1

Allie

On peut parler ?

Stp ?

Putain Allie, après tout ce qu’on a vécu, je mérite mieux que ça.

T’été pas sérieuse en disant que c’était fini, hein ?

Tu peux répondre stp putain ?

Tu sais quoi ? Va te faire foutre. Si tu veux m’ignorer, très bien.

 

Lorsque je regarde mon téléphone en sortant de la salle de sport du campus, vendredi soir, j’ai six messages non lus. Ils sont tous de Sean, mon ex depuis hier soir. J’ai beau remarquer la progression du ton de ses messages, allant de l’imploration à l’agressivité, je fais une fixette sur son erreur de grammaire.

T’été pas sérieuse.

T’étais, pas t’été. Je ne pense pas que le correcteur automatique soit responsable de la faute, parce que Sean n’est pas une lumière. Enfin, j’exagère peut-être un peu. Il est brillant dans certains domaines, comme le base-ball, où il est capable de dégainer des statistiques précises sur le sport et les joueurs dans les années soixante. Cependant, ce n’est pas ça qui va lui faire avoir son diplôme.

On ne peut pas non plus le mettre dans le top dix des meilleurs copains au monde. En tout cas, pas ces derniers temps.

Je n’ai jamais voulu être comme ces filles qui rompent et se rabibochent avec le même mec tout le temps. Je pensais vraiment être plus forte que ça. Cependant, je suis sous l’emprise de Sean McCall depuis ma première année à Briar. Je suis tombée sous son charme avec ses airs de garçon de bonne famille et son sourire de rock star qui promet monts et merveilles.

Je regarde de nouveau mon téléphone et j’angoisse de plus belle. De quoi peut-il vouloir parler ? Nous nous sommes tout dit hier soir, quand je lui ai annoncé que c’était fini entre nous et que je suis partie de sa fraternité en claquant la porte.

J’étais sérieuse, c’est vraiment fini. C’est notre quatrième rupture en trois ans, et je ne peux pas continuer à vivre ainsi. J’ai besoin de me sortir de ce cycle cauchemardesque, surtout parce qu’à l’évidence, la personne avec qui je suis censée bâtir mon avenir est déterminée à me tirer vers le bas.

Néanmoins, je ne peux pas nier que je souffre. J’ai du mal à laisser partir quelqu’un qui compte tant pour moi depuis si longtemps, et c’est encore plus dur lorsque cette personne refuse d’accepter que c’est fini.

Je soupire et je dévale les marches en pierre pour emprunter le chemin pavé qui serpente entre les bâtiments du campus. D’habitude, je prends le temps d’admirer les beaux immeubles anciens, les bancs en fer forgé et les arbres immenses, mais ce soir, j’ai trop hâte de rentrer au foyer et de me cacher sous la couette. Heureusement, ma colocataire Hannah n’est pas là ce week-end, donc elle ne pourra pas me faire la morale sur le péril émotionnel que je cours en m’apitoyant sur mon sort.

Toutefois, j’ai de la chance, car je n’y ai pas eu droit hier soir. Lorsque je suis rentrée après avoir rompu avec Sean, elle m’attendait dans notre salon avec un pot d’un litre de glace, une boîte de mouchoirs et deux bouteilles de vin rouge. Elle a passé la soirée à me tendre des mouchoirs et à écouter mon récit incohérent.

Les ruptures sont atroces. Je me sens nulle. J’ai l’impression d’avoir baissé les bras au lieu de me battre. Le dernier conseil que m’a donné ma mère avant de mourir était de ne jamais tourner le dos à l’amour. D’ailleurs, elle martelait déjà cette mise en garde bien avant qu’elle ne tombe malade. Je ne connais pas tous les détails, mais je sais que mes parents ont traversé plus d’une crise durant leurs dix-huit ans de mariage, or ils se sont battus à chaque fois.

Mon estomac se noue davantage dès que je repense à ma rupture avec Sean. Peut-être aurais-je dû nous accorder une autre chance. Je sais qu’il m’aime…

S’il t’aimait, il ne t’aurait pas donné un ultimatum, me rassure une voix dans ma tête. Tu as pris la bonne décision. Je sais que cette voix est celle de mon père, mon plus grand fan. À ses yeux, je n’ai pas le moindre défaut.

Dommage que Sean ne me voie pas de la même manière.

Mon téléphone vibre alors que je suis à cinq minutes de Bristol House, où je vis avec Hannah. Crotte, c’est un autre message de Sean.

