison.

Seven a beau sembler être le même dans nos échanges, il est différent, je le sens. Je ne saurais pas dire en quoi exactement, mais il l’est. On s’appelle de moins en moins, il met un temps fou à répondre à mes SMS, on ne s’est pas vus depuis des mois, et son excuse de la promotion de son dernier livre ne tient plus. Il devrait être en train d’en écrire un nouveau, si je m’en tiens à sa façon habituelle de travailler. Quelque chose ne colle pas et je suis à deux doigts de débarquer à Paris pour lui demander des explications. S’il n’y avait pas sa copine, je le ferais certainement. Je ne supporte plus d’être dans le flou.

Mon écran s’éclaire et je m’empresse d’ouvrir le message.

Seven : Où tu es en ce moment ?

Moi : À Bordeaux.

Seven : Jusqu’à quand ?

Moi : Fin mai. En juin, je pars avec la bande.

Seven : Je te rejoins.

Comment ça, il me rejoint ? Là, maintenant ? Pendant des mois, il me dit qu’il n’est pas disponible, que je lui manque et qu’il aimerait être avec moi, mais qu’il ne peut pas quitter Paris, et là, d’un coup, il parle de me rejoindre. Je n’y comprends rien.

Je n’ai pas le temps de lui demander ce qu’il lui prend qu’il m’écrit à nouveau :

Seven : Je serai là vers vingt heures. Tu peux m’envoyer l’adresse de ton logement ?

Je peux bien attendre ce soir pour lui demander ce que me vaut ce revirement de situation, après tout. Et puis, je ne vais pas me plaindre, c’est moi qui voulais le voir.

En fait, plus j’y pense, et plus je me dis que c’est moi qui suis insupportable en ce moment.

 

Je soupire, puis je lui envoie l’adresse et lui indique que je ne travaillerai pas demain. Nous aurons cette soirée et la journée suivante pour nous. Je ne sais pas à quoi cela ressemblera ni si je ne vais pas regretter d’avoir envoyé ce SMS, mais j’aurai vite une réponse.

*
*     *

J’entends sonner à ma porte. Quand je l’ouvre, c’est Nine qui me saute dessus. Je crois qu’il est aussi content d’être là que je le suis de l’accueillir.

– Il est super excité, il est heureux de te voir, mais c’est aussi lié au voyage en train.

– Tu n’as pas pris la voiture ? m’étonné-je.

– Cela aurait été trop long et comme je dois repartir demain soir, je préférais avoir le plus de temps possible avec toi.

Nous n’avons que vingt-quatre heures, alors. Bien, je vais les utiliser pour mémoriser chaque ligne de son corps, enregistrer sa voix et son odeur, parce que quelque chose me dit que je ne suis pas près de le revoir…

Quand Nine se calme, je peux enfin observer Seven. Il a des cernes immenses et le visage tellement fatigué. Bon sang, qu’est-ce qui se passe ? Ce n’est pas juste moi qui déraille, il y a vraiment quelque chose, et cela n’a rien à voir avec nous deux.

Il ne me laisse pas le temps de lui demander quoi que ce soit, il entre en me faisant reculer de son corps, et très vite, ses lèvres sont contre les miennes, me faisant oublier tout ce que je pouvais avoir en tête, absolument tout.

Il m’a tellement manqué… Je ne peux pas me contrôler, pas plus que je ne peux l’arrêter quand ses doigts glissent dans mes cheveux, sur ma nuque, sous mon tee-shirt. Je sais ce qu’il veut, je le sais parce que j’ai ce même désir et que nos corps brûlent de se consumer l’un l’autre.

– La chambre… murmuré-je contre ses lèvres.

Je l’entraîne avec moi et referme la porte derrière nous. Je suis désolé pour Nine, mais j’ai besoin de faire quelque chose pour calmer mon désir ardent avant de pouvoir m’occuper de lui.

Alors que je commence à le déshabiller, Seven éteint la lumière que j’avais allumée. J’aime le voir quand nous faisons l’amour, mais je suis dans un tel état d’excitation que je me fiche qu’il préfère y aller à l’aveugle. Tant que je peux le sentir, ça me va. J’ai besoin de son corps contre le mien, aujourd’hui plus que jamais. Il me faut une preuve que tout va bien entre lui et moi, parce que depuis mon départ du Cap Ferret, je n’ai plus aucune certitude. Je suis perdu.

 

Quand il me fait l’amour, ce soir-là, je l’entends me dire qu’il m’aime, me le répéter à de nombreuses reprises. Je sens son amour dans chacune de ses caresses et dans chacun de ses souffles. C’est lorsque nous sommes connectés ainsi que je peux me rassurer sur ses sentiments et lui transmettre les miens. Nous avions besoin de ça, tous les deux. Pourtant, cela n’efface pas mes questions.

