Chapitre 1

Cora, le 4 juillet

C’est la chose que je préfère dans la vie, avoir tous les gens que j’aime au même endroit au même moment. Ajoutez à cela une journée de congé, de la bière fraîche, un barbecue et des feux d’artifice, et je suis la reine du monde. J’aurais d’ailleurs été folle de joie s’il n’y avait pas eu un nuage noir et menaçant, qui flottait au-dessus de ma tête, décidé à gâcher ma journée,

C’était un week-end prolongé et tous les mecs du salon de tatouage où je travaillais, ainsi que les autres, Jet et Asa, et les filles, étaient rassemblés dans le jardin de la nouvelle maison de Rule et Shaw pour un barbecue. C’était une sorte de pendaison de crémaillère. Tout le monde avait une bière à la main, et Rule et Jet s’occupaient du barbecue même s’ils avaient l’air un peu ridicules. C’était censé être un moment sympa pour se détendre, mais l’un d’entre nous y mettait sacrément de la mauvaise volonté. Je faisais tourner ma cannette de bière fraîche entre mes mains et j’essayais de toutes mes forces de ne rien dire, alors que Rome Archer avait décidé d’être désagréable. Ce mec devait être la personne la moins drôle que j’aie rencontrée. Certes, le mec rentrait tout juste d’une zone de guerre et avait des problèmes assez sérieux avec sa famille, mais cela n’excusait pas le fait qu’il avait l’air déterminé à ce que sa mauvaise humeur infecte le reste des festivités.

Depuis qu’il avait passé le portillon du jardin, il alternait entre faire la gueule et se défouler sur tous ceux qui s’approchaient trop près de sa fureur déchaînée. Il portait des lunettes d’aviateur réfléchissantes, donc je ne pouvais pas voir ses yeux, mais je sentais le dédain et le mécontentement qui se dégageaient de son corps massif. Je n’avais jamais rencontré personne que je puisse qualifier de « monstre » avant que Rome traîne avec nous. Et comme Hulk, tout le monde semblait avoir peur de son caractère. Je commençais à en avoir marre de voir mes amis marcher sur des œufs et essayer de l’apaiser quand ils étaient avec lui. Putain, il aurait dû sauter de joie que son obsédé de frère se soit posé, que Rule ait trouvé celle qu’il lui fallait et soit devenu un homme meilleur. Mais non, Capitaine Grognon ne savait que rire jaune et grogner quand quelqu’un essayait d’engager la conversation.

Non, je n’étais pas particulièrement fan de Rome Archer, qu’il soit ou pas un héros de guerre, un grand frère adoré ou, supposément un mec sympa. Personnellement, je pensais que les seuls efforts que le gars faisait étaient pour être un con et rendre les autres aussi malheureux qu’il semblait l’être. Les gars qui avaient grandi avec lui, et même ma copine Shaw, répétaient le même laïus : l’ancien soldat était vraiment un mec super, il avait juste du mal depuis qu’il était rentré à la maison. Je n’étais pas sûre d’y croire, car jusqu’ici je n’avais rien vu qui indiquait qu’il pouvait être autre chose qu’une brute râleuse et légèrement déséquilibrée. Ce qui était dommage, car cet homme était magnifique, du genre qui fait mal quand on le regarde. Tous les Archer avaient des gènes extraordinaires, mais là où Rule était doté d’une attitude de mauvais garçon torturé, Rome était simplement la perfection au masculin.

Il était grand, beaucoup plus grand que les autres mecs, ce qui n’était pas rien car aucun membre de notre groupe n’était vraiment un petit gabarit, et il était imposant. Il était large, fort et serti de muscles qui n’étaient pas juste là pour être. Il avait les cheveux foncés et coupés très courts, et derrière les verres de ses lunettes de soleil, on ne voyait qu’une cicatrice blanche irrégulière qui traversait son sourcil et descendait vers son œil. Il y avait une intensité dans son visage qui le rendait incroyablement sexy, même s’il n’avait pas eu ce corps qui paralysait le cerveau du sexe opposé. Je parie que s’il prenait la peine de sourire, des culottes se mettraient à fondre dans tout le pays.

J’ai levé les yeux quand un de mes autres collègues, Nash Donovan, est apparu derrière moi et a posé ses mains sur mes épaules. Nash était le meilleur ami de Rule et vivait actuellement avec la montagne de tristesse et de morosité assise à côté de moi dans la pelouse. On aurait dit que la chaise pliable sur laquelle il était assis allait se casser en deux d’une seconde à l’autre sous sa masse considérable. Je n’imaginais pas qu’un mec aussi détendu et tranquille que Nash puisse vivre avec quelqu’un de si renfrogné et grognon, mais Rule et lui adulaient ce mec comme un héros, alors il valait mieux que je ne m’en mêle pas.

— Comment ça va, Clochette ?

C’était une question simple, mais il y avait beaucoup de choses derrière. J’avais récemment appris que mon premier amour, le mec coupable d’avoir brisé mon jeune cœur en un million de morceaux que l’on ne pouvait pas recoller, allait se marier à la fin de l’été. J’avais du mal à l’accepter et les gars s’inquiétaient pour moi, car généralement j’étais imperturbable.

— Oh, tu sais, toujours à la recherche de Monsieur Parfait.

C’était ma réponse habituelle. Afin d’éviter de refaire la même erreur, j’étais décidée à attendre un mec qui serait prêt à tout pour moi. Je ne me contenterais pas de moins que cela, de moins que la perfection, même si je devais attendre une éternité pour la trouver. L’idée de faire un compromis et de finir aussi perdue et brisée que je l’avais été était trop terrifiante pour que je l’envisage.

— Clochette ?

La voix de Rome était rauque et aussi brute que l’expression de son beau visage. Nash a ricané et s’est déplacé pour s’asseoir de l’autre côté de l’aîné des Archer.

 La Fée Clochette. On dirait une version punk de la Fée Clochette.

Un sourcil foncé s’est soulevé derrière ses lunettes, et je lui ai fait un petit sourire. C’est vrai que je ressemblais un peu à une fée de dessin animé. Petite, j’avais des cheveux blonds ébouriffés qui partaient dans tous les sens, et mes yeux étaient de deux couleurs différentes. J’avais aussi une manchette de fleurs et de dentelles qui déchirait, du haut de mon épaule jusqu’à mon poignet sur le bras gauche. Voyante et colorée. J’adorais mon tatouage plein de vie et je changeais souvent mon piercing à l’arcade pour choisir une couleur qui y était assortie. Ce surnom m’allait bien, et je ne détestais pas que les mecs l’utilisent car cela me montrait qu’ils m’aimaient autant que je les aimais.

Rome a retiré ses lunettes de soleil et s’est frotté les yeux. Quand il a arrêté, j’ai vu non seulement que ses yeux étaient du plus beau bleu clair que j’aie jamais vu, mais ils étaient aussi injectés de sang et encerclés par des cernes foncés. C’était sans aucun doute un beau gosse, mais il avait une sale gueule.

— Je n’aurais pas dû venir. Ce n’est tellement pas normal, tout ça. Tout le monde fait comme si Rule et Shaw jouant au papa et à la maman était un truc dont on doit se réjouir. Mais ça va se casser la gueule, ils vont finir par se détruire, et ce sera à moi de ramasser les morceaux.

