Cette histoire commence par la fin. Du moins, je pensais que c’était la fin – de ma vie et de mes rêves. Pour moi, tout était fichu, et ce à cause de deux petits mots.
« C’est positif. »
Deux petits mots. Deux petits traits bleus.
Mon estomac se noue et mes genoux se mettent à trembler. Mon maillot de football est trempé de sueur, et cela n’a rien à voir avec la chaleur qu’il fait. Je prends le test de grossesse et je le secoue, priant pour qu’une des lignes disparaisse.
Ce n’est pas le cas.
« Merde. »
J’ai beau n’avoir que dix-sept ans, mon esprit d’analyse est au top et je propose un contre-argumentaire, une explication. J’exprime un doute raisonnable.
– Peut-être que tu l’as mal fait ? Ou qu’il est défaillant ? Peut-être qu’on devrait en faire un autre ?
Jenny renifle et ses beaux yeux bleus s’emplissent de larmes.
– J’ai des nausées tous les matins depuis une semaine, Stanton. Et j’ai deux mois de retard. Le test est positif, un point c’est tout, dit-elle en essuyant ses joues du revers de la main. Je refuse de voler un autre test à monsieur Hawkin pour qu’il nous dise ce que l’on sait déjà.
Elle marque un point. Lorsque l’on habite dans une petite ville – surtout une petite ville du sud des États-Unis –, tout le monde connaît tout le monde. Les gens connaissent votre grand-père, votre mère, votre grand frère un peu fou et votre adorable petite sœur. Ils savent que votre oncle a fait de la prison et que votre cousin n’est plus tout à fait le même depuis son accident de tracteur. Les petites villes font qu’il est trop gênant d’acheter des préservatifs, trop difficile de se procurer la pilule, et qu’il est impossible d’acheter un test de grossesse. Sauf si, bien sûr, vous voulez que vos parents soient au courant avant même que votre copine n’ait eu le temps de faire pipi sur le bâtonnet.
Jenny croise les bras et je vois ses mains trembler. J’ai beau être mort de trouille, ce n’est rien à côté de ce qu’elle ressent. C’est ma faute, de toute façon. C’est moi qui étais pressé et qui étais chaud comme la braise. Bon sang, quel abruti.
Quoi que l’on dise du féminisme et de l’égalité des sexes, on m’a appris que les hommes sont des protecteurs. Les femmes et les enfants d’abord. Si ma nana a des ennuis, c’est de ma faute, c’est mon problème.
– Eh, viens ici, dis-je en l’attirant dans mes bras. Ça va aller. Tout ira bien.
– Je suis désolée, Stanton, dit-elle alors que ses épaules sont secouées par des sanglots.
J’ai rencontré Jenny au CP. J’ai mis un crapaud dans son cartable parce que mon frère avait parié que je n’oserais pas. Elle a passé deux mois à se venger en me lançant des boulettes de papier mâché dans le cou. Au CE2, je pensais être amoureux d’elle, en sixième j’en étais sûr. Elle était magnifique, drôle, et elle lançait un ballon de football mieux que toutes les filles, et que la plupart des mecs, que je connaissais. On a rompu en quatrième quand Tara-Mae Forrester m’a proposé de peloter ses seins – ce que j’ai fait –, et on s’est remis ensemble l’été suivant lorsque je lui ai offert le gros ours en peluche que j’avais gagné à la foire.
Elle n’est pas seulement mon premier baiser, elle est toutes mes premières fois. Jenny est mon âme sœur, et je suis la sienne.
Je recule la tête pour la regarder dans les yeux et je caresse ses longs cheveux blonds et soyeux.
– Tu n’as pas à être désolée. Tu n’as pas fait ça toute seule. J’étais là aussi, tu te souviens ? répondis-je en jouant des sourcils, parvenant enfin à la faire sourire.
– Ouais, c’était une belle soirée…
– Géniale, même.
Ce n’était pas notre première fois, ni notre dixième, mais c’était l’une des meilleures. Le genre de nuit que l’on n’oublie jamais – sur une couverture au bord de la rivière, un soir de pleine lune, avec un pack de bières et la radio de mon pick-up diffusant de la musique. C’était à quelques mètres de là où nous nous trouvons maintenant. Une nuit de doux baisers, de chuchotements enflammés, nos corps en sueur, nos mains baladeuses, ses ongles dans mon dos. Une symbiose si parfaite que je ne savais plus où mon corps terminait ni où le sien commençait. Un plaisir si intense que je voulais que cela dure pour toujours. Nous y aurions repensé dans quelques années, essayant de reproduire cette nuit-là, même sans bébé pour nous la rappeler pour toujours.
Un bébé.
Bordel de merde.
– Qu’est-ce qu’on va faire ? demande Jenny, semblant lire dans mes pensées.
Mon père m’a toujours dit qu’il ne fallait pas avoir honte d’avoir peur, que ce qui compte, c’est notre réaction face à la peur. Les lâches s’enfuient, les vrais hommes prennent leurs responsabilités. Je ne suis pas un lâche.
Je déglutis, ravalant par la même occasion toutes mes ambitions, mes espoirs et mes projets pour quitter cette ville. Je regarde la berge, de l’autre côté de la rivière, l’eau qui scintille dans le soleil, et j’accepte la seule option qui s’offre à moi.
– On va se marier et on vivra chez mes parents, au début. Je travaillerai à la ferme et je suivrai des cours du soir, comme ça, on économisera. Il faudra que tu attendes un peu pour aller en école d’infirmière, mais on finira par avoir notre propre maison. Ne t’en fais pas, je vais m’occuper de toi – de vous deux… j’ajoute en posant ma main sur son ventre encore plat.
Sa réaction n’est pas celle à laquelle je m’attendais. Elle fait deux pas en arrière et écarquille les yeux en secouant la tête.
– Quoi ? Non ! Non, tu es censé partir à New York après le bac !
– Je sais.
– Tu as refusé une bourse d’athlète que t’offrait l’Université du Mississippi parce que tu as été pris à Columbia. C’est l’Ivy League, Stanton !
Je secoue la tête et je mens.
– Ça n’a plus d’importance, maintenant, Jenn.
Tous les mecs de la ville se seraient battus pour jouer dans l’équipe de football de l’Université du Mississippi. Pas moi. J’ai toujours voulu autre chose, quelque chose de plus grand, de plus brillant, de plus loin.
Les tongs de Jenny soulèvent des jets de sable tandis qu’elle fait les cent pas sur la rive. Sa robe d’été en coton blanc tourbillonne lorsqu’elle se tourne en pointant son index sur moi.
– Tu vas y aller, Stanton, fin de la conversation. On va faire comme prévu. Rien n’a changé.
Je ne peux empêcher ma rancœur de transparaître dans ma voix.
– Comment ça, rien n’a changé ? Tout a changé, Jenny ! Tu ne peux pas venir me voir une fois par mois avec un bébé ! On ne peut pas accueillir un bébé dans une chambre d’étudiant !
– Je sais, chuchote-t-elle sur un ton résigné.
– Tu crois que je vais te laisser ici toute seule ? Ça allait être suffisamment dur à faire comme ça, mais maintenant… je ne vais pas t’abandonner alors que tu es enceinte ! Tu crois vraiment que je suis ce genre de mec ?
– Non, rétorque-t-elle en me prenant les mains. Tu es le genre de mec qui va aller à Columbia et qui va finir major de sa promo. Un mec qui sera tellement brillant que c’est lui qui choisira son salaire. Tu ne m’abandonnes pas, Stanton, tu fais ce qu’il y a de mieux pour nous. Pour notre famille, notre avenir.
– Je ne peux pas partir.
– Bien sûr que si.
– Et toi, qu’est-ce que tu vas faire ?
– Je resterai chez mes parents, ils m’aideront avec le bébé. Ils élèvent pratiquement les jumeaux, de toute façon.
La sœur aînée de Jenny, Ruby, a déjà deux enfants et le troisième est en route. Elle a toujours attiré les cas sociaux : alcooliques, chômeurs de longue durée, fainéants… Elle les adore.
– Entre mes parents et les tiens, je pourrai quand même aller à l’école d’infirmière, dit Jenny en passant ses bras autour de mon cou.
Bon sang, ce qu’elle est belle.
– Je n’ai pas envie de te laisser, je murmure.
Elle semble avoir pris sa décision.
– Tu vas partir, et tu reviendras quand tu pourras.
Je l’embrasse sur la bouche, sa bouche aux lèvres si douces et charnues, au délicieux goût de cerise.
– Je t’aime, Jenny. Jamais je n’aimerai personne comme toi.
– Je t’aime aussi, Stanton Shaw, je n’aimerai jamais un autre que toi.
Ah, l’amour jeune est si fort. Le premier amour si puissant. Ce que l’on ne sait pas quand on est jeune – ce que l’on ne peut pas savoir –, c’est que la seule chose sur laquelle on peut compter dans la vie, en dehors de la mort et des impôts, c’est le changement. Et un tas de changements se profilaient à l’horizon.
Elle prend ma main et nous retournons à mon pick-up.
– À qui on l’annonce en premier ? Tes parents ou les miens ? demande-t-elle en plongeant son regard dans le mien.
– Les tiens, autant se débarrasser des barjots tout de suite.
Jenny n’est pas vexée, elle est lucide.
– Pourvu que mamie ne mette jamais la main sur les cartouches de son fusil.
*
* *
« Aaaaahhhhhhh ! »
Cela ne peut pas être normal. Le docteur Higgens dit que oui, mais c’est impossible.
« Grrrraaaaaaa ! »
J’ai grandi à la ferme. J’ai vu un tas de naissances – des veaux, des poulains, des agneaux –, aucune ne ressemblait à cela.
« Iiiiiiiihhhhhh ! »
On se croirait dans un film d’horreur. Comme Saw… C’est un massacre.
« Rrrrrrrrrrrrr ! »
Si c’est ce qu’elles subissent lorsqu’elles accouchent, je ne comprends vraiment pas pourquoi les femmes prennent le risque de faire l’amour.
« Aaaaaïiïïïïïe ! »
Je crois que, même moi, je ne veux plus jamais prendre le risque de faire l’amour. Soudain, la masturbation me semble beaucoup plus attrayante.
Jenny hurle si fort que mes oreilles bourdonnent. Je m’empêche de gémir lorsqu’elle serre ma main plus fort encore. Je suis en nage et je suis mort de trouille. Alors que le docteur Higgens est assis tranquillement sur son tabouret, remontant ses lunettes sur son nez. Lorsqu’il se courbe pour inspecter l’entrejambe de Jenny, il me fait penser à la façon dont ma mère regarde dans le four à Thanksgiving pour voir si la dinde est prête.
Jenny se laisse retomber sur le lit en haletant.
– Je vais mourir, Stanton ! Promets-moi que tu t’occuperas du bébé quand je ne serai plus là. Ne le laisse pas devenir un abruti comme ton frère ou une salope comme me sœur !
Je relève les mèches de ses cheveux, noircis par la sueur, qui sont tombés sur son visage.
– Oh, je ne sais pas. Les abrutis sont souvent drôles et les salopes ont leur utilité.
– Ne me fais pas la morale, bon sang ! Je vais mourir ! Tu comprends ?
– Écoute-moi bien, Jenny, il est hors de question que tu me laisses tout seul. Tu ne vas pas mourir, je dis fermement en me tournant vers le médecin. Vous ne pouvez pas faire quelque chose ? Lui donner des sédatifs ?
Et m’en donner aussi, par la même occasion ? Je n’ai pas l’habitude de me droguer, mais je vendrais mon âme pour fumer un joint dans la minute.
Le docteur secoue la tête.
– Ça ne servirait à rien. Les contractions arrivent trop vite, votre bébé a l’air très impatient de sortir.
Vite ? Vite ? Si cinq heures, c’est vite, je n’imagine même pas ce que c’est lorsque ça ne l’est pas.