Je suis désolé de m’être énervé, bébé. Je ne le pensais pas, je suis juste triste. T’es tout pour moi, j’espère que tu le sais.

Et merde.

Un autre message arrive.

Je passe après les cours. On discutera.

Je m’arrête brusquement, prise de panique. Je n’ai pas peur de Sean, du moins pas physiquement – je sais qu’il ne lèverait jamais la main sur moi. Cependant, j’ai peur de sa capacité à me retourner le cerveau. Il sait qu’il n’a qu’à m’appeler bébé et me faire son sourire de gamin pour que j’oublie comment je m’appelle.

Je relis ses messages et je ne sais si je dois être en colère ou angoissée. Il bluffe, non ? Il ne viendrait pas sans que je l’y aie invité, si ?

J’appelle Hannah d’une main tremblante, et deux sonneries plus tard, la douce voix de ma meilleure amie me répond.

– Salut, qu’est-ce qui se passe ? Ça va ?

J’entends qu’elle n’est pas seule, il y a une voix de femme, celle de Grace Ivers, la copine de Logan, ce qui signifie qu’elle est déjà en route pour Boston avec Garrett, son copain. Elle m’a invitée à y aller avec eux, mais je ne voulais pas être la cinquième roue du carrosse. Deux couples follement amoureux et moi ? Sans façon. Seulement je regrette d’avoir refusé à présent, parce que je suis seule tout le week-end et que Sean veut discuter.

– Sean vient à la maison ce soir.

– Quoi ? Non ! Pourquoi tu as accepté de…

– Je n’ai rien accepté du tout ! Il n’a même pas demandé la permission, il m’a juste écrit en me disant qu’il passait.

– Quel enfoiré !

– Je sais, je suis d’accord. Je ne peux pas le voir, Han, je dis d’une voix paniquée. Je suis encore trop perturbée, s’il vient, je risque de me remettre avec lui.

– Allie…

– Tu crois que si j’éteins les lumières et que je ferme la porte à clé, il supposera que je ne suis pas là et qu’il partira ?

– Connaissant Sean, il attendra devant la porte toute la nuit… Bon sang, je n’aurais pas dû accepter d’aller voir le match des . J’aurais dû rester à la maison avec toi. Attends une seconde, je vais dire à Garrett de faire demi-tour…

– Hors de question ! Tu ne vas pas annuler ton week-end pour moi, c’est ta dernière chance de t’amuser un peu.

Le copain d’Hannah est le capitaine de l’équipe de hockey de Briar, ce qui signifie que son emploi du temps sera ultra-chargé quand la saison commencera et qu’Hannah ne le verra pas autant. Je refuse de foutre en l’air leur week-end.

– Je veux juste un conseil. Dis-moi quoi faire. Tu crois que je devrais demander à Tracy si je peux dormir chez elle ?

– Non, il vaudrait mieux que tu ne sois pas à Bristol House si Sean rôde dans les couloirs. Peut-être Megan, ah non, son nouveau copain est en ville ce week-end, ils vont vouloir être tout seuls. Peut-être Stella ?

– Justin et elle viennent d’emménager ensemble. Je doute qu’ils veuillent une invitée de dernière minute.

– Attends une seconde, dit Hannah.

Il y a un long silence, puis j’entends la voix de Garrett sans comprendre ce qu’il dit.

– Garrett dit que tu peux dormir chez lui ce week-end. Dean et Tuck seront là tous les deux, donc si jamais Sean comprenait où tu es et qu’il décidait de venir te voir, ils calmeront ses ardeurs.

J’entends de nouveau la voix de Garrett.

– Tu peux dormir dans la chambre de Garrett, ajoute Hannah.

Je ne sais pas quoi faire. Je suis dégoûtée de devoir partir de chez moi à cause de Sean. Cependant, je l’imagine frapper du poing contre la porte toute la soirée ou camper devant ma fenêtre toute la nuit, et ma décision est prise.

– Tu es sûre que ça ne les dérangera pas ?

– Certaine. Logan écrit à Dean et Tucker pour les mettre au courant. Tu peux y aller quand tu veux.

Le soulagement que je ressens est accompagné d’une pointe de culpabilité.

– Tu peux mettre le haut-parleur ? J’aimerais parler à Garrett.

– Bien sûr, répond Hannah.

Une seconde plus tard, la grosse voix de Garrett résonne dans mon oreille.

