Chapitre 1

June Campbell

Je referme mon ordinateur d’un coup sec, satisfaite. Mon dernier article paru, qui dénonçait la fermeture progressive des centres pour sans-abri, a moyennement plu à l’élue au logement de Los Angeles, et elle m’a demandé un droit de réponse. J’ai été ravie d’apprendre que la municipalité s’engageait à les rouvrir d’ici à deux mois, après des travaux de mise aux normes. Ces politiciens, tous plus sournois les uns que les autres ! Si personne n’en avait parlé, rien n’aurait bougé, c’est certain.

D’un coup d’œil jeté dans le miroir de mon entrée, je vérifie que je suis prête. J’attrape ensuite mon sac à main pour filer jusqu’aux locaux du journal pour lequel je travaille.

En descendant les marches, j’entends des voix chuchoter dans l’entrée. Ethan, mon voisin de palier, et Sharon Stephen, la mère de famille nombreuse qui vit au dernier étage de notre immeuble, sont en pleine discussion.

— Pourquoi vous parlez tout bas ? leur demandé-je en murmurant à mon tour, une fois arrivée à leur hauteur.

— Il est encore tôt, on ne voudrait pas réveiller Derek, m’explique Sharon, une boîte de bagel dans les mains.

— Vous vous foutez de moi ? m’écrié-je sans plus faire attention au volume sonore de ma voix. Ce type claque sa porte à n’importe quelle heure, et vous, vous prenez des précautions à son égard ?

— Il travaille à des horaires décalés et il sauve des vies, je te rappelle, me rétorque Ethan.

Bien qu’il soit marié à David, je le soupçonne de craquer pour le valeureux pompier de Palisades Park.

— Et ça l’empêche de veiller à être discret lorsqu’il rentre ? De plus, on ne peut pas dire que les femmes qu’il ramène quand il est là soient discrètes, si vous voyez ce que je veux dire… Ça ne vous gêne pas, par rapport à vos enfants ?

— C’est vrai qu’il est arrivé une fois que nous rentrions précisément à cet instant-là, confesse Sharon en affichant néanmoins un sourire en coin. Les plus grands se sont marrés, et les plus petits nous ont demandé si la dame s’était fait mal. On a répondu que oui, et qu’elle était justement venue chercher un pompier pour la soigner, pouffe-t-elle.

Je la regarde avec un air effaré, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre :

— Il faut bien que jeunesse se fasse… Et puis, vous savez, je n’ai pas conçu mes petits anges avec le Saint Esprit. Je comprends que Derek veuille en profiter pour relâcher la tension !

Je dois mal entendre, ce n’est pas possible !

— OK, je ne veux pas en savoir plus, la coupé-je alors qu’elle ouvre à nouveau la bouche. Je file sinon je vais être en retard.

Je leur tourne le dos, hausse les yeux au ciel, stupéfaite de cette conversation, et je file en direction du parking de la résidence. J’hallucine qu’ils continuent de le défendre envers et contre tout juste parce qu’il porte un uniforme et qu’ils l’imaginent se servir de sa lance comme personne ! (Et je ne fais pas référence à celle de son camion, pour le coup.) Rah, ce mec a vraiment le don de m’énerver !

 

En voiture, le trajet jusqu’à la rédaction n’est pas très long. Je pourrais prendre exemple sur Li, qui va travailler à pied à son salon de massage, ou opter pour un vélo car j’ai tout de même plus de distance à parcourir, mais j’aime trop traîner dans mon lit pour ça. Perdre de précieuses minutes de sommeil est inenvisageable.

Sur le parking, les places les plus proches de l’entrée sont réservées à la direction et aux journalistes « stars ». Docile, je me gare donc sur l’une des plus éloignées et traverse ensuite la zone, perchée sur mes talons, en me jurant qu’un jour j’aurai une place juste devant, moi aussi.