Mais qu’est-ce qu’on fait, bon sang ?
Nos vies n’étaient pas censées se dérouler ainsi. Je suis le quarterback, le major de la promo. Jenny est la reine sa promo et la capitaine des cheerleaders. Du moins, elle l’était avant que son ventre ne soit trop gros pour son uniforme. Nous étions censés aller au bal de fin d’année dans un mois. On devrait être en train de penser à toutes les fêtes à venir, à tous les barbecues de l’été, à baiser sur la banquette arrière de mon pick-up et à profiter de nos amis avant de partir à la fac.
Au lieu de cela, on va avoir un bébé, un vrai, pas un œuf comme celui qu’ils nous font trimbaler pendant une semaine pour nous montrer ce que c’est que d’être parents. J’avais cassé le mien, d’ailleurs.
– Je crois que je vais vomir.
– Non ! s’écrie Jenny. Je t’interdis de vomir alors que je me fais écarteler ! Ravale ta bile et sois un homme ! Et si je survis à ça et que tu t’avises de me toucher, je te jure que je te couperai la queue, tu m’entends ?
Alors ça, c’est quelque chose qu’un homme n’a besoin d’entendre qu’une seule fois.
– D’accord.
J’ai appris il y a quelques heures qu’il valait mieux acquiescer à tout ce qu’elle disait. D’accord, d’accord, d’accord.
Lynn, la sage-femme souriante, essuie le front de Jenny.
– Allez, allez, personne ne va couper quoi que ce soit. Vous oublierez tout une fois que le bébé sera là. Tout le monde adooore les bébés, ils sont un cadeau de Dieu.
Lynn est trop joyeuse pour être sincère, je parie que c’est elle qui a pris tous les antidouleurs et qu’il n’en reste plus assez pour nous.
Une énième contraction arrive et Jenny serre les dents en grognant.
– Je vois la tête, annonce Higgens en tapotant son genou. Poussez une dernière fois et ce devrait être fini.
Je me lève et je regarde entre les jambes de Jenny. Je vois le haut de la tête qui se fraie un passage dans l’endroit que je préfère sur terre. C’est bizarre et dégoûtant, mais… mais c’est aussi assez incroyable. Jenny s’affale sur le lit, pâle, épuisée. Elle sanglote et cela me fend le cœur.
– Je ne peux pas. Je pensais y arriver, mais c’est trop difficile. Stop, c’est fini, je suis épuisée.
Sa mère voulait être là pour l’accouchement et elles se sont disputées parce que Jenny voulait qu’on ne soit que tous les deux. Elle et moi, ensemble.
Je soulève délicatement les épaules de Jenny pour me glisser derrière elle sur le lit, une jambe de chaque côté d’elle, et je passe mes bras autour de sa taille. Son dos est appuyé sur mon torse, et sa tête sur ma clavicule. Mes lèvres effleurent sa tempe, puis sa joue, et je murmure des mots qui n’ont pas de sens, comme je le faisais pour rassurer un cheval angoissé.
– Chhuut, ne pleure pas, ma belle. Tu t’en sors super bien. C’est presque fini. Il faut juste que tu pousses une dernière fois. Je sais que tu es fatiguée, et je suis désolé que ça fasse aussi mal. Pousse une dernière fois et tu pourras te reposer. Je suis là avec toi, on va le faire ensemble.
Elle tourne la tête et pose sur moi un regard inquiet.
– Une dernière fois ?
– Tu es la fille la plus forte que je connaisse. Tu l’as toujours été. Tu peux le faire, ma chérie.
Elle prend plusieurs inspirations pour se préparer.
– OK.
Elle respire de nouveau.
– OK, répète-t-elle.
Elle se redresse et se penche en avant. Lorsque la nouvelle contraction arrive, elle agrippe mes mains aussi fort que possible – je ne pensais pas qu’elle avait autant de forces – et la salle d’accouchement se remplit de grognements et de sons gutturaux pendant une dizaine de secondes, puis… un cri strident les remplace. Le cri d’un bébé.
De notre bébé.
Jenny est haletante, pantelante, soulagée. Le docteur Higgens tient notre bébé dans les mains, tout gigotant, et déclare : « C’est une fille. »
J’ai les larmes aux yeux et Jenny rit. Elle se tourne vers moi, les larmes ruisselant sur ses joues.
– On a une petite fille, Stanton.
– Doux Jésus.
Et nous rions et nous pleurons, dans les bras l’un de l’autre. Quelques minutes plus tard, Lynn, la joyeuse sage-femme, apporte un petit ballotin rose qu’elle met dans les bras de Jenny.
– Mon Dieu, elle est parfaite, soupire Jenny. Comme je ne réponds rien, elle s’inquiète. Tu es déçu que ce ne soit pas un garçon ?
– Non, les garçons ne servent à rien, ils ne causent que des ennuis. Elle… Elle est… tout ce que j’ai toujours souhaité.
Je ne m’étais pas préparé à cela. Je ne savais pas que ce serait ainsi. Un nez minuscule, deux parfaites petites lèvres, de longs cils, une touffe de cheveux blonds, et des mains qui sont déjà des versions miniatures des miennes. Le monde bascule autour de moi et je suis à sa merci. Je suis déjà prêt à tout pour rendre heureuse cette merveilleuse petite créature.
– Coucou, jolie petite fille, dis-je en effleurant sa joue soyeuse.
– Vous avez choisi un prénom ? demande Lynn.
Les yeux souriants de Jenny trouvent les miens puis elle regarde la sage-femme.
– Presley. Presley Evelynn Shaw.
Evelynn est le prénom de la grand-mère de Jenny. On a pensé que cela aiderait peut-être, au cas où elle retrouverait un jour les cartouches de son fusil. Elle a redoublé d’efforts dans ses recherches depuis qu’elle a appris que Jenny et moi n’allions pas nous marier, enfin, pas encore.
Lynn nous enlève déjà Presley pour lui faire tous les examens habituels et je descends du lit pendant que Higgens s’affaire entre les jambes de Jenny.
– Pourquoi tu n’irais pas dehors pour annoncer la bonne nouvelle à la famille, fiston ? Ils ont attendu toute la nuit.
Je regarde Jenny qui hoche la tête, et je lui prends la main pour l’embrasser.
– Je t’aime.
Elle sourit, fatiguée mais comblée.
– Je t’aime aussi.
Je longe le couloir jusqu’à la salle d’attente, où je trouve une douzaine des personnes qui nous sont le plus proches ; leurs visages sont impatients ou paraissent angoissés.
Je suis à peine entré dans la pièce que Marshall, mon petit frère – pas l’abruti, l’autre –, m’interroge :
– Alors ? Qu’est-ce que c’est ?
Je m’accroupis pour être face à lui et je souris.
– C’est une fille !
*
* *
Deux jours plus tard, j’installais le siège auto dans mon pick-up, vérifiant quatre fois s’il était bien fixé, et je ramenais Jenny et Presley à la maison.
À la maison de ses parents.
À peine deux mois plus tard, je les quittais, et je parcourais deux mille kilomètres jusqu’à l’université de Columbia, dans l’État de New York.
– Elle était tellement chou, Stanton, dit Jenny en riant. Elle ne voulait pas toucher le glaçage parce que c’était collant, alors elle a plongé sa tête dans le gâteau ! Et elle était furieuse quand je l’ai pris pour couper les parts. J’aurais tellement aimé que tu la voies – cette petite a plus de caractère que mamie, ça je te le confirme !
J’aurais tellement aimé que tu la voies.
La culpabilité me ronge parce que j’aurais dû être là pour voir Presley découvrir son premier gâteau d’anniversaire, voir sa réaction face aux rubans, la façon dont elle a préféré le papier coloré au cadeau lui-même. J’aurais dû être là pour allumer la bougie et prendre les photos. Pour être sur les photos.
Or ce n’était pas le cas. Je ne pouvais pas être avec elle, parce que c’est la semaine des examens et que je dois être ici, à New York. Je me force à sourire, faisant de mon mieux pour paraître enthousiaste.
– C’est génial, Jenn. Ça a l’air d’avoir été une super fête. Je suis content que ça lui ait plu.
J’ai beau feindre l’enthousiasme, Jenny n’est pas dupe.
– Chéri, arrête de t’en vouloir. Je t’enverrai les photos et la vidéo par email. Ce sera comme si tu y étais.
– Ouais, sauf que ce n’est pas le cas.
Elle soupire.
– Tu veux lui dire bonne nuit ? Lui chanter ta chanson ?
J’ai passé peu de temps avec ma fille depuis qu’elle est née, mais nous avons vite compris que Presley aimait le son de ma voix. Même au téléphone, cela la calme lorsqu’elle fait ses dents ou qu’elle est en colère. C’est devenu notre rituel.
– Papa !
Je suis sans cesse épaté par le pouvoir que ces deux petites syllabes ont. Elles réchauffent mon cœur et me font sourire pour la première fois depuis le début de la journée.
– Joyeux anniversaire, ma puce.
– Papa !
– Tu me manques, Presley, dis-je en riant. Tu es prête pour ta chanson ?
Doucement, je me mets à chanter.
You are my sunshine, my only sunshine.
You make me happy when skies are gray…
Presley, son adorable petite voix, essaie de chanter avec moi. Après deux couplets, j’ai les larmes aux yeux et je ne peux plus chanter tant je suis triste de ne pas être avec elle. Elles me manquent tellement, toutes les deux…
Je me racle la gorge.
– C’est l’heure de se coucher, ma puce. Bonne nuit.
Jenny reprend le téléphone.
– Bonne chance pour ton partiel, demain.
– Merci.
– Bonne nuit, Stanton.
– Bonne nuit, Jenn.
Je jette mon téléphone sur le matelas et je m’allonge sur le lit, les yeux rivés sur le plafond. Quelque part à l’étage en dessous, j’entends des rires et des appels à boire cul sec – apparemment, le marathon de beer-pong qui a commencé il y a deux jours bat toujours son plein. Dès ma première semaine à Columbia, j’ai appris que les carrières ne se construisent pas seulement sur ce que l’on sait, mais aussi sur qui l’on connaît. C’est pour cela que j’ai rejoint une fraternité – pour les liens d’amitié et de loyauté qui s’y créent. Je suis donc dans Psi Kappa Epsilon, une bonne fraternité, pleine de futurs cadres dans les domaines de l’économie, des affaires ou du droit. La plupart des membres viennent de familles riches, mais ce sont néanmoins de bons gars qui travaillent dur, étudient sans cesse et s’amusent sans relâche.
Le semestre dernier, l’un des étudiants a décroché son diplôme en avance et il a été envoyé en Europe par son entreprise listée parmi les cinq cents plus grosses au monde. Mon grand frère de fraternité s’est battu pour que j’aie une chambre dans la maison. Un grand frère, c’est le mec avec qui on est en binôme lorsqu’on postule pour devenir membre : c’est lui qui vous mène la vie dure et qui fait de vous son esclave pendant une semaine. Cependant, une fois que l’on est membre – frère – il devient votre meilleur ami. Votre mentor.
D’ailleurs, je suis à deux doigts de me laisser engloutir par le dédain que j’ai pour moi-même lorsque mon grand frère passe devant ma porte ouverte. Du coin de l’œil, je vois sa tête brune passer, puis je le vois s’arrêter et faire marche arrière.
Drew Evans entre dans ma chambre comme s’il était chez lui. Il est unique au monde, je ne connais personne qui lui ressemble. C’est comme si un projecteur l’éclairait en permanence – vous ne pouvez pas l’ignorer, c’est impossible. Il se comporte comme si le monde lui appartenait, et lorsque vous êtes avec lui, cette impression déteint sur vous également.
Il me regarde, et je vois dans ses yeux bleus, qui rendent les nanas folles de lui, qu’il désapprouve mon attitude.