– Il y a des draps propres dans le placard, mais tu devrais emporter ton propre oreiller. Wellsy trouve les miens trop moelleux.

– Ils le sont, proteste Hannah. J’ai l’impression de dormir sur un vieux chamallow.

– Non, c’est comme si ta tête reposait sur un nuage cotonneux, corrige Garrett. Crois-moi, Allie, mes oreillers sont géniaux. Mais prends-en un au cas où.

– Merci du conseil, mais tu es sûr que ça ne te gêne pas ?

– Mais non, ma belle. Tu n’as qu’à sourire à Tuck et il te préparera un bon petit plat. Ah, et Logan est en train d’interdire à Dean de te draguer, donc tu n’as pas à t’inquiéter pour lui.

C’est ça ouais, Dean Heyward-Di Laurentis est le plus chaud lapin de la planète. Il essaie de me séduire chaque fois qu’il me voit, et je ne peux même pas être flattée, parce qu’il drague tout ce qui bouge. Cependant, je ne me fais pas de souci, je peux gérer Dean sans problème, et Tuck sera là pour le calmer si besoin.

– J’apprécie, Garrett. Merci beaucoup. Je te revaudrai ça.

– Mais non, ne t’en fais pas, répond-il.

– Écris-moi quand tu arrives, d’accord ? dit Hannah. Et éteins ton téléphone pour que Sean ne puisse pas te harceler.

Je vous ai déjà dit combien j’aimais ma meilleure amie ?

Lorsque je raccroche, je me sens beaucoup mieux. Peut-être est-il judicieux de quitter le foyer pour le week-end, en effet. Je vais en profiter pour me changer les idées et y voir plus clair. Par ailleurs, si Dean et Tucker sont dans le coin, je ne serai pas tentée d’appeler Sean. Il nous faut une rupture nette, cette fois-ci. Zéro contact, pendant au moins quelques semaines, ou quelques mois.

Honnêtement, je ne sais pas si je vais survivre à cette rupture. Ça fait des années que je suis amoureuse de ce mec. Et Sean n’est pas affreux tout le temps, il y a toutes les fois où il m’a apporté de la soupe quand j’étais malade. Ou encore quand il… Stop ! Alerte rechute !

Des alarmes retentissent dans ma tête. Il est hors de question que je rechute. Le problème n’est pas qu’il ne soit pas gentil mais qu’il est capable de se comporter comme un enfoiré.

Je me tiens plus droite, menton en avant, épaules en arrière, déterminée à ne pas céder. Sean et moi, c’est fini, et je ne vais ni le voir, ni lui écrire, ni penser à lui.

Aujourd’hui est le premier jour de ma vie sans Sean.

*

Dean

Nous sommes vendredi soir, et je suis étendu sur le canapé, une bière à la main, regardant deux blondes – très chaudes et très nues – se rouler des pelles devant moi. Ma vie est géniale.

– C’est la plus belle soirée de ma vie, je marmonne sans les quitter des yeux.

Les mains de Kelly se promènent sur les seins de Michelle.

– Ce serait encore mieux si vous faisiez la fête avec moi, les filles.

Elles rompent leur baiser et me regardent en riant.

– Donne-nous une raison de le faire, lance Kelly d’une voix taquine.

Je hausse un sourcil, puis j’empoigne mon érection pour la branler lentement.

– Ça ne vous suffit pas, ça ?

Michelle est la première à venir vers moi. Ses seins rebondissent et son cul balance de gauche à droite lorsqu’elle grimpe à cheval sur moi pour m’embrasser. Une seconde plus tard, Kelly est blottie à mes côtés et ses lèvres s’emparent de mon cou. Mon Dieu. Je bande tellement que c’en est douloureux, mais ces deux déesses sont déterminées à me faire supplier. Elles me torturent avec de longs baisers mouillés, des coups de langue et des morsures à me rendre dingue.

J’aimerais pouvoir dire que ce plan à trois est une nouvelle expérience pour moi, ou que l’étiquette de queutard que m’ont collée mes coéquipiers est une exagération, mais ce n’est pas le cas. J’aime baiser, je baise beaucoup, et alors ?

– Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter cette chance ? je grogne lorsque Kelly saisit mon sexe.

– Attends, on ne fait que commencer, susurre Michelle en rejetant ses longs cheveux dans son dos. Tu ne jouis pas tant qu’on n’a pas joui, tu te souviens ?