 

À l’intérieur, le brouhaha de l’immense open space m’accueille. Je salue quelques collègues d’un signe de la main en me rendant à la place qui m’a été attribuée il y a quatre mois, lorsque j’ai été embauchée. J’imaginais montrer rapidement de quoi j’étais capable et obtenir ainsi un bureau fermé, mais c’était sans compter sur Megan Sanders, la journaliste vedette du Santa Monica Daily Press, qui ne laisse personne marcher sur ses plates-bandes.

— Briefing ! se met-elle justement à hurler en sortant de son point quotidien avec notre boss, Tom Young.

Tout le monde s’active alors, se saisit de quoi écrire et rejoint la salle de réunion. Deux fois par semaine, une conférence de rédaction a lieu avec l’ensemble du personnel pour faire le point sur les avancées de chacun et dispatcher les nouveaux sujets. J’espère parvenir à décrocher quelque chose d’intéressant aujourd’hui, ce qui n’est pas évident car Megan a une sorte de droit de priorité sur ses sujets de prédilection. Aux autres de prendre ce qu’il reste.

Il y a quinze jours, je suis parvenue à lui piquer l’article sur les centres pour sans-abri, ce qu’elle a encore en travers de la gorge. J’ai sorti les griffes, et mon patron a eu l’air d’apprécier que je réagisse enfin puisqu’il m’a donné gain de cause. Je crois que c’est ce qu’il attend de moi : que je me batte pour avancer au lieu de rester dans l’ombre de Megan, comme tout le monde ici. Le message est passé. Ce matin, le meilleur sujet sera pour moi.

— Bien, commençons, ordonne-t-il en s’installant en bout de table.

Il avale ce qui doit être son neuvième café à tout juste 10 heures du matin. Je ne peux m’empêcher de remarquer qu’il a une petite mine, aujourd’hui.

— Megan, le coup de couteau au parc Tongva hier, on en est où ?

— Mon informateur devrait me communiquer des informations dans l’après-midi.

— Tu n’as rien pour l’instant ? s’étonne Tom en desserrant le nœud de sa cravate.

— Je sais que les deux victimes sont hors de danger, et que quatre personnes ont été entendues par la police, mais on ignore encore si elles ont un rapport avec l’agression ou si ce sont de simples témoins.

— OK. Il nous faut des informations rapidement. Drew ! interpelle-t-il ensuite un de mes collègues. Le papier sur le futur procureur général, on a du concret ?

— J’ai un nom, lui assure-t-il sans nous le révéler.

— Tu es sûr de ton coup ?

— Oui.

— Très bien. Dans ce cas, tu me trouves tout ce que tu peux sur cette personne et je veux ton article sur mon bureau pour demain matin !

J’espère pour Drew qu’il ne va pas se vautrer sinon c’est la porte assurée. Il en va de la crédibilité du journal. Ce qui serait dommage parce qu’il est compétent et plutôt sympa. Charmant aussi, au passage, ce qui ne gâche rien.

— June ! Tu es sur quoi ? me questionne mon chef.

— Le droit de réponse exigé par l’élue au logement à la Mairie de Los Angeles est déjà rédigé et dans votre boîte mail pour validation. Et au-delà des foyers, je suis certaine qu’il y a une série d’articles à faire sur les sans-abri de Los Angeles pour décrypter ce qui les a conduits à la précarité et la manière dont la société leur permet ou non de s’en sortir.

Tom Young me regarde et hoche la tête, visiblement convaincu. Megan m’observe d’un air dédaigneux à l’autre bout de la pièce. Je lui adresse un clin d’œil discret juste pour le plaisir de la voir enrager un peu plus.

 

Une fois le tour de table terminé, alors que Tom quitte habituellement la salle le premier, au pas de course, il reste cette fois assis et nous fait signe de partir.

— Vous allez bien patron ? osé-je lui demander en voyant son teint devenir encore plus livide.

— Oui, gémit-il d’une petite voix en vacillant sur sa chaise.

