CHAPITRE 1

Asa

Il n’y a pas si longtemps, quand je regardais une fille se saouler intentionnellement, autant que cette jolie fille le faisait, je préparais mon attaque. Je l’aurais ramenée chez moi, dans mon lit, sans ressentir aucune culpabilité, même en sachant qu’elle n’était pas tout à fait consciente de ses choix. Avant, je n’aurais jamais laissé passer une occasion facile, et cela ne me dérangeait pas de savoir que mes actions me faisaient perdre des points de bonne conduite. J’aimais quand les choses me tombaient toutes cuites dans le bec, sans que j’aie à fournir le moindre effort, et surtout quand je pouvais partir en rejetant la responsabilité de mes méfaits sur le dos de quelqu’un d’autre. La responsabilité, cela m’était étranger, et à l’époque, je l’évitais autant que les gens à qui je devais de l’argent.

Mais les temps avaient changé, et entre le moment où j’avais frôlé la mort sur un lit d’hôpital et mon retour à la vie, au moment où j’avais vu ma dernière chance à un semblant de normalité vaciller dans les yeux de ma petite sœur, ma conscience s’était éveillée en moi. Maintenant, alors que je regardais cette très jolie fille saoule, incontrôlable, qui cherchait manifestement les ennuis, j’aurais voulu qu’elle sache à quel point le poids des regrets pouvait être lourd. Je voulais tout de même la ramener chez moi et dans mon lit, mais je me rendais compte que mon intention était différente. Maintenant, ce début de conscience me poussait à faire une chose que je n’avais jamais faite. Elle voulait que je fasse semblant d’être chevaleresque et que je la sauve d’elle-même.

Personne n’aurait jamais dit de moi que j’étais altruiste ou attentionné, mais si je ne m’en mêlais pas, la belle rousse allait s’attirer tout un tas d’emmerdes. Je savais, grâce à mon expérience personnelle, que l’on pouvait traîner certaines blessures et erreurs toute une vie. Porter ce fardeau était épuisant, et elle méritait mieux que ça, même si en ce moment, elle semblait l’avoir oublié.

Je me suis essuyé les mains sur le torchon de bar qui était coincé à l’arrière de mon jean et j’ai haussé un sourcil en direction de la serveuse, Dixie, qui, avec des yeux écarquillés, regardait le même spectacle que moi qui se déroulait sur la piste de danse. C’était samedi soir, donc le bar était bien rempli et nous avions un groupe qui jouait sur la toute petite scène, mais presque toutes les paires d’yeux dans ce bar étaient tournées vers la rouquine qui ondulait sur la piste de danse. Je savais que j’aurais dû arrêter de la servir, elle ne tenait déjà pas l’alcool en temps normal, mais ses grands yeux chocolat étaient si tristes, si tourmentés, que j’avais du mal à lui dire non. Maintenant que je ressentais des conneries comme l’empathie et la compassion, je savais que je lui avais servi trop de verres, ce qui avait provoqué le quasi strip-tease qui était en train de se produire au milieu du bar.

— Tu crois que tous ces gars qui essaient de se frotter à elle flipperaient s’ils savaient qu’elle porte très probablement une arme ?

La voix de Dixie était pleine d’ironie tandis qu’elle prenait le whisky-coca que j’avais préparé pour une commande.

— Quand une fille aussi belle et ivre cherche à passer un bon moment, même une balle n’est pas très dissuasive. Je vais la sortir de là. Quand tu auras servi, tu pourras t’occuper du bar une seconde ?

Elle a haussé les sourcils à son tour en me lançant un sourire.

— Tu es sûr que tu veux faire ça ? On dirait une meute de chacals encerclant une gazelle à terre. Essayer de leur gâcher leur plaisir pourrait mal finir.

Le groupe qui jouait ce soir-là a entamé une reprise de You Got Lucky de Tom Petty, et la fille au centre de la tempête s’est soudain tournée et a planté son regard dans le mien. Quelque part sur la piste, elle avait perdu son haut, donc elle ne portait plus qu’un débardeur très moulant qui ne laissait pas beaucoup de place à l’imagination. Ses épais cheveux auburn s’étaient échappés de sa queue de cheval et étaient trempés de sueur contre sa poitrine et son cou, et son maquillage coulait sous ses yeux foncés. Sa poitrine montait et descendait, essoufflée à cause de l’effort et toute sa peau parfaite et visible brillait d’un voile de transpiration. Elle semblait tout droit sortie d’un rêve érotique que tous les mecs avaient eu un jour, ou d’un défilé de Victoria’s Secret auquel elle aurait échappé pour venir se pavaner dans ce bar sans nom. Elle allait causer une émeute, et je crois que malgré tout l’alcool qui coulait dans son sang, à cet instant, elle le savait. Je le voyais à l’air de défi qu’elle me lançait depuis la piste de danse.

— Je m’en fous que ça se passe mal ; ce qui me dérange, c’est qu’elle se retrouve au milieu du carnage.

Je ne devrais pas m’en soucier. Je devrais m’en foutre. La rousse était parfaitement capable de se défendre toute seule, et comme Dixie l’avait dit, elle était sûrement armée. Je n’ai pourtant pas pu calmer la poussée d’adrénaline provoquée par mon instinct de protection lorsqu’un petit gosse de riche maladroit a posé ses mains sur sa taille toute fine et l’a attirée contre son torse.

Elle n’a pas résisté tout de suite, ses sens et ses réflexes étant évidemment altérés par le flot d’alcool qui embrumait son cerveau.

Dixie est partie servir le verre et est revenue derrière le bar avec un soupir.

— J’ai vraiment hâte que Rome engage son copain pour venir faire la sécurité le week-end. J’adore cet endroit, j’adore mon boulot, mais vous voir vous embrouiller avec des mecs qui ont l’alcool mauvais en permanence, c’est lassant.

J’ai haussé les épaules et suis passé devant elle pour aller mettre fin au désastre sur le point de se produire. La rousse avait enfin retrouvé ses esprits et se débattait maintenant activement entre les bras du petit con.

— Ça fait partie du boulot.

Même si je devais bien admettre que quand le patron, Rome Archer, avait dit qu’il avait un vieil ami de l’armée qui s’apprêtait à revenir à la maison, et qui avait besoin de trouver un travail, j’avais été soulagé que mon temps passé à jouer au videur touche à sa fin. J’avais un casier judiciaire. Un casier judiciaire très long et bien fourni, et chaque fois que je posais les mains sur quelqu’un avec violence, je voyais automatiquement des pages et des pages s’y ajouter. Comme une bonne partie de ma vie avant que je meure sur cette table d’opération, c’était une part de mon passé qui me définirait et me retiendrait toujours.

Dixie m’a appelé depuis le bar, alors que je commençais à me faufiler à travers la foule.

— Tu es trop mignon pour te prendre un poing, Asa. Fais attention.

Petit Con s’était pris le visage entre les mains car le sang coulait entre ses doigts appuyant sur son nez. Deux autres mecs tenaient la rousse, chacun par un poignet, et elle fusillait du regard le groupe d’hommes qui l’entourait. Elle était grande et en forme, mais personne ne savait pourquoi. Tout ce qu’ils voyaient, c’était une fille déchainée qui les avait allumés toute la soirée, que ce soit intentionnel ou pas. Et bien sûr, maintenant qu’elle en avait fait saigner un, l’avait émasculé devant tous les spectateurs, les choses allaient mal tourner. C’était une chose de se faire mettre à l’amende par une fille, c’en était une autre de se faire mettre à l’amende par une fille qui avait l’air d’avoir sa place sur les podiums avec des talons aiguille hauts comme des gratte-ciels. Le fait qu’elle porte un pantalon jaune vif qui moulait parfaitement ses formes et qu’elle ait des seins magnifiques n’aidait pas non plus le mec à sauver sa réputation.

En un battement de cils, elle était en plein milieu d’une lutte acharnée avec les mecs qui la retenaient, et je voyais la colère monter dans les yeux humides du mec auquel elle venait probablement de casser le nez.

Je lui ai lancé un regard mauvais en guise d’avertissement. Dixie avait raison : j’étais mignon, trop mignon, mais pour compenser la beauté trompeuse de mon visage, j’étais aussi costaud et j’avais attiré les ennuis dés mon premier souffle. Donc en général, je savais faire comprendre à mon adversaire qu’il serait le perdant dans l’histoire. Le mec en sang a fait un pas en arrière tandis que j’empoignais le gars le plus proche de moi pour qu’il lâche le bras de la rouquine. Il a grogné et m’a insulté, car dés qu’elle fut libre de ses mouvements, elle lui envoya un coup de genou dans l’entrejambe, le pliant en deux.

J’ai secoué la tête lorsqu’elle s’est retournée pour jeter un coup de poing approximatif à l’autre, qui tenait encore son poignet.

— Royal ! Arrête ça !

Le groupe jouait une reprise de A Hard Lesson to Learn de Shooter Jennings avec un tempo accéléré, et elle m’a ignoré pour se lancer dans la bagarre.

Evidemment, il n’y a absolument rien de mal dans le fait qu’une femme se défende contre des avances non désirées, et c’était évident qu’elle ne voulait pas que ce mec la touche. Mais cette fille en particulier, cette jeune femme surprenante qui ressemblait à un top model, était un membre des forces de police de Denver, et je savais qu’elle pouvait faire de sérieux dégâts, même dans son état d’ébriété. Et ça, je ne pouvais pas le permettre. Non seulement car le Bar serait responsable, mais aussi car je ne voulais pas qu’elle fasse quelque chose qui pourrait finir par lui coûter son boulot.

J’ai passé le bras autour de Royal pour tenter de la libérer de l’emprise du mec tandis qu’elle se démenait elle-même violemment pour lui échapper. Déplier les doigts du mec s’est avéré particulièrement difficile car je devais en même temps esquiver les coups de coude et les poings de Royal. Elle était rapide et forte, et le gars qui la tenait s’en est enfin rendu compte lorsqu’elle a lancé un bon coup de poing dans sa tempe. Il l’a brusquement lâchée et a reculé en titubant tandis que je coinçais ses bras déchaînés le long de son corps en la tirant contre mon torse. Je me suis penché pour lui murmurer à l’oreille :

— Calme-toi, Red.

Nous regardions tous les deux le mec qui l’avait tripotée, et j’essayais de ne pas fixer ses seins spectaculaires monter et descendre juste au-dessus du bras que j’avais collé contre sa cage thoracique. Même quand j’essayais de donner un coup de main, tous mes vieux instincts se réveillaient et brûlaient sous la surface. Je voulais la toucher d’une manière qui ne lui serait d’aucun secours.

— Elle m’a agressé.

Le petit con parlait comme un enfant fâché qui se serait fait voler son jouet préféré par un gamin plus grand.

J’ai hoché la tête et ai fait attention à ce que l’on entende bien les collines du Kentucky dans ma voix en lui disant :

— Ça, c’est vrai. Mais pas avant que tu poses les mains sur elle.

Le charme du bon petit gars du sud faisait des merveilles quand il s’agissait de calmer des situations explosives. Je crois que cela faisait croire aux gens que je n’étais pas assez malin pour être une vraie menace, malgré ma taille.

Le groupe jouait encore, mais je crois que plus personne n’y prêtait attention. Tout le monde regardait le bordel que Royal avait provoqué.

— Elle a mis un coup de poing dans la gueule de Bobby alors qu’il essayait juste de danser avec elle. Elle lui a cassé le nez !

Là encore, j’ai hoché la tête en tentant de ne pas penser aux fesses de Royal collées à mon entrejambe. Elle a tourné la tête, juste assez pour que je voie la panique naître dans son regard sombre. Elle a léché sa lèvre inférieure et j’ai dû me rappeler que je n’étais plus un mec qui profite des filles bourrées. En tout cas, je ne voulais plus être ce genre de mec, mais je n’avais jamais vraiment pensé avoir le choix dans ce domaine.

— Il faut que Bobby apprenne à demander s’il veut qu’une fille danse avec lui. Écoutez, chacun peut retourner dans son coin, on oublie tout ça…

J’ai été coupé quand il m’a montré du doigt et a regardé Royal en plissant les yeux.

— Je vais appeler les flics.

J’ai senti Royal se mettre à trembler entre mes bras. C’était exactement la situation que j’essayais d’éviter. J’ai levé un sourcil en poussant Royal derrière moi, et j’ai croisé les bras. Je me suis dit que j’aurais l’air plus intimidant si je n’étais pas collé à la rousse sexy.

— Tu peux faire ça, mais ça va gâcher toute la soirée. Le groupe va devoir s’arrêter, et tous les autres gens ici vont devoir arrêter de boire, et ça va les mettre en rogne parce qu’ils ont dû payer pour entrer et écouter la musique. En plus, je devrais appeler le propriétaire du bar pour tout lui raconter, et c’est comme réveiller Godzilla en pleine sieste.

J’ai passé mon pouce sur le coin de ma bouche et lui ai offert mon plus beau sourire de campagnard. Il avait désarmé plus d’une personne cherchant à faire couler le sang, généralement le mien, et ça ne me dérangeait pas d’utiliser ce sourire pour empêcher celui de Royal de couler.

— Et puis, entre nous, elle a des amis chez les flics.

L’autre mec essayait de déterminer si j’étais sérieux ou pas, alors j’ai baissé le menton.

— Son meilleur ami est flic. Si tu appelles la police de Denver, il y a des chances pour qu’ils l’envoient, lui, parce qu’il sait qu’elle aime sortir ici, et les caméras de surveillance confirmeront ce qu’elle racontera sur toi.

J’ai montré du doigt une des caméras que Rome avait installées partout au Bar.

— Tu crois que ça va bien se finir pour toi ?

Il avait l’air de réfléchir à sa réponse lorsque le chanteur du groupe a soudain parlé au micro :

— Vous êtes nuls, les gars ! Prenez votre pote qui pisse le sang, sortez d’ici, et laissez les gens profiter de leur soirée.

Cela a suffi à motiver les troupes et tout à coup, le reste des clients se sont mis à scander « Vous êtes nuls ! » et la bande de petits cons n’avait plus d’autre choix que de partir.

Ils se sont rapidement dirigés vers la porte tandis que je tirais Royal jusqu’au bar pour poser ses jolies fesses sur un tabouret en plein milieu, où je pourrais l’avoir à l’œil. Je l’ai emprisonnée en posant un bras de part et d’autre de son corps et me suis penché tout près d’elle, au point que mon nez touchait presque le sien.