Elle a raison, je leur ai fait une promesse, et je n’ai pas l’intention de la rompre. Contrairement à ce que pensent mes enfoirés d’amis, pour moi, c’est la femme qui compte. Et dans ce cas, les femmes – deux superbes femmes que j’excite, et qui s’excitent entre elles.

Allô le paradis ? C’est Dean Di Laurentis. Merci de m’avoir laissé entrer.

– Il est temps de s’y mettre alors, je déclare en allongeant Michelle sur le canapé pour m’attaquer à ses seins.

Je saisis un téton entre mes lèvres et je le suce, la faisant gémir en se cambrant. Du coin de l’œil, je vois Kelly s’installer à côté de moi pour s’occuper de l’autre sein de son amie. Merci mon Dieu.

– J’ai pensé que tu avais besoin d’un coup de main, dit-elle en me souriant, avant de descendre pour se nicher entre les cuisses de Michelle.

J’en fais de même, effleurant au passage le ventre plat et bronzé de Michelle avec mes lèvres, jusqu’à cet endroit divin qui me met l’eau à la bouche et que Kelly est déjà en train de lécher. Je ne suis pas certain de pouvoir me contrôler suffisamment longtemps pour les faire jouir toutes les deux – je suis déjà prêt à exploser.

J’ignore les pulsations de ma queue, je mouille mes lèvres, j’avance lentement vers le sexe de Michelle, et… quelqu’un sonne à la porte. Putain. Je regarde le lecteur DVD – il est vingt heures trente. J’essaie de me souvenir si j’ai dit à un des gars de passer ce soir, mais je n’ai parlé à personne en dehors de mes colocataires, et ils ne sont pas là. Garrett et Logan sont partis il y a une heure pour passer le week-end à Boston avec leurs copines, et Tucker est au ciné avec une meuf.

– Ne bougez pas, je reviens.

Je lèche la cuisse de Michelle, puis je me lève en cherchant mon boxer. Lorsque ma queue est rangée, je longe le couloir jusqu’à la porte d’entrée.

– Pas de bol, Bébé, je dis à l’amie d’Hannah. Ta pote est déjà partie. Reviens dimanche.

Je commence à refermer la porte – oui, je suis un enfoiré – mais la petite blonde la bloque avec sa bottine noire.

– Je ne suis pas d’humeur, Dean, laisse-moi entrer. Tu sais très bien que je passe le week-end ici.

Je hausse les sourcils en écarquillant les yeux.

– Euh, quoi ?

Je la regarde de plus près, et c’est là que je remarque son sac à dos et sa valise rose.

– Logan t’a envoyé un message, dit Allie en soupirant. Maintenant laisse-moi entrer, je me gèle.

Je penche la tête sur le côté, puis je dégage son pied de la porte.

– Attends-moi ici. Je reviens.

– Tu plaisantes…

La porte se referme sur elle.

Je me précipite dans le salon, où Kelly et Michelle ne remarquent pas mon retour, elles sont trop occupées à se donner du plaisir. Je mets presque une minute à trouver mon portable, et je découvre que l’amie d’Hannah ne plaisante pas.

J’ai cinq messages non lus sur mon téléphone, c’est ce qui se passe lorsque vous vous préparez un sandwich de meufs canon.

Logan : Salut mec, la pote de Wellsy, Allie, passe le week-end chez nous.

Logan : Garde ta queue dans ton froc. G et moi ne sommes pas d’humeur à te casser la gueule si tu tentes quoi que ce soit, mais Wellsy l’est. Donc : bite = froc = n’embête pas notre invitée.

Je ricane en remarquant qu’Hannah est toujours aussi diplomate.

Hannah : Allie reste avec vous jusqu’à dimanche. Elle est vulnérable en ce moment, alors ne profite pas d’elle ou je ne serai pas contente. Et tu ne souhaites pas que je sois mécontente, n’est-ce pas ?

Garrett : Allie va dormir dans ma chambre.

Garrett : Ta bite peut rester dans la tienne.

Bon sang, mais c’est quoi cette obsession pour ma bite ?

Ça ne peut pas tomber à un pire moment. Je regarde les nanas qui m’attendent sur le canapé, les doigts de Kelly qui sont là où je voudrais que soient les miens, et je me racle la gorge. Elles me regardent et posent sur moi un regard brûlant de désir.

– Je déteste devoir faire ça, mais il faut que vous partiez, les filles.

Elles écarquillent les yeux.

– Je te demande pardon ? s’exclame Kelly.

– J’ai une invitée de dernière minute, je marmonne, donc on va devoir remettre ça à plus tard.