Au début, j’ai cru que je l’avais mal compris, mais j’ai vu Nash faire la grimace et Rowdy, un autre collègue du salon, se crisper. Jusqu’ici, il semblait être le seul invité de cette journée à ne pas non plus faire partie du fan-club de Rome Archer. Et tant mieux, car Rowdy était probablement le seul du groupe qui pouvait valoir quelque chose face à Rome, physiquement, s’il décidait de foutre le bordel.

— Mec, détends-toi. Tu devrais être heureux pour Rule et Shaw. C’est ta famille.

Nash était toujours le plus posé de la bande, mais j’entendais la tension présente dans sa voix.

J’ai joué avec la languette de ma canette et ai froncé les sourcils. Je n’allais pas laisser ce mec gâcher la journée de mes amis. Ses yeux, vraiment trop beaux pour faire partie d’un visage si amer, se sont plissés en regardant Nash et j’ai littéralement senti la chaleur de la colère qui se libérait de ses larges épaules. Jusqu’alors, je n’avais rien dit, me contentant d’observer. J’avais siroté ma bière tranquillement et j’avais laissé tout le monde essayer de faire en sorte qu’il se détende. J’étais là pour m’amuser, profiter de mes amis, fêter l’emménagement de deux personnes que j’adorais et le bonheur de deux autres jeunes mariés, toutes ces personnes que je considérais comme mon clan. Mon groupe d’amis était petit à petit en train de se mettre deux par deux, et cela méritait une fête. Je savais combien c’était difficile de trouver le partenaire parfait, et j’étais heureuse que les gens que j’aimais y soient parvenus. Capitaine Grognon avait intérêt à se mettre à la page très vite, ou il allait entendre parler de moi.

— Rien de tout ça n’est bon pour personne. Je ne sais pas ce que je fous là. C’est une blague. Vous n’avez pas la moindre idée de ce que vous faites, ou de ce à quoi ressemble le vrai monde.

J’ai vu Nash rester bloqué, surpris, et Rowdy se lever. J’ai plissé les yeux à l’instant où ceux de Rome se tournaient vers moi. Il pensait peut-être que je n’étais pas dangereuse car je lui arrivais à peine au coude. Il pensait peut-être que j’étais gentille parce que je portais un petit haut rose à dos nu et un short blanc, et que je n’avais pas l’air menaçante. Il pensait peut-être que j’étais docile parce que je ne m’étais pas permis de lui dire quoi que ce soit depuis qu’il avait débarqué et s’était mis à gâcher mon joli jour férié. J’ai haussé mon sourcil décoré d’un petit cristal rose et lui ai rendu son regard.

Quoi qu’il ait pu penser, je suis sûre que je lui ai donné tort quand je me suis levée très calmement, que je me suis penchée vers lui, et que j’ai renversé le reste de ma bière sur sa tête, avant d’écraser ma canette dans mon poing. La bière a coulé au ralenti sur son visage choqué et je me suis rapprochée jusqu’à ce que nos nez se touchent presque.

— Tu es vraiment un connard !

Je savais que le volume de ma voix portait jusqu’à l’autre bout du jardin, et j’ai entendu des pas rapides dans notre direction. Ses yeux électriques ont cligné en me regardant, et j’allais me lancer dans un discours sur le respect et les bonnes manières, et le fait d’être un con sans raison apparente, mais un gros bras m’a saisie à la taille et m’a soulevée contre un torse ferme. Le grand bonhomme s’est levé, mais avant qu’il puisse faire quoi que ce soit, Rowdy s’est interposé entre lui et Nash qui me transportait vers la terrasse, loin du géant détrempé et grimaçant.

J’ai pointé un doigt vers lui et je l’ai regardé essuyer le liquide poisseux de ses yeux.

— On n’a pas besoin de ton pessimisme, Capitaine Grognon. Pourquoi tu ne vas pas répandre ta négativité ailleurs ? Putain, tu peux même la ramener dans le désert, je m’en fous ; on s’en sortait très bien sans toi. Ce n’est pas parce que tu ne trouves aucune raison d’être content que tu dois chier sur ceux qui essaient d’être heureux !

J’ai lâché un souffle quand Nash m’a serrée fort pour m’avertir de me taire, je lui ai retourné le compliment en lui donnant un coup de coude dans les côtes. Il a grogné et m’a déposée sur la terrasse, là où se trouvait Shaw tout à l’heure. Nous avons tous regardé Rule s’avancer face à son frère sans rien dire. J’avais envie de crier à Shaw de ne pas s’en mêler, mais si Rule pétait un plomb, il n’y avait qu’elle qui pourrait éteindre l’incendie. Je m’en suis un peu voulu d’avoir mis les pieds dans le plat alors que je ne connaissais pas vraiment Rome.

Leurs voix masculines et fortes ont échangé de vilains mots, et nous avons tous retenu notre souffle quand Rule a tendu le bras et a poussé Rome, qui a reculé d’un pas et renversé une chaise par la même occasion. Rowdy a pris Shaw dans ses bras et l’a tirée de là et j’ai senti une pointe de culpabilité car j’avais provoqué cette scène alors que nous étions censés faire la fête.

Même si je savais que Rule dépassait son frère de loin dans la catégorie du mauvais caractère, Rome était indéniablement plus grand et bâti comme une bête. S’il voulait vraiment faire mal à Rule, il allait passer un mauvais moment et les autres gars seraient obligés d’intervenir. Je me suis mordu la lèvre et j’ai essayé de me tortiller pour que les mains de fer de Nash me lâchent, mais il m’a serrée encore plus fort.

— Tu as réveillé le chat qui dort, Clochette, donc tu as intérêt à ce que quelqu’un puisse le rendormir.

Je me suis exclamée de surprise et j’ai réprimé le besoin de mettre mes mains devant mes yeux lorsque Rome a tendu le bras et fait tomber Rule par terre en le poussant sur le torse. Il lui a dit quelque chose à voix basse mais personne sur la terrasse n’a entendu, et j’ai vu Shaw exploser en larmes et se retourner contre le torse de Rowdy. J’aurais juré que ses yeux bleus avaient cherché les miens avant qu’il tourne les talons de ses grosses bottes noires et sorte du jardin en trombe. Le portillon a continué à trembler sur ses gonds après qu’il soit parti et le rugissement de sa moto a noyé tous les autres bruits alors que Rule se relevait et allait vers sa copine en larmes.

Nash m’a serrée une dernière fois et m’a lâchée.

— Tu ne peux pas t’en empêcher, hein, Cora ?

J’ai croisé les bras avec un air de défi et me suis assise à côté du seul membre de notre groupe qui avait l’air de rester insensible à ce cirque. Le fait qu’il ait encore un plâtre sur toute la jambe et tout un tas de côtes cassées, de bosses et de bleus après son passage à tabac devait aussi aider. Asa Cross était une énigme et avait eu assez de mélodrame dans sa vie pour que nos histoires lui semblent probablement anecdotiques et ennuyeuses.

— C’est un con.

Nash a secoué la tête en me regardant et ses yeux bleu pervenche avaient l’air de me faire des reproches.