À travers mes dents serrées, je lui ai dit :

— Assieds-toi. Tu as deux options, Red : soit j’appelle Saint pour qu’elle vienne te chercher, soit tu restes assise là, tu bois de l’eau et tu manges un truc bien gras et dégueulasse jusqu’à être assez sobre pour rentrer chez toi.

Elle a cligné des yeux, me faisant remarquer ses longs cils, et je jure qu’elle était sur le point de pleurer. Je l’ai vue avaler sa salive et acquiescer en hochant légèrement la tête.

Quand elle a parlé, ce n’était qu’un murmure.

— N’appelle pas Saint, je vais attendre ici.

Saint était son amie la plus proche, et aussi la copine de mon pote Nash. C’était une jeune femme douce et timide, qui pourtant arrivait à supporter le caractère effronté et impétueux de Royal Hastings. Elles formaient un drôle de duo, mais je savais que Saint laisserait tout tomber en une fraction de seconde pour voler au secours de Royal. Je ne reprochais pas à la jeune femme de ne pas vouloir que sa copine vienne la chercher dans son état actuel : c’était une épave, même si elle était toujours belle, avec un air un peu sauvage et indomptable. Seulement, sous son apparence, c’était un désastre qui cherchait les ennuis et le danger, et ce depuis deux semaines. Ce n’était pas la première catastrophe que j’avais été forcé de prévenir à cause de ses bêtises, et il était temps d’y mettre un terme.

J’ai fait le tour du bar pour passer derrière, et j’ai lancé un regard noir à Dixie quand elle m’a mis une claque sur les fesses en repartant prendre les commandes.

— Mon héros !

Je lui ai répondu par un grognement. Je n’avais pas l’étoffe d’un héros. Je tombais plutôt dans la catégorie des super-méchants. J’ai servi un verre d’eau à Royal dans une des chopes à bière géantes que je gardais derrière le bar, et je l’ai laissé tomber sur le bar devant elle sans un mot. Elle a un peu sursauté et je voyais les regrets et les remords dans ses yeux. Des rougeurs commençaient à apparaitre sur son décolleté et ses joues.

Je suis allé à l’autre bout du bar, en m’arrêtant pour remplir quelques verres, fermer une ardoise, débarrasser des assiettes vides, jusqu’à arriver à l’entrée de la cuisine qui occupait tout l’arrière du bar. Généralement, on ne servait à manger que jusqu’à minuit, mais je savais qu’Avett Walker, la nouvelle que Rome avait acceptée d’embaucher en cuisine comme faveur envers un vieil ami, traînait toujours dans le coin. Je n’avais pas vu ses cheveux rose vif passer la porte à la fin de son service, comme elle le faisait en général.

C’était une petite avec une grande gueule, dont les veines étaient, selon moi, pleines de poison et de mauvais caractère. C’était clair qu’elle ne voulait pas travailler ici. Sa mère, Darcy, gérait la cuisine et son père était le mec qui avait vendu le bar à Rome, mais Avett ne semblait pas du tout aimer cet endroit. D’ailleurs, elle semblait ne rien aimer du tout. Elle se comportait comme si venir au travail tous les jours était une peine de prison, ce qui faisait forcément de moi son geôlier, puisque j’étais son chef. Nous ne nous entendions pas très bien. Je crois que je me reconnaissais trop en elle, avec ses habitudes négligées et irrespectueuses.

J’ai appelé Avett, et comme je n’ai pas eu de réponse, j’ai traversé la cuisine vide jusqu’à arriver à la chambre froide. Je n’avais pas le temps de m’attarder, donc j’ai trouvé du fromage, du pain, et des morceaux de fruits, et je me suis dit que cela ferait l’affaire. Il fallait que Royal mange quelque chose qui absorberait l’alcool, pour que je puisse lui dire d’arrêter ses conneries sans que mon ordre entre par une oreille et ressorte par l’autre.

Je refermais la porte avec le talon de ma botte puisque j’avais les mains pleines, lorsque la porte du frigo à bières s’est soudain ouverte et Avett en est sortie toute triomphante, en tripotant la fermeture éclair de son sac à bandoulière visiblement rempli à craquer. Elle s’est figée sur place en me voyant, et la surprise dans ses yeux a laissé place à de la méfiance.

— Qu’est-ce que tu fais là ? La cuisine est fermée.

Comme si elle avait le droit de décider de mes allers et venus dans ce bar. C’était une tactique de diversion que je ne connaissais que trop bien.

Je l’ai fixée sans rien dire. J’ai jeté un regard insistant sur son sac puis ai remonté mes yeux vers les siens, noisettes et froids.

— Qu’est-ce qu’il y a dans ton sac ?

Elle s’est appuyée sur son autre pied, et j’ai entendu distinctement le bruit de bouteilles qui s’entrechoquaient. Elle essayait de piquer des bières du frigo. Pas étonnant. Mon mal de tête n’allait pas s’arranger si je devais gérer les bêtises d’une autre femme toute aussi ingérable.

— Rien.

Elle a voulu me dépasser et le bruit des bouteilles a rempli la pièce.

J’avais les mains pleines, alors j’ai déplacé tout mon corps pour l’empêcher de passer. Avett tenait beaucoup plus de Darcy que de Brite, son père. Brite était un homme immense et barbu, et je suis sûr que des chansons folk avaient été écrites en son honneur. Avett était menue et m’arrivait à peine au milieu du torse, et elle a dû incliner la tête en arrière pour continuer à me lancer son regard mauvais. Ce qui lui manquait en taille, elle le rattrapait en mauvais caractère, et de loin.

— Remets-les. Si tu ne recommences pas, on en parlera plus.

Quand j’étais agacé, l’accent du sud avait tendance à s’entendre, lourd et épais dans ma voix, et pas de la même façon que lorsque je m’en servais pour obtenir ce que je voulais ou faire croire à quelqu’un que j’étais plus gentil et plus bête que je l’étais.

— Pousse-toi, Asa.

— Non. Tu ne peux pas voler Rome. Je ne sais pas quel problème tu as avec Brite mais je m’en fous, et peu importe que tu préférerais visiblement te battre contre des pumas que de travailler ici. Je ne te laisserai pas profiter de Rome. C’est un mec bien et il mérite mieux que ça.

Nous nous sommes affrontés du regard et pendant une seconde, j’ai cru qu’elle allait essayer de me dépasser, sachant que je ne pouvais pas me servir de mes mains, mais je crois qu’une sorte de fil invisible nous liait, elle savait d’instinct qu’elle aurait pu s’en tirer, mais pas pour longtemps.

Elle a soufflé bruyamment, ce qui a fait voler sa frange rose sur son front. Elle aurait été vraiment mignonne si elle n’avait pas été aussi chiante, et plus jeune que moi d’une dizaine d’années. C’était encore une gamine, en réalité, et elle avait franchement le comportement qui allait avec.

— Je vais à une fête et je n’ai pas d’argent pour acheter de la bière. Je ne pensais pas que ce serait un drame si je prenais un pack de douze dans le frigo. Après tout, mon père a quasiment donné ce bar au soldat. Quelques bières, ça me semble honnête, comme échange.

J’ai levé les yeux au ciel.

— Non, ce ne serait pas un drame. Tu sais que ça ne dérangerait pas Rome, si tu lui demandais. Mais tu te balades comme si on te devait quelque chose pour je ne sais quelle raison, et je n’aime pas ça. Alors je ne vais pas te laisser voler.

J’ai froncé les sourcils et me suis appuyé sur mon autre pied.

— Comment tu peux être déjà à sec ? Tu as été payée vendredi.

Comme elle travaillait en cuisine, je savais que Rome la payait à l’heure. Pas de quoi partir en retraite, mais cela faisait assez d’argent pour tenir un mois et non vingt-quatre heures, à moins qu’elle ne soit dans de sales draps.

Au lieu de me répondre, elle s’est retournée d’un coup et est allée remettre les bières dans le frigo. J’ai attendu qu’elle ressorte, et je l’ai faite passer devant pour sortir de la cuisine et retourner derrière le bar. J’étais parti assez longtemps pour que le groupe ait fini de jouer, du coup, une foule s’était formée devant le bar et Dixie faisait de son mieux pour prendre toutes les commandes. J’ai poussé Avett du coude et ai déposé mon chargement dans ses mains. J’ai montré Royal du doigt, qui était assise, stoïque, au milieu de l’animation, la tête penchée et le regard rivé sur le bar.

— Donne ça à la rousse. Vérifie qu’elle mange, et si je t’attrape encore à essayer de voler, je te mets à la porte. Je me fiche de ce que j’ai promis à Brite ou de du mal que ca ferait à Darcy.

Elle m’a regardé d’un œil mauvais et a marmonné, tout juste assez fort pour que je l’entende :

— C’est drôle, venant de toi.

Elle n’avait pas tort. C’était ridicule venant de moi, alors je l’ai ignorée et j’ai plongé dans le travail. L’appel pour les derniers verres n’était que dans une demi-heure, donc cela s’est avéré un peu plus compliqué que d’habitude. Les week-ends au Bar étaient de plus en plus chargés depuis que Rome l’avait retapé, et j’allais peut-être lui demander d’embaucher un autre serveur en plus du videur. Les affaires tournaient bien, et pour que cela continue, il fallait s’assurer que le public était aussi bien servi que les vieux vétérans usés qui emplissaient le bar pendant la journée.

J’essayais de garder un œil sur Royal. J’avais peur qu’elle essaie de partir avant que j’aie pu lui parler et évaluer sa sobriété pour la laisser conduire, mais elle était au même endroit, la tête baissée, les yeux sur le bar, et elle avait fini son verre d’eau. Elle avait aussi bien attaqué la nourriture devant elle, donc j’ai pu respirer à nouveau. Elle était anormalement calme et j’ai pensé à son pull que j’aurais dû récupérer en la sortant de la foule, tout à l’heure. Elle avait l’air toute chiffonnée, comme si elle venait de sortir du lit, et cela ne m’aidait pas du tout à me rappeler pourquoi il fallait que je la sorte de l’état dans lequel elle était depuis la semaine avant Noël.

J’ai fait l’appel pour les derniers verres. J’ai payé le groupe et remercié le chanteur de m’avoir aidé avec la bande de gamins, et il m’a demandé si cela intéresserait Royal de partir sur la route avec eux comme danseuse. J’ai ri en précisant que, malheureusement, elle avait déjà un boulot à temps plein. Je n’ai pas pris la peine de lui expliquer ce qu’elle faisait, car je me doutais qu’il ne me croirait pas, de toute façon. J’ai aidé Dixie à débarrasser la scène, puis nous avons commencé à diriger les gens vers la sortie, et je me suis arrêté à côté de Royal et lui ai dit :

— Reste là une minute.

Elle n’a pas répondu, mais a repoussé les cheveux qui tombaient sur son visage pour les mettre derrière son oreille, et m’a regardé du coin de l’œil.

J’ai pris cela pour un oui silencieux et ai aidé Dixie à faire sortir tout le monde et à mettre toutes les chaises sur les tables, afin que l’équipe de nettoyage puisse nettoyer le bar avant l’ouverture demain matin. Dixie et moi avions un système en place, comme nous faisions cela six soirs par semaine tous les deux, donc c’était assez rapide. Quand j’ai eu fini, je suis passé derrière le bar, je me suis servi un Dalwhinnie avec des glaçons, et j’ai pris mon verre pour aller m’asseoir sur un tabouret de l’autre côté du bar, à côté de Royal. Tout le monde m’embêtait en disant que je devrais boire du bourbon, puisque je venais du Kentucky, mais je préférais le goût acre et puissant du scotch. Cela m’allait bien, car j’étais également acre et puissant.

J’ai pris une gorgée et j’ai posé mon verre sur le bar avec un bruit sourd. J’ai passé la main dans mes cheveux blonds foncés et lancé en regard en coin à Royal.

— Alors, c’est ça ton truc, maintenant ? Tu bois, tu énerves les autochtones, tu enlèves la moitié de tes vêtements en public, tu fais l’idiote, de façon générale ? Parce qu’il faut que je te dise, après deux week-ends de suite à devoir te servir et nettoyer derrière, je crois qu’il est temps que tu trouves un autre bar à squatter.

J’ai vu ses épaules s’effondrer et elle m’a rendu mon regard.

— Pourquoi tu n’as pas dit aux mecs que j’étais flic ?

J’ai soupiré et me suis retourné pour lui faire face. J’aurais vraiment préféré qu’elle ne soit pas aussi canon. J’essayais d’être raisonnable et rationnel et cela rendait les choses beaucoup plus difficiles.

— Parce que même si tu peux légalement porter une arme sans la montrer grâce à ton badge de police, tu ne peux pas boire avec une arme chargée sur toi. C’est illégal, et c’est une prise de tête dont tu ne veux pas et dont tu n’as pas besoin.

— Depuis quand tu t’inquiètes que les autres respectent la loi ?

Elle reprenait du poil de la bête, et c’était un changement appréciable après l’apitoiement larmoyant dans lequel elle avait sombré depuis que je l’avais éloignée de la piste de danse.

— Je n’en ai absolument rien à foutre que les autres respectent la loi, mais tu as un boulot que tu aimes, des amis qui se font du souci pour toi, et tu es beaucoup trop jeune pour jeter tout ça par la fenêtre. Même si on dirait que c’est ce que tu cherches à faire, maintenant. Il faut que tu mettes de l’ordre dans ton bordel, Royal, avant qu’il soit trop tard pour réparer les conneries que tu sembles pressée de faire.

Elle avait à peine vingt-trois ans. Soit un siècle de moins que moi, même si j’avais encore quelques petites années avant d’atteindre la grande trentaine.

— C’est drôle, venant de toi.

C’était la deuxième fois que j’entendais ces mots en moins d’une heure. Effectivement, je ferais peut-être mieux de ne pas m’en mêler et de laisser tout le monde apprendre ses leçons à la dure, comme j’y avais été obligé. J’ai repris mon verre et ai bu une autre gorgée.

— Tu règles tes problèmes ou pas, comme tu veux, mais c’est mon dernier avertissement, ne ramènes pas tes conneries dans mon bar. Tu veux partir en fumée, ok, mais je ne te regarderai pas brûler.