– C’est quoi ton problème ?
– Rien, je réponds en m’essuyant le nez.
– Ça n’a pas l’air de rien, dit-il en haussant les sourcils. Tu es presque en train de chialer dans ton oreiller, bon sang. J’ai honte pour toi, mec.
Qu’il chasse les filles ou la vérité, il ne baisse pas les bras tant qu’il n’a pas obtenu ce qu’il voulait. Drew ne lâche rien et c’est une qualité que j’admire.
Mon téléphone tinte pour m’annoncer un email – ce sont les photos que Jenny m’envoie. Je soupire en m’asseyant dans le lit et j’ouvre le fichier.
– Tu te souviens de ma fille, Presley ?
Il hoche la tête.
– Ouais, une jolie gamine, avec un prénom horrible.
– C’était son anniversaire, aujourd’hui, j’explique en lui montrant une photo de mon bébé couvert de gâteau. Son premier anniversaire.
– Elle a l’air de s’être amusée, dit-il en souriant.
– Ouais. Mais je n’étais pas à ses côtés, je réplique en m’essuyant les yeux. Qu’est-ce que je fous ici, mec ? C’est difficile à vivre… beaucoup plus dur que je ne le pensais.
Je suis doué pour tout ce que j’entreprends, je l’ai toujours été. Le football, l’école – je suis aussi un super petit ami. Au lycée, toutes les filles étaient jalouses de Jenny. Elles voulaient toutes coucher avec moi. Quant aux mecs, ils voulaient tous être moi. À l’époque, tout me paraissait simple.
– C’est juste que je me sens… j’ai l’impression d’échouer… tout ce que j’entreprends. Peut-être que je devrais jeter l’éponge et aller dans une fac pourrie plus près de chez moi. Au moins je les verrais plus de deux fois par an. Quel genre de père rate le premier anniversaire de sa fille, putain ?
Tous les mecs ne pensent pas comme moi. Je connais des gars qui ont mis leur copine en cloque et qui étaient heureux de partir sans plus se retourner. Ils leur envoient un chèque seulement s’ils sont traînés au tribunal, et encore. Les pères des gamins de Ruby ne les ont pas vus plus d’une fois.
Je ne pourrais jamais être comme ça.
– Mais tu as complètement craqué, mon pote ! s’exclame-t-il. Il ne te reste plus qu’à chanter du Céline Dion, et là, tu auras touché le fond…
Je rumine en silence et Drew soupire, puis il s’assoit sur le bord de mon lit.
– Tu veux que je te dise la vérité, Shaw ? demande-t-il.
Evans est un fan de la vérité, la dure vérité, même blessante. C’est une autre de ses qualités que je respecte, même si ce n’est pas marrant lorsque c’est à vous qu’il s’adresse.
– Ouais, je suppose.
– Mon vieux est de loin le meilleur père que je connaisse. Je ne me souviens pas s’il était là pour mon premier anniversaire, ni mon deuxième… et d’ailleurs je m’en fous royalement. Grâce à lui je n’ai jamais eu froid, il est fier de moi quand je le mérite, et il m’engueule quand je fais des conneries. Il nous a toujours offert de super vacances en famille et il paie pour mes frais de scolarité. En gros, il me sert sur un plateau d’argent une vie qui s’annonce belle et sans encombre. Ce que je veux dire, c’est que n’importe quel débile peut couper un gâteau. Toi tu es ici, à travailler le week-end, à étudier comme un malade, pour qu’un jour ta gamine n’ait pas à le faire. C’est ça, qui fait de toi un bon père.
Je réfléchis à ce que dit Drew.
– Ouais… ouais, je suppose que tu as raison.
– Bien sûr que j’ai raison. Maintenant sèche tes larmes et brosse-toi les dents. Tu fais pitié. On dirait une nana qui a ses règles.
Je lui fais un doigt d’honneur, mais il l’ignore. Il hoche la tête en direction de mon énorme classeur libellé Introduction aux statistiques.
– Tu es prêt pour le partiel de Windsor ?
– Je crois.
Il secoue la tête.
– Il ne suffit pas de le croire, il faut que tu le saches. Windsor est un connard en plus d’être un snob. Il n’attend qu’une chose, c’est de coller un zéro à des ploucs dans ton genre.
Je feuillette la pile de papiers.
– Je vais le relire une dernière fois, mais ça va, je suis prêt.
– Super, dit-il en mettant une claque sur ma cuisse. Alors prépare-toi à sortir dans une heure.
Je regarde ma montre, il est vingt-deux heures.
– Et où va-t-on ?
Evans se lève.
– Si je ne dois t’apprendre qu’une seule chose, je veux que ce soit celle-ci : la veille d’un exam important, tu sors boire un verre – un seul – et tu baises. C’est une technique infaillible pour réussir. D’ailleurs ils devraient le noter dans la brochure qu’ils distribuent aux premières années.
Je me frotte la nuque.
– Je ne sais pas…
– C’est quoi, le problème ? demande-t-il. Vous êtes un couple libre, non, avec ta femme ?
– Ouais, mais…
– Au passage, bien joué, c’était une super idée, mec. Je ne comprendrai jamais pourquoi les mecs s’engagent auprès d’une seule femme alors qu’il y en a tant à découvrir.
Je ne le corrige pas. Je ne lui dis pas que l’idée vient de Jenny, que c’est elle qui a insisté, lorsqu’on s’est disputés à Noël. Je ne lui dis pas que la seule raison pour laquelle j’ai accepté c’est parce que les chauds lapins qui sont à Sunshine savent que Jenny est ma meuf, la mère de ma fille, et que même si je ne rentre que trois fois par an, je ne manquerai pas d’en profiter pour refaire le nez du gars qui aurait osé la toucher.
Je ne lui avoue pas non plus que je n’ai pas profité de notre nouvel accord, même si cela fait cinq mois que la décision a été prise.
Pas une seule fois.
– Je n’ai jamais dragué de meuf dans un bar. Je ne saurais pas quoi dire.
Drew ricane.
– Contente-toi de leur parler avec ton accent du Sud et laisse-moi faire le reste. Dans une heure, tiens-toi prêt, mec, dit-il avant de sortir de ma chambre.
*
* *
Une heure et demie plus tard, nous passons la porte du Central Bar, un des lieux préférés des étudiants. On y mange bien, il y a une piste de danse avec un DJ à l’étage, et l’entrée est gratuite. Cela a beau être la semaine des partiels, le bar est plein à craquer.
– Tu bois quoi ? demande Evans tandis qu’on approche du comptoir.
– Un Jim Beam, sans glaçons.
Si je ne bois qu’un verre, autant qu’il soit bon.
J’aperçois mon reflet dans le miroir derrière le bar. Je porte un tee-shirt bleu uni, une barbe de trois jours parce que j’ai eu la flemme de me raser, et ma touffe de cheveux blonds a bien besoin d’un petit tour chez le coiffeur. Le gel n’a pas le moindre effet dessus, alors je passe mes journées à les enlever de mon visage.
Drew me tend un verre de bourbon et boit une gorgée du sien. Silencieux, nous observons la salle pendant quelques minutes, puis il me pousse du coude et hoche la tête en direction de deux filles assises près du jukebox. Elles ont cette beauté qui paraît naturelle alors qu’elles ont passé deux heures à se préparer. L’une est grande avec de longs cheveux blonds, raides, et des jambes infinies. Elle porte un jean troué et un minuscule débardeur qui laisse voir son soutien-gorge en dentelle noire et un piercing au nombril. Sa copine est plus petite, ses cheveux sont bruns et bouclés, et son jean est si moulant qu’il a l’air d’avoir été cousu sur elle.
Drew marche vers elles d’un pas assuré et je le suis.
– J’aime bien ton tee-shirt, dit-il à la blonde en désignant l’inscription qui s’étend sur sa poitrine : Barnard Women Do It Right.
Elle le regarde des pieds à la tête et un sourire aguicheur s’étend sur ses lèvres.
– Merci.
– J’ai le même à la maison, sauf que le mien dit Columbia Guys Do It All Night.
Elles gloussent et je bois mon bourbon tandis que la brune me reluque.
– Vous allez à Columbia ? demande-t-elle.
– Ouais, répond Drew en hochant la tête.
Même si je n’ai pas la moindre idée de ce que je fais ici, j’essaie de suivre les instructions de Drew, et je pose la question la moins originale au monde.
– Qu’est-ce que vous étudiez ?
– Waouh, tu as un sacré accent, tu n’es pas d’ici, toi, dit la brune en pouffant de rire.
– Non, je viens du Mississippi.
Elle observe mes biceps et je suis presque certain de la voir saliver.
– New York te plaît ?
Je prends une seconde pour me préparer à avoir l’accent le plus fort possible.
– Eh ben écoute, j’aimais déjà, mais là… depuis ce soir… j’adore.
– On est en licence d’art, répond la blonde.
– Vous êtes sérieuses ? En licence d’art ? ricane Drew. Ça ne vous intéresse donc pas de contribuer au bien-être de la société ? demande-t-il avant de lever son verre. Trinquons à votre diplôme inutile, alors !
Je sais qu’il passe pour un enfoiré, mais croyez-moi, les filles adorent.
– Quel connard ! s’exclament-elles en gloussant, déjà conquises par son charme.
Je bois une nouvelle gorgée de bourbon.
– Vous êtes spécialisées dans quelle forme d’art ?
– Moi je peins, répond la blonde. J’aime surtout le body-painting, ajoute-t-elle en dévorant Drew du regard. Ton corps ferait une très belle toile, d’ailleurs.
– Et moi je sculpte, répond la brune à son tour. Je suis très douée de mes mains…
Elle finit son cocktail rose bonbon et je saute sur l’occasion, même si je n’ai pas vingt et un ans et que je n’ai pas de fausse carte d’identité sur moi.
– Tu en veux un autre ? je lui demande.
– Et si on partait plutôt d’ici ? interrompt Drew. On pourrait aller chez vous, peut-être ? Tu pourrais me montrer ton… art, dit-il en regardant la blonde. Je parie que tu es super douée.
Les filles acquiescent, je finis mon bourbon, et nous sortons tous les quatre.
*
* *
Il s’avère que les nanas sont colocs et qu’elles habitent dans le quartier. Je ne dis presque rien sur le chemin, trop distrait par la culpabilité qui me ronge déjà. J’imagine le visage de Jenny, toute souriante et adorable. Je l’imagine en train de bercer notre fille dans le rocking-chair que nous a donné Tante Sylvia quand Presley est née. Je me demande si ce que je fais, du moins ce que je m’apprête à faire, est une bonne chose.
Pour deux étudiantes, leur appartement est étonnamment luxueux. Elles vivent au troisième étage d’un immeuble avec portier, leur salon est immense et meublé de canapés en cuir beige, et un tapis persan recouvre une bonne partie du parquet en chêne. La cuisine est également spacieuse, tout équipée, avec des placards en bois et des plans de travail en marbre.
– Faites comme chez vous, dit la brune en souriant. On en a pour deux minutes, on va se refaire une beauté.
Elles disparaissent dans le couloir et Drew se tourne brusquement vers moi.
– C’est quoi ton problème ? On dirait un puceau le soir du bal de promo.
J’essuie mes mains moites sur mon jean.
– Je ne sais pas si c’est une bonne idée d’être là.
– Tu n’as pas vu les miches de la brune ? Comment ça pourrait être une mauvaise idée ?
– Le truc, c’est que… Jenny est la seule femme avec qui j’ai couché.
– Oh putain, dit-il en se frottant le front. Mais elle est d’accord pour que tu couches avec d’autres nanas ?
– Euh… oui, c’est elle qui a suggéré l’idée.
– C’est mon genre de fille, ça, répond-il en hochant la tête. Alors c’est quoi, le problème ?