— Non, ce n’est pas un con. Je ne sais pas ce qu’il a, mais depuis qu’il est sorti de l’armée, il est bizarre. Mais c’est un mec bien. Tu sais que je ne le défendrais pas si je ne le pensais pas sincèrement.

J’ai levé les yeux au ciel.

— Il est dégueulasse avec Rule et Shaw, et je ne vais pas me contenter de le regarder faire.

— C’est des histoires de famille. Rule peut se défendre tout seul, et il ne laissera rien de mal arriver à Shaw. Calme-toi, d’accord ? On s’en occupe. Rome n’est pas… comme il est en ce moment, OK ?

J’ai soupiré et ai pris la tranche de pastèque que me tendait le bellâtre aux yeux dorés qui me servait de coloc depuis un mois. J’ai fait un clin d’œil à Asa et un signe de la main à Nash.

— Je vous aime, les gars. Mais Rome doit s’attaquer à quelqu’un de sa taille.

Mes cheveux ont été ébouriffés par Nash alors qu’il descendait de la terrasse.

— Toi par exemple ?

— Est-ce que tu te moquerais de ma taille ?

Je n’ai pas eu de réponse et il est parti en descendant les marches de la terrasse, mais son rire grave traînait derrière lui. J’ai fait une grimace puis Jet et Ayden, les deux jeunes mariés avec qui Asa, le frère rebelle d’Ayden, et moi partagions une maison, ont attiré mon attention. Ils se câlinaient et étaient trop mignons pour que je les ignore.

— Vous voyez… Je l’ai toujours dit, vous êtes parfaits tous les deux. C’est ça que je veux.

Je savais que j’avais l’air mélancolique, mais je ne pouvais pas cacher mon envie de ce genre d’amour, de relation. J’avais cru l’avoir une fois, et quand j’avais réalisé que ce n’était pas le cas, cela m’avait presque cassée.

— Je n’arrête pas de te dire que tu as trop d’exigences.

Jet avait dit ça sur un ton léger, mais il ne connaissait pas l’histoire de mes fiançailles annulées et de mon ex qui avait prévu de se marier à la fin de cet été.

— L’amour, ce n’est pas parfait. C’est du boulot et parfois il faut faire plus d’efforts pour être amoureux que pour s’enfuir. Si tu continues à chercher la perfection, tu vas passer à côté du grand amour.

Je lui ai fait un signe nonchalant de la main car je savais qu’il parlait en connaissance de cause. Sur la route qui l’avait mené à Ayden, ils n’avaient pas manqué de s’arrêter une fois ou deux à Stupidville, mais ils y étaient arrivés et je ne pouvais qu’espérer un tel résultat. Je me suis rassise à côté d’Asa et je le voyais prendre des notes mentalement sur chacun d’entre nous. Les rouages derrière ses yeux dorés semblaient tourner en permanence.

— Je saurai quand je le verrai.

J’ai dit cela à Jet, mais en réalité c’est moi que je cherchais à convaincre. Je ne me ferais pas avoir par un joli visage et des promesses de dévotion. Je ne finirais plus jamais par être le vieux torchon de quelqu’un. Le fait que tant de mes amis tombent la tête la première dans « ils vécurent heureux » donnait à mon cœur fatigué l’espoir que c’était bientôt mon tour.

Quand le faire-part de mariage que Jimmy m’avait cruellement envoyé par la poste avait atterri entre mes mains, cela avait été un signal. J’avais aimé un mec qui m’avait trompée, m’avait menti, avait fait de moi la risée de tout le monde. Je voulais passer ma vie avec lui, monter une entreprise avec lui, et avoir des enfants avec lui. La totale. Lui, en revanche, voulait coucher avec ses clientes tatouées et me faire marcher le plus longtemps possible. Si je n’étais pas retournée au salon un soir parce que j’avais oublié quelque chose, et que je ne l’avais pas surpris avec une fille à peine sortie de l’adolescence, je serais certainement mariée à ce sale rat à l’heure qu’il est.

Encore aujourd’hui, ce qui me faisait le plus mal était qu’à l’époque les gens savaient. Les gens que je considérais comme mes amis, les collègues que je considérais comme ma famille, ils savaient et personne n’a rien dit. Ils m’ont laissée passer pour une conne, ont laissé Jimmy me mettre en danger, se servir de moi et m’humilier, sans dire un mot. C’était terrible. Si Phil, un vieux copain de mon père, n’était pas venu lui rendre visite au moment où tout s’effondrait, je ne sais pas ce que je serais devenue. Les gars du Marked m’avaient sauvée.

— Ayd et Jet viennent de filer discrètement par le portillon. On dirait que tu vas devoir ramener l’estropié.

J’ai regardé Asa puis le portillon, qui était en effet en train de se refermer. J’ai fait un petit commentaire sur la phase lune de miel, mais je ne suis pas allée beaucoup plus loin car Shaw est venue s’asseoir à côté de moi en essuyant les larmes sur ses joues avec le dos de sa main. Les autres mecs ont suivi, avec les restes maintenant brûlés du barbecue que Rule avait abandonné.

J’ai tendu la main pour tapoter la cuisse de mon amie. Shaw était une belle fille. Elle avait cette beauté aérienne et surréaliste à laquelle il fallait une minute pour s’habituer. Mon cœur s’est pincé de compassion en voyant ses grands yeux verts aussi tristes. Personne ne voulait faire pleurer Shaw, c’était comme donner un coup de pied à une princesse de conte de fées déjà à terre.

Les gars se sont tous rassemblés autour de la nourriture et ont distribué une nouvelle tournée de bières. Apparemment, ils adoptaient la manière masculine consacrée d’affronter les choses, c’est-à-dire ignorer toute l’histoire. Je ne pouvais pas vraiment leur en vouloir. Aucun d’entre eux ne semblait vouloir dire à Rome que son comportement était ridicule, et je les connaissais tous assez bien pour savoir combien ils étaient têtus une fois qu’ils avaient décidé quelque chose.

— Ça va ?

Shaw a cligné des yeux et m’a fait un demi-sourire. C’était tout elle, elle voulait toujours que tout aille bien pour tout le monde.

— Je vais survivre. Une partie de moi pense qu’ils devraient se taper dessus une bonne fois pour toutes et sortir tout ce qu’il y a entre eux. Mais je ne crois pas que Rule saurait s’arrêter et Rome pourrait le tuer s’il perdait le contrôle. Je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé pendant sa dernière période de service, mais ce n’est pas le mec avec qui j’ai grandi.

J’ai haussé un sourcil et pris l’assiette que Rowdy me tendait en s’asseyant en face de moi et posant ses pieds sur l’accoudoir de mon fauteuil. Je lui ai fait une grimace, mais je lui ai pardonné quand il m’a lancé une bière.

— Tu sais, vous n’arrêtez pas de dire ça, mais j’avais rencontré le grand frère avant et il ne m’a jamais paru être un grand rigolo. Il a toujours été assez coincé.

Shaw a pris l’assiette que Rule lui tendait et s’est décalée sur le banc pour lui faire de la place. Ils étaient un drôle de couple au premier coup d’œil, mais l’amour qu’ils partageaient était palpable et je faisais vraiment des efforts pour ne pas être jalouse.