Je me précipite vers lui pour l’empêcher de tomber. Megan et Drew me prêtent main-forte pour l’allonger à même le sol.

— Je… J’ai du mal à respirer, parvient-il à nous dire entre deux inspirations difficiles.

— Il fait une attaque ? demande Megan, affolée.

— Aucune idée, répond Drew, dont le teint commence à se rapprocher de celui de notre patron sous le coup du stress.

Ne pas perdre son sang-froid. S’il fait une crise cardiaque, il faut agir vite, les premières minutes sont cruciales. J’ordonne à Drew d’ouvrir la chemise de notre boss et de le mettre en position latérale de sécurité avant de récupérer mon téléphone abandonné sur la table.

Je compose le 911 en me rongeant les ongles.

— Tu crois vraiment que c’est le moment de passer un coup de fil ? s’emporte Megan.

— Je contacte les secours, car je ne sais pas si tu as déjà fait un massage cardiaque, mais moi pas.

L’opératrice décroche et me demande la raison de mon appel.

— Mon patron vient de faire un malaise. Il a du mal à respirer et ne tient plus debout… Oui, il est conscient… C’est au Santa Monica Daily Press. OK. Merci.

Je raccroche et prends conscience que tous mes collègues sans exception me regardent pour savoir quoi faire.

— Ils nous envoient une équipe, les informé-je. Que tout le monde retourne à son poste en attendant. Tom a besoin d’air.

J’imagine que les secours se passeront bien de spectateurs.

— Je vais les attendre dehors, nous prévient Drew en retrouvant son calme.

Megan et moi acquiesçons et restons auprès de Tom. Nous lui parlons, mais même s’il a les yeux ouverts, il ne semble pas avoir la force de nous répondre. La panique commence à me submerger à mesure que les minutes s’écoulent.

 

— C’est par là, entends-je enfin la voix de mon collègue.

— C’est pas trop tôt ! m’écrié-je alors que trois pompiers débarquent dans la pièce.

Mon regard croise celui de Derek au moment où je relâche la main de mon boss.

— June… me salue-t-il en déposant un grand sac à dos au sol.

Megan et moi nous relevons pour laisser la place à ses collègues.

— Tu connais ce mec ? me demande-t-elle en posant sur lui un regard intéressé.

— Pas par choix, avoué-je en soufflant.

Les pompiers prennent les constantes de Tom, lui posent quelques questions et semblent rassurés sur son état. Mon patron parvient maintenant à répondre.

J’ai l’impression de voir mon voisin sérieux pour la première fois.

Il finit par se relever et se dirige vers Megan et moi.

— Son cœur a dû s’emballer pendant un court instant et il commence à ralentir tout doucement. On va le transporter au Santa Monica Medical Center pour qu’ils puissent surveiller son état. Vous pouvez prévenir l’un de ses proches ?

— Oui bien sûr, je m’en occupe, affirme Megan avant de se diriger vers son bureau.

— Il va vraiment bien ? interrogé-je mon voisin, inquiète.

— Il ne s’en sort pas trop mal. Son corps vient de tirer une sonnette d’alarme. Il va falloir qu’il l’écoute.

— Ça devait finir par arriver. Il bosse comme un fou et mange n’importe quoi à longueur de journées… soufflé-je.

— Son épouse est au courant, nous informe Megan en revenant, sans se gêner pour reluquer Derek. Elle part immédiatement pour l’hôpital.

Tom, désormais assis dans une sorte de fauteuil roulant, n’a plus rien du boss qui nous hèle à longueur de journée pour savoir où nous en sommes. Il ressemble à un vieil homme qui aurait trop tiré sur la corde.

— Attendez, demande-t-il à la femme pompier qui le pousse.

Elle l’immobilise juste à côté de nous et il puise dans ses forces pour nous dire :

— Je compte sur vous deux pour valider les papiers et les envoyer à l’imprimeur. Ne vous disputez pas pendant mon absence.