Après nos retrouvailles, alors que je suis allongé contre son corps, dans le noir, je l’interroge :

– Pourquoi tu es là ?

Je ne peux pas faire semblant. Je suis incapable de l’accueillir pour quelques heures, de discuter, manger et faire l’amour comme si tout allait bien alors que rien ne va. J’ai craqué pour l’aspect charnel, mais je n’en ferai pas plus sans avoir mes réponses. J’ai besoin de savoir.

– Parce que j’avais envie de te voir.

– Les autres mois, tu n’en avais pas envie ?

– Si, mais tu as dit que tu avais besoin de me voir, alors je suis venu.

Je ne sais pas si je suis touché qu’il ait fait ça pour moi ou si l’idée que pour lui je ne suis qu’un mec dans le besoin qu’il vient secourir me donne envie de remettre les choses au clair. Je crois que cette fois le deuxième sentiment domine.

Je me détache de lui et je me lève. Derrière moi, je l’entends sortir du lit à son tour et remettre ses vêtements avant de me rejoindre à la fenêtre, où je peux mieux le voir, grâce à la lune. Je ne prends pas la peine de me rhabiller. Depuis quand est-il devenu pudique, de toute façon ?

Tout cela ne fait qu’intensifier ma colère.

– Que les choses soient claires, commencé-je, je n’ai pas besoin d’être sauvé et je ne serai pas le type dépendant à qui tu devras donner sa dose.

– Ce n’est pas ce que je voulais dire.

– Si tu viens me voir, fais-le parce que tu en as envie, pas parce que je te semble désespéré.

– Clément…

Il approche sa main de moi, mais je recule. Là, tout de suite, je n’ai pas envie qu’il me touche parce que je me sens sale. Mais je sais que tout est dans ma tête, que ce n’est que ma propre perception des choses liées à des relations merdiques avec d’autres et à mes foutus cauchemars, alors je m’en veux très vite de le voir peiné.

– Désolé, dis-je aussitôt.

Je soupire et prends finalement sa main dans la mienne. Je ne veux pas me protéger de lui, ce n’est pas la relation que je désire avec cet homme, mais j’ai besoin qu’il sache ce que je ressens.

– Seven, il faut que tu comprennes quelque chose à mon sujet. Je ne peux pas être dans une relation déséquilibrée et encore moins dans une qui me fait douter de moi ou s’attaque à ma fierté. Je ne suis pas le genre de personne qui perd facilement confiance, qui a constamment besoin d’être rassuré ou quoi. Je n’ai pas non plus un ego démesuré, mais j’ai du respect pour moi-même. Je peux accepter que tu aies quelqu’un d’autre dans ta vie tant que je sais que tu m’aimes, même s’il me faut encore m’ajuster par rapport à ça, je le reconnais, mais je ne peux pas tolérer que tu joues au héros, pas plus que je ne peux être avec quelqu’un qui reste avec moi par pitié. Je t’aime, mais si tu ne veux pas la même chose, je ne te courrai pas après et j’aime autant que tu me dises la vérité.

Il prend mon visage dans ses mains et plante son regard dans le mien. Ses yeux me semblent encore plus beaux, éclairés par le clair de lune.

– Pourquoi est-ce que tu penses que je ne veux plus être avec toi ? Il n’y a rien de plus faux que ça ! Il n’y a rien que je désire plus au monde que de continuer ma relation avec toi, je te l’ai déjà dit, je suis incapable de te quitter parce que je ne veux pas d’une vie sans toi, ce n’est certainement pas de la pitié !

– Alors pourquoi est-ce que tu es si distant, ces derniers temps ? C’est à cause de la façon dont on s’est séparés à Lège ? À cause de notre espèce de break ?

– Il n’y a pas eu de break pour moi. Pas une seconde je n’ai pensé que toi et moi étions séparés.

– Alors qu’est-ce qui te rend comme ça ?

Il se raidit et ferme les yeux. Quand il brise ce contact qui nous est si cher, je sais que c’est lié à sa copine. Elle est la seule à pouvoir le détacher de moi.

– C’est Lina, dis-je.

– Elle a découvert que j’avais une relation.

– Merde…

– Elle a vu les messages et les appels. J’étais tellement sûr de moi, tellement à l’aise avec mes sentiments pour toi que j’en ai oublié que ce que je faisais était risqué.

– C’est pour ça que tu devais rester à Paris ?

Il hoche la tête.

Je comprends mieux pourquoi il se comportait si étrangement, pourquoi il ne pouvait pas venir me voir. Tout prend son sens à présent. La seule chose qui n’en a toujours pas, c’est pourquoi il reste avec elle.