— Je crois qu’il se passe des trucs pas simples dans sa tête.

La voix grave de Rule était rauque et je voyais qu’il ruminait la dernière dispute avec son frère. J’ai ouvert ma bière et ai apporté ma petite contribution.

— Qu’est-ce qu’on en a à faire, de ce qu’il y a dans sa tête ? Il joue au con sans aucune raison. Qu’il aille se faire foutre.

Rowdy a secoué la tête et Shaw et Rule ont levé les yeux au ciel. Comme d’habitude, c’est Nash qui a joué la voix de la raison.

— On ne peut pas juste abandonner les gens qui comptent pour nous, Cora. Tu le sais.

Je le savais. Ce groupe était férocement loyal, et c’était pour cela que je les aimais autant. Mais je détestais voir une personne provoquer tant de conflit avec toutes ces personnes différentes et merveilleuses.

— Je dois dire que je suis content qu’il n’ait pas le même caractère que toi, Rule. Je crois que si je m’étais pris un coup avec les paluches qu’il a, j’aurais fini comme Asa, a dit Rowdy en faisant un signe vers le playboy du Sud, une bière à la main.

Asa s’était fait tabasser si violemment qu’il était resté plusieurs semaines dans le coma. C’était un miracle qu’il s’en soit sorti avec aussi peu de séquelles. Rule a grogné et a passé son bras libre autour de Shaw qui s’appuyait contre lui. Ils étaient vraiment mignons. J’ai dû retenir un soupir envieux. Rule a jeté un œil au portillon par lequel Rome était parti et a dit :

— Il n’a jamais été bagarreur. Je veux dire, quand on était plus jeunes, il s’en mêlait quand il fallait nous venir en aide, à Nash et moi, mais il n’était pas du genre à ouvrir les hostilités. C’est pour ça que je ne comprends pas ce qu’il lui arrive ces derniers temps. Mais j’en ai marre.

Nash a ricané et a pointé sa fourchette vers moi.

— Pour être honnête, c’est plutôt Clochette qui a commencé, aujourd’hui. Était-ce vraiment nécessaire de l’arroser de bière ?

J’ai essayé de prendre un air innocent mais je n’étais pas très crédible, donc j’ai fait un sourire impuissant.

— J’aurais pu lui mettre un coup de poing dans le nez, mais je n’avais pas d’escabeau sous la main.

Cela a fait rire tout le monde, et permis d’alléger la mauvaise ambiance que Rome avait laissée. Nous avons fini de manger et bu quelques bières de plus. En tout cas les autres ont bu. Il fallait que je ramène Asa à la maison en voiture et je n’allais pas risquer un retrait de permis, par cette journée où les contrôles de police fleurissaient à chaque tournant. Les gars, ces grands enfants couverts de tatouages, ont attendu qu’il fasse nuit et sont partis dans le jardin pour allumer des feux d’artifice.

Je me suis retrouvée seule sur la terrasse avec Shaw et j’ai remarqué que malgré les restes de tristesse sur son visage, elle respirait le bonheur. J’ai passé un bras autour de ses épaules et ai posé ma tête contre la sienne. J’étais plus vieille que Shaw. La pauvre avait souffert ces dernières années, et je savais qu’elle méritait chaque miette du bonheur qu’elle ressentait en ce moment.

— Tu t’en es bien sortie, gamine. Tu as ton mec, la maison est super, et tout ça, c’est des bonnes choses. Ne te prends pas la tête pour le reste. Rule et toi, profitez de l’instant et oubliez le reste.

Je l’ai sentie rigoler et elle a levé le bras pour serrer la main que j’avais jetée sur son épaule. Le ciel s’est illuminé de plein de couleurs différentes et des rires masculins se sont envolés du jardin.

— Parfois je me sens égoïste. J’ai tout ce que j’ai toujours voulu et ce n’est pas toujours parfait, mais il y a plus de bons jours que de mauvais. J’ai l’impression que je n’ai pas le droit de demander plus.

Elle a soupiré si profondément que je l’ai ressenti en moi.

— Rome ne croit pas en nous et ça me fait du mal, je ne sais pas pourquoi il est si énervé. J’aime Rome comme un frère depuis aussi loin que je me souvienne, donc ça me blesse profondément.

— Ça va s’arranger, tu verras.

Elle est restée silencieuse pendant longtemps et nous avons regardé les mini-explosions et souri aux garçons, qui avaient l’air de s’éclater. Il aurait peut-être fallu leur faire remarquer que l’alcool et les feux d’artifice ne faisaient pas bon ménage. Mais Capitaine Grognon était parti et je ne voulais pas jouer la police du rire.

— Est-ce que je t’ai déjà dit que tu es la personne la plus intelligente que je connaisse, Cora ?

Je l’ai vraiment pris comme un compliment, sachant que cette fille était bien partie pour devenir docteur.

— Je dis simplement les choses.

C’était vrai. Je venais de la côte Est, de Brooklyn pour être exacte, et j’étais la fille unique d’un marin de carrière qui n’avait pas la moindre idée de quoi faire de sa fille rebelle. J’aimais mon père, il était ma seule véritable famille, et je savais qu’il m’aimait aussi. Mais nous n’avions pas de lien fort, et en conséquence, j’avais appris très jeune à parler honnêtement et à ne pas tourner autour du pot. C’était la seule façon que nous avions de communiquer. Alors s’il fallait que quelqu’un aille voir Rome Archer pour lui dire de se sortir sa tête d’idiot de son cul, je me dévouerais volontiers. Je ne l’idolâtrais pas, je n’avais pas peur de lui, et qu’il soit géant ou pas, je n’allais pas continuer à le laisser causer autant de peine aux gens qui comptent pour moi.

 

 

 

 

 

Chapitre 2

Rome

Je n’arrivais pas à croire que ce petit farfadet taré avait eu le culot de me renverser sa bière sur la tête. Premièrement, elle m’arrivait à peine à l’épaule, et deuxièmement, elle avait l’air d’un bonbon ambulant. Tout était si coloré chez elle que cela faisait mal aux yeux.

J’aurais dû être furieux, mais elle avait raison, j’étais un trou du cul. Je n’avais aucune raison de mal parler à Nash, ni de me battre avec Rule. Je cherchais juste une cible sur qui lâcher mes frustrations, et c’était les gens les plus proches de moi qui payaient. C’était peut-être plus facile de déverser mon exaspération sur eux, car je savais instinctivement qu’ils me pardonneraient.

Il fallait que je trouve un endroit où prendre un verre et me remettre la tête en ordre. Un endroit sombre et silencieux, où personne n’attendrait rien de moi, ne voudrait que je me comporte de telle ou telle certaine façon. J’en avais assez de ne pas correspondre à ce que l’on attendait de moi. Je n’étais pas un homme indolent par nature. J’étais habitué à l’action, à être responsable, à prendre des initiatives, et les seules choses que j’avais réussi à accomplir depuis que j’étais revenu à Denver étaient d’énerver toutes les personnes que je croisais et de boire mon poids, non négligeable, en vodka. J’étais sur une mauvaise pente, mais je me sentais incapable de m’arrêter de glisser. Cette journée en était la preuve.