Quelque chose est passé dans ses yeux, tellement de tristesse et de confusion que cela m’a vraiment donné envie de lui tendre la main et de la réconforter, mais toucher Royal était une mauvaise idée, et j’avais déjà assez de mal à sortir mon cerveau de mon pantalon et à garder les mains dans mes poches quand j’étais près d’elle. Elle m’a regardé en clignant ses yeux aux cils immenses, a sorti la langue pour la passer sur sa lèvre inférieure, et j’ai oublié de respirer pendant une seconde. Elle le faisait exprès. J’en étais sûr.

— Un de ces jours, quand je te le demanderai, tu rentreras avec moi, Asa.

Elle s’est un peu penchée sur le tabouret du bar et a posé la main sur ma cuisse. Mes doigts se sont crispés si fort sur mon verre que j’ai été étonné que le verre ne casse pas.

— C’est pour ça que tu es là ? Pour te donner en spectacle ? Tu veux vraiment faire ce genre d’erreur, Royal ?

Mon accent était si prononcé que les mots étaient traînants et lourds. Je sentais le sang accélérer sous ma peau et je n’avais aucun doute que mes yeux brillaient d’une lueur dorée sur mon visage. C’était rare que quelqu’un me mette mal à l’aise, me fasse perdre mes moyens, mais Royal l’avait fait plus d’une fois depuis le peu de temps que nous nous connaissions.

Elle s’est penchée en avant et s’est arrêtée quand sa bouche n’était qu’à une fraction de centimètre de la mienne. Je pouvais presque sentir son goût. En fait, si j’avais sorti le bout de la langue, j’aurais pu la goûter. J’ai serré les dents pour m’en empêcher, même si j’étais sûr qu’elle aurait un goût de bonbon et de feu. Elle devait être délicieuse…

— On dirait que je ne fais plus que des erreurs, maintenant. Au moins, faire ce genre d’erreur avec toi serait sympa.

Elle s’est servie de son appui sur ma jambe pour se redresser en glissant du tabouret dans un mouvement sexy. J’ai dû contenir un grognement.

— Si tu ne veux pas que je sois là, je ne reviendrai pas.

Elle a jeté sa masse de cheveux par dessus son épaule et m’a lancé un regard ferme de ses yeux marrons foncés.

— Je pensais vraiment que tu rendrais les choses plus faciles.

Je n’ai rien dit quand elle est partie, stable sur ses chaussures d’enfer et sans son pull, même s’il faisait froid dans l’hiver du Colorado. De toute évidence, elle était assez sobre pour conduire, mais je ne savais pas du tout à quoi elle pensait..

Dixie a verrouillé la porte derrière la rouquine et est venue jusqu’au bar. Elle s’est pris une bouteille de Bud Light, ce qui était un sacrilège dans ce bar dominé par la Coors Light, et a rempli mon verre de scotch.

— Je ne sais pas comment tu as réussi à lui dire non une fois de plus.

Elle a secoué ses boucles d’un blond chaud en me souriant.

— Je n’aime même pas les filles et je crois que je me la taperais bien si elle me le demandait. Elle est sublime.

J’ai marmonné quelques jurons dans ma barbe et ai avalé la deuxième tournée cul-sec. Ça brûlait un peu, et j’ai dû cligner des yeux.

— C’est une flic, une flic qui m’a déjà coffré. J’ai un meilleur instinct de survie que ça.

D’après mon expérience, les flics n’étaient pas mes plus grands fans, et je ne pouvais pas le leur reprocher. J’ai reposé le verre vide sur le bar et me suis levé. Il était tard et j’avais besoin d’une centaine de douches froides.

— En plus, elle ne veut pas vraiment baiser, c’est juste ce qu’elle croit.

Dixie a pouffé de rire.

— Ce n’est pas l’impression que j’ai.

Cela avait peut-être l’air évident vu de l’extérieur. Royal était mignonne, j’étais mignon, et c’était clair qu’il y avait de l’attirance entre nous, mais après le temps que j’avais passé à me foutre de la gueule des gens, j’avais appris à voir plus loin que les apparences, à voir le danger qui menaçait, et c’était évident pour moi que Royal était dangereuse de bien des façons.

— C’est une très jolie fille avec une blessure très moche, et elle s’est mis dans la tête qu’elle méritait d’être punie, de souffrir encore plus.

— Alors elle essaye de te tirer dans son lit pour se punir ? Ça a l’air cool comme punition.

Je lui ai jeté mon torchon et me suis levé du bar pour pouvoir compter la caisse de la soirée et rentrer chez moi. Maintenant, l’image de Royal avec ses menottes et rien d’autre allait occuper mes pensées toute la nuit. Comme si elle avait besoin de ça pour être inoubliable.

— Elle s’en veut et elle fait tout ce qu’elle peut pour se sentir encore plus mal.

Je ne connaissais pas les détails de ce qui avait déclenché le nouveau comportement destructeur de Royal, mais je savais que son équipier de police, qui était en fait son meilleur ami depuis très longtemps, avait été blessé assez gravement en service et que Royal était en ce moment en congé administratif pendant que le département enquêtait sur les circonstances qui avaient mené à ce que deux flics se fassent tirer dessus. Un des agents ne s’en était pas sorti, et l’autre était encore à l’hôpital. L’autre étant Dominic, son équipier.

— Je n’ai pas du tout envie de jouer un rôle dans cette histoire.

Je m’étais assez servi des gens dans ma vie, y compris de ceux qui m’aimaient inconditionnellement, pour savoir ce que cela faisait d’être l’outil de quelqu’un d’autre. Je n’allais pas aider Royal à s’autodétruire.

Dixie m’a lancé un doux sourire qui m’a rappelé que même si elle était très dure quand elle devait l’être, au fond, c’était une grande romantique.

— Peut-être que tu devrais tenter le coup, qu’elle se sentirait mieux grâce à toi, et peut-être qu’elle pourrait enfin te montrer à quel point tu as changé depuis un an.

J’ai simplement secoué un petit peu la tête et lui ai dit calmement :

— Ce n’est pas le genre de chose que je fais.

Non ; je détruisais les choses, je ne les réparais pas.

Je ne mentais jamais à propos de l’homme que j’avais été pendant la majorité de ma vie, ou des choses que j’avais faites. J’étais capable du pire, de faire plein de truc très moches, tordues, et sombres, et pourtant toutes les personnes qui me connaissaient maintenant semblaient avoir l’impression que j’avais subi une sorte de transformation après être sorti du coma dans lequel j’avais été, après avoir frôlé la mort. La vérité, c’est que je ne serais jamais un mec bien. Je ne serais jamais le type d’homme qui arrange les choses. Peu importe ce que tout le monde voulait penser, ou combien Royal semblait avoir désespérément besoin que quelqu’un intervienne et la sorte de son bourbier, je n’étais pas fait pour être un héros ni un sauveur. Les fantômes de mon passé pesaient déjà tellement sur mes épaules que je n’aurais jamais pu tirer quelqu’un vers le haut.

La vieille devise était vraie : chassez le naturel, il revient au galop ; et tout comme ce cheval, j’étais un animal, un prédateur d’un bout à l’autre, même si les autres voulaient croire que j’étais désormais domestiqué.

CHAPITRE 2

Royal

Lorsque mon téléphone, que j’avais laissé poser à côté de ma tête la veille, a sonné le lendemain après-midi en faisant résonner Toxic de Britney Spears, j’ai failli tomber du lit en le cherchant pour l’éteindre. Je me sentais terriblement mal. C’était en partie dû au fait que je ne dormais presque plus, donc dormir d’un seul œil au milieu de la journée était tout ce qui me permettait de tenir. Mais surtout, c’était parce que le numéro sur mon téléphone était celui dont j’attendais l’appel depuis d’interminables semaines.

J’ai fait taire la chanson pop en glissant mon doigt sur l’écran et j’ai essayé d’avoir l’air plus réveillée que je ne l’étais réellement en lançant un bonjour essoufflé et tremblotant. Je me fichais de ce que tout le monde pensait de mes terribles goûts musicaux. Je traînais dans le caniveau toute la journée. Je me frottais à des junkies, à des hommes violents envers leurs femmes, et à des parents qui ne s’occupent pas de leurs enfants, tous les jours. Je refusais d’écouter quoique ce soit qui ne soit pas entraînant. Mon boulot n’était pas toujours drôle, alors je faisais en sorte que le reste de ma vie le soit.

— Tu sais que je sors d’ici aujourd’hui, hein ?

J’ai repoussé une masse emmêlée de cheveux roux foncés de mon visage et suis remontée tant bien que mal sur le bord de mon lit. J’ai mordu ma lèvre et essayé de calmer ma respiration. Évidemment que je savais qu’il sortait de l’hôpital aujourd’hui. Ce que je ne savais pas, c’était s’il allait vouloir que je sois près de lui. J’ai fermé les yeux en remerciant le ciel que nous ne soyons pas face-à-face. Dominic Voss me connaissait mieux que quiconque sur cette planète, et si nous étions dans la même pièce, il aurait pu sentir la culpabilité et le dégout dans lesquels je me noyais ces derniers temps. Merde, si quelqu’un d’aussi fermé et déconnecté qu’Asa Cross avec perçu l’état de détresse dans lequel j’étais, c’était impossible que mon meilleur ami et équipier le manque. Dom était Dom, il saurait que mon état était la conséquence directe de ce qui lui était arrivé lors de ce maudis appel.

— Je sais. Je sais aussi que tes sœurs vont venir vivre avec toi le temps que tu te remettes sur pied, et je ne voulais pas vous gêner. Je ne savais pas si tu voulais que je vienne ou pas

Je me rendais compte moi-même que j’avais l’air pathétique et ridicule.

Dom et moi étions inséparables depuis nos cinq ans. Il n’y avait jamais eu un seul moment où il ne voulait pas que je sois là. Il n’y avait jamais eu un seul moment durant notre amitié où je l’avais gêné, et toute sa famille me considérait comme l’une des leurs. Je pense que cela rendait ce qu’il s’était passé encore plus dur à porter.

J’ai entendu Dom soupirer puis lâcher un juron. Sa voix grave trahissait sa fatigue tandis qu’il me réprimandait gentiment.

— Ramène ton petit cul ici, Royal. Je t’ai laissé te morfondre deux semaines, putain. Passe à autre chose. Des fois, les choses tournent mal, et ça va continuer, parce que c’est ça, être flic. J’ai un putain de plâtre qui va de ma cheville à mes couilles. J’ai une épaule cassée et je ne peux pas respirer sans avoir l’impression que je bois de l’acide. J’ai l’impression d’être une crotte de chien piétinée, et j’en ai l’air aussi, et ma meilleure amie n’a été là pour rien de tout ça. Tu peux peut-être arrêter tes conneries, maintenant, non ?

Je n’ai pas pu retenir les larmes qui commençaient à couler sur mes joues. Je les ai essuyées avec le dos de ma main en me levant. Ce qu’il a dit ensuite m’a fait l’effet d’un poignard, et je suis sûre que c’était ce qu’il voulait.

— J’ai besoin de toi ici, ma petite.

Nous avions toujours eu besoin l’un de l’autre, dans notre vie quotidienne comme au boulot. C’était pour cela que je me sentais si mal. C’était la raison pour laquelle je ne pouvais pas accepter combien je n’avais pas été à la hauteur. J’étais censée le soutenir comme il m’avait toujours soutenue, et au lieu de cela, il avait frôlé la mort par ma faute.

— Je suis en route.

J’ai raccroché le téléphone après qu’il m’ait lancé que ce n’était pas trop tôt, et j’ai couru partout dans mon appartement pour essayer de me rendre présentable. Après une dure nuit passée à boire, je n’étais jamais vraiment jolie, mais ajoutez à cela une nuit blanche et un énième refus de la part d’un barman du Sud outrageusement sexy, et j’atteignais sûrement le niveau de Dom question sale tronche. J’avais des ombres foncées sous chaque œil, j’étais beaucoup plus pâle que d’habitude, de fines veines rouges striaient le blanc de mes deux yeux, et j’avais des bleus vraiment très moches autour des poignets. La honte et les regrets étaient aussi présents que la culpabilité dans l’avalanche d’émotions qui m’étouffait.

J’étais plus maligne que cela, vraiment. Je n’étais pas du genre à sortir et à perdre le contrôle, je buvais rarement, et quand cela arrivait, je restais toujours responsable et vigilante. Mais ces derniers temps, ma vie s’était réduite à un long tunnel, et je ne voyais plus que Dom touché, balle après balle et tombant par-dessus la rambarde de l’escalier de secours sur le côté du bâtiment. Quand je ne le voyais pas lui, c’était la femme de l’agent qui n’avait pas survécu à l’échange de tirs, s’effondrer dans l’entrée des urgences, en apprenant que son mari n’avait pas survécu. Comme si cela ne suffisait pas à ronger mon âme, le souvenir de mon lieutenant me disant que je devais lui rendre mon arme et mon badge et prendre un congé administratif pendant que le département menait une enquête me hantait chaque seconde de chaque jour.

Afin de me débarrasser de quelques-unes de ces pensées atroces, j’étais déterminée à faire des choses qui ne me ressemblaient pas, des choses qui me donnaient l’impression d’être libre, et c’était pour cela que je passais du temps au Bar. C’était pour cela que je buvais comme un trou, et en réalité, c’était aussi pour cela que je me jetais sans scrupule sur Asa Cross. Je n’avais jamais dû courir après un gars. Je n’avais jamais été intéressée par le genre de mec qui transpirait le sexe et les ennuis comme Asa. Et je n’étais certainement pas du genre à mélanger le travail et le plaisir. Je savais qu’Asa n’apporterait rien de bon, qu’il n’était du bon côté de la loi que sur la pointe des pieds, et je devais respecter ma règle numéro 1 : ne jamais fréquenter quelqu’un qui avait connu l’arrière d’une voiture de police, et encore moins la mienne. Eh bien, Asa n’avait pas seulement été à l’arrière de ma voiture, mais il avait aussi fait des aller-retours en prison avant même sa majorité. Ce mec vivait selon ses propres règles, et son passé n’était pas joli. Les flics ne devraient pas avoir d’intérêt romantique pour les délinquants, même les délinquants repentis. Mais moi, si. En fait, j’étais plus qu’intéressée, mais chaque fois que je tentais ma chance avec lui et qu’il me disait non, je me demandais s’il pouvait voir l’échec qui me hantait. Je me demandais si c’était pour ça qu’il continuait à me dire non.