Je lève les yeux au ciel en entendant les recommandations de mon patron, mais nous acquiesçons toutes les deux.

Alors que Derek s’éloigne à ses côtés, je l’entends lui dire :

— Chez vous aussi June cause du grabuge ?

Chapitre 2

Derek Harmon

— Derek, Luis ! retentit la voix de William Mitchell, notre commandant. Vous vous occupez de nettoyer le camion et la remorque. Mia et Lenny, vous vérifiez le matériel.

Laver et faire briller cet engin de plus de treize mètres de long va nous accaparer pour un moment, mais il est important qu’il soit impeccable et que nous disposions de tout ce dont nous avons besoin pour chaque intervention. Il n’est pas dans nos habitudes de traîner à ne rien faire. Chaque minute de notre temps est occupée et la caserne ne manque pas de travail.

Alors que la radio diffuse Closer de The Chainsmokers, on se met au boulot au rythme de la musique.

— C’est toujours nous qui nous tapons le lavage du véhicule, se lamente Luis une fois que nous sommes seuls.

— C’est parce qu’on le fait bien.

— Ouais, ça doit être ça… souffle-t-il, clairement pas convaincu.

— Allez, cesse de te plaindre et fais-moi briller ce chrome, le rabroué-je avec le sourire.

Que Luis râle des corvées auxquelles on ne peut se soustraire est habituel. Nous le prenons tous avec philosophie, d’autant qu’en dehors de ces moments il fait toujours preuve d’une bonne humeur communicative.

— Tu savais que râler est bon pour la santé et augmente l’espérance de vie ? demande-t-il en fouillant dans le carton dans lequel nous rangeons nos ustensiles de ménage.

— T’as lu ça dans un magazine entre deux parties de Sudoku ?

— Moque-toi, mais contenir tes émotions accélère ton rythme cardiaque et t’expose à des problèmes cardiaques, explique-t-il, très sérieusement, en revenant vers moi avec une brosse dans chaque main.

— Donc, là, si j’ai envie de t’en coller une pour que tu la fermes et que tu te mettes enfin à bosser, faut pas que j’hésite, c’est ça ?

— Oublie ça et frotte, rétorque-t-il en me tendant une brosse tout en se marrant. Il est hors de question que je fasse tout le boulot tout seul.

Nous nous mettons au travail côte à côte.

— Comment se porte Térésa ? le questionné-je à propos de sa femme.

— Elle a enfin moins de nausées, mais je me suis retrouvé à la supérette sur Wilshire Boulevard à 3 heures du matin pour lui acheter un pot de glace aux cookies, parce qu’elle avait épuisé notre stock et qu’elle en avait une cruelle envie.

— Il te reste combien de mois à tenir ? le questionné-je en riant.

— Cinq, souffle-t-il comme si ça allait être un enfer.

Luis est fou amoureux et il n’y a rien qu’il ne ferait pas pour le bien-être de Térésa et de leur futur bébé. Ils font partie de ces couples pour qui l’amour semble facile, comme si rien n’était insurmontable lorsqu’on est deux pour l’affronter.

— Quand est-ce que vous saurez si c’est une fille ou un garçon ?

— Le mois prochain, normalement.

— Faut qu’on aille boire un verre un de ces soirs, avant que tu ne veuilles plus sortir de chez toi en dehors de tes heures de travail.

— On peut se faire ça vendredi après le service. Térésa est chez sa mère avec sa sœur.

— Parfait !

— Au Speak Easy, comme d’habitude ? Vingt heures ?

— Ça me va !

 

Le bruit strident de l’alarme annonçant notre départ sur une nouvelle mission retentit. Le pompier régulateur qui gère le standard nous explique qu’il s’agit d’un accident de la circulation, entre deux voitures, qui semble sans gravité. Les conducteurs seraient simplement choqués. Nous prenons néanmoins toujours les choses au sérieux, l’adrénaline peut parfois cacher des traumatismes.

Nous passons notre tenue, montons à bord du véhicule d’intervention léger et filons sans attendre.