Je me suis arrêté dans le premier bar qui avait l’air de pouvoir supporter mon humeur actuelle. Le Jour de l’Indépendance, mon cul. J’avais eu largement assez de festivités et de bonne humeur pour toute une vie. Je voulais seulement me plonger la tête dans le sable et remonter le temps, à un moment de ma vie confortable et familier. Je détestais ce sentiment d’être un visiteur dans ma propre vie, et peu importe ce que je me disais tous les matins en me levant, je ne pouvais pas me débarrasser de cette impression. Avec ma famille, cela n’allait pas. Je n’arrivais pas à me faire à la nouvelle dynamique de ma relation avec Rule, à m’habituer à ce que mon petit frère égaré et imprudent prenne soin de Shaw. Dormir chez Nash le temps de me débrouiller dans ce bordel ne me convenait pas. Ne pas avoir de perspective de boulot me permettant de subvenir à mes besoins autrement qu’en me battant sur le front était peut-être ce qui allait le moins.

Le bar était sombre, et ce n’était pas un endroit pour ceux qui voulaient sortir et prendre un cocktail. Au fond, autour de plusieurs tables de billard usées, il y avait un paquet de gars avec un look de motards et un air pas commode. Plus près de l’entrée, il y avait des hommes plus âgés qui semblaient ne jamais quitter le tabouret du bar pour rentrer chez eux et se laver. Neil Young passait sur les haut-parleurs même si personne n’était du genre à chanter les paroles. Ce n’était pas un bar pour les citadins branchés et hipsters qui envahissaient Capitol Hill dès que les températures remontaient. Je me suis installé à une place libre au comptoir et ai attendu que le mec qui s’occupait du bar vienne jusqu’à moi.

Il faisait quasi ma taille, ce qui était rare, mais il avait trente bonnes années de plus que moi. Il avait une barbe où aurait pu vivre toute une famille d’écureuils, des yeux couleur de charbon, et l’attitude inébranlable que seuls ceux qui ont vu les pires choses du monde et en sont sortis vivants peuvent avoir. Je n’ai pas été surpris de voir un tatouage des Marines sur son avant-bras massif quand il s’est placé en face de moi et a posé un vieux sous-boc sur le comptoir. Je l’ai vu m’évaluer d’un coup d’œil, mais j’avais l’habitude. J’étais un balèze et les autres balèzes aimaient savoir si j’étais le genre d’ennuis qu’ils pourraient maîtriser ou pas.

— Garçon, tu sens déjà le fond de bouteille. Tu es sûr qu’il te faut un autre verre ?

J’ai froncé les sourcils avant de me rappeler que la petite blonde m’avait renversé de la bière sur la tête. En voyant mon tee-shirt encore collant, je me suis dit qu’elle aurait pu trouver un meilleur moyen de faire passer son message. Je ne savais pas quoi penser de Cora Lewis. Elle était souvent là, nous n’avions jamais beaucoup parlé, elle était trop extravertie et avait tendance à exagérer, ce qui expliquait la douche de Coors Light à laquelle j’avais eu droit. Cela me faisait mal au crâne d’être près d’elle, et je n’aimais pas la façon dont ses yeux dépareillés semblaient me disséquer.

J’ai enlevé mes lunettes que j’avais remontées sur ma tête et les ai accrochées au col de mon tee-shirt.

— Je me suis disputé avec un mauvais lutin, et il a renversé son verre sur ma tête. Mais ça va.

Le mec m’a regardé des pieds à la tête et a dû trouver que cela allait, car sans que j’aie rien à demander, une chope de bière est apparue devant moi, avec un shooter d’un liquide fort et ambré. En général je buvais plutôt de la vodka, mais quand la brute baraquée s’en est servi un aussi et est revenue vers moi, je n’ai pas osé me plaindre.

Il a haussé un sourcil touffu et a tapé le bord de son verre contre le mien.

— Tu es de l’armée ?

J’ai hoché la tête et ai avalé l’alcool d’un coup. Cela m’a brûlé jusque dans le ventre. Si je ne me trompais pas, c’était du Wild Turkey.

— J’étais. Je viens de rentrer.

— Tu as servi combien de temps ?

J’ai passé une main sur mes cheveux encore courts. Après les avoir eu rasés si longtemps, je ne savais pas vraiment quoi en faire.

— Presque dix ans.

— Tu faisais quoi ?

C’était une question à laquelle je ne répondais pas d’habitude, car honnêtement, la réponse était longue et ceux qui n’avaient pas fait partie de l’armée ne comprenaient pas.

— J’étais meneur d’opérations de terrain.

L’homme-ours qui me faisait face a laissé échapper un long sifflement.

— Forces spéciales ?

J’ai grogné en réponse et j’ai pris la bière.

— Je parie qu’ils étaient tristes de te voir partir.

Le truc, c’est que c’était plutôt moi qui étais triste de partir. Mais je ne pouvais plus être en service actif. Mon épaule avait pris un coup lorsque nous avions roulé sur un EEI lors de mon dernier déploiement, et puis il y avait toutes sortes de choses qui me trottaient dans la tête et qui avaient tendance à me déconcentrer. J’aurais pu avoir un boulot dans un bureau, et former la génération qui venait après moi. Mais je n’étais pas le meilleur des professeurs et de toute façon, être coincé à un bureau ne valait pas mieux que partir à la retraite, à mes yeux. Donc j’étais parti et maintenant je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais faire du reste de ma vie.

— Et toi ?

J’ai fait un geste vers le tatouage sur son bras.

— Combien de temps tu as fait ?

— Trop longtemps, fils. Beaucoup trop longtemps. Qu’est-ce qui t’amène aujourd’hui ? Tu n’es pas un habitué.

J’ai lancé un regard autour de moi et j’ai haussé les épaules. Pour l’instant, cet endroit correspondait parfaitement à mon humeur.

— Je suis sorti prendre un verre en l’honneur de l’Amérique, comme un bon patriote.

— Comme nous tous.

— Ouaip.

J’ai dû combattre l’envie de boire la bière cul-sec.

— Moi c’est Brite, et c’est mon bar, ici. Je l’ai récupéré quand je suis sorti et que j’ai fini par passer plus de temps au bar qu’à la maison. J’ai survécu à trois femmes et à un triple pontage, mais le bar ne bouge pas.

J’ai haussé mon sourcil qui était traversé par une cicatrice, et j’ai senti le coin de ma bouche remonter pour former un petit sourire.

— Brite ?

Le mec ressemblait à un bûcheron ou un motard à l’ancienne, ce nom ne collait pas vraiment au personnage.

Un sourire s’est frayé un chemin à travers sa barbe et ses dents blanches étaient le seul point de lumière du bar.

— Brighton Walker, on m’appelle Brite.

Il m’a tendu la main, que j’ai serrée par réflexe.

— Rome Archer.

Il a fait un petit hochement de tête et s’est déplacé pour aller voir un autre client.

— C’est un vrai nom de guerrier.

J’ai fermé rapidement les yeux et ai essayé de me souvenir de ce que cela faisait d’être un guerrier. J’avais l’impression que c’était à un million de kilomètres de ce tabouret de bar. La musique est passée à AC/DC et j’ai décidé que ce bar était mon nouvel endroit préféré.