Seven semble lire dans mon regard, car soudain, il me dit :

– Ne me le demande pas, s’il te plaît.

– Pourquoi ?

– Parce que, encore une fois, je ne pourrai pas te répondre, et je n’en peux plus de te décevoir.

Son visage est tellement triste, il semble tant souffrir que je ne peux me résigner à lui poser la question. Je ne supporte pas de lui faire du mal, et tant pis si je m’en fais à moi-même ou si je me déteste d’être aussi lâche. Je ne peux rien y faire…

À la place, je glisse mes doigts dans ses cheveux et force ses lèvres à descendre vers les miennes pour les embrasser tendrement.

– Ça te dit qu’on regarde un film ? dis-je, contre sa bouche. C’est toi qui choisis. J’ai le compte Netflix de Sandy. Et comme ça, on passera du temps avec Nine.

Il hoche simplement la tête en souriant, mais dans son regard, je lis tout son amour et toute sa gratitude. Si de quelques mots je peux lui redonner le sourire, je veux bien continuer un peu plus longtemps à rester dans l’ignorance. Seven m’apporte tellement au quotidien qu’en fin de compte je ne fais pas seulement ça pour lui. Je le fais aussi pour moi. J’ai beau vouloir connaître la vérité, j’avoue qu’elle me fait peur et que cela m’arrange un peu qu’il préfère la taire, mais je ne le dirai jamais à voix haute.

Ce soir et les quelques heures que j’aurai avec lui demain, je les passerai à l’aimer, plus fort que tout, en oubliant le reste. C’est la seule façon de respirer correctement, ma seule façon.

– Demain, c’est toi qui cuisines.

Il y a des limites à ce que je peux donner quand même, la cuisine, c’est pour lui.

Seven rit et son rire me fait sourire. Il emplit mon cœur d’une douce chaleur, et de nouveau, je me sens à la maison. Avec lui, c’est toujours le sentiment que j’ai.

*
*     *

– Chaque fois que je mange un de tes plats, je me souviens pourquoi je t’aime, dis-je, en avalant une nouvelle bouchée des délicieuses lasagnes au chèvre et au saumon que Seven a préparées.

– Seulement pour ça ?

– Tu fais aussi très bien l’amour.

– Dis-m’en plus.

– Sur ta façon de faire l’amour ou sur ce que j’aime chez toi ? demandé-je en riant.

– Ce que tu aimes chez moi.

– Besoin que je flatte un peu ton ego ?

– Non, mais j’aime savoir ce que tu aimes, tout ce qui te concerne m’intéresse, surtout quand j’en fais partie. Et puis, c’est stratégique, c’est pour faire en sorte que tu ne me quittes jamais.

Il me fait un clin d’œil, et aussi sexy soit-il, le sentiment qui domine en moi est l’amusement. Cela me fait du bien de le retrouver plus détendu, plus… lui-même, en fait.

– En dehors de tes qualités évidentes en matière de cuisine et de sexe, j’aime ta capacité à jouer avec les mots.

– Tu aimes mes livres, tu veux dire ?

– Oui, mais pas seulement. Je crois que j’aime encore plus ce que tu exprimes quand on s’écrit. En fait, je suis comme toi, quand ça me concerne, ça me plaît encore plus.

J’ai soudain très envie d’aller embrasser ses lèvres qui s’étirent dans un mouvement lumineux et sensuel à la fois.

– Quoi d’autre ?

– Ton amour pour Nine. Je n’ai pas d’animaux, mais je les aime beaucoup et j’aime les gens qui en prennent soin.

– Pourquoi tu n’en as pas, d’ailleurs ?

– Parce que je suis toujours en déplacement et que je n’aurais pas assez de temps pour m’en occuper. Je ne veux pas imposer ça à un animal, ce serait du pur égoïsme. Je profite de ceux des autres, comme avec toi.

– Avoue que tu n’es avec moi que pour Nine.

– Tu ne veux pas que je réponde à ça, plaisanté-je.

L’instant est vraiment agréable. Je me retrouve enfin avec Seven de la manière que je préfère, dans cette ambiance confortable et chaleureuse qui m’apaise. Alors quand son téléphone sonne, je suis déçu. Pourtant, cette fois, Seven ne répond pas et finit même par mettre son portable en silencieux.

Je l’interroge du regard.

– Il ne nous reste que quelques heures, je ne veux pas les consacrer à une autre personne que toi, qu’importe les conséquences.