– Depuis quand ça te gêne que quelqu’un te voie baiser ? demande Michelle en ricanant.

Elle n’a pas tort. D’habitude, je me fiche que quelqu’un en soit témoin, voire je préfère ça. Cependant, je ne peux pas faire ça à l’amie d’Hannah. Ni à Hannah ni à Grace, d’ailleurs. Les mecs, ça m’est égal. Mais je sais que Garrett et Logan n’apprécieraient pas que je corrompe leurs copines. Mes anciens acolytes sont devenus des puritains depuis qu’ils ont une copine, c’est triste, d’ailleurs.

– Cette invitée est une petite fleur fragile, je réponds. Elle s’évanouirait si elle nous voyait tous les trois ensemble.

– Pas du tout, rétorque Allie en entrant dans le salon.

Elle a l’air agacée, mais je le suis au moins autant qu’elle. Elle vient de rentrer sans y avoir été invitée comme si elle était chez elle ?

– Je t’ai dit d’attendre dehors, je réponds.

– Et moi je t’ai dit que j’avais froid.

Elle ne semble pas perturbée d’être face à deux nanas à poil.

Mes invitées inspectent Allie comme si elle était une bactérie sous leur microscope, et leurs nez se retroussent comme si elles étaient dégoûtées. Les nanas ont tendance à rentrer en compétition en ma présence, mais apparemment celles-ci ne perçoivent pas Allie comme une rivale.

Cela dit, je les comprends. Allie est vêtue d’une doudoune noire, de bottes, de mitaines, et ses cheveux blonds dépassent d’un bonnet rouge. Or c’est la première semaine de novembre – il n’y a pas de neige et la brise est encore douce. Rien n’explique la tenue d’Allie.

Elle avance dans le salon et s’affale dans un fauteuil face au canapé, puis elle défait son blouson, inspecte mes amies et me regarde à mon tour.

– Et si tu déplaçais ta petite fête au premier étage, hein ? Je vais rester ici et regarder un film.

– Sinon tu peux aller dans la chambre de Garrett et regarder un film là-bas, je rétorque.

Cependant, ça n’a plus d’importance. Allie a déjà plombé l’ambiance et je ne suis pas à l’aise à l’idée de me taper deux meufs alors qu’il n’y a que moi et la meilleure amie d’Hannah dans la maison.

Je soupire et je me tourne vers Kelly et Michelle.

– On remet ça à plus tard ?

Aucune des deux ne proteste, apparemment Allie a plombé l’ambiance pour tout le monde.

Allie ne leur prête guère attention tandis qu’elles se rhabillent, parce qu’elle est trop occupée à enlever tous ses vêtements. Lorsqu’elle a fini, elle a l’air bien plus petite en legging et en t-shirt trop ample.

Je raccompagne Kelly et Michelle à la porte, où chacune me roule une pelle avant de me faire promettre que ce n’est que partie remise. Le temps qu’elles partent, mes lèvres sont enflées et ma bite est dure comme fer.

Je retourne dans le salon en fronçant les sourcils.

– Ça t’a plu ? je demande.

– Qu’est-ce qui m’a plu ?

– De me casser mon coup, je réponds.

Allie éclate de rire.

– Est-ce qu’il y a une raison pour laquelle tu n’as pas pu emmener tes blondes dans ta chambre ? Rien ne t’obligeait à les faire partir.

– Tu crois vraiment que j’aurais pu baiser en te sachant en bas ?

Elle pouffe de rire une nouvelle fois.

– Tu passes ton temps à baiser en public, qu’est-ce que ça peut te faire que je sois dans la maison ?

– À moins que ce soit le fait d’aller dans ta chambre qui te gêne ? poursuit-elle. Hannah dit que tu fricotes toujours dans le salon, tu m’expliques ? Tu as des puces de lit ou quoi ?

– Non, je rétorque sèchement.

– Alors, pourquoi tu n’emmènes jamais tes copines dans ta chambre ?

– Parce que… ça ne te regarde pas. Qu’est-ce que tu fais ici, de toute façon ? Bristol House a pris feu ?

– Je me planque, dit-elle simplement, comme si j’étais censé comprendre.

Elle balaye la pièce du regard.

– Où est Tucker ? Garrett a dit qu’il serait là.

– Il est sorti, je réponds.

– Oh, c’est nul, répond-elle en faisant la moue. Il aurait regardé un film avec moi, lui. Dommage, mais tu feras l’affaire.