J’étais venu sur ma Harley, donc j’aurais dû me calmer sur la boisson. Un retrait de permis serait vraiment la cerise sur le gâteau de merde que je mangeais tous les jours, mais rien de tout cela ne semblait vraiment m’importer. À un moment, j’ai pris un autre shooter avec Brite et le tabouret à côté de moi a été déserté par le vieil homme grisonnant qui avait passé une heure à se plaindre de sa femme et de sa copine, et une rousse trop maquillée et pas assez habillée l’a vite remplacé. Si j’avais bu moins de bières, j’aurais tout de suite vu qu’elle sentait les ennuis. Brite lui a dit de se tirer, un conseil qu’elle a tranquillement ignoré. Elle était mignonne, dans le genre « je prends du bon temps, on va chez toi », et je ne me souvenais pas de la dernière fois que j’avais ramené une fille d’un bar. Quand j’étais à l’étranger, il y avait une femme agent de renseignement avec qui je m’amusais quand nous étions au même endroit au même moment, mais cela faisait des mois que je ne l’avais pas vue. Peut-être qu’un coup rapide et un peu glauque était exactement ce qu’il me fallait pour vaincre le nuage noir qui pesait au-dessus de ma tête depuis mon retour.

— Comment tu t’appelles, chéri ?

Sa voix était grinçante et me faisait mal à la tête, mais j’étais assez imbibé pour l’ignorer.

— Rome.

J’ai vu ses yeux sur-maquillés sauter vers quelque chose derrière moi, et cela aurait dû être un premier indice.

— C’est un nom original. Moi, c’est Abbie. Maintenant qu’on est amis, pourquoi on ne sortirait pas d’ici pour apprendre à mieux se connaître ?

Elle a passé un ongle verni sur mon biceps et sans que je sache pourquoi, sa couleur rouge sang a fait remonter, derrière ma vision déjà trouble, des images qui n’avaient rien à voir avec ce bar. J’ai commencé à me reculer, pour que ces doigts qui avaient un mauvais effet sur mon cerveau embrumé me lâchent, mais une lourde main est tombée sur mon épaule derrière moi. J’étais un soldat formé au combat, et surtout, j’étais un homme dont le frère avait attiré les ennuis depuis sa naissance. Je savais les repérer à un kilomètre. Je savais comment cela fonctionnait, comment cela sonnait, et pourtant j’avais continué à boire et ignoré tous les signes qui se manifestaient autour de moi. Du coin de l’œil, j’ai vu Brite froncer les sourcils en regardant la personne qui se tenait derrière moi, et même dans mon hébétement de bourbon et de bière, je savais que ça ne sentait pas bon.

J’ai soupiré discrètement, et je me suis retourné en m’accoudant au comptoir. Je n’aurais pas dû être surpris de voir toute la bande de motards m’encercler. Le mec qui avait sa patte sur mon épaule était un petit gars rachitique et mon cerveau alcoolisé a noté qu’il ne portait pas les couleurs du club de moto, ce qui voulait dire que c’était soit une pièce rapportée, soit un prétendant, et j’étais le petit veinard qu’il avait choisi pour essayer de faire ses preuves. Parfois, c’était nul d’être une armoire à glace.

— Est-ce que je peux vous aider ?

La rousse était partie depuis longtemps et Brite était en train de faire le tour du comptoir. Les plus vieux restaient sur place et ignoraient l’ouragan qui se préparait comme seuls les ivrognes de carrière savent le faire.

— Tu essaies de draguer ma meuf, GI Joe ?

C’était nul et tellement prévisible que j’ai levé les yeux au ciel. J’avais connu assez de bars partout dans le monde pour savoir qu’une baston n’était qu’une baston, mais en ajoutant un apprenti biker dans l’équation, cela pouvait devenir très laid.

— Non. J’essayais de me bourrer la gueule, et elle m’a interrompu.

Je crois qu’ils ne s’attendaient pas à ça car quelques gloussements ont parcouru le groupe. Le maigrichon a bombé le torse et a tendu un doigt qu’il poussa sur ma poitrine. En temps normal, je pouvais tout simplement partir pour éviter ce genre de choses. Généralement, j’avais la tête froide. Je ne me battais pas, à moins que ce soit pour défendre quelque chose en quoi je croyais vraiment sincèrement, ou défendre quelqu’un que j’aimais, mais ce n’était pas le bon jour pour me provoquer.

J’ai donné une claque à la main du mec et j’ai parcouru la pièce des yeux. Je ne voyais aucun matériel disponible, mais les motards étaient connus pour cacher des couteaux à des endroits improbables. Qui plus est, Brite avait l’air d’être un mec correct, je ne voulais pas foutre son bar en l’air si je pouvais l’éviter.

— Écoute, mec, tu n’as pas vraiment envie de faire ça, et moi non plus. On sait tous les deux que c’est toi qui as envoyé la fille pour essayer de chercher la merde, donc autant en rester là. Je vais me tirer, et toi et tes potes pouvez retourner fumer votre clope au billard. Pas besoin de faire saigner quelqu’un ou de passer pour un con. OK ?

Avec le recul, essayer de raisonner une bande de motards alors que j’étais saoul ne pouvait qu’avoir un faible taux de réussite. En un clin d’œil, on m’a cassé une bouteille sur la tête et je me suis retrouvé dans une prise d’étranglement. Le maigrichon avait l’air de vouloir me tuer et le reste de son équipe restait là à regarder ce qu’il savait faire. Je ne voulais vraiment pas lui faire de mal, mais la bouteille avait arraché un bon morceau de peau de ma tête et une rivière de sang coulait abondamment dans mes yeux. Tout comme le vernis rouge sur les ongles de la pouffe, la vue de mon propre sang m’a transporté ailleurs. Je ne me battais plus avec un motard vantard et stupide, mais je me battais pour ma vie, pour la liberté, pour la sécurité de ma famille et de mes amis. Et ce pauvre gamin n’a pas compris ce qu’il lui arrivait.

J’avais déjà un avantage certain sur le mec de par ma taille, ajoutez à cela le fait que j’étais un soldat éprouvé au combat et formé par les meilleurs du pays, et c’est vite devenu moche et sanglant. Je me fichais que les bikers soient tellement plus nombreux que moi, j’allais sortir de ce bar en un seul morceau, peu importe ce que je devais faire pour cela.

Des tabourets ont été cassés. Des verres ont volé. Des têtes ont frappé le sol. Je crois qu’à un moment j’ai entendu quelqu’un pleurer, et quand tout s’est enfin terminé, j’étais penché en avant avec mes mains sur les genoux, et du sang qui ne coulait plus seulement de ma tête mais aussi de mes mains et mes côtes, où j’avais pris un sale coup de couteau. Les motards s’étaient tirés pour la plupart, et je n’ai pas été surpris de voir Brite me fixer des yeux, une batte de base-ball à la main.

— Qu’est-ce que c’était que ce bordel ?

J’aurais bien voulu rire, mais je crois que la coupure sur mon flanc était plus grave que ce que j’avais pensé au début.

— Une façon vraiment pourrie de te remercier pour ton accueil ?