Je savais à quoi je ressemblais. Je savais que lorsque nous nous regardions, il y avait de l’intérêt et une attirance qui scintillait sombrement dans ses yeux de bronze, et je savais qu’il était le genre de mec qui aimait les filles faciles. En l’occurrence, j’étais facile. J’avais besoin de quelque chose pour me sentir bien, pour oublier, même pour une seule seconde, et je n’avais pas peur d’admettre que j’avais envie de lui. Je faisais en sorte que ce soit facile pour lui de dire oui, et pourtant il continuait à me tourner le dos. Je ne comprenais pas, donc je me sentais encore plus perdue et à la dérive qu’avant.

S’il voulait réellement que je trouve un autre bar, c’est ce que j’allais faire. Je n’allais dans ce bar miteux seulement parce que je voulais qu’il me ramène chez lui. Je voulais qu’il me tire par-dessus le bar et qu’il m’embrasse jusqu’à faire disparaître toute la souffrance et la laideur qui me remplissaient. Je savais que je ne m’y prenais pas comme il fallait, je savais qu’un mec comme Asa n’avait rien à faire de quelqu’un qui faisait appliquer la loi et essayait de maintenir la paix. En plus, ce n’était pas gagné sachant que j’avais été forcée de l’arrêter pour coups et blessures peu de temps auparavant. Asa me trouvait peut-être jolie, et il essayait peut-être de me sauver de moi-même car nous avions des amis en commun, mais je doutais sérieusement que je puisse être un jour l’objet de ses désirs après que je lui ai passé les menottes et l’ai traîné jusqu’au poste de police.

J’ai vaguement remonté mes cheveux en queue de cheval, ai glissé mes pieds dans une paire de vieilles bottes de moto, et ai foncé vers la porte d’entrée. Je m’apprêtais à la claquer derrière moi lorsque je me suis rappelée de prendre mes clés. Je n’arrêtais pas de m’enfermer à l’extérieur ; de ma voiture, de mon appartement, et même plusieurs fois de ma voiture de service. C’était une mauvaise habitude très chiante, et pas seulement pour moi, mais je ne semblais pas pouvoir m’en débarrasser, même après qu’une de mes mésaventures ait semé la zizanie entre mon voisin et de son adorable copine.

Je me suis dépêchée de faire demi-tour, crevée et énervée. J’ai pris mes clés à l’endroit où elles étaient posées à côté de la porte et suis ressortie en vitesse. Cette fois, le couloir n’était pas vide, et la copine du voisin, qui se trouvait aussi être ma seule et unique amie sur cette planète, sortait de leur appartement en face du mien. Saint était gentille comme tout. Elle était sereine et avait une voix douce, il y avait quelque chose chez elle qui m’avait tout de suite attirée. Quand j’étais avec elle, c’était comme si le rythme chaotique et dangereux de ma vie ralentissait pour laisser place à un doux balancement. Je l’avais obligée à être mon amie même si elle m’avait résistée au début. Maintenant, elle était presque aussi proche de moi que Dom, et tout aussi inquiète à cause de mon comportement.

Elle portait sa tenue d’infirmière sous son gros manteau d’hiver, donc elle partait manifestement à l’hôpital, où elle travaillait comme infirmière aux urgences. Ses cheveux cuivrés, dont la couleur tirait plus vers l’orange que les miens, étaient rassemblés sur sa tête dans un chignon vite fait et son visage était tout propre. Saint était une vraie poupée et le look de la « girl next door » lui allait à merveille. Malheureusement, je n’avais pas la chance de pouvoir adopter le concept less is more, donc les cernes noirs sous mes yeux disaient tout ce qu’il y avait à savoir de ma folle soirée sans que j’aie à dire un seul mot.

— Dom sort de l’hôpital aujourd’hui, lui ai-je dit en me dépêchant.

Elle m’a regardée en clignant de ses yeux gris doux et le coin de sa bouche a formé un demi sourire.

— Je sais. Je suis passée voir comment il va.

J’ai soupiré. Évidemment qu’elle le surveillait, c’était une amie géniale.

— Merci.

Elle a légèrement hoché la tête et nous nous sommes dirigées sans rien dire vers la porte du bâtiment victorien dans lequel nous vivions.

— Il me demandait de tes nouvelles chaque fois que je passais le voir.

J’ai avalé ma salive. Non pas parce qu’elle me jugeait ou qu’elle était méchante, mais parce que nous savions toutes les deux que j’aurais dû aller à l’hôpital pour le voir. J’ai serré mes clés dans ma main si fort que le métal s’est douloureusement enfoncé dans ma peau.

— Je ne pouvais vraiment pas. Je suis restée jusqu’à ce qu’ils viennent nous dire qu’il était stable après l’opération, mais c’était trop pour moi.

J’ai secoué la tête et ai frissonné quand l’air glacé de Denver s’est infiltré dans le col du sweat-shirt que j’avais enfilé. La raison pour laquelle Dom était resté si longtemps à l’hôpital n’était pas sa cheville éclatée ni son fémur cassé, mais c’était parce que l’une des balles avait transpercé un de ses reins. Il avait failli se vider de son sang avant d’arriver à l’hôpital.

— Sa mère était là, elle me regardait sans dire un mot. Je voyais qu’elle se demandait comment j’avais pu laisser Dom se faire tirer dessus. Je voyais ses sœurs penser « Pourquoi Dom et pas elle ? ». Je savais que j’allais m’effondrer et je ne voulais pas le faire devant tout le monde.

Elle a tendu la main et a pris mon coude.

— Personne ne te reproche rien, Royal. La famille de Dominic ne pensait pas ça, et tu le sais.

Merde. Quand est-ce qu’elle avait commencé à me lire aussi facilement ? Voilà pourquoi c’était dur d’avoir des amis.

— Je m’en veux, Saint.

Elle a soupiré et a lâché mon bras.

— C’est ce que je pensais, mais tu vas devoir dépasser ça. Comment se passe l’enquête ?

J’avais aussi peu envie de parler de l’enquête que de parler de l’état de Dom.

— Ça se passe. Les enquêtes internes sont toujours compliquées quand il y a eu le décès d’un agent.

Et elle était compliquée car j’évitais soigneusement de faire tout ce qui pouvait m’aider à me sortir de là. Il y avait d’autres agents sur les lieux et les témoins du quartier. Dom avait fait sa déposition, ainsi que l’équipier de l’agent qui ne s’en était pas sorti. Tous les récits concordaient et démontraient que je n’avais rien fait de mal, que la faute ne reposait pas sur moi, et que le gamin sur qui j’avais été obligée de tirer aurait continué à appuyer sur la gâchette jusqu’à ce que tous les uniformes soient tombés, mais, malgré tout, la culpabilité ne me quittait pas. Je me sentais sale et non qualifiée. Pas parce que j’avais tiré, mais parce que j’avais tiré trop tard.

— Je suis sûre que tout va finir par s’arranger pour toi. Est-ce qu’ils t’ont demandé d’en parler à quelqu’un ? C’est une situation assez lourde à traverser toute seule.

Pour Saint, soigner l’esprit était aussi important que soigner le corps. Je crois que c’était pour ça qu’elle était douée dans les situations de crise qu’elle gérait tous les jours. Elle tenait le coup face aux tragédies et au stress quand elle était au travail, dissociait le personnel du professionnel, puis rentrait à la maison et vider son sac avant que ça déborde. Contrairement à elle, je n’étais pas très douée quand il s’agissait de lâcher prise. En fait, ces derniers temps, je m’agrippais des deux mains à tout ce qui me touchait. Je crois que je pensais que si je m’y accrochais assez fort, personne d’autre n’aurait à subir le négatif.

— Je suis censée y aller demain.

Censée, c’était le mot clé. Si je ne trouvais pas une excuse pour ne pas avoir à écouter une psy me dire que je souffrais simplement de la culpabilité du survivant, j’allais péter les plombs. J’avais merdé. Je le savais, et je n’avais pas besoin qu’un professionnel me le confirme, mais si je voulais recommencer à bosser, j’allais devoir avaler la couleuvre et me forcer à aller m’allonger sur un canapé pour me faire laver le cerveau.

Saint s’est arrêtée quand nous sommes arrivées à ma 4Runner et a penché la tête en me regardant gravement. Je lui ai rendu son regard car j’accordais trop de valeur à notre relation pour ignorer son inquiétude.

— Vas-y. Écoute ce que la psychologue a à te dire. Tu n’es pas obligée de traverser ça toute seule, Royal.

Elle a tendu le bras et m’a fait un câlin, que je lui ai rendu, quoiqu’un peu raide. Quoi que ce soit, ce truc, je n’étais clairement plus la seule affectée, désormais.

Quand nous nous sommes séparées, je lui ai fait un sourire maladroit et lui ai dit :

— J’ai encore essayé de convaincre Asa de rentrer avec moi, hier soir.

Elle a levé un de ses sourcils en me regardant.

— Encore ?!

J’ai retroussé le nez et ai ouvert la portière de mon vieil SUV.

— Il n’arrête pas de me dire qu’il n’est pas intéressé. Peut-être que je ne lui plais pas, c’est tout.

Elle a eu un petit rire délicat et a remonté la fermeture de son manteau alors que le vent soufflait plus fort et rendait l’air hivernal à la limite du supportable.

— Évidemment que tu lui plais. Peut-être qu’il voit simplement que tu ne t’aimes pas beaucoup, en ce moment.

Je lui ai jeté un regard assassin mais n’ai pas discuté. C’est vrai, je ne m’aimais pas trop, ces temps-ci. J’ai relevé la manche de mon sweat et lui ai montré mon poignet, et elle a hoqueté, choquée.

— J’ai trop bu et je me suis attirée des ennuis. Asa m’a sortie de là et s’est assuré que je sois assez sobre pour reprendre la voiture et rentrer.

— Nash dit que même avec toutes les histoires de son passé, Asa est vraiment un mec correct.

En disant cela, Saint n’avait pourtant pas l’air persuadée que cela soit vrai.

J’ai simplement haussé les épaules et démarré la voiture. Le temps était glacial et le moteur a pris des plombes à chauffer avant d’être opérationnel.

— Correct, c’est ennuyeux si ça veut dire que je ne peux même pas arriver au stade du baiser avec lui.

Elle a secoué la tête en entendant le ton acerbe et frustré de ma voix.

— Je crois que tu fais exprès de chercher les ennuis.

Son avertissement tombait dans l’oreille d’une sourde. Oui, je cherchais les ennuis, mais l’ennui ne voulait pas de moi, donc c’était un point discutable.

— Je cherche quelque chose, et je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal à ça.

— Non, c’est vrai, mais quand tu auras récupéré ton badge et ton uniforme, les règles du jeu changeront, Royal. Tu devrais peut-être penser à ça.

Je ne voulais pas réfléchir aussi loin. J’ai marmonné dans ma barbe alors que Saint faisait un pas en arrière pour que je puisse fermer la portière.

— Je t’appellerai lundi quand j’aurais parlé à la psy, si j’y vais, et je passerai ton bonjour à Dom.

— Dominic t’adore, quoi qu’il arrive, tu le sais ?

J’ai hoché la tête, et pour la deuxième fois cet après-midi, j’ai senti les larmes me monter aux yeux.

— C’est ce qui n’arrange pas les choses. On se parle plus tard.

Elle m’a fait un petit signe de la main et s’est dirigée vers sa petite Jetta qui démarrerait un million de fois plus vite que mon vieux tank. J’aurais pu acheter une voiture plus récente et plus élégante, mais la 4Runner m’accompagnait depuis que j’étais ado et j’avais tellement de bons souvenirs qui y étaient rattachés que je ne supportais pas l’idée de m’en séparer.

Dom m’aimait vraiment, et je l’aimais aussi. Il était tout pour moi. C’était la lumière qui me guidait, ma voix de la raison. Dom était, sans aucun doute, mon héros, et surtout, il était là pour me rappeler que j’avais d’autres qualités que mon physique. Sans Dom, il y aurait eu de fortes chances que je devienne une petite prétentieuse, plus jeune, quand il était devenu évident que les dieux de la génétique m’avaient dotée de sérieuses qualités physiques. Dom a toujours été celui qui me rappelait que je valais tellement mieux que de devenir une femme-objet. J’étais intelligente, et capable de faire la différence. Si Dom n’avait pas cru en moi, ne m’avait pas poussée, je n’aurais jamais atteint les objectifs que je m’étais fixés. Si Dom ne m’avait pas rappelé ce que je valais, j’aurais sûrement fini exactement comme ma mère.

J’en frissonnais rien que d’y penser.

J’aimais ma mère, vraiment, mais je n’avais aucune patience face à ses décisions déplorables et la façon dont elle collectionnait les hommes comme si c’était une compétition sportive. Ma mère avait toujours été plus une amie qu’un parent. Elle m’aimait inconditionnellement, j’étais son monde entier, mais cela ne suffisait pas à combler le vide que mon père avait créé en refusant de quitter sa femme et sa famille pour être avec nous. Ma mère ne s’était jamais remise de ce rejet, et depuis, elle courait après le grand amour, et cherchait constamment la validation des hommes.

Ma mère est sublime, on sait d’où vient ma beauté. C’était aussi une habituée des adultères et elle avait brisé tellement de mariages et de couples que j’avais arrêté de compter quand j’étais adolescente. Quand j’étais plus jeune, je trouvais cela honteux et ça me mettait mal à l’aise. En vieillissant, j’avais compris qu’elle n’était tout simplement pas heureuse, qu’elle ne l’avait jamais été, et que même si elle m’aimait à la folie, je ne suffirais jamais à remplir le vide que mon père avait laissé dans son cœur. J’avais appris à accepter la relation que nous avions, à ne pas poser de questions, et j’essayais simplement de la soutenir comme elle m’avait toujours soutenue. Même si la majorité de ses décisions, lorsqu’il s’agissait du sexe opposé, me faisait bondir, j’aimais ma mère, son charme et sa frivolité.

C’était grâce à Dom, et pas à ma mère, que j’avais réussie. Je visais l’excellence et j’avais atteint tous les buts que je m’étais fixés. Et maintenant, à cause de moi, il était cloué au lit, gravement blessé. C’était totalement injuste pour lui et je n’avais pas la moindre idée de ce que j’étais censée faire pour qu’il me pardonne un jour.