– Attends, tu me casses mon coup et tu penses qu’on va traîner ensemble ?

– Crois-moi, tu es la dernière personne avec qui j’ai envie de traîner, mais je suis en pleine crise et il n’y a que toi. Il faut que tu restes, Dean, sinon je vais faire quelque chose de stupide et ma vie sera foutue.

Je crois qu’Hannah m’a dit qu’Allie était en licence de théâtre, ça expliquerait son penchant pour le dramatique.

– S’il te plaît ? râle-t-elle en me suppliant du regard.

Je n’ai jamais su résister aux yeux bleus, surtout ceux des belles blondes avec une poitrine d’enfer.

– Très bien, tu as gagné. Je vais te tenir compagnie, ok ?

– Génial ! s’exclame-t-elle, et son visage s’illumine. Alors, on regarde quoi ?

Je pousse un grognement en réalisant que mon vendredi soir vient de virer d’un délicieux plan à trois au baby-sitting de la meilleure amie de la copine de mon meilleur ami.

Ah, et je bande encore après les baisers d’adieu de Kelly et de Michelle. Super.

2

Allie

Mon self-control repose entre les mains de Dean Heyward-Di Laurentis, un homme qui n’a pas le moindre self-control. Je suis dans le pétrin. Toutefois, je ne céderai pas. Je n’appellerai pas Sean. Peu importe qu’il vienne de m’envoyer une photo de nous lors de nos vacances au Mexique, l’an dernier. Il a même utilisé une appli pour dessiner un cadre de cœurs rouges autour de nos visages.

Ce séjour était génial… Mais je mets vite de côté ce souvenir douloureux et je saisis la télécommande sur la table basse.

– Vous avez Netflix ? je demande à Dean qui a encore l’air agacé que je sois là.

Je crois également qu’il bande encore, mais je décide d’être gentille et de ne pas me moquer de lui, parce qu’il était tout de même à deux doigts de coucher avec deux meufs avant que je n’arrive.

Mon regard se promène sur son torse nu qui, je ne vais pas mentir, est spectaculaire. Ce type est sculpté comme une statue grecque. Il est grand, avec des muscles parfaitement dessinés, il n’a pas un gramme de graisse, et sa barbe de trois jours blonde jette une ombre sur sa mâchoire parfaite. Un enfoiré comme lui ne devrait pas avoir le droit d’être aussi beau.

– Ouais, vas-y, choisis un film, répond-il. Je vais en haut pour me branler et je reviens.

– Ok, je me sens plutôt d’humeur pour… quoi ?

Il est déjà parti, me laissant bouche bée, les yeux rivés sur la porte du salon. Il va en haut pour quoi ? Il plaisantait, n’est-ce pas ? Je ne sais pourquoi, je l’imagine dans sa chambre, une main sur sa queue, l’autre… sur ses couilles ? Agrippant les draps ? Peut-être qu’il est debout et qu’il se tient à son bureau, les traits tirés, se mordant la lèvre… Pourquoi je pense à ça, bon sang ?

Je balaie ces images affreuses et j’appuie sur tous les boutons de la télécommande jusqu’à ce que je trouve Netflix, puis je parcours les titres des films. Moins de cinq minutes plus tard, Dean entre dans le salon. Il a décidé de mettre un pantalon, mais il semble avoir enlevé son caleçon, car son jogging est si bas sur ses hanches que je vois presque… des choses que je n’ai aucune envie de voir. Il est toujours torse nu, et ses joues sont légèrement roses.

– Tu viens vraiment de te branler ? je demande.

Il hoche la tête comme si ça n’avait rien d’anormal.

– Quoi, tu as cru que je pouvais regarder un film entier alors que mes couilles étaient prêtes à exploser ?

– Donc tu ne peux pas baiser parce que je suis dans la maison, mais tu peux aller dans ta chambre pour faire ça ?

Un sourire mesquin s’étend sur ses lèvres.

– J’aurais pu le faire ici, mais tu aurais été trop tentée de prendre le relais. J’essayais d’être gentil, c’est tout.

– Crois-moi, je ne me serais pas approchée, je dis en levant les yeux au ciel.

– Avec mon sexe à portée de main ? Tu n’aurais pas pu t’en empêcher. Ma queue est vraiment superbe.

– Mm… hmm. Je n’en doute pas.

– Tu ne me crois pas ? Je peux te montrer une photo, si tu veux.