Le vieil homme n’a pas apprécié mon humour, il m’a insulté et m’a douloureusement remis debout.

— Je ne crois pas que ce petit con va gagner sa place dans la bande de sitôt.

J’ai écopé d’un regard critique et d’un soupir de sa part.

— Il te faut un docteur.

Ce n’était pas une question. J’ai essayé d’essuyer le sang de mon visage avec le dos de ma main mais je n’ai fait que l’étaler tandis que ma blessure gouttait assidûment par terre.

— Je suis venu en moto. Je ne crois pas que je puisse monter dessus, là.

Il a secoué la tête, a mis deux doigts dans sa bouche et a lancé un sifflement assourdissant.

— Tout le monde, finissez vos verres et dehors. On ferme.

Quelques récalcitrants ont râlé mais quinze minutes plus tard, Brite fermait la porte à clé, me faisait sortir par l’arrière et me poussait dans l’habitacle bien abîmé d’un vieux pick-up Chevrolet.

J’ai appuyé ma tête contre le dossier et ai adressé un sourire contrit au vieil homme.

— Je paierai pour les dégâts dans le bar. Je suis désolé.

Il m’a répondu en ricanant et m’a regardé en plissant les yeux.

— Essaie déjà de ne pas te vider de ton sang avant qu’on arrive aux urgences, fiston.

Comme si j’avais le choix.

— Les Sons of Sorrow traînent tout le temps au bar. Les plus vieux, c’est des bons gars. Une bonne partie d’entre eux sont d’anciens militaires et ils comprennent pourquoi mon bar est là, donc en général ça ne me dérange pas qu’ils viennent. Mais les jeunes qui essaient de se faire une place foutent la merde. Ce n’est pas la première fois qu’il y a du sang par terre et je doute que ce soit la dernière. Viens me voir quand tu auras dessaoulé et que tu seras recousu et on verra ce que tu peux faire pour me dédommager. Faut que je te dise, tu es un sacré bon combattant, fils.

J’aurais bien haussé les épaules mais la coupure sur mes côtes commençait à brûler et j’avais du mal à ignorer le sang chaud et poisseux qui coulait entre mes doigts, donc je me suis contenté de grogner.

— Je ne crois pas. Je déteste me battre mais c’est ce que j’ai fait pour gagner ma vie pendant trop d’années. Et le seul moyen de s’en sortir vivant est d’être meilleur que le mec d’en face.

J’ai fermé les yeux et ai prié en silence pour que nous ne croisions plus de feux rouges sur la route. Ma vision commençait à se troubler. La voix de Brite était rauque quand nous sommes arrivés sur le parking des urgences.

— C’est franchement dommage, fils.

Je ne savais pas quoi répondre car il avait raison. C’était dommage.

Je n’ai pas été admis tout de suite. Je suppose qu’un coup de couteau et un crâne ouvert passaient après les doigts explosés par des feux d’artifice, aujourd’hui. Je ne voulais pas que Brite reste pour m’attendre, donc j’ai téléphoné à Nash et lui ai laissé un message confus pour lui dire que j’aurais besoin que l’on vienne me chercher dans la soirée. Je savais que j’aurais dû appeler Rule ou Shaw, mais je n’étais pas encore prêt à les affronter. Et je savais que Nash viendrait sans poser de questions même si j’avais été un vrai connard.

— Je vais devoir laisser ma moto devant le bar, ce soir. Ce serait super si tu pouvais garder un œil dessus, au cas où le maigrichon serait mauvais perdant.

Brite a hoché la tête et j’ai à nouveau vu cet éclair blanc derrière son énorme barbe.

— Eh bien, je pourrais te dire que c’était sympa de faire ta connaissance, Rome Archer, mais j’ai été beaucoup de choses dans cette vie, et jamais un menteur.

Nous nous sommes serré la main et j’ai promis que je le tiendrais au courant quand je serais en meilleur état.

J’ai dû attendre longtemps avant qu’ils ne m’emmènent jusqu’à une petite salle stérile et tirent le rideau autour de mon lit et j’étais sûr que je ne restais conscient que par la force de ma volonté. J’étais en train d’enlever mon tee-shirt quand le rideau s’est tiré et qu’une très jolie infirmière est entrée, un dossier à la main. Elle était penchée sur ce qu’elle lisait et cela m’a donné une chance de l’observer. Elle avait de longs cheveux cuivrés et tressés en arrière de son visage vraiment charmant. Elle paraissait avoir quelques années de moins que moi, et je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer qu’elle avait des formes impressionnantes sous sa blouse.

— Salut.

Elle a levé la tête en entendant ma voix et cligné ses grands yeux gris en me regardant. Je ne sais pas si c’était la vue de mon torse nu ou le fait que j’étais désormais couvert de sang de la tête à la taille, mais elle avait l’air craintive.

— Bonjour, Monsieur Archer. On dirait que vous avez passé une soirée mouvementée.

— J’ai connu mieux, c’est sûr.

Elle a enfilé des gants blancs en latex et est venue près de moi.

— On va regarder dans quels ennuis vous vous êtes fourré, d’accord ?

Elle a examiné ma tête et j’ai essayé de ne pas fixer ses seins. C’était une très belle fille et cela diminuait un peu la douleur qu’elle provoquait en appuyant sur mes toutes nouvelles blessures de guerre.

— Comment vous vous appelez ?

Je n’avais pas vraiment besoin de le savoir, je ne la reverrais sûrement jamais une fois que je serais recousu, mais ses yeux étaient si doux et beaux que je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander.

Elle m’a fait un sourire sympathique et je crois qu’elle allait répondre à ma question quand quelqu’un a tiré le rideau : Nash. Ses yeux couleur bleuet étaient en feu, dans un mélange de colère et d’inquiétude. Les flammes tatouées sur chaque côté de son crâne ressortaient car la veine qui passait en dessous était gonflée à cause de son agacement.

— Est-ce que tu imagines ce que je vais me prendre de la part de Rule quand il va apprendre ça ? Putain Rome, c’est quoi ton problème, ces derniers temps ?

J’allais répondre mais son attention s’est reportée sur la jolie infirmière qui le fixait avec la bouche entrouverte. J’étais habitué au look original de Nash et à sa présence frappante. Rule et lui avaient toujours beaucoup attiré l’attention, donc cela ne me surprenait plus, mais on aurait dit que la jolie petite infirmière avait vu un fantôme et que Nash essayait de se souvenir où il l’avait déjà vue.

— Il faut juste que je me fasse recoudre et tu pourras me gueuler dessus dans la voiture en revenant.

L’infirmière s’est éclairci la voix et a jeté ses gants ensanglantés dans la poubelle.

— Vous aurez sûrement des agrafes pour la coupure sur votre tête. Elle est assez moche et plus profonde qu’elle n’en a l’air. La coupure sur vos côtes est plutôt propre, donc vous devriez vous en sortir avec une suture liquide locale. Le docteur va bientôt arriver.

Son comportement avait radicalement changé depuis que Nash était entré dans la pièce. L’ayant remarqué, il a retroussé le nez et l’a regardée jusqu’à ce qu’elle soit trop mal à l’aise et lève les yeux vers lui.

— Est-ce qu’on se connaît ?