 

Sur place, il n’y a pas de blessé grave. Nous transportons toutefois l’un des conducteurs aux urgences afin qu’il passe une radio de contrôle car il se plaint de douleurs à la nuque.

— Dis-moi, Anna, demandé-je à l’une des infirmières que je connais bien. Le monsieur qu’on a amené ce matin pour détresse respiratoire, il est encore là ?

Elle vérifie parmi les nombreux dossiers étalés sur le bureau.

— Oui, box 36.

— Merci.

— Je finis dans une heure, ajoute-t-elle en me gratifiant d’un clin d’œil. C’était plutôt sympa, l’autre fois.

— Si tu n’as trouvé ça que sympa, c’est que je ne devais pas être en forme. Il va en effet falloir vite remettre ça, mais pas aujourd’hui, hélas.

— Tu sais où me trouver.

Nous échangeons un dernier sourire aguicheur avant de retourner chacun à nos occupations.

Je souhaite profiter que le central ne nous ait pas encore rappelés pour essayer d’obtenir des informations sur l’état de monsieur Young. Ne pas savoir comment s’en sortent les personnes auxquelles nous prêtons assistance est l’un des aspects de mon travail que je trouve les plus durs à gérer. Dès que j’en ai l’occasion, je tente donc de prendre des nouvelles.

 

En approchant, j’entends des voix féminines sermonner Tom Young à propos de sa charge de travail. J’ouvre le rideau de séparation permettant un semblant d’intimité et adresse un sourire séducteur aux trois personnes face à moi.

Une femme que je devine être l’épouse du patron de presse lui tient la main, tandis que June est debout non loin. Sa crinière rousse attire irrésistiblement mon regard, comme toujours.

Ses yeux bleus s’assombrissent en me détaillant. Je regrette que nous soyons partis d’un si mauvais pied elle et moi. June dégage un charme fou et si elle ne s’était pas mise à me crier dessus dès notre première rencontre, il ne fait aucun doute que je l’aurais invitée à boire un verre chez moi.

— Mesdames, bonjour. Monsieur Young, je venais voir comment vous vous portez.

— Je vais déjà beaucoup mieux, répond celui-ci avec un sourire. Nous attendons juste la visite du docteur et je pourrai rentrer.

— C’est très gentil à vous de vous en inquiéter, déclare sa femme.

— Ça tombe bien que vous soyez là, je tenais à vous remercier personnellement. J’ai été pris en charge avec sérieux et efficacité, reprend-il.

— C’est notre job, balayé-je son compliment en haussant les épaules.

Le faire correctement me paraît une évidence.

— Tu pourrais peut-être publier un article sur la caserne dans ton journal pour rappeler le dévouement de nos pompiers, suggère madame Young en serrant un peu plus fort la main de son mari. On a tendance à le prendre pour un acquis.

— On va faire encore mieux. June, interpelle-t-il la journaliste pour avoir toute son attention. Vous me rebattez les oreilles depuis des semaines pour faire des reportages d’investigation diffusés sous forme de petits épisodes sur notre site.

— Euh… oui, balbutie-t-elle.

— Eh bien, vous avez mon feu vert. Et vous allez commencer par suivre les pompiers de Los Angeles.

— Mais je ne peux pas, s’écrie-t-elle horrifiée. Je suis sur le dossier des sans-abri.

— Megan reprendra le flambeau, tranche-t-il.

— Sans vouloir vous vexer, j’ai tissé un lien avec certains d’entre eux. Je ne suis pas certaine qu’ils acceptent de se confier à quelqu’un d’autre.

Pourquoi June tente-t-elle à tout prix d’éviter ce reportage à la caserne alors que ça ressemble à une putain d’occasion en or ? Surtout si c’est elle qui a eu l’idée de ce format. Me déteste-t-elle à ce point ? Quoi qu’il en soit, je suis d’accord avec elle, pour une fois. Si on doit se supporter en dehors de Palisades Park, ça va finir en étripage, c’est certain.