Une part de moi envisage de lui rappeler que Lina vient d’apprendre qu’il la trompe et qu’il devrait être là pour elle, mais mon côté égoïste est plus fort, alors je me tais et je profite de ce qu’il m’offre. Je suis devenu un homme bien cruel depuis que je suis amoureux de lui…

 

J’en profite jusqu’au dernier moment, jusqu’à ce qu’il m’embrasse et m’étreigne une dernière fois sur le pas de la porte, qu’il se retourne à contrecœur et que j’aie l’impression qu’il part en emportant le peu de joie qu’il restait dans cet appartement… J’aurais voulu que ça dure plus longtemps.

J’ai besoin de retrouver mes amis. Je me sens complètement perdu en ce moment. Je ne doute nullement de mes sentiments, pas plus que je ne m’inquiète de ceux de Seven, mais j’ai l’impression d’être prisonnier d’un épais brouillard et j’ignore si cette fumée émane de l’homme que j’aime ou si ce sont mes cauchemars qui me bouffent et me rendent si malheureux alors que j’ai tout pour être heureux. J’ai besoin d’une pause dans ma vie. Il faut que mon esprit cesse de me torturer comme ça.

J’attrape mon téléphone et ouvre notre discussion de groupe. Je suis bloqué à Bordeaux jusqu’à la fin du mois de mai, mais après ça, je suis libre, et même si nous n’avons prévu de nous retrouver que fin juin, je me demande s’il n’y a pas un moyen de se voir avant.

Moi : On peut se retrouver plus tôt que prévu ?

Lara : Pour le voyage, tu veux dire ?

Sandy : Je ne peux pas aller chercher Danny plus tôt, Olive m’a dit que sa remplaçante n’arriverait pas avant le premier jour de l’été.

Je n’ai pas le temps de répondre pour leur expliquer que je ne veux pas partir en voyage plus tôt, juste les voir, mon téléphone sonne déjà. Je souris en voyant le nom de mon meilleur ami. L’homme le plus impatient de la terre.

– Tu aurais pu me laisser le temps de répondre, dis-je, en décrochant.

– Qu’est-ce qui se passe ?

Sa voix est pleine d’inquiétude.

– Rien, j’ai juste envie de vous retrouver.

– Je n’en doute pas, mais celui qui s’impatiente, généralement, c’est moi. Alors qu’est-ce qui se passe ? C’est Seven, hein ?

Je soupire. Je ne peux pas cacher grand-chose à Sandy. Parfois, j’ai l’impression que si, mais en réalité, depuis toujours, il sait tout et il se contente de ne rien demander pour ne pas me brusquer.

– C’est compliqué, dis-je finalement. On en parlera quand on se verra, OK ?

– Viens à la maison.

– J’ai des clients à Bordeaux jusqu’à la fin du mois, je ne peux pas venir tout de suite.

– Viens après, alors.

J’entends un son dans mon oreille qui me signale que j’ai un nouveau message.

– Attends, j’ai un SMS, dis-je à Sandy.

Je l’ouvre et je découvre quelques mots de ma Violette qui a elle aussi dû voir ma demande dans notre groupe de discussion.

Violette : Je vais chez Jacky. Tu peux venir à Lyon dès maintenant, si tu veux.

Décidément. Ils se sont tous donné le mot. Je ne peux pas partir maintenant, pourquoi est-ce qu’ils paniquent comme ça juste parce que j’ai demandé à ce qu’on se retrouve plus tôt ?

– C’est si bizarre que ça que j’aie envie de voir ma famille ? demandé-je à Sandy.

– C’est pas bizarre que t’en aies envie, ce qui est bizarre, c’est que tu le demandes. Tu ne demandes jamais rien.

Je m’apprête à lui répondre que c’est faux, mais il me devance.

– Tu ne demandes rien pour toi, je veux dire. Quand il s’agit de tes sentiments, tu préfères te débrouiller sans nous.

– C’est l’habitude…

– Je sais, mais les habitudes se changent, tu sais ? En attendant, dès que tu es dispo, tu peux venir chez ma mère, elle est OK.

– Tu ne lui as même pas demandé, soupiré-je.

– C’est ma mère, je sais ce qu’elle pense et tu es comme un fils pour elle, pourquoi elle ne voudrait pas que tu viennes ?

Il demande ça comme si ma remarque était la chose la plus stupide que j’aie jamais dite.

Inutile de lui expliquer qu’il était juste question de quand même lui demander son avis. À la place, je réponds la seule chose qui doit être dite :

– Merci.

– Ne me remercie pas. C’est la première fois de ta vie que tu demandes quelque chose. J’ai l’impression d’être enfin autorisé à te rendre un peu de tout ce que tu m’as donné !