Elle a secoué la tête si vigoureusement qu’elle a fait tomber le stylo qui était calé sur son oreille.

— Non. Non, je ne crois pas.

Il s’est gratté le menton et a plissé les yeux en la regardant.

— Vous êtes sûre ? Vous me dites vraiment quelque chose.

Elle a haussé les épaules et a joué avec le stéthoscope qui pendait à son cou. Elle était sexy, et je me voyais bien mettre au point quelques fantasmes d’infirmière où elle serait l’attraction principale.

— On me le dit souvent. Je dois avoir un visage qui fait ça. Il faut que j’y aille. Pas de repos pour les braves.

Elle m’a adressé un petit sourire et a disparu, nous laissant tous les deux les yeux rivés là où elle était partie, moi en pleine appréciation, Nash en pleine perplexité.

— Je te jure que j’ai déjà vu cette fille quelque part.

— C’est une de tes merveilles d’un soir ?

— Non. Peut-être une de Rule avant Shaw ?

J’ai pouffé de rire et ai admiré le plafond tandis que ma tête et mon flanc continuaient de me brûler.

— Elle m’a l’air trop maline pour faire partie de cette catégorie.

— Peut-être. Ça va me rendre fou tant que je n’aurai pas trouvé. Qu’est-ce qui t’est arrivé ce soir ? Ça ne t’a pas suffi de commencer à te battre avec Rule, il fallait que tu te bastonnes avec un bar rempli de motards ?

— Vive l’Amérique !

J’ai ri jaune à ma mauvaise blague. Il m’a lancé un regard noir et s’est assis sur une chaise à roulettes de médecin, il paraissait immense là-dessus.

— Sérieux, Rome. Il faut que tu te calmes.

Je n’ai pas eu à répondre car le docteur a choisi cet instant pour entrer. C’était un homme dans la cinquantaine, qui était clairement à la fin d’un long service car il ne voulait pas perdre de temps. Quand il a fini, il m’a jeté un regard sérieux et m’a dit que ce serait une bonne idée d’y aller doucement sur la boisson, car il y avait assez d’alcool dans mon bilan sanguin pour déclarer un incendie, et je n’ai pu qu’acquiescer sans rien dire.

Il m’a gribouillé une ordonnance pour des antidouleurs que j’espérais ne pas avoir à utiliser car je devais déjà gérer une dépendance à une substance dangereuse, et il m’a dit que l’infirmière reviendrait dans quelques minutes pour me faire signer la décharge. J’étais tout content d’avoir une seconde chance de flirter avec elle, mais dès qu’elle revint, il fut évident qu’elle était là par obligation et qu’elle attendait de nous voir partir.

— Prenez soin de vous, Monsieur Archer, et merci d’avoir servi notre pays.

Elle s’est retournée pour partir quand Nash a soudain sauté sur ses pieds et a claqué des doigts. Elle a fait la grimace et j’ai froncé les sourcils.

— Je savais qu’on se connaissait ! On était dans le même lycée, non ? Tu n’es pas Saint Ford ?

Elle était si immobile et silencieuse qu’on entendait les mouches voler. Elle l’a fixé comme s’il venait de sortir des égouts.

— Si. Je suis surprise que tu m’aies reconnue, la plupart des gens ne me remettent pas.

Il a penché la tête sur le côté et lui a jeté un regard pensif.

— Pourquoi tu m’as dit qu’on ne se connaissait pas, alors ?

Elle a toussé et s’est mise à jouer avec le bout de sa tresse. C’était évident que cette conversation la mettait très mal à l’aise.

— Parce que le lycée, c’était il y a un million d’années et j’étais une personne très différente à l’époque. Ce n’est pas une époque qui me rappelle de très bons souvenirs ; d’ailleurs je préfère faire comme si elle n’avait jamais existé. C’est quelque chose qu’un mec comme toi ne peut pas comprendre. Passez une bonne soirée, et évitez les motards à couteau si possible, Monsieur Archer.

Elle a filé dans un nuage hautain et nous a laissés tous les deux interloqués, la bouche ouverte à se regarder l’un l’autre.

— Waouh ! Tu étais un connard avec elle au lycée, ou quoi ? C’était très hostile comme réaction.

Il a haussé les épaules et m’a aidé à me lever. Je tanguais un peu à cause du mélange d’alcool et du sang que j’avais perdu, donc il ne m’a pas lâché tant que je n’étais pas stable.

— Probablement. Avec Rule et Jet, on était une bande de petits cons. C’était Remy, le gentil.

— Comment ça, « on était » ? Tu te foutais sûrement d’elle parce qu’elle était grosse, ou un truc comme ça.

Il a eu la politesse d’avoir l’air honteux.

— C’est fort possible. Je n’étais pas vraiment dans une bonne période de ma vie non plus, au lycée. Il se passait trop de choses avec ma mère et ce con qu’elle a épousé pour que je m’intéresse à quoi que ce soit d’autre. Putain, c’est nul. C’est une bombe, maintenant.

Je n’ai même pas songé à remettre mon tee-shirt couvert de sang en sortant des urgences clopin-clopant.

— Ça, c’est clair.

Nous sommes allées jusqu’à la Doge Charger de Nash, un modèle de 1973 entièrement restauré, et je me suis affalé sur le siège. Ce n’était pas le pire Jour de l’Indépendance dont je me souvenais, mais ce n’était pas non plus le meilleur. Tout ce que je voulais était me traîner dans mon lit et tout oublier, même si cela n’avait pas l’air d’être très efficace pour moi actuellement.

— Écoute mec, je suis désolé pour aujourd’hui. J’irai parler à Rule et arranger les choses. Je suis juste un peu perturbé en ce moment.

L’énorme moteur a vrombi tellement fort que cela m’a fait mal aux dents.

— On a tous compris ça. Mais tu ne donnes à personne une chance de t’aider à retrouver l’équilibre.

— Je vais me ressaisir.

Je me demandais bien comment j’allais y arriver mais je savais que c’était ce qu’il fallait que je fasse.

— Tu peux dire au gnome enragé de me lâcher.

Il a rigolé.

— Pas possible, mon ami. Cora est comme un pitbull, quand elle plante ses crocs dans quelque chose ou quelqu’un, elle ne lâche plus. Tu devrais peut-être essayer de lui présenter des excuses. Elle veut juste prendre soin de nous tous, et elle le fait assez bien.

J’ai fermé les yeux et ai laissé ma tête tomber en arrière contre le dossier.

— Je me souviens quand c’était mon rôle.

La voiture s’est emplie d’un silence lourd et je pensais qu’il ne dirait plus rien, mais après une minute, il a marmonné :

— Tu es parti pour sauver le monde, Rome, on a juste fait du mieux qu’on pouvait tant que tu n’étais pas là.

Si être baraqué avait des inconvénients, essayer de vouloir être le héros de tout le monde pouvait s’avérer dangereux. Je m’étais habitué à ce que les gens aient besoin de moi, qu’ils comptent sur moi, et maintenant que je n’étais plus indispensable, je ne savais simplement pas quoi faire de ma peau. Honnêtement, cela me terrifiait plus que n’importe quelle zone de guerre ou bagarre de bar avec des bikers armés.

 

 

 

 

 

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