Le parking de l’hôpital me paraissait interminable à mesure que je le traversais, dans le froid, en traînant des pieds. Le temps que j’arrive aux portes automatiques, je ne sentais plus mes doigts et mes oreilles découvertes me brûlaient à cause du vent. Je me sentais bête car je ne savais même pas à quel étage était la chambre de Dom, ni le numéro. Tu parles d’une meilleure amie. J’ai senti la honte peser sur mes épaules, et j’ai vraiment dû me retenir de faire demi-tour et de rentrer chez moi pour enfouir ma tête sous l’oreiller.

La personne à l’accueil m’a donné le numéro de la chambre de Dom et j’ai pris l’ascenseur. Je n’ai pas eu de mal à trouver sa chambre car ses deux sœurs traînaient dans le couloir, comme si elles m’attendaient.

Tous les Voss étaient dotés de beaux cheveux bruns et de yeux verts, avec chacun leur nuance. Ariella était la plus jeune des trois, et c’était une rigolote. Greer, la plus âgée et la plus réservée de la famille, m’a prise dans ses bras pour me faire un câlin qui m’a coupé le souffle, dès que je suis arrivée devant elles.

— On s’inquiétait beaucoup pour toi ! Tu n’as pas appelé, ni pointé le bout de ton nez. Personne ne savait ce qu’il t’était arrivé ni comment tu vivais l’enquête. J’ai cru qu’Ari allait devoir s’asseoir sur Dom pour le garder dans ce lit d’hôpital au bout d’une semaine passée sans te voir.

J’ai grogné et lui ai rendu son câlin. Je n’arrivais pas à croire à quel point j’avais été égoïste et indélicate.

— J’ai juste…

Ma voix s’est éteinte et Ari a levé les yeux au ciel.

— Tu as été un trou du cul.

Greer l’a réprimandé, mais j’ai serré sa main dans la mienne et ai hoché la tête en regardant Ari.

— C’est vrai. Je n’avais jamais laissé tomber Dom avant, et je le vivais mal.

L’emploi du passé laissait entendre que j’étais passée à autre chose, mais elles n’avaient pas besoin de savoir que c’était loin d’être le cas.

Ari m’a jeté un regard dur mais a penché la tête vers la porte ouverte, un peu plus loin dans le couloir.

— Ça fait des plombes qu’il attend de te voir. On va filer à son appartement pour vérifier que tout est prêt pour lui. Il va être collé dans un fauteuil roulant pendant trois ou quatre semaines. Avec Greer, on va venir chacune notre tour toutes les semaines jusqu’à ce qu’il puisse se débrouiller tout seul.

J’ai cligné des yeux bêtement. Dom était un monsieur muscle. Il était grand et fort, dans une forme olympique, et avait toujours été l’homme le plus débrouillard que je connaisse. L’idée de le voir en fauteuil, dépendant des autres pour des tâches quotidiennes, a décuplé le poids qui s’était installé dans mon ventre.

— Je peux aider. Il suffit que vous me disiez de quoi vous avec besoin, de quoi il a besoin.

Ma voix était comme étouffée et fatiguée.

— Tu vas bientôt reprendre le travail. On s’en occupe, avec Ari. Et puis, on lui doit bien ça pour toutes les fois où il s’est occupé de nous quand on était petites.

Quand ils étaient enfants, leur père était flic. C’était un agent de terrain jusqu’à ce qu’une confrontation avec un cambrioleur armé tourne mal, et les Voss se sont soudain vus enterrer le patriarche de la famille bien avant son heure. Dom avait tout de suite pris la place de son père, comme tout bon fils était supposé le faire. Le fait qu’il soit allé jusqu’à s’engager dans la police tout comme son père était un sujet sensible pour sa mère.

Je me suis éclaircie la voix et ai réprimé l’envie de jouer nerveusement avec mes cheveux.

— Dom a toujours pris soin de moi aussi.

Greer a soupiré, m’a prise par les épaules, et m’a retournée pour que je sois face à la chambre.

— Oui, c’est vrai, et on sait toutes les deux qu’il veut que tu retournes au travail. Lui, il ne pourra pas reprendre pour Dieu sait combien de temps, alors il va devoir vivre à travers toi pendant un moment, Royal. Ce qu’il a toujours voulu pour toi, c’est que tu te serves de tout ton potentiel. Ne laisses pas cette épreuve te mettre à terre, après avoir tant travaillé pour te construire.

Si seulement c’était si facile. J’ai inspiré profondément et ai fait le pas en avant que j’évitais depuis deux semaines.

Il était sur le lit, ses cheveux bruns étaient tout ébouriffés et ses yeux verts rivés sur la porte ouverte ; de toute évidence, il m’attendait. Son grand corps était recouvert de plâtres et de bandages. Son beau visage était marqué par l’agacement et par un début de barbe impressionnant. Il avait une tête horrible et superbe à la fois. J’avais tellement de chance qu’il s’en soit sorti et de ne pas avoir eu à annoncer à sa famille qu’ils avaient perdu une autre personne qu’ils aimaient à cause de ce boulot.

En le voyant, je n’ai pas pu m’en empêcher, je me suis mise à pleurer comme une Madeleine. Je ne pleurais pas tant que ça d’habitude, mais quelque chose en moi allait de travers, je ne fonctionnais pas normalement. Les larmes sont sorties et Dom a lentement tendu son bras valide, et ce petit mouvement lui faisait visiblement mal.

J’ai foncé jusqu’au côté du lit et l’ai laissé me tirer doucement contre lui. J’ai senti ses lèvres toucher le dessus de ma tête et son large torse a grondé quand il m’a dit :

— L’était temps.

Je n’ai pu que lui répondre, en chuchotant :

— Je sais.

J’aurais dû être là depuis le début, ou plus précisément, j’aurais dû être allongée dans ce lit d’hôpital depuis le début, à sa place. Comment Dom allait-il pouvoir me pardonner si jamais je ne pourrais me pardonner moi-même ?

CHAPITRE 3

Asa

Le week-end suivant s’est déroulé sans aucun incident. Je ne savais pas si ce sentiment était dû au fait que Royal avait respecté mon avertissement et était restée chez elle, ou grâce à Dashel (Dash) Churchill, le copain de Rome qui travaillait enfin officiellement ici. Impossible que quelqu’un soit assez stupide pour chercher des noises au mur de muscles massifs qui parlait à peine, mais lançait des regards noirs comme personne. La présence de ce mec suffisait à calmer tout désordre, et même si c’était sympa de ne plus devoir faire le méchant, j’avais peur que son attitude sombre et menaçante fasse fuir les clients. Rome était assez balèze et peu bavard, lui aussi, mais il y avait quelque chose chez cet ancien soldat qui indiquait clairement qu’il n’y a pas si longtemps, il avait été un tueur au sang froid, et qu’il ne fallait pas l’embêter. Même Dixie, qui s’entendait bien avec tout le monde, gardait ses distances avec notre nouvelle recrue, même si elle lui lançait également des regards intéressés, quand elle pensait qu’il ne regardait pas. Toutes les femmes dans le bar semblaient apprécier le mastodonte à la peau caramel, avec ses origines métissées et son regard sombre et impénétrable ; non pas qu’il ai l’air d’accorder de l’importance à l’attention féminine qu’il attirait.

C’était calme pour un lundi soir, donc je leur avais dit à tous les deux de rentrer, et à Avett de fermer la cuisine. Cela ne servait à rien de les payer pour rester debout à ne rien faire, alors qu’il n’y avait qu’un seul client. Je connaissais bien Zeb Fuller. C’était un ami de mon beau-frère et du reste de la bande avec qui je passais le plus clair de mon temps, et un habitué du Bar. C’était un autre homme-bête duquel émanaient de gros signaux de « ne m’emmerde pas ». Il devait y avoir quelque chose dans l’air sain montagnard qui permettait aux gars du coin de grandir jusqu’à devenir géants. J’étais loin d’être petit ou fin, mais le plus souvent, je me retrouvais à regarder les hommes nez-à-nez ou à devoir lever les yeux face aux gars qui constituaient mon cercle d’amis. C’était un argument de plus pour ne pas faire de conneries. Il y avait beaucoup trop de mecs dans cette ville capables de me botter le cul en long, en large et en travers si je recommençais à déconner.

Zeb avait un air pensif sur le visage et se caressait distraitement la barbe. Depuis que j’avais emménagé à Denver, j’avais vite appris que les trois B dominaient tout le reste : barbes, bières, et bombasses. Cette ville regorgeait de ces trois choses, et en cas de doute, on pouvait toujours commencer une conversation en choisissant un des sujets de la sainte trinité. Zeb avait la barbe, il ne buvait pas de bière et je savais, comme il venait toujours déposer ses problèmes au bar, que sa situation en matière de bombasses en était au point mort car la fille pour laquelle il avait craqué semblait ne pas avoir la moindre idée de ce qu’il ressentait pour elle. C’était aussi la grande sœur d’un de ses meilleurs amis, Rowdy, qui n’était pas exactement enchanté que Zeb soit intéressé par sa sœur.

J’avais fini de nettoyer le bar et de remplir le réfrigérateur pendant que Zeb se noyait dans son verre de Whisky-Coca quasi vide. Je n’aurais jamais cru que je serais le mec à qui les autres viennent raconter leurs problèmes. Je n’étais pas vraiment compatissant, ni patient mais depuis que j’avais mis les pieds derrière ce bar, j’avais plus l’impression d’être un psy qu’un barman. Le plus choquant, c’était que cela me plaisait. J’aimais être capable de voir la situation de l’extérieur et de donner des conseils. Après tout, j’avais assez déconné pour toute une armée de gens, alors je me disais, autant faire bon usage des dures leçons que j’avais apprises.

— Pourquoi tu ne lui proposes pas de sortir, tout simplement ?

J’ai jeté le torchon de bar sur le tas de chiffons sales et ai pris la télécommande pour éteindre la télé. J’allais tout fermer à minuit, vu que Zeb était le seul client et que j’en savais assez pour être sûr qu’il était là pour parler, pas pour boire.

Il a levé les yeux vers moi et a froncé les sourcils.

— Tu as rencontré Sayer. Est-ce qu’elle a l’air du type de fille qui sortirait avec un mec comme moi ?

Sayer Cole était une sorte de mystère. Elle était avocate, d’une beauté élégante et raffinée, et elle avait surpris notre groupe de bandits en arrivant à Denver pour retrouver son frère, un de nos amis. Rowdy n’avait jamais su qu’il avait une sœur et avait grandi en foyer, donc les retrouvailles avaient été houleuses, pour ne pas dire plus. Mais maintenant, elle s’était parfaitement intégrée au reste des âmes égarées qui formaient le petit groupe très uni dont faisait partie ma petite sœur, Ayden, qui avait épousé l’un des membres. Heureusement pour moi, ils m’ont accepté dans la tribu, car j’étais le frère d’Ayden et qu’elle ne me laisserait pas tomber. Elle ne m’adorait peut-être pas tous les jours, mais elle m’aimait inconditionnellement, et cela suffisait pour que le reste de la bande m’accueille à bras ouverts.

— Elle est sympa. Elle a l’air de plutôt prendre les choses du bon côté.

Zeb a poussé son verre vide vers moi et a passé les mains dans ses cheveux décoiffés. Il était entrepreneur en bâtiment, gagnait sa vie en construisant des choses, donc ce n’était pas étonnant qu’il me fasse penser à un bûcheron des temps modernes.

— Je flirte avec elle, je la provoque et je fais des sous-entendus depuis le jour où on s’est rencontrés. Elle est intelligente. Si elle était intéressée, elle réagirait aux signaux que je lui envoie.

— Peut-être.

J’ai posé les bras sur le bar et me suis penché en avant, devant lui et lui ai demandé sérieusement :

— Tu ne crois pas qu’elle est plus habituée aux invitations en bonne et due forme, quand quelqu’un veut sortir avec elle ? Chez Sayer, tout respire le country club et les bonnes manières. Peut-être qu’elle n’est pas sûre de ce que tu veux.

Il m’a regardé une seconde sans rien dire, puis s’est redressé sur son tabouret.

— Tu crois ?

J’ai haussé les épaules.

— Je ne sais pas. Elle t’a embauché pour travailler sur sa maison même après que tu lui aies dit que tu avais fait de la taule. Elle t’a laissé seul avec la sœur de Salem alors qu’on sait tous qu’elle protège cette fille comme une maman ourse. Elle te fait visiblement confiance et elle est à l’aise avec toi. Peut-être qu’elle attend que tu améliores ton jeu. Toutes les nanas ne vont pas commencer à enlever leurs fringues et se jeter dans ton lit juste parce que tu leur souris. Une fois, je t’ai entendu dire à Rowdy que tu n’avais pas peur de t’impliquer, si la fille en valait la peine. Sayer en vaut la peine.

Elle en valait vraiment la peine. Elle m’avait aidé à me sortir d’une situation délicate récemment, et quand la copine de Rowdy avait eu besoin d’un lieu sûr pour que sa petite sœur se remette d’une expérience terrible, Sayer n’avait pas hésité à accueillir la jeune femme. Elle était aussi gentille et généreuse qu’adorable. Elle méritait un mec qui était prêt à tout pour elle, même si ce mec ressemblait un peu à un bûcheron canadien tatoué.

Zeb s’est reculé du bar et m’a regardé en haussant les sourcils.

— Je ne sais pas si je devrais écouter les conseils d’un mec qui a plusieurs fois refusé les avances de la bombasse la plus entreprenante que j’aie jamais vue. C’est du gâchis, mec.

J’ai levé les yeux au ciel et ai croisé les bras.

— C’est bien ça, le problème : elle n’est pas comme ça, et je ne sais pas pourquoi elle se jette sur moi, tout à coup. En plus, une fille qui peut me jeter en prison dès que je la fous en colère, non merci.

De toute façon, j’allais forcément finir par merder et la foutre en colère. C’était ce que je faisais toujours.

Zeb a grogné.

— Je crois que je risquerais une nuit en garde à vue, pour elle. Lui dire non, c’est un exploit herculéen. Quelqu’un devrait demander à te faire canoniser.

J’ai eu un rire sec et l’ai suivi vers la porte d’entrée pour la fermer derrière lui.

— L’auréole prendrait feu si elle s’approchait de ma tête.

Il m’a lancé un regard ferme.