J’ignorais qu’il avait ce sentiment. Je ne pensais pas que ma tendance à ne pas me confier et à me débrouiller seul pouvait peser sur les gens que j’aime…

 

Quand je raccroche et que je retourne sur la conversation de groupe, je vois que tous sont en train d’essayer de trouver une solution, de voir comment se débrouiller pour qu’on puisse partir rouler avant. Heureusement, Sandy leur répond vite qu’il n’y a pas de problème, que j’avais juste envie de les voir, pas forcément de rouler. Lara râle pour le principe, elle se plaint qu’on fasse toujours des cachotteries, lui et moi, puis ils commencent à s’organiser tous ensemble pour arriver plus tôt, et je réalise que Sandy a raison, je ne fais jamais ce genre de demandes, et la seule fois où je le fais, tous ceux que j’aime se mettent en quatre pour moi.

Mon cœur se réchauffe de l’amour que je leur porte et je souris parce que j’ai les meilleurs amis du monde. J’ai la plus belle des familles, et là, tout de suite, j’ai juste besoin de la retrouver, même si avec elle il manquera toujours deux êtres tout aussi indispensables à mon bonheur : Seven et Nine.

Chapitre 3

Clément

Quatre ans depuis la rencontre

Quand j’entre chez Lara et Luigi, et que je me retrouve nez à nez avec le propriétaire des lieux, j’écarquille les yeux.

Sa moustache, elle a disparu. Il s’est rasé la moustache… Je n’en crois pas mes yeux. Je l’ai toujours connu avec et je sais qu’elle a toute une histoire, quelque chose qui a une vraie importance dans sa relation avec Lara.

Je ne m’en remets pas. Je reste planté comme un imbécile dans l’entrée. Et quand je recouvre mes esprits, je lâche le premier truc qui me vient à l’esprit, un sourire moqueur sur le visage :

– Sexy.

– Ta gueule.

– J’aime bien quand c’est toi qu’il insulte plutôt que moi, dit Sandy en nous contournant pour rejoindre Lara et Maria, dans le salon.

– Je sens que vous allez tous me saouler avec ça.

Il s’enfuit, et je ris parce que je pense qu’il a raison, tout le monde va lui faire la remarque au moins une fois, c’est obligé. Je me demande quand même ce qui lui a pris. Pourquoi aujourd’hui, après tant d’années à en être si fier ?

Quand j’entre dans ma pièce préférée de la maison – avec une bécane magnifique en décoration, difficile d’en aimer une autre autant –, je vois mon ami qui se penche pour attraper sa fille, et lorsqu’elle colle son visage au sien, je comprends pourquoi il a décidé de se séparer de sa moustache. J’aurais dû le deviner. Il n’y a qu’une seule personne au monde capable de lui retirer une chose qui le lie à sa femme : Maria.

À peine ai-je fait la bise à Lara qu’elle se lève.

– Allez, j’y vais.

– Où tu vas ? demande Sandy.

– À l’entraînement.

– Éclate-les !

– Tu sais que la plupart de ces filles sont mes amies ?

– Tu as d’autres amis que nous ?

– Encore heureux…

– Mais tu vas quand même leur mettre des coups.

– Oui, Sandy, si je m’entraîne avec elles, ça risque d’arriver, mais aujourd’hui je vais essayer de me contenter du sac de frappe.

– Profite, dit Luigi, Maria dans les bras.

Lara lui sourit avant d’embrasser le front de sa fille et de s’échapper.

– Ça va, tous les deux ? demande mon meilleur ami.

– Ça va.

– Tu mens plus mal encore que Sandy, dis-je.

Ce dernier me donne un coup dans l’épaule tandis que Luigi soupire. Il se lève et se dirige vers les chambres. Quand il revient avec un baby-phone, je sais qu’il a mis la petite au lit. Il lance la musique et se réinstalle dans le canapé avec nous. Là, il tourne la tête vers Sandy et le fixe, en silence.

– Quoi ?

– Va chercher à boire, lui dit-il.

– C’est chez toi !

– Tu t’incrustes chez tout le monde comme si c’était chez toi, tu peux bien nous servir, fais-je remarquer.

La cible de nos moqueries nous regarde tour à tour avant de s’exclamer :

– Vous faites chier !

Il se plaint, mais il rit quand même et finit par se lever pour aller chercher des bières. Luigi et moi sourions parce que c’était trop simple, il est vraiment facile à avoir. Il ferait n’importe quoi pour nous. La réciproque est vrai, que ce soit aller chercher à boire ou se jeter dans les flammes, je ne crois pas qu’il existe une chose, sensée ou non, que nous refuserions de faire les uns pour les autres.

 

Après quelques gorgées, Luigi se décide finalement à parler.

– C’est compliqué, en ce moment. Pas nous deux, pas vraiment, mais avec Maria.

– Ça va pas ? Elle a un souci ? m’inquiété-je.