— C’est une intention louable, interviens-je à mon tour pour tenter de tuer cette idée dans l’œuf, mais je ne pense pas que ce sera possible.

Les épaules de June se relâchent un peu quand elle comprend que je m’allie à elle sur ce coup.

— Et pourquoi ça ? me demande monsieur Young.

— Mon commandant est très tatillon sur les procédures et les mesures de sécurité. Devoir veiller sur une journaliste en intervention serait bien trop compliqué à gérer.

— J’appellerai moi-même votre commandant, assène monsieur Young. En lui faisant comprendre ce qu’il a à gagner, je suis sûr qu’il sera d’accord. June, trouvez-moi le numéro du chef de la caserne, je vais l’appeler tout de suite.

La journaliste a les mâchoires crispées, elle fulmine de la tournure que cette discussion a prise. Et je ne suis pas plus ravi qu’elle. Devoir croiser ma séduisante voisine au caractère affirmé à Palisades Park, passe encore, mais avoir ses jolies courbes sous les yeux au travail et subir ses remarques à longueur de journée me laisse présager le pire.

 

Je m’éclipse après un dernier échange de regards assassins avec la journaliste. En sortant de l’hôpital, j’ai encore l’espoir de faire refuser cette proposition à mon commandant.

De retour à la caserne, je fonce directement dans le bureau de William en espérant qu’il n’est pas trop tard.

— Chef, l’interpellé-je alors qu’il s’apprête à sortir. On a été appelés au Santa Monica Daily Press aujourd’hui. Le patron avait fait un malaise.

— Oui, je suis au courant, s’impatiente-t-il, puisqu’il connaît le détail de chacune de nos missions.

— Il a émis l’idée d’envoyer une journaliste nous suivre pour faire un reportage vidéo sur la caserne.

— Tu as une information à me transmettre que j’ignorerais ? J’ai raccroché avec lui il y a quelques minutes.

— Et ? Qu’est-ce que vous avez répondu ?

— Que je serais ravi qu’on rappelle aux habitants de Santa Monica que nous leur sommes dévoués, et leur signaler par la même occasion que nous manquons cruellement de moyens.

Merde ! Je devrais me réjouir de cette opportunité et être prêt à supporter June pour ça, mais la pilule a du mal à passer.

— Tu sais, ce camion-citerne supplémentaire que nous réclamons depuis des mois, nous pourrons nous servir de cette communication pour l’obtenir. C’est une sacrée opportunité.

Il a raison. Les contreparties valent bien de me coltiner ma voisine pendant quelque temps.

— Tu ne sembles pas apprécier l’idée, me lance mon commandant en fronçant les sourcils. Il y a un problème à propos de ce reportage, quelque chose qui devrait me le faire refuser ?

— Non, non… Je connais même la journaliste qui s’en occuperait. C’est une de mes voisines à Palisades Park. Elle est professionnelle et elle obéira aux mesures de sécurité.

Je suis sûr du contraire. Il est clair que June outrepassera les règles si ça lui permet d’obtenir une meilleure image, mais si ce reportage peut obliger la ville à nous octroyer plus de budget afin de mieux protéger et servir ses habitants tout en renforçant notre propre sécurité, je peux m’accommoder de la belle rousse.

— Tu te portes garant d’elle ?

Jamais de la vie ! ai-je envie de crier, mais je ne peux plus faire machine arrière.

— Bien entendu.

— Je te laisse gérer les détails, comme c’est toi qui as pris en charge son patron et que tu la connais. Tiens-moi au courant de la date de son arrivée pour que je briefe l’équipe d’ici là.

— OK.

Je hoche la tête en ravalant difficilement ma salive. Dans quoi me suis-je embarqué ? Je sens que je viens de creuser moi-même ma tombe et que ma charmante voisine va se faire une joie de m’ensevelir sous terre.

Commander Palisades Park T2