Je me frotte la nuque pour essayer de me détendre.
– Eh ben… même si on en a parlé… je ne suis pas sûr que… ça ne me paraît pas… j’ai l’impression de la tromper.
– Je t’admire, Shaw, dit-il d’une voix plus calme. Tu es un bon gars. Tu es loyal, j’aime ça. Et c’est pour ça que je pense qu’il est de ton devoir – et de celui de Jenny – d’accepter de baiser avec cette femme.
Je me demande, et ce n’est pas la première fois, si Drew Evans ne serait pas le diable incarné. Je n’ai aucun mal à l’imaginer donner du pain au Christ pendant le carême en faisant comme si ce n’était rien de grave.
– Tu penses vraiment toutes les conneries que tu dis ? je l’interroge, incrédule.
– Écoute-moi, tu verras. C’est quoi ta glace préférée ?
– Je ne vois pas le rapport avec…
– Réponds à la question, putain. C’est quoi ta glace préférée ?
– Noix de pécan, je soupire.
Il hausse les sourcils, choqué.
– Noix de pécan ? Je croyais qu’il fallait avoir soixante-dix ans pour aimer ça. Bref. Comment tu sais que c’est ton parfum préféré ?
– Parce que ça l’est, c’est tout.
– Mais comment tu le sais ? insiste-t-il.
– Parce que je préfère ça à…
Je ne finis pas ma phrase car j’ai compris où il voulait en venir.
– À tous les autres parfums que tu as goûtés ? finit Drew. Tu trouves ça meilleur que la vanille, la fraise, ou la menthe aux pépites de chocolat ?
– Ouais.
– Et comment tu aurais su que la noix de pécan était le parfum qu’il te fallait si tu n’avais pas goûté aux autres ? Comment tu aurais su que ce n’était pas juste un choix par défaut si tu avais eu trop peur d’essayer autre chose ?
– Je ne l’aurais pas su.
– Exactement, dit-il.
Vous voyez ? C’est l’incarnation du diable.
Cependant… Jenny a plus ou moins dit la même chose, demandant si on pouvait être sincères en se disant qu’on s’aime alors qu’on n’a rien connu d’autre, si on était assez forts pour traverser ce genre d’épreuve, et à quoi ressemblerait notre avenir si on ne l’était pas, justement.
Drew claque des doigts pour me faire redescendre sur terre.
– Écoute, Shaw, c’est censé être fun. Si tu n’es pas à l’aise, si tu préfères partir, je ne t’en tiendrai pas rigueur.
– Bien sûr que si, je m’exclame en ricanant.
– OK, tu as raison, admet-il en souriant. Je me moquerai probablement de toi, mais je ne le dirai pas aux autres. Ça restera entre nous.
Je n’ai pas le temps de répondre parce que les filles reviennent. Elles ont enfilé des nuisettes en satin, et je sens l’odeur de dentifrice lorsque la blonde s’approche pour parler à Drew.
– Viens, j’aimerais te montrer quelque chose dans ma chambre, susurre-t-elle.
– Dans ce cas, il y a quelque chose que j’aimerais voir, dit-il avant de se tourner vers moi. Tout va bien, mec ?
Est-ce que tout va bien ?
La brune me dévisage, attendant ma réponse, et je comprends soudain que… je n’ai aucune raison de refuser.
– Ouais. Ouais, tout va bien.
Drew prend la main de la blonde et ils s’en vont.
Seul avec ma nouvelle amie, j’en profite pour la regarder – vraiment la regarder. Je ne suis pas habitué à d’aussi gros seins, bien que sa taille soit minuscule et ses fesses petites mais rebondies. C’est le genre de cul que les hommes aiment empoigner, masser, et diriger. Ses jambes sont fines et musclées et sa peau est parfaite. Pour la première fois de la soirée, je ressens du désir et ma pauvre queue, délaissée depuis cinq mois, sort enfin de son hibernation.
Je ne lui demande pas comment elle s’appelle et elle se fiche de mon prénom. La liberté que procure cet anonymat est excitante. Je ne reverrai plus jamais cette fille et ce que l’on se dit ou que l’on se fait ne quittera pas cet appartement. Soudain, des milliers de fantasmes, plus délirants les uns que les autres, envahissent mon esprit – des choses que je n’oserais jamais demander à Jenny parce qu’elle me mettrait probablement une gifle. Alors qu’une belle étrangère dont je ne connais pas le nom… pourquoi pas ?
– Tu veux voir ma chambre ? demande-t-elle.
– OK.
La pièce est un tourbillon de rouge bordeaux, de marron et d’ocre. Je m’assois sur son lit, pieds à terre, genoux écartés. Toute trace d’hésitation a disparu.
– Tu étudies quoi, toi ? demande-t-elle en fermant la porte. Je voulais te le demander tout à l’heure.
– Je suis en droit.
Elle avance vers moi, s’arrête à un mètre, et me regarde d’un air suspect.
– Pourquoi veux-tu devenir avocat ?
Je souris.
– Parce que j’aime me disputer. J’aime… prouver aux gens qu’ils ont tort.
Elle fait un pas en avant et prend ma main puis elle la retourne pour y promener son index. C’est à la fois chatouilleux et stimulant – mon cœur bat plus vite.
– Tu as des mains musclées, dit-elle.
Le contraire est impossible, lorsqu’on grandit à la ferme. Les outils, la corde, les clôtures, les selles, sans parler de tout ce qu’il faut soulever ou de tous les trous qu’il faut creuser, durcissent la peau et fortifient les muscles.
– Tu sais ce qui me plaît le plus dans la sculpture ? demande-t-elle d’une voix suave.
– Non, quoi ?
Elle lâche ma main et plonge son regard dans le mien.
– Je ne réfléchis pas pendant que je travaille. Je ne prévois rien. Je laisse mes mains… faire ce qu’elles veulent, ce qui leur procure du plaisir.
Elle saisit le bas de sa nuisette et la passe par-dessus sa tête. Ses seins son pâles et généreux et merveilleusement nouveaux. Elle est à quelques centimètres de moi, nue et fière.
– Tu veux essayer ?
Elle prend mes mains et les promène sur son ventre avant de les poser sur ses seins. C’est le moment pour moi de prendre les rênes. Je les soupèse et les masse lentement, caressant ses tétons avec mes pouces. Ils durcissent et brunissent, et je dois me mordre la lèvre pour repousser l’envie pressante de les prendre dans ma bouche, de les lécher et de les mordre.
Ma dernière pensée cohérente tient en une phrase :
Voilà une chose à laquelle je pourrais m’habituer.
*
* *
– Espèce d’enfoiré et de menteur !
Les mains de Jenny volent dans tous les sens, affolées, fouettant l’air, frappant mon visage, mes épaules, et tout ce qu’elles rencontrent et qui m’appartient.
Splaf.
Splaf splaf.
Splaf.
– Jenny, arrête ! je crie lorsque j’arrive enfin à saisir ses bras pour l’immobiliser. Arrête, bordel !
Des larmes de rage couvrent ses joues et ses yeux sont gonflés.
– Je te déteste ! Tu me fais gerber ! Je te hais !
Elle m’échappe et remonte les marches du perron en courant, claquant la porte derrière elle, me laissant planté sur sa pelouse, anéanti. J’éprouve bien plus que de simples remords, j’ai peur. J’ai les mains moites et j’ai des frissons. J’ai peur d’avoir tout fait foirer et d’avoir perdu la meilleure chose qui me soit arrivée.
Je me passe la main dans les cheveux et je fais de mon mieux pour rester calme. Je m’assois sur les marches du porche, coudes appuyés sur les genoux. Je garde un œil sur Presley qui joue sur sa couverture, près de la balançoire, où sont ses cousins. Ses boucles blondes rebondissent lorsqu’elle rit – heureusement, elle n’a pas la moindre idée de ce qui vient de se passer.
Ruby, la sœur de Jenny, apparaît à côté de moi. Elle lisse sa minijupe en jean et dégage ses boucles rousses de ses épaules.
– Eh ben, on peut dire que cette fois-ci tu es dans la merde, Stanton.
En temps normal, je ne me tournerais pas vers Ruby pour demander conseil, surtout quand il s’agit de relations amoureuses. Mais elle a l’avantage d’être là.
– Je… Je ne sais pas ce qui s’est passé.
Ruby ricane.
– Tu as dit à ma sœur que tu avais baisé une autre meuf, voilà ce qui s’est passé. Aucune femme n’a envie d’entendre ça.
– Alors pourquoi elle m’a posé la question ?
Elle secoue la tête, comme si la réponse était évidente.
– Parce qu’elle voulait t’entendre répondre non.
– Mais on s’est mis d’accord pour voir d’autres gens, je rétorque. Et on a dit qu’on serait honnêtes, qu’on serait matures.
– Le dire et le ressentir sont deux choses très différentes, don Juan. Écoute, toi et Jenny vous avez dix-huit ans, vous êtes des bébés… ça allait forcément arriver. Ce n’était qu’une question de temps.
Je parviens à peine à dire les mots tant ma gorge est nouée.
– Mais… je l’aime.
– Et elle t’aime aussi. C’est pour cela que ça fait si mal.
Il est hors de question que je baisse les bras, pas de cette manière. C’est la peur qui me pousse à faire quelque chose. À dire quelque chose, n’importe quoi. À m’accrocher à elle comme à une bouée de sauvetage.
Je monte l’escalier jusqu’à la chambre de Jenny et de ma fille dont j’ouvre la porte. Elle est allongée sur le lit, la tête enfouie dans son oreiller, et ses épaules sont secouées par les sanglots. J’ai envie de vomir. Je m’assois sur le lit et j’effleure son bras. Jenny a une peau incroyablement douce, plus douce qu’un pétale de rose. Il est hors de question que ce soit la dernière fois que je la touche.
– Je suis désolé. Je suis désolé, Jenny. Ne pleure pas. S’il te plaît ne… ne me déteste pas.
Elle s’assoit et ne prend pas la peine de masquer son désespoir.
– Est-ce que tu l’aimes ?
– Non, je réponds fermement. Non, ce n’était qu’une nuit. Ça n’avait aucune importance.
– Est-ce qu’elle était jolie ?
C’est le futur avocat qui prend la parole.
– Pas autant que toi.
– Dallas Henry m’a invitée au cinéma, chuchote Jenny.
Les remords que je ressentais partent en fumée, remplacés par une profonde colère. Dallas Henry était le receveur de mon équipe de football, au lycée, et il a toujours été un connard. Le genre de mec qui essaie de choper les nanas les plus bourrées aux soirées et qui était même capable de glisser quelque chose dans leur verre pour les aider à s’enivrer plus vite.
– Tu te fous de ma gueule ?
– J’ai répondu non.
Ma colère se calme un peu, légèrement. Mon poing va quand même avoir une longue conversation avec le nez de Dallas Henry avant que je ne reparte à New York.
– Pourquoi tu n’as pas dit non, Stanton ? accuse-t-elle à voix basse.
Sa question fait resurgir toute ma culpabilité. Je me lève et je fais les cent pas.
– J’ai dit non des tonnes de fois ! Bon sang, Jenn… Je pensais que… je ne te trompais pas ! Tu ne peux pas m’en vouloir de faire ce que tu voulais. C’est injuste.
Tous les muscles de mon corps sont tendus en attendant sa réponse, et il me semble que des semaines entières passent avant qu’elle ne hoche la tête.
– Tu as raison.
Elle plonge ses yeux bleus dans les miens et ils sont tellement emplis de tristesse que cela me déchire.
– C’est juste que… je déteste imaginer ce que tu as fait avec elle. J’aimerais revenir en arrière, avant de le savoir. Au moins je pourrais faire semblant qu’il n’y a eu que moi. Est-ce que c’est… pathétique ? sanglote-t-elle.