– Non, elle est en pleine forme, mais c’est un bébé, et comme tous les bébés, elle demande du temps et de l’attention. Lara et moi, on n’a pas vraiment roulé depuis le moment de la grossesse où le docteur n’autorisait plus Lara à le faire. Elle devient folle.

– Pourquoi vous ne me l’avez pas dit ? J’aurais pu la garder le temps d’un week-end.

– Toi ? Ou ta mère et ta sœur ? se moque Luigi.

– Pour le bien de Maria, mieux vaut que ma mère ou Alysson soit là, je l’admets.

– Lara y a pensé. Sa mère aurait pu la garder aussi, même Jacky nous l’a proposé.

– Ma grand-mère ? s’étonne Sandy.

– Tu connais combien de Jacky ?

– C’est pas ça que je voulais dire… Tu me saoules.

Je cache mon sourire derrière ma bière. Mon pauvre Sandy, toujours chahuté. Quand je retrouve mon sérieux, je pose la question logique :

– Pourquoi vous ne l’avez pas fait ?

– Je n’ai pas pu.

Sandy et moi lui jetons un regard interrogateur. Il soupire et boit une nouvelle gorgée.

– Je n’arrive pas à me séparer de Maria. Je vais le faire, là, pour venir avec vous, mais je ne partirai pas plus d’une semaine, et j’en suis déjà malade.

– Pourquoi tu le fais ? Il n’y a pas de mal à vouloir rester avec ta fille, tu sais qu’on ne t’en voudra pas ?

– Sandy a raison. Pourquoi te forcer ?

– Je ne me force pas, j’ai vraiment envie de rouler avec vous, mais je le fais surtout parce que si je ne viens pas, Lara ne viendra pas non plus.

J’arque un sourcil, mais Sandy me devance :

– Sans vouloir te vexer, elle n’a pas besoin de toi pour rouler, et vous n’avez jamais été du genre à tout faire ensemble.

– C’est pas ça. Bien sûr qu’elle est capable de partir sans moi. Ce que je veux dire, c’est que si je décide de rester, elle va encore culpabiliser pour Maria. Elle a déjà l’impression d’être une mauvaise mère.

Cette fois je me redresse, inquiet. J’ignorais tout ça.

– Lara est une excellente mère, qu’est-ce que c’est que ces conneries ?

Je n’aurais pas dit mieux.

– Ça, il faudra le lui demander. C’est ce que j’essaye de comprendre depuis des mois ! Je n’arrive pas à imaginer que quelqu’un lui ait fait une remarque, elle l’aurait remis à sa place. Du coup, je ne sais pas pourquoi elle a cette impression.

– Est-ce qu’elle culpabilise parce que tu t’en occupes plus souvent qu’elle ? demandé-je.

– J’y ai pensé. Vu que je travaille chez nous, c’est moi qui garde généralement Maria. Lara sort travailler et elle a aussi ses entraînements, du coup, elle passe moins de temps avec la petite. Mais elle ne va pas arrêter de vivre parce qu’elle est devenue mère, ça n’a pas de sens, et elle consacre déjà tout le reste de son temps libre à notre fille. Je ne vois pas pourquoi elle aurait des pensées pareilles…

Sandy se lève pour fermer la porte du salon et ouvrir la fenêtre. Là, il allume une cigarette. Il n’en propose pas à Luigi, il sait qu’il refusera, il ne fume que ses Gauloises que personne ne supporte.

Mon meilleur ami croise les bras, et son visage affiche un air agacé que je n’arrive pas à saisir, alors je demande :

– Qu’est-ce qui t’arrive ?

– Rien, je trouve juste fou d’apprendre ça maintenant. On passe le plus clair de notre temps ensemble et j’avais bien vu qu’un truc n’allait pas avec Lara, mais chaque fois que je lui demandais, elle me disait qu’elle était juste fatiguée. Je n’ai jamais remis sa parole en question, j’imagine que devenir mère est épuisant. Finalement, j’apprends que c’est autre chose. Et là, quand je vous regarde tous les deux, je réalise que dans cette bande d’âmes paumées, il n’y a vraiment personne qui sait comment exprimer ses sentiments ou comment parler de ses problèmes. C’est à se demander si on se fait vraiment confiance.

– Ça n’a rien à voir, Sandy, dis-je.

Il soupire.

– Je sais, je dis ça parce que je suis énervé de savoir que vous allez mal et que je ne peux rien faire, mais au fond, je sais que ce n’est pas notre amitié le problème.

– Loin de là, confirme Luigi.