— Tu sais que je pense que tu n’es pas aussi mauvais que tu penses l’être, Asa. Crois-moi, j’ai passé pas mal de temps au rayon conneries, mais je n’ai jamais laissé ça définir qui je serai pour le reste de ma vie.

J’avais, certes, fait un certain nombre d’aller-retours en prison depuis mon adolescence, mais mes séjours n‘avaient jamais duré plus de quelques semaines. Zeb, en revanche, avait passé plusieurs années enfermé à cause de son erreur. La différence entre nous était que Zeb avait enfreint la loi car il avait eu le sentiment de ne pas avoir d’autre choix. J’avais enfreint la loi parce que j’en avais envie. Elle se trouvait sur mon chemin, m’empêchait d’obtenir ce que je voulais ou ce dont je pensais avoir besoin, alors je l’avais ignorée comme si de rien n’était.

— Il y a des gens qui ratent, et des gens qui sont ratés. Je fais nettement partie de la seconde catégorie.

Il ne pouvait y avoir d’autre explication au fait qu’Ayden et moi partagions le même patrimoine génétique et étions si radicalement différents. Certes, il y avait une chance que j’aie hérité du tempérament de mon connard de père, un père que nous n’avions pas en commun. Pourtant, nous étions si opposés que je me demandais parfois si nous avions été élevés dans la même maison en traversant les mêmes épreuves dans notre enfance. Je ne savais pas du tout comment elle pouvait être aussi calme et stable. Je ne savais pas comment elle avait pu trouver une place pour moi dans sa nouvelle vie ni pourquoi elle était restée à mes côtés quand j’étais en train de mourir. Je savais qu’elle n’avait que trop de raisons de m’abandonner, mais au lieu de ça, elle avait fait tout son possible pour me sauver et m’avait offert une nouvelle vie. Une vie que j’étais terrifié de détruire d’une seconde à l’autre.

Zeb a un peu secoué la tête et a ouvert la porte d’un coup.

— Je crois qu’il faut que tu sois moins dur avec toi-même.

J’ai haussé les épaules.

— Peut-être.

Je l’ai fait sortir en poussant son épaule et lui ai fermé la porte au nez. J’aimais bien Zeb. Nous avions beaucoup de choses en commun, mais il ne connaissait pas toute l’histoire, il n’avait aucune idée des choses horribles que j’avais faites. Il ne savait pas que quand j’étais mort, quand tout était devenu noir et que je pensais que je ne reviendrais pas, chacune des choses atroces, horribles, épouvantables que j’avais faites dans ma vie ont défilé devant mes yeux.

Comment je m’étais servi d’Ayden. Je ne l’avais jamais empêchée de faire ce qu’elle faisait, tout cela pour obtenir ce que je voulais. Le sexe, la drogue, le tout dans un kaléidoscope de regrets, si durs et lourds que j’étais certain qu’ils me détruiraient. J’aimais ma sœur plus que tout au monde, et pourtant, je n’avais pas été capable de m’empêcher de la traiter comme un pion dont je me servais. Voir ce que j’avais fait à Ayden, ce que je l’avais laissée faire pour moi, était pire que tous les coups de battes de baseball que les motards m’avaient donné. Voir le chagrin dans ses yeux à la couleur de whisky lorsque je l’avais enfin retrouvée après des années de séparation avait suffi à me rendre heureux, même si j’étais en train de mourir.

En plus de cela, il y avait les vieilles dames que j’avais arnaquées et les motards que j’avais volés. Il y avait les voitures que j’avais piquées et les hommes avec qui ma mère couchait pour payer le loyer, alors que je ne faisais rien pour l’en empêcher et l’aider. Il y avait la jeune fille que j’avais séduit pour qu’elle me donne ses économies destinées à payer ses études, que j’avais rapidement dilapidées lors d’une partie de poker clandestine. Il y avait le vieil homme en manque de compagnie, que j’avais non seulement convaincu que j’étais homo, mais aussi que j’étais intéressé, juste assez pour qu’il me signe un chèque afin de vivre ma passion pour la photographie ; bien entendu, je n’étais ni homo ni photographe, mais ses dix mille balles avaient bien aidé à financer l’escroquerie suivante. Le nombre de personnes que j’avais arnaquées était infini, et alors que leurs visages défilaient comme un film devant mes yeux, et que la vie me quittait, je savais que je n’avais que ce que je méritais.

Quand je m’étais réveillé, que j’avais vu Ayden penchée sur moi, tandis que j’essayais de prendre conscience que même le diable n’avait pas voulu de moi en enfer, j’avais compris quelque chose de clair, net et précis. J’étais un trou du cul. J’étais un homme mauvais qui avait fait des choses mauvaises et je serais toujours ce mec-là, mais je ne voulais jamais, plus jamais faire de mal à ma sœur. Je voulais qu’elle n’ait plus jamais à s’inquiéter pour moi, ni qu’elle souffre à cause de moi ou perde qui ou quoi que ce soit par ma faute, plus jamais. Je serais toujours un raté, mais j’allais faire tout ce que je pouvais pour arrêter les dégâts, et jusqu’à présent, cela s’était plutôt bien passé. Il fallait simplement que je m’accroche à ces souvenirs, ces regrets et ces remords, que je m’y accroche assez fort pour que mes mains soient trop occupées et ne puissent pas accomplir l’œuvre du diable.

J’ai sorti le tiroir de la caisse et l’ai mis, avec les tickets, dans le coffre qui se trouvait dans le bureau de Rome. J’ai vérifié que toutes les caméras étaient allumées, en particulier celles du parking, qu’il avait installées récemment. Je m’étais fait attaquer, un soir, par une bande de gamins en soif de vengeance, et cela avait mené à mon arrestation et un casse-tête judiciaire interminable, à cause de mon passé. Alors maintenant, j’étais hyper vigilant et je m’assurais toujours que l’œil au-dessus de moi observait mes moindres mouvements.

Il était un peu plus d’une heure du matin. Le parking était vide, à l’exception de quelques voitures de clients qui étaient rentrés à pieds après avoir bu, ou de gens du quartier que Rome laissait se garer ici. Le Bar n’était pas dans un mauvais quartier, et j’avais l’habitude de travailler à des horaires décalés maintenant que je quittais le travail bien après que tout le monde se soit couché. J’aimais bien la sérénité que me procurait ce rythme.

Il faisait froid, dehors. Venant du Sud, il m’avait fallu un hiver ou deux pour m’habituer à l’air glacial des montagnes. Je n’aimais pas les frissons. En vérité, j’aimais si peu l’hiver que je songeais à acheter une voiture alors que mon studio n’était qu’à deux rues du bar, à peine. Voilà une autre chose qui avait changé après avoir frôlé la mort. Les choses matérielles, superflues n’avaient plus aucune importance. Avant, je voulais toujours le top du top. Les plus beaux vêtements, la voiture la plus voyante, la plus grande maison, et bien sûr, la plus jolie fille. Je voulais tout ce que n’avais pas eu en grandissant, et tout ça pour me vanter et prouver ce que je valais. Aujourd’hui, je ne voulais plus rien. Moins je possédais de choses, moins j’en avais à perdre.

Je frottais mes mains l’une contre l’autre en soufflant dessus pour les réchauffer lorsque des phares m’ont soudain éboulis et qu’un véhicule est entré sur le parking, s’arrêtant juste à côté de moi. Les phares se sont éteints et la portière s’est ouverte du côté conducteur. Je me serais inquiété, tendu et je serais parti si je n’avais pas reconnu le vieil SUV et sa conductrice. Royal serait toujours plus jolie que tous les trophées que je brandissais, à mon âge d’or… Même si c’était évident qu’elle n’avait pas beaucoup dormi.

J’ai remonté le col de mon manteau en cuir d’agneau autour de mon cou et ai fait le tour de la portière par laquelle elle sortait. Elle avait l’air de venir de la salle de sport. Elle portait une sorte de pantalon moulant et extensible et un grand sweat-shirt. Ses cheveux étaient emmêlés dans un chignon en désordre sur le dessus de sa tête, et ses yeux semblaient plus foncés que leur couleur chocolat habituelle. Elle portait aussi des baskets au lieu de ses talons sexy, et elle frissonnait dans l’air nocturne.

— Il est tard pour se balader.

J’ai essayé de garder une voix neutre. Elle était imprévisible et je ne savais jamais comment la prendre. Avant, j’arrivais à lire les gens comme dans un livre ouvert, mais elle n’arrêtait pas de tourner les pages.

Elle a tiré les manches de son sweat sur ses doigts et a levé les yeux vers moi avec un regard qui a fait sérieusement sursauter ma queue derrière sa braguette. Être aussi naturellement sexy devrait être interdit.

— Je suis allée faire du sport parce que je n’arrivais pas à dormir. Mes supérieurs ont décidé que je pouvais retourner travailler à la fin de la semaine, tant que je vais voir la psy du département pendant trois mois.

Je pensais qu’elle aurait eu l’air plus contente que cela.

— C’est une bonne nouvelle… Non ?

Ses frissons se sont transformés en vrais tremblements, et je savais que cela n’avait rien à voir avec la faible température. Tout en sachant que j’avais tort de le faire, j’ai passé un bras autour de son cou et l’ai attirée contre mon torse. J’ai ouvert mon manteau et l’ai laissée se blottir contre moi alors qu’elle était prise de tremblements incontrôlables. J’ai senti ses mains se glisser contre mes flancs et chercher la peau chaude sous mon T-shirt dans le bas de mon dos. J’ai sursauté et j’aurais voulu me dire que c’était à cause de ses mains glacées, mais ce n’était pas du tout le cas. Son toucher faisait frissonner ma peau d’excitation.

— Je n’ai jamais travaillé sans Dom. Il est comme ma moitié. Ils vont m’assigner un équipier temporaire jusqu’à ce que Dom revienne.

Elle s’est reculée pour pouvoir me regarder sous ses cils soyeux.

— Sauf qu’ils n’ont pas dit « quand » Dom reviendra, mais « si » il revient. Je ne sais pas si je peux y retourner sans lui.

J’ai senti ses doigts s’enfoncer dans le creux juste au-dessus de mes fesses et j’ai dû réprimer un frisson.

— Tu adores ton boulot.

Je savais que c’était vrai. Même si elle faisait n’importe quoi, ces derniers temps, ce qui n’était pas dans ses habitudes, son travail faisait partie d’elle.

— Tu n’as pas besoin de ton équipier pour être une bonne flic, Royal.

Nous nous sommes regardés un bon moment sans rien dire, puis le coin de sa bouche a esquissé un sourire qui a fait bouillonner mon sang. Il fallait que je la lâche et que je reprenne ma route avant de faire une bêtise.

— Je t’ai manqué, ce week-end, Asa ?

C’était une question pleine de sous-entendus, et pas qu’un peu. Évidemment, j’avais remarqué qu’elle n’était pas là, mais je refusais catégoriquement de reconnaître ce que son absence m’avait fait ressentir, donc j’ai soupiré et lui ai demandé :

— Qu’est-ce que tu fais ici, à cette heure-là ?

Elle a penché la tête sur le côté et ses yeux se sont un tout petit peu plissés. Ses doigts se sont faufilés sous la ceinture de mon jean à l’arrière, et j’ai repris une respiration sifflante.

— Je ne sais pas. Chaque fois que je n’arrive pas à savoir où j’en suis en ce moment, je finis toujours là où tu es.

J’ai lancé un juron et ai voulu faire un pas en arrière, mais ses mains sont descendues encore plus bas et m’ont tiré plus près d’elle.

— Il faut que tu répares ta boussole, alors. Elle t’indique la mauvaise direction, Red.

Soudain, la température est passée de négative à celle de la surface du soleil. Ma respiration s’est accélérée tandis qu’elle me dévorait du regard.

— Plus tu me dis ça, plus je suis décidée à te donner tort.

Puis elle s’est mise sur la pointe des pieds pour presser sa bouche contre la mienne, et j’ai su que j’allais craquer. Je savais que ça allait arriver. Nous nous tournions autour depuis des mois. Elle était trop belle et trop insistante pour que cela ne finisse pas par arriver un jour. Elle était aussi trop gentille, et beaucoup trop bien, pour laisser quelqu’un comme moi poser les mains sur elle. Je n’étais pas réellement ce qu’elle voulait, mais j’étais fatigué d’essayer de le lui faire comprendre. Malgré mes bonnes intentions, le feu entre nous allait devenir incontrôlable et elle venait de craquer une allumette et de la jeter nonchalamment sur les braises.

Ses mains se sont faufilées jusqu’à mes flancs tandis que ses lèvres douces faisaient de leur mieux pour m’abrutir de désir. Je pouvais la respirer. Cela aurait été si simple de me perdre dans toute cette douceur qui la rendait délectable, mais quelque part dans un coin de ma tête, je voyais la catastrophe arriver à grands pas. J’ai levé les mains et ai pris délicatement sa mâchoire. J’ai caressé sa peau, tellement douce qu’elle semblait irréelle, et ai fait absolument tout ce qui était en mon pouvoir pour ne pas la laisser m’emmener quelque part dont je ne pourrais pas revenir. Je me suis dégagé de la caresse exquise de sa bouche sur la mienne alors que sa langue sortait pour passer sur mes lèvres fermées. Cela m’a fait grogner mais je devais y mettre fin, il fallait en finir maintenant. Sauf qu’elle était rapide et a profité de ma réaction pour glisser sa langue entre mes lèvres entrouvertes… Il n’y avait plus aucuns moyens d’arrêter l’avalanche de désir qui s’abattait sur moi.

Après tout, je n’avais jamais prétendu être un ange, et même le diable ne pouvait jouer avec le feu qu’un certain temps avant de céder à la tentation et de danser dans les flammes.

Je l’ai faite reculer contre la portière ouverte de sa voiture. J’ai passé les doigts dans ses cheveux et ai glissé ma jambe entre les siennes pour que nos pelvis soient l’un contre l’autre. Je n’étais pas sage. Je l’ai embrassée comme elle le désirait depuis le début de ce petit jeu. Je me suis servi de ma langue. Je me suis servi de mes dents. Je ne la laissais pas respirer et je ne lui laissais aucun espace pour bouger tandis que je me pressais contre elle. J’ai passé le bras derrière elle pour empoigner son cul spectaculaire, dans un mouvement sans aucune classe, et me suis assuré de la manipuler de manière très grossière.