Il prend son téléphone sur la table basse, puis il s’arrête et empoigne l’élastique de son jogging.

– En fait, je peux te la montrer en vrai, ce serait encore mieux, non ?

– Je n’ai absolument pas envie de voir ta queue, mais merci. Bref, j’ai choisi celui-là, tu l’as vu ? je demande en désignant l’immense télé.

Dean grimace en voyant l’affiche du film.

– C’est ça que tu as choisi ? Il y a trois nouveaux films d’horreur à regarder, et toute la filmographie de Jason Statham.

– Pas de films d’horreur, je réponds sèchement. Je n’aime pas avoir peur.

– Très bien, alors un film d’action, suggère Dean.

– Je n’aime pas la violence.

– Bébé, je ne vais pas regarder un film qui parle de…

Il étudie l’écran en plissant les yeux.

– … « de l’extraordinaire voyage d’une femme après qu’elle apprend qu’elle est atteinte d’une maladie grave ». C’est mort.

– C’est censé être super-cool. Il a remporté un Oscar !

– Tu sais quels autres films ont remporté un Oscar ? Le silence des agneaux, Les dents de la mer, L’exorciste, et ce sont tous des films d’horreur, répond-il d’un ton condescendant.

– On peut débattre toute la nuit si tu veux, mais je ne regarderai pas un film avec du sang, des requins ou des explosions. Va falloir t’y faire.

Dean desserre la mâchoire et expire lentement.

– Très bien. Mais si je dois supporter ce navet, je veux fumer un joint d’abord.

– Comme tu veux, chéri.

Il part vers la porte en grommelant des choses que je ne comprends pas.

– Attends, je m’écrie en sortant mon téléphone de la poche de mon blouson. Tu peux prendre ça avec toi ? Je serai trop tentée si je le garde avec moi.

– Pourquoi, à qui tu ne dois pas écrire ? demande-t-il.

– À mon ex. On a rompu hier soir et il me harcèle.

– Tu sais quoi ? Viens avec moi, répond Dean.

Je n’ai pas le temps de réfléchir, car Dean traverse la pièce pour me sortir du fauteuil. Mes pieds ont à peine touché le sol que je perds l’équilibre et que je tombe contre lui, le nez dans ses pectoraux, mais je reprends vite mon équilibre et je le fusille du regard.

– J’étais bien dans mon fauteuil, espèce d’enfoiré.

Il m’ignore et me traîne dans la cuisine. N’ayant pas eu le temps de prendre mon blouson, j’ai à peine mis un pied dehors que je grelotte. Le torse de Dean brille sous la lumière du patio, apparemment, le froid ne le dérange pas, même si ses tétons se dressent.

– Waouh, tes tétons sont parfaits.

– Tu veux les toucher ? demande-t-il en souriant.

– Beurk, jamais. Je disais juste qu’ils étaient beaux. Ils sont parfaitement proportionnés à ton torse.

Il baisse la tête pour étudier ses tétons.

– C’est vrai ça. Je suis parfait, en fait. Je devrais me le rappeler plus souvent.

– Mais bien sûr, je ricane. Parce que tu n’es déjà pas assez vaniteux.

– Je suis confiant, ce n’est pas la même chose.

– Non, tu es vaniteux.

– Confiant, insiste-t-il.

Il ouvre la petite boîte en métal qu’il a pris dans la cuisine et je fronce les sourcils lorsqu’il en sort un joint et un Zippo.

– Qu’est-ce que je fais là ? je marmonne. Je n’ai aucune envie de fumer.

– Tu as tort, dit-il en l’allumant. Tu es super-stressée et toute bizarre, ça te ferait du bien.

Il me tend le joint en haussant un sourcil.

– Allez, Bébé, juste une latte, insiste-t-il. Toutes les meufs cool le font.

– Va te faire foutre, je réponds en riant.

– Comme tu voudras, dit-il en recrachant la fumée.

Je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai fumé. Ça n’arrive que rarement, mais maintenant que j’y pense, s’il y a bien un soir où je mérite d’être défoncée, c’est bien ce soir.

– Allez, passe-le-moi, je dis en tendant la main.

Dean me donne le joint en souriant jusqu’aux oreilles.

– C’est bien, mais ne dis rien à Wellsy, elle me botterait les fesses si elle apprenait que je corromps sa meilleure amie.