– Non, ça ne l’est pas, je réponds en tombant à genoux. Il n’y a eu que toi, Jenn, pour tout ce qui compte ! Ce qui se passe quand on n’est pas ensemble n’a d’importance que si on le décide.
Ma main remonte sur sa cuisse. J’ai besoin de la toucher, de lui faire oublier, de retrouver le nous qu’on a toujours été.
– Je suis là pour l’été. Pour deux mois et demi, et tout ce que je veux faire c’est t’aimer, pendant chaque seconde. Est-ce que tu m’y autorises, ma chérie ? Laisse-moi t’aimer, je t’en supplie.
Ses lèvres sont chaudes et gonflées par les larmes. Au début, je les effleure comme pour lui demander la permission. Puis j’y vais plus fort, lui faisant ouvrir la bouche avec ma langue. Elle ne répond pas tout de suite, mais au bout de quelques secondes, elle me retourne mon baiser et ses petites mains agrippent mon tee-shirt et tirent dessus, m’attirant à elle.
Me faisant sien, comme elle l’a toujours fait.
Jenny s’allonge sur le lit et m’emporte avec elle. Je suis étendu sur elle, sans l’écraser, laissant sa poitrine se soulever et retomber sous moi, pantelante.
– Je ne veux plus jamais savoir, Stanton. On ne se pose pas de questions, on ne dit rien. Promets-le-moi.
– Je te le promets, je grogne, prêt à accepter tout ce qu’elle pourrait me demander… impossible de faire autrement lorsqu’on se trouve dans cette position.
– Je commence l’école à l’automne. Je vais rencontrer des gens, moi aussi, dit-elle. Je vais sortir, et tu ne peux pas t’énerver. Tu ne peux pas être jaloux.
Je secoue la tête.
– Ce ne sera pas le cas. Je ne veux pas me disputer. Je ne veux pas… je ne veux pas t’empêcher de vivre ta vie.
Ce qui est dingue, c’est que c’est vrai. Je le pense sincèrement.
Il y a une partie de moi qui aimerait garder Jenny pour moi, l’enfermer dans cette maison et savoir qu’elle ne fait rien d’autre qu’attendre mon retour. Cependant, la peur que l’on finisse par se détester, par s’en vouloir pour tout ce qu’on a raté, est plus grande. Plus que tout, je ne veux pas me réveiller dans dix ans et me rendre compte que ma nana déteste sa vie et que c’est de ma faute.
Ainsi, si je dois la partager de temps en temps pour éviter une telle situation, j’accepte de me taire, promis juré.
Je plonge mon regard dans le sien.
– Mais quand je suis à la maison, tu es à moi. Tu n’es pas à ce putain de Dallas Henry, tu n’es à personne d’autre que moi.
Elle effleure ma mâchoire du bout des doigts.
– Oui, je suis à toi. Je suis celle auprès de qui tu reviendras. Ce ne sont pas elles qui compteront, Stanton. Aucune autre fille… n’aura ma place.
Je l’embrasse à pleine bouche, lui coupant la parole, scellant notre promesse. Je promène ma bouche sur son cou tandis que mes mains caressent son ventre et remontent vers ses seins.
– Mes parents sont en bas, dit-elle en saisissant mes poignets.
Je ferme les yeux et je retiens mon souffle.
– Viens à la rivière avec moi, ce soir. On roulera jusqu’à ce que Presley s’endorme.
Jenny sourit.
– Elle s’endort automatiquement dès qu’elle est en voiture.
– Parfait, dis-je en l’embrassant sur le front.
Je m’allonge sur le côté et elle se blottit contre moi, jouant avec le col de mon polo.
– Ce ne sera pas comme ça pour toujours. Un jour, tu auras fini la fac et les choses redeviendront normales.
Ouais.
Un jour…
Défendre les criminels n’est pas aussi excitant que l’on pourrait le croire. Ce n’est même pas aussi excitant que l’imaginent les étudiants en droit. Cela implique des heures et des heures d’enquêtes et de recherches en jurisprudence pour appuyer ses arguments. Si vous travaillez dans un cabinet, lorsque l’on vous autorise enfin à défendre vos clients au tribunal, il y a rarement des révélations ou des retournements de dernière minute comme on le voit dans les films.
L’exercice consiste principalement à présenter les faits preuve par preuve. L’une des premières règles que l’on apprend en fac de droit, c’est de ne jamais poser de question à laquelle on ne connaît pas déjà la réponse.
Je suis désolé si je vous déçois, mais ce n’est pas très exaltant.
Aux États-Unis, les accusés peuvent choisir qui décidera de leur destin : un juge ou un jury composé de leurs pairs. Je conseille toujours à mes clients d’opter pour le jury. Il est déjà miraculeux de mettre d’accord douze personnes quant au choix d’un restaurant, imaginez ce que c’est lorsqu’il s’agit de juger un homme coupable ou non. Par ailleurs, une annulation de procès, ce qui arrive lorsque les jurés ne tombent pas d’accord, implique automatiquement la victoire de l’accusé.
On vous a déjà raconté la blague sur les jurys ? Est-ce que vous voulez vraiment être jugé par douze personnes qui sont si peu intelligentes qu’elles n’ont pas réussi à se sortir de leur obligation ? Eh bien oui, c’est justement les gens que vous voulez pour vous juger : des gens qui n’ont pas de connaissances en droit et qui peuvent être influencés par des tonnes d’éléments qui n’ont rien à voir avec les faits.
Si un jury apprécie un accusé, il aura plus de mal à le condamner à dix ou vingt ans de prison ferme. C’est pour cela qu’un type accusé de vol viendra au tribunal en costard et pas en tenue de tôlard. Les jurys sont censés être impartiaux, fonder leur décision sur les preuves et les faits qui leur sont présentés. Rien d’autre.
Cependant, la nature humaine ne fonctionne pas tout à fait ainsi.
Il est également important que l’avocat qui défend l’accusé fasse bonne impression. S’il est ronchon, ennuyeux ou négligé, les jurés seront moins enclins à croire sa version des faits. Des études ont montré que si les propos de l’avocat sont mesurés et qu’il s’exprime bien – et qu’il est beau –, les jurés lui feront confiance plus facilement. S’ils croient l’avocat, par extension, ils croiront le client.
Il ne faut pas non plus donner l’impression d’en faire trop et de cacher des éléments – la dernière image que l’on veut donner est celle d’un marchand de tapis.
Toutefois, voici la chose la plus cruciale : lorsque c’est possible, il faut divertir le jury. Lui offrir un spectacle. Ils espèrent entendre des « objections » et des « c’est inadmissible », de même qu’ils s’attendent à des coups de poing sur la table. Ils sont venus en rêvant voir un remake de Tom Cruise et de Jack Nicholson dans Des hommes d’honneur. Si le système judiciaire est ennuyeux, rien ne vous oblige à l’être aussi.
– Vous pouvez procéder à votre conclusion, maître Shaw.
– Merci, votre honneur.
Je me lève en boutonnant la veste de mon costume gris. Le gris a énormément de succès auprès des femmes ces temps-ci, et dix des douze jurés sont du sexe opposé. Je promène sur le jury un regard contemplatif, faisant durer le silence, laissant monter le suspense, puis je commence.
« La prochaine fois que je te vois, je vais te couper les couilles et te les faire bouffer. »
Je marque une pause et les observe de nouveau.
« Quand je te retrouverai, tu me supplieras de te buter. »
Nouvelle pause, et cette fois-ci je pointe du doigt.
« Tu ne paies rien pour attendre, enfoiré. J’arrive. »
Je passe devant mon bureau et je me place devant les jurés.
– Ce sont les paroles de l’homme qui est soi-disant la victime dans cette affaire. Vous avez vu les messages, vous l’avez entendu avouer qu’il les avait envoyés à mon client. À mes yeux, cet homme est loin d’être une victime.
Tous les regards me suivent tandis que je fais les cent pas, comme un professeur donnant une conférence.
– Pour moi, ces messages m’ont tout l’air d’être des menaces – sérieuses, qui plus est. Là d’où je viens, menacer de couper les couilles de quelqu’un… mérite à coup sûr une bonne baston.
De petits rires émanent du box des jurés. Je croise les bras en posant mon regard sur chacun d’entre eux, assez longtemps pour qu’ils se sentent inclus, en les préparant pour le « secret » que je vais révéler.
– Depuis que ce procès a commencé, vous avez entendu des choses à propos de Pierce Montgomery, mon client, qui ne sont pas flatteuses. Qui sont même horripilantes. Je parie que vous ne l’aimez pas beaucoup. Pour tout vous dire, je ne l’aime pas beaucoup non plus. Il a eu une liaison avec une femme mariée, il a posté des photos d’elle sur les réseaux sociaux sans lui demander la permission… Ce ne sont pas là les actes d’un homme honorable.
Il est toujours mieux de se débarrasser du négatif en premier.
– Si mon client était jugé pour manque de décence, je peux vous assurer que je ne serais pas en train de le défendre aujourd’hui. Cependant, votre tâche n’est pas celle-là. Vous êtes ici pour juger de ses actions de la nuit du quinze mars. Notre société ne condamne pas les individus pour s’être défendus contre des dommages physiques. Et c’est précisément ce que faisait mon client ce soir-là. Lorsqu’il est tombé nez à nez avec l’homme qui l’avait menacé sans relâche, il avait toutes les raisons de croire que ces menaces allaient être mises à exécution, et d’avoir peur pour son bien-être physique, voire pour sa vie.
Je marque une pause pour laisser mes paroles s’imprégner. Je sais qu’ils s’imaginent cette nuit et qu’ils la voient à travers les yeux de la pourriture qui a la chance de m’avoir comme avocat.
– Mon vieil entraîneur de football disait qu’une attaque intelligente était la meilleure défense. C’est une leçon que j’applique tous les jours. Ainsi, bien que Pierce ait frappé le premier, ce n’en était pas moins un acte de légitime défense, car il agissait contre une menace connue – une peur raisonnable. C’est sur cela, Mesdames et Messieurs, que repose ce procès.
Toujours face aux jurés, je fais un pas en arrière pour m’adresser à tout le groupe.
– Après que vous aurez délibéré, je suis confiant dans le fait que vous conclurez que mon client a agi pour se défendre, et que vous le trouverez non coupable.
Je ne retourne m’asseoir qu’après avoir posé la cerise sur le gâteau.
– Je vous remercie encore une fois pour votre temps et votre attention. Vous avez été… un véritable plaisir.
J’obtiens un sourire de huit des dix femmes – je crois que les chiffres sont en ma faveur.
Je me rassois et ma collègue au visage toujours impassible m’écrit un mot sur son bloc-notes.
Elles sont séduites !
Au tribunal, les avocats communiquent ainsi car il est mal vu de chuchoter. Par ailleurs, un sourire ou une grimace peuvent être mal interprétés par le jury. Ma seule réaction est un bref hochement de tête.
La séduction est ce que je fais de mieux.
Tu l’as déjà oublié ?
Il n’y a personne de plus pro que Sofia. Elle ne sourit pas, et je ne l’ai jamais vue rougir. Elle répond simplement :
Quelle suffisance.
Je me permets un minuscule sourire.
Au fait, mes fesses portent encore la marque de tes ongles.
Ça te fait mouiller ?
C’est tout à fait inapproprié et c’est un manque de professionnalisme flagrant, mais c’est pour cela que c’est si amusant. Le fait que notre abruti de client, ou un spectateur assis au premier rang du balcon, puisse voir ce que je viens d’écrire ajoute du piment au jeu. C’est comme doigter une femme sous la table d’un restaurant bondé – je vous le recommande, d’ailleurs. Le risque d’être découvert rend tout cela plus dangereux et excitant.
Ses yeux brillent de machiavélisme tandis qu’elle écrit.
Je mouillais déjà à « Mesdames, Messieurs ».
Maintenant arrête.