Je me laisse tomber dans le canapé. Sandy a raison sur un point, nous sommes vraiment mauvais quand il s’agit de parler de nos soucis, des choses qui nous touchent le plus. Nous arrivons assez bien à nous dire combien nous nous aimons, pourtant, quand vient le jour de demander de l’aide ou juste une oreille attentive, personne n’y parvient. Ce n’est pas que nous ne nous faisons pas confiance, c’est juste que nous avons tous des passés merdiques qui nous ont incités à ne compter que sur nous-mêmes, à nous protéger des autres, et nous avons encore du mal à modifier ça.

Décidé à changer les choses et à prouver à Sandy que je lui fais confiance – je mettrais ma vie entre ses mains sans la moindre hésitation –, je sors ce qui me passe par la tête, tant pis s’il ne comprend rien :

– Je fais des cauchemars presque toutes les nuits, depuis que je suis gosse. Je ne l’ai jamais dit à personne, pas même à mes grands-parents. Violette est au courant parce que ça m’est arrivé chez elle et que je n’ai pas eu d’autre choix que de lui en parler.

– Quel genre de cauchemars ? demande Sandy.

– Je rêve d’un gamin qui se fait agresser, violer, parfois torturer, par deux adultes, ses parents, j’imagine.

Mes deux amis écarquillent les yeux et échangent ensuite un regard. Je sais exactement à quoi ils pensent.

– Je vous arrête de suite, cet enfant, ce n’est pas moi.

– Mais tu le connais ? demande Luigi.

– Non. Je n’ai aucune idée de qui il est. Je ne sais pas si j’ai assisté à ces scènes quand j’étais plus petit, si on m’a raconté quelque chose ou si c’est une invention de toutes pièces que je dois comprendre autrement, mais ça me glace chaque fois le sang. Parfois ça me vient même en journée.

– C’est pour ça que tu fumes, souffle Sandy. Je savais que c’était un truc lié à ton passé, mais je ne pensais pas que c’était grave à ce point.

Je hoche la tête. Il sait à présent exactement pourquoi je fume. Je n’ai pas la force de leur raconter, ni à lui ni à Luigi, que si j’arrête le cannabis, je risque de devenir complètement fou.

 

Le silence s’installe à nouveau, quand soudain, Sandy avoue quelque chose que je savais, mais que je ne pensais jamais entendre sortir de sa bouche :

– Mon père me manque.

– C’est normal.

J’admire Luigi de réussir à répondre exactement ce qu’il faut alors que je vois les veines de son bras saillir tant la mention du père de Sandy le met hors de lui. Il a toujours détesté cet homme et je partage ses sentiments. Pour tout le mal qu’il a fait à notre ami et à sa famille, je ne peux pas le porter dans mon cœur, mais je comprends quand même ce que peut ressentir Sandy. J’ai beau en vouloir à mes parents, même si je ne les connais pas, ils ont laissé un creux dans ma poitrine ; je vis le manque au quotidien.

– C’est dur parce que je le déteste, encore plus depuis que je sais ce qu’il a fait à Alysson, mais il me manque quand même. Enfin, c’est pas lui, c’est la figure paternelle qui me manque… Ce que je dis n’a aucun sens, grogne-t-il.

– Si, ça en a, le rassuré-je.

Il me sourit, puis il se redresse et écrase sa cigarette avant de déclarer :

– Après toutes ces confessions, je mangerais bien une pizza.

Je ris et je vois Luigi sourire. C’est la meilleure idée du monde. Rien ne vaut une pizza après tant d’émotions fortes. Nous n’allons pas discuter des heures de tout ça, c’est déjà assez, et nous n’avons vraiment pas l’habitude de nous épancher. Une minute de plus à parler de nos problèmes et nous allons tous les trois dérailler, c’est certain.

Néanmoins cela m’a quand même fait prendre conscience que chacun de nous a grand besoin de reprendre la route. Nous ne sommes pas partis tous ensemble depuis trop longtemps, et je crois que cela nous bouffe.

Finalement, je suis heureux d’être venu plus tôt que prévu à Lyon. Il semble que je n’étais pas le seul qui en avait besoin.

*
*     *

Je frappe à la porte de Jacky, mais la vieille dame qui m’ouvre n’est pas la grand-mère de Sandy, c’est la plus belle de toutes les fleurs : ma Violette. Un sourire se dessine immédiatement sur mes lèvres et un identique incurve les siennes. C’est idiot, on s’est vus hier, dès que je suis arrivé à Lyon, mais il y avait tout le monde, et aujourd’hui, j’ai passé l’après-midi avec Luigi et Sandy. C’est le premier moment tranquille que je vais avoir avec Violette.

– Jacky est partie faire des courses.

– Je t’ai toute à moi, alors.

J’embrasse sa joue avant d’entrer dans cette maison que je connais bien. À l’époque où le père de Sandy était encore vivant, nous nous retrouvions ici quand ce n’était pas chez Lara et Luigi.