Si elle voulait le vrai Asa, alors elle l’aurait. Cela ne me dérangeait pas du tout de laisser tomber les faux-semblants, surtout alors qu’elle ondulait et gémissait contre moi. J’ai enroulé ma langue autour de la sienne. J’ai aspiré fort sa lèvre inférieure jusqu’à ce qu’elle reprenne son souffle. J’ai pressé mon torse contre sa poitrine jusqu’à sentir le bout rigide de ses seins à travers toutes les couches de vêtements qui nous séparaient.

J’ai senti ses ongles s’enfoncer plus fort dans ma peau, sous mon T-shirt, où ses mains étaient encore coincées. Je pensais qu’elle comprenait peut-être ce que j’essayais de dire, que ceci allait forcément mal finir, et que son bon sens se réveillait enfin. Mais à l’instant où je m’apprêtais à la lâcher et à reculer pour prendre un peu de distance et remettre en ordre mes idées, une de ses dangereuses mains a brusquement fait un détour drastique vers le sud, et une seconde plus tard, la paume de sa main était complètement enroulée autour de l’érection dure comme du béton qui tendait mon jean.

Le contact m’a tellement surpris que je me suis reculé par réflexe et ai fait un geste pour prendre son poignet. Elle s’est contentée de me faire un sourire diabolique et de battre des cils avec une innocence feinte.

— On est dans un parking, à la vue de tous. Tu veux vraiment te lancer là-dedans avec moi, Red ?

Sans compter que ce petit fiasco était filmé et enregistré, et je n’avais pas spécialement envie que des yeux indiscrets voient le spectacle. Je ne croyais pas non plus que Royal était une exhibitionniste, mais ses pensées noires et son esprit compliqué la faisaient prendre des risques surprenants et inconsidérés. J’ai grondé son nom quand elle a glissé sa main de haut en bas, faisant sursauter ma queue à son contact, comme un animal bien dressé. Un de ses sourcils auburn s’est levé d’un coup et elle a sorti le bout de la langue pour lécher sa lèvre encore humide. Putain, la moindre petite chose qu’elle faisait me donnait des idées vraiment, vraiment sales.

— Pourquoi pas ? Tu ne m’as jamais laissée m’approcher autant que ça.

Elle a vigoureusement serré mon manche gonflé, et cela a fait rouler mes yeux dans leurs orbites. J’étais à la limite, sur le point de la soulever et de la jeter dans le SUV pour lui donner ce qu’elle me demandait, lorsque mon téléphone a sonné.

Sachant que nous étions plus qu’au milieu de la nuit et que la sonnerie était celle que j’avais attribuée à ma petite sœur, j’ai eu une légère crise de panique et ai détaché Royal de mon paquet pour m’éloigner d’elle.

— Ayd ?

Je ne pouvais pas retenir ma voix tendue en aboyant son nom.

— Oh mon dieu, Asa, Shaw est en train d’accoucher !

Ma sœur criait, donc j’ai dû éloigner le portable de mon oreille.

— Ok… Et… ?

Shaw Archer était la meilleure amie d’Ayden. Elles étaient plus que proches toutes les deux, et je savais que c’était très dur pour Ayden depuis qu’elle avait déménagé à Austin pour être plus près de son mari, alors que sa meilleure amie attendait son premier enfant. Je me suis calmé lorsque j’ai compris que ma sœur et Shaw allaient bien toutes les deux et qu’il n’y avait pas d’extrême urgence.

— Tu as intérêt à ramener ton cul à l’hôpital et à y rester à ma place le temps que j’arrive à Denver. Jet est en train de nous prendre un vol, mais je ne serai pas là avant demain matin. Il faut que tu y ailles pour moi, Asa.

Jet était le mari d’Ayden, ainsi qu’un très bon ami du père du bébé. Il aurait déplacé des montagnes pour être sûr qu’Ayden ne loupe pas ce moment crucial dans la vie de Rule et Shaw. Je me suis passé les mains dans les cheveux et ai soufflé, de la vapeur sortait de ma bouche.

— Shaw ne voudra pas que je sois là, Ayd. C’est toi qu’elle veut voir.

— Je sais bien, mais je n’arriverai peut-être pas à temps, donc tu vas aller à l’hôpital et me remplacer !

Elle hurlait et était presque hystérique, donc impossible à raisonner.

— Il faut que tu me tiennes au courant de tout ce qu’il se passe pendant que je viens. Tu dois faire ça pour moi, Asa.

Rule était le petit frère de Rome. Tout le clan Archer allait être présent, sans parler des autres membres de la bande qui travaillaient avec Rule au salon de tatouage qui leur appartenait, à lui et à Nash. La salle d’attente de la maternité allait être remplie par la famille du Marked et ils n’avaient vraiment pas besoin de moi en plus. Mais je m’étais promis de ne plus jamais décevoir Ayden, alors j’ai accepté en marmonnant pour lui raccrocher au nez avant qu’elle continue à me crier dessus.

J’ai regardé Royal, qui écrivait sur son téléphone et mordillait sa lèvre inférieure, comme si elle n’avait pas eu la main dans mon pantalon quelques instants auparavant. Elle m’a regardé avec un sourire en coin.

— Saint vient de me dire que Shaw est en train d’accoucher.

J’ai hoché la tête puis ai froncé les sourcils quand mon portable a vibré dans ma main à cause d’un SMS. Je pensais que c’était Ayden, mais j’ai été surpris de voir que c’était un message de Rome.

Un autre Archer ne va pas tarder à arriver. Ramène ton cul à l’hôpital.

Il m’a fallu une petite minute pour comprendre qu’il voulait que je sois là pour ce grand événement. J’ai levé des yeux confus vers Royal.

— Rome veut que j’y aille.

— Évidemment.

J’ai froncé les sourcils.

— Comment ça, « évidemment » ?

Elle m’a fait une grimace et a avancé pour monter dans la 4Runner du côté conducteur.

— Vous êtes amis et quasiment associés. Rule a Nash, Jet a Rowdy, et Rome t’a, toi. On a tous besoin de quelqu’un sur qui compter, et accueillir une nouvelle vie au monde, c’est clair que ce n’est pas rien. Allez viens, je t’amène.

J’étais bouche bée, alors j’ai fait le tour de la voiture et me suis installé côté passager. Je me suis bien enfoncé dans le siège et ai regardé droit devant moi.

J’aimais bien Rome. Je le respectais énormément. Il était aussi sur ma nouvelle liste de personnes que je ne voulais jamais décevoir. Il m’avait donné une chance quand le reste du monde semblait attendre que je foute tout en l’air. Je lui devais beaucoup, mais je n’avais jamais pensé que quelque part en cours de route, cela s’était transformé et qu’il comptait sur moi et me respectait aussi. C’était un concept relativement inconnu pour moi, et je n’étais pas sûr de savoir quoi en faire.

— Un de ces jours, tu vas me laisser finir ce que j’essaie tout le temps de commencer avec toi, Asa.

La voix de Royal était basse et on y entendait le désir qui s’est enroulée autour de mon cœur. Cela ne pouvait pas arriver. Je ne pouvais pas la laisser m’atteindre ; ça serait synonyme de mauvaises nouvelles pour nous deux. Il était temps d’arrêter de faire semblant et de me montrer sous mon vrai jour.

Je lui ai fait un sourire salace et lui ai dit platement :

— Toutes les bites que tu touches finissent par jouir, Red.

C’était cru et inutile, mais cela l’a rendue silencieuse pour le reste du trajet jusqu’à l’hôpital et j’ai passé ce temps à me convaincre que c’était pour le mieux…

… N’est-ce pas ?

CHAPITRE 4

Royal

Mon adrénaline se dissipait. En partie à cause du manque de sommeil et du sport, mais surtout à cause d’Asa qui m’avait vidé de toute énergie, pour la remplacer par du désir. Je savais qu’une fois qu’il me laisserait m’approcher assez près pour le toucher, je ne serais plus capable de m’arrêter. Il y avait quelque chose chez lui qui m’attirait irrésistiblement, et c’était trop dur à combattre.

Je n’étais pas du genre timide, mais je n’étais pas celle qui fourre sa main dans le pantalon d’un mec non plus. Asa repoussait toutes mes limites, me faisait oublier que mes actes avaient des conséquences, et j’adorais ça. J’adorais le fait que lorsque j’étais assez près pour le respirer, je ne sentais plus que lui, et j’aimais que ses yeux ambrés et scintillants semblaient voir tout ce que j’essayais de cacher. Ils étaient assez chauds pour faire fondre le métal le plus résistant, et j’étais loin d’être faite de fer et d’acier, en ce moment. Je me sentais encore plus faible près de lui.

J’avais la ferme intention de le déposer à l’hôpital et de rentrer chez moi pour faire semblant de dormir. Le trajet jusqu’à l’hôpital s’est déroulé dans un silence absolu, et je voyais les muscles de sa mâchoire carrée se contracter, à mesure que nous approchions. Je ne savais pas si ça avait un rapport avec moi ou avec le nouveau venu, mais c’était évident qu’il était perdu dans ses pensées, et je n’y étais pas la bienvenue. Peu importe sur quoi il méditait, cela n’avait pas l’air de le rendre particulièrement heureux. Je voyais, même dans la pénombre de la voiture, que ses yeux étaient passés de leur or vieilli habituel à un marron bien plus foncé et dense.

Je me suis arrêtée devant l’immense bâtiment et ai attendu qu’il descende. Je ne voulais rien dire, je me disais que je m’étais attirée assez d’ennuis pour la soirée, mais il a penché la tête sur le côté et m’a lancé un regard interrogateur.

— Tu ne viens pas ?

Mes mains se sont crispées autour du volant sans que je m’en rende compte et je l’ai regardé en clignant des yeux, confuse.

— Pourquoi je viendrais ?

J’étais proche de Saint et j’aimais beaucoup Nash, c’était à peu près le mec le plus gentil du monde, mais je connaissais à peine Shaw, et la femme de Rome, Cora, me fichait la trouille. Je m’entendais bien avec Salem, son attitude brute de décoffrage était géniale, et j’aimais le fait qu’elle dise toujours ce qu’elle pense. En plus, quand sa sœur avait été enlevée, elle s’était tournée vers moi en premier et cela avait créé un lien fort entre nous. Mais j’étais sûre qu’Ayden allait arriver en moins de deux, et je ne voulais vraiment pas être dans le coin à ce moment-là. C’est vrai, elle s’était excusée d’avoir pété les plombs quand elle avait appris que c’était moi qui avais arrêté Asa, et je crois qu’elle le pensait, mais je n’avais aucune envie de rester et de ternir ce moment familial et joyeux. Je n’avais pas vu Ayden depuis le jour où elle avait payé la caution d’Asa, et je n’étais pas pressée de fêter nos retrouvailles. Surtout si je n’arrivais pas à contenir ce que je ressentais pour son frère.

Je savais d’instinct qu’elle n’approuverait pas.

— Pourquoi tu ne viendrais pas ?

Son accent était doux comme du velours, en s’enroulant autour de moi. J’avais envie qu’il me murmure des choses dans le noir pour toujours.

— Je suis amie avec Saint et j’adore Nash, mais c’est un grand événement, une chose qu’on partage avec sa famille. Je n’en fais pas partie.

Il m’a fixée du regard et a grogné.

— Va te garer. On y va ensemble.

J’ai secoué la tête.

— Non, pas question.

J’ai regardé la flamme se rallumer dans ses yeux et ils ont repris leur couleur enivrante de whisky.

— Très bien.

Il s’est réinstallé dans le siège, a croisé les bras, et a levé un sourcil en me regardant.

— Si tu n’es pas obligée d’y aller, alors moi non plus. Tu peux me ramener au Bar.

— Rome t’a demandé de venir. Tu devrais être à l’intérieur en ce moment même, et pas en train de négocier avec moi. Ils veulent que tu sois là.

Il a esquissé un sourire en coin, et j’ai vu à quel point c’était facile pour lui de charmer les gens pour leur faire perdre leur bon sens. Il était beau sous tous les angles, mais ce sourire contenait un démon et la tentation, et cela le rendait surnaturel. Aucun humain ne pouvait être aussi beau après une journée complète de travail et une séance de caresses inassouvies. C’était évident que le chemin vers la débauche passait par Asa Cross, et mon dieu, j’avais envie de courir jusqu’au bout. Je ne comprenais pas pourquoi il tenait à mettre autant d’obstacles sur ma route.

— Saint t’a tenue au courant, donc quelqu’un veut que tu sois là. Elle est timide et il y a beaucoup d’agitation à gérer quand ils sont tous réunis. Tu ne t’es pas dit qu’elle avait peut-être besoin de toi comme intermédiaire ?

J’ai fait une grimace car je savais cela. Saint adorait les amis de Nash, elle faisait partie de leur monde et était vraiment acceptée au sein de cette famille bricolée, mais elle pouvait facilement se perdre dans cet océan de personnalités fortes et dominantes. Je savais qu’elle aimait bien m’avoir à ses côtés. Mais au lieu de vouloir être là pour mon amie, j’avais envie de m’enfuir en courant car je ne savais pas si je pourrais supporter le poids de leurs jugements. Je ne faisais que mon travail. Je n’avais pas voulu être celle qui passerait les menottes à Asa et l’amènerait au poste, mais il fallait le faire et malheureusement, c’était tombé sur moi. Je respectais tellement toutes ces femmes ; voir la déception dans leurs yeux quand elles me regardaient pourrait bien empirer mon état.

J’ai soupiré car je voyais qu’Asa prenait sa menace au sérieux. En le traitant de tous les noms dans ma tête, j’ai fait avancer la 4Runner sur une place de parking et ai coupé le moteur.

— Tu es un salaud de manipulateur, tu sais ?

Il a enfin ouvert la portière et est descendu. Le souffle du vent hivernal a failli me faire tomber à la renverse et je me suis souvenue trop tard que je ne portais que mes vêtements de sport.

Il a fait le tour de la voiture par l’avant et s’est arrêté devant ma portière. Sans rien dire, il l’a ouverte et a posé une main sur mon bras pour pratiquement me tirer hors de la voiture. Il a secoué la tête en voyant que je frissonnais, et a enlevé son gros et lourd manteau pour me le mettre sur les épaules. Il portait son odeur et j’avais envie de m’y emmitoufler et de frotter mon visage contre le cuir, mais j’étais trop occupée à lui lancer un regard noir après qu’il m’ait dit :

— Maintenant tu commences à comprendre, Red.