Je réponds :
Arrêter ? On garde ça pour plus tard ?
Je suis récompensé par un léger sourire, et cela me suffit.
Plus tard… ça me va.
*
* *
Après que le juge eut donné aux jurés une pile d’instructions, ces derniers sont partis en délibération et le procès a été suspendu, me donnant l’occasion de manger avec mon vieil ami de fraternité. Avec nos emplois du temps chargés et nos vies de famille, nous ne nous voyons qu’une ou deux fois par an, lorsque l’un de nous est de passage dans la ville de l’autre.
Drew Evans n’a pas beaucoup changé depuis l’époque de Columbia. Il a gardé sa repartie moqueuse et cette arrogance qui attire toutes les femmes. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui Drew ne remarque plus toutes celles qui le regardent lorsqu’il passe, du moins, il ne leur retourne pas la même attention.
– Vous êtes sûr que vous ne voulez rien d’autre ? Quoi que ce soit ? demande la jeune serveuse pour la troisième fois en quinze minutes.
Il boit une gorgée de bière avant de répondre.
– Non, non, tout va bien, merci.
Elle tourne les talons, l’air déçue.
Drew est banquier d’affaires. Il travaille pour l’entreprise de son père, à New York, et c’est grâce à lui que l’équivalent des deux premières années de fac de ma fille est déjà bien au chaud sur un compte banquaire. On dit qu’il ne faut pas mélanger l’argent et l’amitié, mais lorsque vos amis sont aussi doués avec l’argent que les miens, l’idée est tout simplement brillante.
Son téléphone lui annonce l’arrivée d’un message. Il regarde l’écran et un sourire niais s’étend sur son visage, le genre de sourire dont je n’ai été témoin qu’une fois auparavant, il y a huit mois, le jour de son mariage.
Je m’essuie la bouche, pose ma serviette, et me recule dans ma chaise.
– Alors… comment va Kate, ces jours-ci ?
Kate est la femme de Drew. La femme canon de Drew. La femme incroyablement sexy de Drew avec qui j’ai dansé à leur mariage, ce qui n’a pas semblé plaire à mon pote. Pas du tout.
Quel genre d’ami serais-je si je ne le taquinais pas avec ça ?
– Kate va très bien, dit-il en levant la tête. Elle est mariée avec moi, elle va forcément bien.
– Tu lui as donné ma carte ? Pour qu’elle puisse me contacter si jamais elle a besoin d’un avocat ou de quoi que ce soit d’autre ?
Je souris en le voyant froncer les sourcils.
– Non, je ne lui ai pas donné ta carte, connard.
Il se penche en avant et prend un air sûr de lui.
– De toute façon, Kate ne t’aime pas.
– C’est ce que tu dis pour te rassurer ?
– C’est vrai, dit-il en riant. Elle te trouve louche. Tu défends des criminels, mec. Kate est maman : elle pense que, grâce à toi, des pédophiles sont remis en liberté.
Tout le monde fait cette erreur, or les avocats de la défense sont là pour s’assurer que le système judiciaire reste honnête et sain. Nous nous battons pour l’individu : nous sommes la seule protection entre lui et les pouvoirs de l’État. Les gens ont tendance à l’oublier, pour eux, nous ne défendons que des pédophiles et des géants de Wall Street.
– J’ai une fille. Je ne défendrais jamais un pédophile.
Drew ne trouve pas mon raisonnement suffisant.
– Si tu veux devenir associé dans ton cabinet, tu défends ceux que tes patrons t’ordonnent de défendre, un point c’est tout.
Je hausse les épaules.
– À propos de ta fille, elle a quel âge, maintenant ? Dix ans ?
Comme toujours, parler de ma fille m’emplit de fierté.
– Elle a eu onze ans le mois dernier, dis-je en sortant mon téléphone pour lui montrer les photos de son anniversaire. Elle vient d’être prise dans l’équipe des cheerleaders de compétition, et dans le Sud, je peux t’assurer que c’est un vrai sport, pas juste une danse avec des pompons.
Jenny et Presley vivent toujours dans le Mississippi. Après Columbia, lorsque j’ai commencé l’école d’avocat de la George Washington University, nous avons envisagé la possibilité qu’elles viennent vivre à DC avec moi, mais Jenny ne pensait pas que la ville était le meilleur endroit pour élever un enfant. Elle voulait que notre fille grandisse comme nous : qu’elle puisse nager dans la rivière, faire du vélo sur les chemins de terre, courir pieds nus dans les champs et qu’elle connaisse les barbecues du dimanche, après la messe.
J’étais d’accord avec elle. Cela ne m’a pas plu, bien évidemment, mais j’étais d’accord.
Drew siffle, impressionné, lorsque je lui montre les photos de Presley en tenue vert et or. Ses longs cheveux blonds sont bouclés et attachés dans une queue-de-cheval haute, ses yeux bleus sont étincelants, et elle sourit de toutes ses dents.
– Elle est magnifique, Shaw. Tu as de la chance qu’elle tienne de sa mère. J’espère que tu as préparé ta batte de baseball.
J’ai déjà tout prévu.
– Non mec, j’ai un fusil à pompe.
Il hoche la tête.
– Salut toi, ça faisait longtemps…
Je lève la tête et j’admire Sofia Marinda Santos, ma collègue – entre autres –, qui avance vers nous.
L’habit ne fait pas seulement l’homme, pour une femme, c’est une déclaration, et celle de Sofia est proche de la perfection. Elle s’habille comme elle est : impeccable, élégante, classe, tout en étant tellement sexy que j’en ai l’eau à la bouche. Sa chemise en soie rouge est boutonnée de façon à ne montrer qu’un peu de sa peau douce et hâlée, et pas un millimètre de décolleté. Cependant, le choix du tissu met en avant la poitrine sublime que Dieu lui a donnée, généreuse, ferme, et splendide. Une veste en tweed gris couvre ses longs bras fins et sa jupe crayon assortie moule ses magnifiques fesses avant de révéler des jambes musclées qui n’en finissent jamais.
– Tu te cachais où ? je demande en lui offrant une chaise. Joins-toi à nous !
Ses lèvres rouges et pulpeuses esquissent un sourire.
– Merci, mais non, je viens de finir de déjeuner avec Brent, nous étions installés à l’intérieur.
Je désigne tour à tour Sofia et Drew pour les présenter.
– Drew Evans, je te présente Sofia Santos, une autre défenseuse de pédophiles, si l’on en croit ta femme. Sof, continué-je alors que celle-ci hausse les sourcils, voici Drew Evans, mon vieil ami de fac, mon banquier d’affaires, et grosso modo le plus bel enfoiré que j’aie jamais rencontré.
Drew ignore mon dernier commentaire et lui tend la main.
– Enchanté, Sofia.
– De même.
Elle regarde l’heure sur sa Rolex.
– Tu devrais te dépêcher de finir, Stanton, on ne veut pas rater le verdict.
Je secoue la tête en souriant, car nous avons cette dispute depuis que le procès a commencé.
– J’ai largement le temps, chérie. Je vais peut-être même commander un dessert. Le jury ne prendra pas sa décision avant lundi, au plus tôt.
– Tu es peut-être le Charmeur de jurys, mais moi je suis la Prophétesse des jurés, et je peux te dire que ces femmes au foyer veulent rayer ce procès de leur liste des choses à faire avant le début du week-end.
– Le Charmeur de jurys ? ricane Drew. C’est tellement adorable.
Je lui fais un doigt d’honneur et dévisage Sofia.
– Tu te trompes, cette fois-ci.
– Tu veux rendre les choses plus intéressantes, mon grand ? demande-t-elle en esquissant un sourire en coin.
– Pourquoi pas, que veux-tu parier, ma douce ?
Evans observe la scène en se retenant de rire.
Sofia pose ses mains sur la table, se penche en avant, et je remercie Dieu d’avoir inventé la gravité, car sa chemise s’éloigne de son corps, m’offrant une vue délectable de ses seins splendides, à peine voilés par un soutien-gorge en dentelle noire.
– Ta Porsche.
J’écarquille les yeux, abasourdi. Elle n’a pas l’air de plaisanter. Sofia sait que ma 911 Carrera 4S Cabriolet argentée est ce que j’ai de plus cher à Washington. C’est la première chose que j’ai achetée lorsque j’ai été embauché dans le prestigieux cabinet Adams & Williamson, il y a quatre ans. Elle est comme neuve. Je ne la sors jamais quand il pleut, je ne la gare nulle part où un oiseau pourrait chier dessus, et personne ne la conduit, sauf moi.
– Quand le jury sortira, aujourd’hui, tu me laisseras emmener ta Porsche pour la meilleure balade de sa vie, déclare-t-elle en plongeant son regard dans le mien.
Je me frotte le front en réfléchissant à ma réponse.
– La boîte de vitesses est manuelle, je la préviens d’une voix grave.
– Pfff… un jeu d’enfant.
– Et moi, j’aurai quoi si – quand tu perdras ?
Elle se redresse, fière, bien qu’elle n’ait pas encore entendu mes conditions.
L’image de Sofia portant un minuscule bikini rouge, mouillée et couverte de mousse, envahit mon esprit, et je ne peux m’empêcher de sourire.
– Tu laveras la Porsche, à la main, une fois par semaine, pendant un mois.
– Marché conclu, répond-elle du tac au tac.
Avant de lui serrer la main, je plonge mon regard dans le sien et je crache dans ma paume. Notre poignée de mains est visqueuse et elle grimace, mais son regard est plein d’une chaleur que je suis seul à reconnaître.
Elle aime ça. Je lâche sa main et elle s’essuie sur une serviette.
Brent Mason, un autre avocat du cabinet, sort du restaurant et nous rejoint. Il partage son bureau avec Sofia et ils sont proches, mais c’est strictement platonique et amical. Il a commencé en même temps que Sofia et moi, même s’il a l’air plus jeune. Ses yeux bleus en amande, ses cheveux châtains ondulés et son insouciance permanente m’inspirent un sentiment protecteur, un peu comme s’il était un petit frère. Le fait qu’il boite renforce cette image enfantine, même si c’est en fait le résultat de la prothèse qu’il porte à la jambe gauche – la conséquence d’un accident qu’il a eu lorsqu’il était petit. Le drame lui a peut-être ôté une jambe, la bonne humeur de Brent n’a pas été affectée pour autant.
Au passage, il vient d’une vieille famille si riche que les membres ne comprennent pas que tout le monde ne passe pas ses étés dans le sud de la France ni ses week-ends dans une villa sur le bord de la rivière Potomac lorsqu’ils ont besoin d’un break hors de la ville. Son père souhaitait que son fils unique fasse de la politique et pensait qu’une bonne réputation comme procureur servirait de bonne base. C’est précisément pour cela que Brent est devenu avocat de la défense en droit pénal.
– Salut, Shaw, dit-il.
Je hoche la tête.
– Brent, je te présente Drew Evans, un vieil ami. Drew, Brent Mason est un collègue à nous.
– Waouh, est-ce que tout le monde est avocat, à DC ? remarque Drew en serrant la main de Brent.
Je ris doucement.
– Apparemment c’est la ville des États-Unis qui comprend le nombre d’avocats par habitant le plus élevé.
– Tu es prête, Sofia ? demande Brent lorsque son téléphone sonne. J’ai un client qui arrive dans vingt minutes.
– Oui, allons-y. Ravie de t’avoir rencontré, Drew. Stanton, on se voit au tribunal dans très peu de temps.
– Tu veux dire au bureau ? je demande en feignant de ne pas comprendre.
Elle secoue la tête et emboîte le pas à Brent. Je la regarde partir en admirant la vue, ce que Drew ne manque pas de remarquer.
– Tu crois vraiment que c’est une bonne idée ? demande-t-il.
– De quoi tu parles ?
– De fricoter avec ta collègue. Tu penses que c’est une bonne idée ?