Je me suis toujours senti bien chez Jacky. C’est une femme exceptionnelle. Elle n’a jamais eu pour moi autre chose que des mots et des gestes doux, alors comment ne pas l’aimer ? Et puis elle fait partie des personnes les plus importantes pour Violette et Sandy, et quiconque compte pour ces deux êtres s’inscrit immédiatement dans ma liste de personnes favorites.

– Tu veux boire quelque chose ?

– J’ai déjà bu trois bières avec les gars, ça ira.

– Tu as conduit ?

– Non, Lara m’a déposé. Je comptais sur toi pour me ramener après.

Je sais ce que son sourire veut dire, elle est fière de moi parce que je n’ai pas pris ma moto après avoir bu. Elle ignore qu’il m’est arrivé de le faire, même si j’étais encore parfaitement en état, comme à Lège, après avoir vu Seven avec Lina.

Décidément, ce lieu a fait de nous tous des irresponsables… Quoique dans le cas de Sandy, je crois qu’il l’a toujours été un peu.

 

Quand je pénètre dans la cuisine, je découvre la table recouverte de photos. Ce sont des paysages. J’en reconnais certains pour les avoir vus de mes yeux, mais d’autres ne me sont pas familiers.

Je prends le cliché d’un immense tas de sable qui borde l’eau, et je tourne la tête vers Violette.

– La dune du Pilat. J’y suis allée il y a longtemps. Tu n’étais même pas encore né.

– C’était avec ta première bande.

Elle hoche la tête et j’aime le doux sourire qui barre son visage. C’était une autre époque, une où elle roulait avec les grands-parents de Sandy.

– Tu fais du tri ?

– Disons plutôt que je me replonge dans mes souvenirs, dit-elle en s’asseyant. Parfois, revenir dans le passé est la seule façon d’aller de l’avant.

Je sais exactement ce qu’elle tente de me dire et je soupire. Je n’échappe jamais à cette discussion.

– Est-ce que pour une fois on peut éviter de parler de mes cauchemars et de mon refus de consulter, s’il te plaît ?

Avant qu’elle puisse me répondre, mon téléphone vibre. Je l’attrape et découvre un message de l’homme que j’aime.

Seven : Sept. Sept choses que j’ai envie de te dire. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime et je t’aime. Et tant pis pour les règles du jeu, je suis un tricheur, de toute façon.

– J’accepte qu’on ne parle pas de tes cauchemars, me répond finalement Violette, me tirant de ma petite bulle, mais seulement si tu me dis enfin qui réussit à te faire sourire comme ça.

– Un homme.

– Le contraire m’aurait étonné, mon poussin. Parle-moi de lui, tu veux ?

Alors je lui en parle. Je lui raconte comment j’ai rencontré Seven et Nine, comment je suis tombé follement amoureux de cet homme et comment il parvient à me faire sourire d’un simple message. Je lui parle de notre jeu, de son métier, de son romantisme, de la lumière qu’il a mise dans les ténèbres de ma vie dont elle aurait voulu que nous discutions. Je lui dis tout ce qui me passe par la tête et tout ce qui fait battre mon cœur. Je ne lui confie ni les détails intimes ni ce qui concerne Lina, mais ça ne fait rien. Je veux juste qu’elle sache combien j’aime Seven. Aujourd’hui, j’en ai besoin. Je souhaite qu’elle le découvre par mon amour et non par ses erreurs, comme l’a fait Sandy. C’est important pour moi qu’elle l’apprécie.

 

Quand j’ai fini mon histoire, elle pose une main sur mon bras et je suis fasciné par sa peau noire qui recouvre la mienne dont la blancheur est recouverte de l’encre de mes tatouages. C’est une image qui m’inspire de nouvelles pièces, à moins que ce ne soit le geste, je ne sais pas.

– On peut aimer plusieurs fois, parfois en même temps, et de différentes façons, mais ce genre d’amour que je lis dans tes yeux, il est rare. Chéris-le. Et ton Seven, ne le lâche pas.

– J’en avais pas l’intention.

Elle me sourit, puis elle retire sa main de mon bras avant de regrouper les photos pour dégager la table.

– Maintenant, attrape les cartes dans le tiroir, que je te mette la pâtée au Uno.

– On verra ça.

On ne verra rien du tout, elle nous bat toujours. La seule qui arrive à gagner contre elle, c’est Jacky. Alors quand elle rentre, accompagnée de Sandy, et qu’ils se joignent tous les deux à la partie, je sais que mon meilleur ami et moi sommes complètement foutus. Nous allons nous faire démolir.

Commander L'encre du passé T.2