Il ne portait qu’un maillot à manches longues, alors j’ai essayé de lui rendre le manteau, mais il a grogné en plaçant sa main dans le bas de mon dos, pour me guider jusqu’à la porte d’entrée. J’ai lâché un souffle qui s’est transformé en vapeur devant nous, et lui ai dit doucement :

— Ta sœur me déteste. Elle va péter un câble quand elle va arriver et me voir ici avec tout le monde.

Il a ricané et ce son m’a donné la chair de poule partout sur le corps.

— Ayden est très protectrice… Avec ses amis, avec son mec, avec moi. Parfois, elle part au quart de tour avant de vraiment réfléchir mais elle ne te déteste pas. Elle déteste la vie que j’ai eue. En fait, la seule personne qu’elle ait vraiment détestée, c’était moi. Ce n’était pas la première fois qu’elle devait venir me sortir de prison, et Dieu seul sait si ce sera la dernière. Elle sait que tu ne faisais que ton travail, Royal. Elle veut juste me sauver. Elle a toujours voulu me sauver.

Je lui ai adressé un regard dur du coin de l’œil.

— Pourquoi tu n’as rien dit, ce jour-là ? Les gamins t’ont sauté dessus, t’ont blessé, et pourtant tu nous as laissés t’embarquer sans protester. Pourquoi ?

Je me posais la question depuis le jour où Dom et moi avions été envoyés pour l’arrêter au Bar.

Il y avait du monde à l’hôpital. J’étais venue assez souvent pour savoir où était la maternité sans demander ma route. Asa suivait à côté de moi, sans avoir répondu à ma question. Je pensais qu’il allait m’ignorer, jusqu’à ce que nous montions dans l’ascenseur et que les portes se ferment. Il s’est tourné face à moi, et a arboré ce sourire qui transformait son visage en une chose dont j’allais rêver pour toujours.

— Pour quoi faire ? Innocent ou pas, je serai toujours le méchant.

J’ai froncé les sourcils.

— Tu aurais pu te défendre. Tu étais innocent. Les gamins t’ont piégé.

Il y avait une preuve de cela en vidéo, ce qui avait fini par faire tomber tous les chefs d’accusation contre lui.

J’ai eu un léger sursaut lorsqu’il a tendu le bras et très délicatement passé le bout de son index sur la ligne qui s’était formée entre mes sourcils froncés tandis que je le fusillais du regard.

— Je ne me défendrai plus jamais. Pas devant ma sœur. Pas devant la police. Devant personne. Les gens pensent ce qu’ils veulent, et malheureusement, la majorité de ce qu’ils pensent sera vrai, en ce qui me concerne. Je suis coupable de beaucoup de saloperies, Royal. Pour la plupart, je ne me suis jamais fait prendre. Le karma sait comment nous rattraper, surtout quand on lui a ri au nez une fois de trop.

J’étais déroutée par sa réponse et stupéfaite par son geste simple et ce que je ressentais.

— Est-ce que tu es en train de me dire que tu aurais accepté d’aller en prison pour quelque chose que tu n’as pas fait, comme une sorte de pénitence pour toutes tes erreurs passées ? C’est n’importe quoi, Asa.

Il a haussé les épaules, les portes se sont ouvertes, et nous sommes entrés dans une salle d’attente pleine de membres de la famille et d’amis impatients et excités. Je savais qu’il trimballait un tonneau plein de honte et de remords à cause de ses méfaits du passé. Ce que je n’avais pas compris avant cet instant précis, c’était qu’il était prêt à laisser ce tonneau l’écraser plutôt que de le poser par terre et de trier ce qu’il contenait.

Saint était au bureau de l’accueil, elle parlait à la femme qui se tenait derrière. Rome faisait les cent pas devant un couple plus âgé que j’ai supposé être les parents de Rule, car Shaw n’avait quasiment aucun contact avec sa famille, Salem était recroquevillée sur l’une des chaises avec la tête posée sur les genoux de Rowdy, Nash était appuyé contre un mur, avec une casquette baissée sur les yeux, et je ne voyais pas Cora.

J’ai chancelé quand tous les yeux se sont tournés vers nous alors que nous avancions. Au début, j’ai cru qu’ils se demandaient tous pourquoi j’étais là, mais j’ai vite compris qu’ils se demandaient plutôt pourquoi Asa et moi étions arrivés ensemble et surtout, pourquoi je portais son manteau. Je l’ai enlevé, à contrecœur, et me suis éclaircie la voix.

— Salut.

Asa a répété mon bonjour et a serré la main de Rome qui était venu jusqu’à nous. J’ai couiné un peu quand l’ancien soldat m’a soulevée dans un câlin que je n’ai pas pu m’empêcher de lui rendre. Quand il m’a reposée sur mes pieds, je l’ai regardé, surprise, bouche bée. Il m’a souri et je n’ai pu que lui sourir en retour.

— J’allais dire à Cora de te demander d’aller le chercher s’il n’arrivait pas. Je t’aurais conseillé d’avoir recours à la force si nécessaire.

Asa a soufflé et a regardé son patron en levant un sourcil.

— Où est Cora ? J’imagine qu’elle ne veut pas manquer l’évènement.

Nous sommes allés plus loin dans la salle d’attente et j’ai laissé échapper un soupir de soulagement quand Saint est venue jusqu’à moi. Elle a passé son bras sous le mien et m’a lancé un regard entendu. J’ai secoué la tête et lui ai dit :

— Plus tard. On pourra en parler plus tard.

Elle m’a souri et s’est postée à côté de Nash, qui a incliné la tête pour me dire bonjour.

Rome s’est frotté le visage et son torse massif s’est gonflé tandis qu’il lâchait un soupir agacé.

— Elle est aux toilettes.

Quelque chose est passé sur son beau visage.

— Elle ne se sent pas très bien.

Rome et Cora s’étaient récemment fiancés et ils avaient une fille qui passait du statut de bébé à enfant, et ils étaient toujours sur le qui-vive. Elle avait la personnalité explosive de sa mère et le côté têtu de son père, ce qui faisait de son éducation un boulot à plein temps. Ils formaient une famille solide et unie, et cela me donnait de l’espoir pour mon propre avenir. Je voulais croire que ce que Rome et Cora avaient pouvait exister sans infidélité, sans jalousie et sans mélodrame, peut-être un jour dans ma vie. En fait, toutes ces personnes avaient des relations que j’enviais et que j’admirais. Ils étaient tous déterminés à les faire fonctionner. Peu importait le coût. Ils voulaient être ensemble et ils faisaient tout ce qu’il fallait pour que cela arrive. Je voulais vraiment que quelqu’un ressente ça pour moi.

Nash a remonté la visière de sa casquette et ses yeux pervenche m’ont regardée avec un amusement non dissimulé.

— Il y a une raison pour laquelle tu as débarqué en même temps qu’Asa ?

J’étais sûre que Saint lui avait parlé de mon coup de cœur du moment, mais je n’étais pas d’humeur à partager ni à me faire embêter, alors j’ai simplement haussé les épaules.

— Bon timing, je suppose.

Nash était le meilleur ami de Rule, donc lui mettre un coup de poing dans le ventre pour effacer ce sourire satisfait sur son visage ne serait pas de bon ton, vu la situation.

J’ai lâché le bras de Saint et ai trouvé un endroit où m’asseoir sur le côté. J’ai posé les pieds sur la chaise en face de moi et me suis préparée à attendre. Cela prenait du temps, d’avoir un bébé, et ce n’est pas comme si j’allais dormir de toute façon.

Je me suis plongée dans mes pensées et plus particulièrement les révélations déconcertantes d’Asa, qu’il était prêt à aller en prison pour payer pour ses crimes passés, je pensais au goût qu’il avait, comme je l’avais senti si chaud et si dur dans ma main. Je pensais à l’idée de retourner travailler sans Dom à mes côtés et j’étais incapable de m’y faire. Je n’arrêtais pas non plus de penser au fait que tout ce que je voulais, quand je n’arrivais pas à dormir et que le sport ne suffisait pas, était me retrouver nez à nez avec le barman du sud que je ne pouvais pas me sortir de la tête. Mon béguin se transformait en obsession.

J’ai sursauté quand un tout petit corps a atterri sur la chaise à côté de la mienne. Cora a regardé ma silhouette vautrée et a levé ses petites jambes devant elle en souriant.

— Même pas en rêve.

Il y avait encore une trentaine de centimètres entre le bout de ses rangers et la chaise d’en face.

J’ai tourné la tête sur le côté pour la regarder s’installer à côté de moi. Cora était l’ange gardien officieux de ce groupe. C’était une petite femme-pile électrique, et quand elle ne me terrifiait pas trop, je l’aimais et la respectais vraiment. Ce soir, elle avait l’air un peu pâle et avait de gros cernes sous ses yeux vairons.

— Comment ça se passe ?

Je me disais que si quelqu’un devait être au courant, c’était bien elle.

— Bien. Rule gère tout ça mieux que Rome. Il faisait peur aux infirmières et au gynéco qui devaient venir me voir. Rule encaisse bien. Tant que Shaw va bien, ça a l’air d’aller pour lui, mais elle n’a pas encore de vraies contractions. On devra peut-être envoyer des renforts s’il pète un câble comme son frère.

J’ai rigolé. Je ne doutais pas que Rome devait faire très peur quand il était stressé et paniqué. Il avait l’air capable de gagner une guerre à lui seul et sans aucune arme, debout dans un coin en train de discuter avec Asa.

— Eh bien, tant mieux. C’est bien que vous soyez tous là pour les soutenir. Ayden a appelé Asa d’ailleurs. Elle est déjà en route.

Cora a penché la tête en arrière sur la chaise, a posé une main sur son ventre, et a fermé les yeux. Elle avait l’air verdâtre tout à coup, et elle s’est redressée sur sa chaise. J’allais lui demander si tout allait bien quand elle a pris une grande respiration, puis a tourné la tête vers moi. Elle se sentait mieux, visiblement.

— Elle va être dégoûtée si le bébé arrive avant elle. Déménager à Austin avec Jet était le meilleur choix à faire, mais c’est dur pour eux.

— Elle a demandé à Asa d’être là au cas où elle n’arrivait pas à temps.

Cora a hoché la tête et m’a souri.

— Il faut qu’il soit là de toute façon, et toi aussi.

Sa capacité à tout voir était troublante.

— Je suis là, ai-je dit à contrecœur.

— Ouais. Mais tu as dû y réfléchir avant. Tu as ta place ici, Royal. N’en doute pas.

Pourtant, j’en doutais. Je ne savais simplement pas où me mettre.

— Les choses étaient un peu bizarres après que j’ai dû arrêter Asa. Je ne savais pas comment gérer ça, et me faire des amis n’a jamais été très facile pour moi.

La plupart des filles ne m’aimaient pas ou ne me faisaient pas confiance, et les garçons voulaient seulement coucher avec moi. Mis à part mon lien fort avec ma mère, mon amitié avec Dom et ses sœurs, et maintenant Saint, j’avais vécu une vie assez solitaire.

— Les emmerdes, ça arrive. Ce qu’il s’est passé avec Asa n’était pas de ta faute et on le sait tous.

Elle m’a regardé avec insistance, avec son œil marron sévère et le bleu tranchant.

— Tu le sais ?

Je voulais lui dire que j’avais l’impression que tout était de ma faute. J’avais l’impression que tout ce que je pouvais faire désormais, c’était enchaîner les erreurs. Mais je n’en ai jamais eu l’occasion car son joli visage a pris un air paniqué et en une fraction de seconde, elle s’était levée de sa chaise pour courir à travers la salle d’attente, vers les toilettes. Rome a proféré d’une litanie de jurons de sa voix grave et sa mère lui a lancé un regard noir, ce qu’il a totalement ignoré en suivant sa fiancée dans les toilettes des femmes. Il a également ignoré l’infirmière qui l’appelait, ce qui a fait rire tout le monde.

Je réfléchissais aux paroles de Cora sur ce que je ne devais pas me reprocher, lorsque sa chaise laissée vide a accueilli un corps beaucoup plus grand et masculin. Dès que j’étais assez près de lui pour le toucher, tous mes sens étaient en alerte. Il a passé son long bras sur le dossier de ma chaise et m’a regardée du coin de l’œil.

— Ça va ?

Sa voix était plus douce que d’habitude, et beaucoup trop près de mon oreille. J’ai avalé ma salive et hoché la tête.

Le fait qu’il me pose la question et que la réponse ait une importance pour lui éteignaient tous les feux rouges qu’il aimait me mettre sous le nez pour que je garde mes distances.

— Ouais. Je suis contente d’être venue avec toi. Ça fait du bien de voir ça.

— De voir quoi ?

J’ai fait un vague geste de la main pour montrer Salem et Rowdy collés l’un contre l’autre, Nash qui prenait Saint dans ses bras, Rome qui avait disparu derrière Cora, et même le couple des parents Archer assis l’un près de l’autre.

— La joie. L’amitié. L’unité. J’ai grandi toute seule avec ma mère, et elle allait d’homme en homme, à la recherche de quelque chose qu’elle n’arrivait pas à trouver. C’est cool de voir des couples qui veulent réellement être ensemble. La stabilité est tellement une notion inconnue, pour moi.

Il a levé ses longues jambes comme moi, et a adopté la même position. J’ai frissonné un peu quand son flanc s’est pressé contre le mien. Il m’a fait un grand sourire en remarquant ma réaction.

— Tu pourrais avoir toute la stabilité que tu veux si tu arrêtais de chercher les ennuis.

Il avait probablement raison, mais les ennuis avaient l’air bien plus marrants en ce moment, et ce que je voulais et ce dont j’avais besoin étaient deux choses différentes.

Je n’ai pas répondu ; j’ai fait de gros efforts pour ne pas bouger en sentant le bout de ses doigts jouer avec ma longue queue de cheval qui tombait derrière la chaise. Je crois qu’il ne se rendait même pas compte qu’il le faisait. Enfin, jusqu’à ce que je lui jette un coup d’œil et que je voie la lueur dorée qui brillait dans ses yeux. Ce mec ne faisait jamais rien sans être parfaitement conscient de l’effet qu’il avait sur les gens. Il ne représentait pas seulement les ennuis, il était puissant et plus dangereux que la majorité des mecs que je voyais dans la rue tous les jours.

Commander Asa