Je me demande d’abord comment il a su, puis je ris, parce que c’est Drew, et qu’il ne rate jamais le genre de détails qui peuvent révéler une liaison.
– C’est toi qui dis ça ? Le mec qui a épousé sa collègue il y a quelques mois ?
Drew recule dans sa chaise et appuie son coude sur celle d’à côté.
– C’est complètement différent, Kate et moi sommes spéciaux.
– Qu’est-ce qui te fait croire que je couche avec Sof ?
– Ah… ben j’ai des yeux, et des oreilles. N’importe qui peut percevoir la tension sexuelle qu’il y a entre vous. Au passage, tu as mal négocié ton pari. Moi j’aurais exigé de la baiser sur le capot de la voiture d’abord, et ensuite de la faire nettoyer. Mais bon, ce n’est que moi. Maintenant, revenons à nos moutons…
Après tout, il n’y a aucune raison de nier.
– Sofia est la femme la plus intelligente que je me sois jamais tapée, c’est sans risque.
– C’est toujours risqué, mec. Prépare-toi à des situations gênantes et à des montagnes de rancœur au féminin.
Je comprends ses réserves, mais il a tort. Sofia est une femme dans tous les domaines importants, mais elle a l’esprit pratique d’un homme. Lorsqu’elle envisage son avenir, elle n’imagine pas un Renault Espace et une maison à la campagne, mais plutôt un bureau au dernier étage d’une tour, et une liste infinie de clients prestigieux. Elle est franche et directe, tout en étant fun. Je la considère comme une amie, et j’aime autant lui parler que la lécher.
Notre petit arrangement a commencé il y a six mois. La première fois était sauvage et spontanée. J’avais toujours su que je voulais me la faire, mais je ne savais pas à quel point, jusqu’au soir où nous nous sommes retrouvés seuls dans la salle des archives du cabinet. Nous travaillions tard, nous étions stressés et nous manquions de temps. Nous discutions du cas Miranda vs. Arizona lorsque, soudain, nous nous sommes retrouvés à nous arracher les vêtements, plaqués contre les étagères de classeurs en cuir, baisant comme des animaux.
Il me suffit de repenser aux bruits que faisait Sofia cette nuit-là pour bander – une symphonie de cris, de gémissements et de grognements. Je l’ai fait jouir trois fois, et lorsque mon orgasme est enfin arrivé… waouh. Je suis resté paralysé près de cinq minutes.
Une discussion à tête reposée nous a permis de savoir que nous avions tous deux envie de recommencer, encore et encore. C’était l’anti-stress parfait pour nos emplois du temps chargés.
– Mais non, mec, je dis en souriant. Sofia est comme… un des mecs de la bande.
– Tu te tapes un des mecs de la bande ?
– Hmmm, c’est moins excitant quand c’est toi qui le dis. Ce que je veux dire, c’est qu’elle vit pour le boulot et qu’elle veut devenir associée, comme moi. Ça laisse peu de temps au reste. C’est pratique et elle est canon. Je sais que tu es marié, mais il faudrait être dans le coma pour ne pas le remarquer. Et encore, ses seins te feraient bander quand même.
– J’ai vu, ne t’en fais pas, dit-il. Est-ce qu’elle est au courant pour ton plan cul dans le Mississippi ?
– Jenny n’est pas mon plan cul, espèce d’enfoiré.
– Stanton… elle n’est ni ta copine, ni ta femme. Elle est celle que tu baises quand tu fais un passage éclair en ville. Je suis navré de te l’annoncer, mec, mais c’est la définition même d’un plan cul.
Parfois, la propension de Drew à dire les choses telles qu’elles sont me donne envie de lui mettre un coup de pied dans les couilles.
– Sofia est au courant pour Jenn et Presley.
– Tiens donc. Je dis simplement qu’une telle situation pourrait vite devenir compliquée pour toi.
– Merci pour l’avertissement. Mais je gère.
– Si tu le dis. Souviens-toi juste que lorsque tu réaliseras que tu ne gères pas du tout, il sera déjà trop tard.
Il regarde son téléphone puis il se lève.
– Sur ce, dit-il, faut que j’y aille, je dois prendre mon train.
Je me lève et lui mets une tape dans le dos.
– Pourquoi tu ne passerais pas la nuit à DC ? Je peux organiser une partie de poker avec les mecs, comme au bon vieux temps.
Il lève les mains et les pose à plat comme un balancier.
– Voyons voir… prendre son argent à Shaw… ou rentrer auprès de la plus belle femme du monde qui n’a pas cessé de m’envoyer des messages coquins depuis que je suis parti ? Désolé, mec. Je t’aime bien, mais pas à ce point.
On se prend dans les bras en se tapant dans le dos et en se promettant de vite se revoir lorsque mon téléphone sonne. Je le prends, je lis le message, et je pousse un juron. Drew se baisse pour prendre son attaché-case et je lui montre le message.
– Le jury a pris sa décision.
Il éclate de rire.
– J’espère pour toi qu’elle est aussi douée avec un levier de vitesses qu’elle le prétend. Cela dit, tu le sais déjà, n’est-ce pas ? demande-t-il en souriant. Allez, à bientôt, mec.
– Embrasse Kate de ma part ! Et donne-lui ma carte !
Il ne se retourne pas et ne s’arrête pas, mais il lève la main pour me faire un doigt d’honneur.
L’ambiance dans un tribunal, juste avant la lecture du verdict, est électrique. Tout le monde est sur les nerfs, et j’aime penser que les Romains ressentaient la même tension lorsqu’ils attendaient de voir si César allait lever ou baisser le pouce. Les cœurs battent la chamade, les mains sont moites, l’adrénaline fait des ravages. C’est exaltant, et j’adore. C’est aussi addictif que ces parties de jambes en l’air qui vous laissent des marques et des courbatures – lorsque vous avez hâte de recommencer, même si vous êtes épuisés.
J’ai toujours su que je voulais être avocate. Petite, j’étais fan des séries judiciaires, celles où des femmes plus intelligentes que quiconque sauvaient des vies depuis leurs somptueux bureaux vitrés tout en incarnant le summum de l’élégance.
Pour mes parents, la priorité était que leurs enfants reçoivent une bonne éducation, tout simplement parce qu’ils en avaient été privés eux-mêmes. Si ma mère a quitté son village natal de Pará pour l’opulence relative de Rio de Janeiro quand elle était jeune, elle est restée analphabète jusqu’à ses seize ans, jusqu’à ce que mon père lui apprenne à lire. Ils ont émigré ensemble aux États-Unis, incarnant le rêve américain, ouvrant des commerces prospères, s’élevant d’abord à la classe moyenne avant de devenir véritablement riches. Conscients de la chance qu’offrait leur nouvelle situation à leurs enfants, ils nous ont appris très tôt, à mes trois grands frères et à moi, que l’éducation est la clé qui ouvre toutes les portes. C’est un trésor qui ne peut jamais être dérobé, une bouée de sauvetage infaillible. Ainsi, nous avons tous réussi. Victor, l’aîné, est devenu médecin ; Lucas, le cadet, est auditeur financier, et Tomás, qui n’a qu’un an de plus que moi, est ingénieur.
– Mesdames et Messieurs les jurés, êtes-vous d’accord sur le verdict ?
Notre client, Pierce Montgomery, n’essaie pas de cacher qu’il porte plus d’intérêt à mes seins qu’à la personne qui s’apprête à déclarer s’il va passer les dix prochaines années en prison, ou pas.
– Oui, votre honneur.
En devenant avocate au pénal, et en choisissant de défendre les accusés, je savais que je serais obligée de travailler avec des pourritures comme Montgomery, mais cela ne m’a jamais effrayée. Je suis la plus jeune de la famille et la seule fille, et j’ai toujours été chouchoutée. Cependant, au lieu de m’étouffer, l’instinct protecteur de mes parents les a poussés à s’assurer que je serais prête à tout ce qui pourrait m’arriver. Mon père avait l’habitude de dire : Les opportunités doivent être saisies à deux mains, parce qu’on ne sait jamais quand elles se présenteront à nouveau. C’est lui qui m’a appris à n’avoir peur de rien. Plutôt que de me souhaiter d’avoir un mari et des enfants, il a toujours voulu que je réussisse afin que je puisse aller où je veux et faire n’importe quoi.
De plus, grandir à Chicago m’a appris à toujours être sur mes gardes. Comme toutes les grandes villes, elle a beau être belle, elle n’est pas sans danger. J’ai appris à marcher vite, tête baissée, mais à ne pas me laisser faire et à me méfier des gens que je ne connais pas, tant qu’ils ne m’ont pas prouvé qu’ils méritaient ma confiance. Pour faire court, un vicelard comme Pierce Montgomery ne me fait pas peur. Fils de sénateur ou pas, s’il essayait de me toucher avec autre chose que ses yeux, je le mettrais à terre en un claquement de doigts. C’est aussi simple que ça.
– Qu’avez-vous conclu ?
Voici venu le moment de vérité. Du coin de l’œil, je vois les épaules de Stanton se soulever légèrement tandis qu’il inspire et qu’il retient son souffle, tout comme moi.
– Non coupable.
YES !
Exprimer sa joie avec fracas est mal vu au tribunal, donc Stanton et moi nous limitons à de gigantesques sourires. Nous savons tous les deux que cette victoire est un pas de plus vers la notoriété que l’on vise tous les deux.
Montgomery remercie Stanton en lui serrant la main mais, bizarrement, lorsqu’il s’agit de moi, il se sent obligé de me prendre dans ses bras. Parce que j’ai un vagin, sans doute, et que, comme beaucoup d’hommes, il pense que les pénis se serrent la main alors que les vagins se font un câlin.
Pas avec moi, mec.
Je lui tends fermement la main afin qu’il ne puisse pas envahir mon espace personnel. Il l’accepte, même s’il n’oublie pas de me faire un clin d’œil vicieux.
Les journalistes nous attendent lorsque nous sortons du tribunal. Ce sont des chaînes locales, pas nationales – je vous l’ai dit, nous avançons pas à pas. Lentement mais sûrement. Stanton était l’avocat principal du procès et c’est lui qui écoute leurs questions, répondant avec un mélange bien étudié de charme et d’égotisme – les avocats ne font pas dans la modestie. Cependant, il ne m’oublie pas, parlant de notre défense, expliquant que nous étions confiants, mettant en avant notre cabinet en précisant que tous les clients d’Adams & Williamson reçoivent la même défense irréprochable.
Je profite du fait qu’il parle pour l’admirer, ses yeux verts scintillent dans le soleil de l’après-midi. Il a de longs cils noirs et épais que nombre de femmes se battraient pour avoir. Quelques mèches blond foncé tombent sur son front, à la Robert Redford dans L’Affaire Chelsea Deardon. Son nez aquilin et ses pommettes saillantes lui donnent un air noble et puissant. Cependant, je crois que la partie que je préfère chez lui est sa mâchoire. Elle est divine, forte et carrée, avec juste ce qu’il faut de barbe pour laisser imaginer sa tête au saut du lit.
Il mesure environ un mètre quatre-vingt-cinq, soit dix centimètres de plus que moi, et ses longues jambes ainsi que son torse musclé sont dignes d’une couverture du magazine GQ. C’est le genre de corps qui est fait pour porter un costume. Sa voix est grave et il a un léger accent du Sud qui peut être tranchant comme un scalpel ou doux comme une berceuse – utile dans les procès. Cependant, c’est son sourire qui fascine et déstabilise. Ses lèvres sublimes vous donnent envie de rire quand il rit et font naître des pensées obscènes lorsqu’il vous sourit en coin.
Un sourire que je connais par cœur.
– … n’est-ce pas, mademoiselle Santos ? demande-t-il alors que, soudain, tous les regards des journalistes se dirigent sur moi.
Merde. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’il me demande. J’étais trop occupée à admirer sa mâchoire – foutue mâchoire – et à me souvenir de la façon dont elle a râpé ma cuisse hier soir, me faisant ronronner de plaisir.
Néanmoins, je m’en sors de façon tout à fait professionnelle.
– Absolument. Je suis entièrement d’accord avec vous.
Les journalistes nous remercient, et après que notre client est monté dans sa voiture avec chauffeur, Stanton et moi décidons de marcher jusqu’au cabinet, à quelques rues d’ici.
– Où avais-tu la tête, tout à l’heure ? Tu étais complètement à l’ouest ! dit-il d’un ton amusé qui me dit qu’il a déjà deviné.
– Je te ferai le descriptif détaillé ce soir, je réponds tandis qu’il m’ouvre la porte du hall d’entrée.
Adams & Williamson est l’un des plus anciens cabinets de DC. Le bâtiment ne fait que dix étages, respectant l’acte de 1910 interdisant la construction d’immeubles qui dépasseraient le dôme du Capitole. Cependant, ce qui manque au bâtiment en stature, il le compense en splendeur historique. Les plafonds sont en acajou vernis, éclairés de façon à mettre en lumière les moulures et les gravures qui décorent tous les murs. Une cheminée en marbre accueille les visiteurs en hiver et les réchauffe tandis qu’ils avancent vers le bureau en châtaignier de la réceptionniste.
Vivian a la cinquantaine et elle travaille ici depuis des dizaines d’années. Son tailleur blanc et son chignon blond offrent à tous ceux qui passent la porte de l’immeuble une image d’élégance et d’expérience parfaites.
– Félicitations, vous deux, dit-elle en souriant. Monsieur Adams voudrait vous voir dans son bureau.
Les nouvelles vont vite à DC, à côté, les ragots du lycée sont aussi lents que le Minitel. Ce n’est pas surprenant que notre boss soit déjà au courant de notre victoire. Cependant, que la nouvelle soit impressionnante ou non, Jonas Adams, partenaire fondateur du cabinet et descendant direct du deuxième président des États-Unis, ne bouge jamais de son dixième étage. C’est nous qui allons à lui.
Dans l’ascenseur, Stanton est aussi excité que moi. Nous sortons et sommes tout de suite dirigés vers le bureau de Jonas, où nous le trouvons en train de bourrer des dossiers dans un attaché-case en cuir. La ressemblance avec le père fondateur de notre pays est flagrante. S’il décidait de prendre sa retraite un jour, il pourrait facilement se convertir en acteur pour documentaires historiques. Jonas a donné des conférences dans les plus grandes écoles d’avocats du pays et il est considéré comme l’homme le plus brillant de notre domaine. Cependant, à l’instar de nombreux intellectuels surdoués, il dégage une impression de désordre qui vous laisse penser qu’il passe son temps à chercher ses clés.
– Entrez, entrez, dit-il en tapotant ses poches, apparemment soulagé de découvrir que ce qu’il cherchait s’y trouve. Je pars dans quelques minutes donner un séminaire à Hawaii, mais je tenais à vous féliciter pour votre victoire dans l’affaire Montgomery. Il sort de derrière son bureau pour nous serrer la main. Vous avez fait un excellent travail – pas évidente, cette affaire. Le sénateur Montgomery sera ravi.
– Merci, Monsieur, répond Stanton.
– Ça fait quoi pour vous, monsieur Shaw ? Huit victoires d’affilée ?
Stanton hausse les épaules sans afficher la moindre modestie.
– Neuf, pour être exact.
Jonas enlève ses lunettes et les essuie avec un mouchoir portant ses initiales.
– Impressionnant.
– Tout est une question de jury, monsieur Adams. Je n’en ai pas encore trouvé un qui ne m’aimait pas.
– Oui, très bien, très bien. Et vous, mademoiselle Santos ? Pas une seule défaite, hein ?
Je souris et lève le menton, fière de moi.
– Non : du six sur six, monsieur Adams.
Les femmes ont fait beaucoup de progrès dans le milieu des affaires. Nos pieds sont désormais fermement enracinés dans les domaines politique, juridique et économique, qui étaient encore exclusivement dominés par les hommes jusqu’à il y a peu. Cependant, nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Le fait est que, dans la plupart des cas, nous ne sommes pas les premières lorsqu’il s’agit de promotions et d’opportunités de carrière. Si l’on veut que notre boss pense à nous d’abord, il ne suffit pas d’être aussi bonnes que nos collègues masculins. Nous devons être meilleures. Nous devons nous démarquer. C’est injuste, mais c’est la triste vérité. C’est pour cela que lorsque le chauffeur de Jonas entre pour prendre ses bagages et qu’il ressort avec un sac de golf dont le contenu vaut plus que la Porsche de Stanton, je saute sur l’occasion.
– Je ne savais pas que vous jouiez au golf, monsieur Adams.
C’est faux, je suis au courant depuis longtemps.
– Oui, je suis un passionné. C’est relaxant vous savez, ça aide beaucoup contre le stress. J’ai hâte de jouer un peu durant le séminaire. Vous jouez ?
– Eh bien oui, que voulez-vous. J’ai fait un tournoi pas plus tard que ce week-end à East Potomac.
Il remet ses lunettes sur ses yeux écarquillés.
– C’est remarquable ! Lorsque je rentrerai de Hawaii, je vous inviterai à mon club.
– Ce sera avec plaisir, Monsieur, merci.
– Ma secrétaire dira à votre assistante de l’ajouter dans votre agenda. Vous jouez, monsieur Shaw ?
– Bien sûr. Le golf est toute ma vie, répond-il après une minuscule hésitation que je suis la seule à voir.
Jonas frappe dans ses mains.
– Excellent. Alors vous vous joindrez à nous.
– Formidable, répond Stanton.
Après que Jonas est parti, Stanton et moi prenons l’ascenseur pour regagner nos bureaux respectifs.
– « Le golf est toute ma vie ? », je répète en me moquant.
– Qu’est-ce que j’étais censé dire ? demande-t-il en me regardant d’un air amusé.
– Euh, tu aurais pu dire ce que tu m’as dit il y a trois mois : que le golf n’est pas un vrai sport.
– Ça n’en est pas un ! insiste-t-il. Si tu ne transpires pas, ce n’est pas un sport.
– Le golf requiert un talent et une concentration qui…
– Le ping-pong aussi. Et ce n’est pas un vrai sport non plus.
Quelle tête de mule, ce type. Même avec trois frères, je crois que je ne m’habituerai jamais à une telle obstination.
– Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? Jonas rentre de Hawaii dans deux semaines.
– Ça te laisse bien assez de temps pour m’apprendre à jouer, répond-il en me mettant un léger coup de coude dans les côtes.
– Moi ? je m’exclame.
– Bien sûr, Mademoiselle j’ai fait un tournoi à East Potomac. Qui d’autre ?
Je secoue la tête. C’est ainsi que fonctionne Stanton. De la même façon que ma nièce fait trembler sa lèvre, Stanton utilise son charme pour me faire céder. C’est irrésistible.
– C’est peu de temps, deux semaines.
Il pose sa main sur mon épaule et promène son pouce sur la peau nue de mon cou. Je sens ma peau s’embraser immédiatement et tous les muscles en dessous de ma ceinture se contractent.
– On commencera ce week-end. J’ai confiance en toi, Sof. Et puis… j’apprends vite, ajoute-t-il en me faisant un clin d’œil.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrent. Il se dépêche d’enlever sa main et pendant un instant, l’absence de chaleur m’attriste.
– Ce sera le moment parfait pour honorer ton pari. Je nous y emmènerai avec ta Porsche.
– Je ne devrais pas être tenu responsable de paris que je conclus sous la torture.
– Ha ! De quelle torture parles-tu ?
Stanton s’arrête à quelques pas des portes de nos bureaux et chuchote dans mon oreille.
– Tu sous-estimes le pouvoir de tes nichons miraculeux. Tu les as mis sous mon nez, il m’était impossible de réfléchir. J’étais à deux doigts de me lever et de crier Amen… ou alors de me mettre à genoux pour faire d’autres choses…
Un petit rire m’échappe.
– Si tous les seins te distraient aussi facilement, tu as de plus gros soucis que ma conduite, chéri.
Stanton me regarde de la tête aux pieds et ses yeux deviennent plus chaleureux, plus tendres.
– Pas tous les seins, Sof. Juste les tiens.
Je fais mine de ne pas être ravie.
– Bien tenté. Tu n’es pas excusé pour autant.
– Tu ne peux pas m’en vouloir d’avoir essayé.
Brent sort de notre bureau pour aller à celui de Stanton. Il s’arrête quand il nous voit et lève les bras pour nous saluer.
– Ah, le retour des vainqueurs. C’est justement vous que je cherchais.
Nous le suivons dans le bureau de Stanton, qu’il partage avec Jake Becker, lequel est en train de lire un dossier avec ses pieds sur le bureau. Il lève à peine les yeux vers nous.
– Vous avez gagné, à ce qu’il paraît ? Je vous félicite d’avoir prouvé que la justice est aussi stupide qu’elle est aveugle.
Stanton et Jake se sont rencontrés lorsqu’ils étaient encore étudiants, quand Stanton avait désespérément besoin d’un colocataire pour réduire le montant de son loyer, et que Jake cherchait désespérément à quitter le canapé de sa mère sur lequel il dormait. Jake Becker n’a absolument pas le look d’un avocat. Il me fait plutôt penser à un boxer ou au type qui tabasse les gens dans les films sur la mafia. Il a les cheveux noirs, les yeux gris, et des lèvres qui ne sourient presque jamais et qui laissent passer les remarques les plus acerbes. Il est taillé comme une armoire à glace et ses mains sont énormes.
Cependant, en dépit de son apparence, Jake est le parfait gentleman. Il a un sens de l’humour noir, et il est très protecteur envers ses amis, dont j’ai la chance de faire partie. Je ne l’ai jamais vu perdre son sang-froid ni hausser le ton, et j’imagine qu’une fois suffit.
Stanton pose son attaché-case sur son bureau et s’assied.
– Ne te mets pas trop à l’aise, prévient Brent. On ne reste pas longtemps. C’est vendredi, et votre victoire nous donne l’excuse parfaite pour partir plus tôt.
Je n’ai pas connu Brent dans sa jeunesse, mais je suis sûre qu’il était le clown de la classe, ou cet enfant dont l’hyperactivité n’a jamais été diagnostiquée. Il est toujours souriant, raconte sans cesse des blagues, et il n’est jamais fatigué. Il ne s’assoit que très rarement, même s’il lit. Il préfère faire les cent pas derrière son bureau, son dossier dans une main, et une boule de relaxation dans l’autre – dont il se sert pour se muscler la main.
Ah, et il ne boit pas de café, c’est dingue !
– Je dois finir de préparer mon rendez-vous avec Rivello.
– Termine-le demain, tu es déjà la chouchoute d’Adams, tu n’as pas non plus besoin de nous faire passer pour des branleurs. De toute façon, on a une raison de faire la fête, et je ne laisse jamais filer une occasion pareille. C’est l’happy hour !
– Il est seulement quinze heures ! je m’exclame en regardant ma montre.
– Et alors, ça veut dire qu’il est dix-sept heures quelque part ! Allons-y les enfants. La première tournée est pour Jake.
Jake est déjà debout, en train de remplir sa mallette de travail pour le week-end.
– Bien sûr, répond-il. Un verre d’eau pour tout le monde.
Stanton rit en passant son bras autour de mes épaules.
– Allez, Sof. Une Tequila sunrise t’attend. On a mérité un verre, non ?
J’ai une relation je t’aime, moi non plus, avec la Tequila sunrise : je l’adore à l’happy hour, et je la déteste le lendemain matin.
– OK, pourquoi pas, je finis par annoncer en soupirant.
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