Je porte le joint à ma bouche et je tire dessus, avalant la fumée dans mes poumons, essayant de ne pas rire en voyant la trouille de Dean. Il a sans doute raison d’avoir peur d’Hannah. Cette nana a la langue bien pendue et elle n’a pas peur de s’en servir, c’est pour ça que je l’adore.

Nous passons quelques minutes à fumer en silence comme deux hooligans planqués derrière une station-service. C’est la première fois que nous sommes seuls tous les deux, et j’ai du mal à croire que je traîne avec Dean Di Laurentis, qui est torse nu dans son jardin. Pour être honnête, je n’ai jamais su quoi penser de lui. Il est arrogant, il passe son temps à draguer… Il est superficiel.

J’ai l’impression d’être une garce de le penser, mais c’est ce qui me vient à l’esprit quand je le vois. Hannah m’a dit qu’il était plein aux as, et ça se voit. Non pas qu’il étale sa fortune dès qu’il en a l’occasion, c’est simplement qu’il se comporte comme si, pour lui, tout était possible. J’ai le sentiment qu’il n’a jamais traversé d’épreuve difficile de toute sa vie. Il suffit de le regarder pour savoir que ce mec obtient ce qu’il veut dès qu’il le veut.

Hmm, tiens donc. Apparemment, la marijuana fait de moi une philosophe et une peste.

– Alors, tu t’es fait larguer ? demande Dean.

Je souffle ma fumée dans son visage avant de répondre.

– Je ne me suis pas fait larguer. C’est moi qui ai rompu.

– Tu parles du mec avec qui t’étais depuis toujours ? Celui qui est dans une fraternité ? Stan ?

– Sean, eh ouais, on sortait plus ou moins ensemble depuis la première année.

– Waouh, c’est bien trop long pour coucher avec la même personne. Est-ce que le sexe était nul ?

– Pourquoi tout tourne toujours autour du sexe avec toi ? je demande en lui rendant le joint. Si tu veux tout savoir, non, le sexe était bien.

– Bien ? ricane-t-il. Tu parles d’un compliment.

Je commence déjà à sentir les effets de l’herbe, ma tête est légère et mon corps est détendu, ce qui explique sans doute que je continue de parler. Normalement, je ne me confierais pas à ce mec.

– Je suppose que vers la fin, ce n’était pas génial, mais c’est sans doute parce qu’on n’arrêtait pas de se disputer depuis cet été.

– Mais ce n’est pas votre première rupture, si ? Pourquoi tu te remets toujours avec lui ?

– Parce que je l’aime. Enfin, parce que je l’aimais. Les deux premières fois, quand on a rompu, ce n’était la faute d’aucun de nous deux, je pensais juste que les choses devenaient trop sérieuses entre nous. C’était notre première année de fac, on était censés s’amuser, faire plein de rencontres, etc. Le truc, c’est que je suis sortie avec deux mecs qui étaient en fait des connards, et je me suis rendu compte à quel point j’avais de la chance d’avoir Sean.

– Ok, mais après, vous avez encore rompu, répond Dean en recrachant sa fumée.

– Ouais. Cette fois-là, c’est parce qu’il était devenu hyperpossessif. Un des mecs de sa fraternité m’a draguée à une soirée, et Sean a décidé que personne n’avait plus jamais le droit de me regarder. Il a commencé à me dire comment m’habiller, à m’écrire tout le temps pour savoir où j’étais et avec qui. C’était étouffant.

– Ouais… Mais ça ne t’a pas empêchée de te remettre avec lui encore une fois, dit-il en levant les yeux au ciel.

– Parce qu’il m’a promis que ce serait différent, et ça l’était. Il a arrêté d’être possessif, et il était super-attentionné après ça.

Dean n’a pas l’air convaincu, mais je m’en fiche. Je ne regrette pas de m’être remise avec Sean. Après deux ans et demi, je savais que notre relation méritait que je me batte.

– Et ça nous laisse la quatrième rupture, dit Dean d’un air curieux. Qu’est-ce qui s’est passé ?

– Je te l’ai dit, on se disputait beaucoup, je réponds alors que mon estomac se noue.

– À propos de quoi ?

Encore une fois, c’est l’herbe qui me pousse à parler. En temps normal, Dean serait la dernière personne à qui je me confierais.

– Surtout à propos de ce qu’on va faire après la fac. J’ai toujours voulu partir à Los Angeles pour me concentrer sur ma carrière d’actrice.

Ou bien New York… mais je ne le dis pas à Dean. Je n’ai toujours pas pris de décision et ce n’est pas avec lui que je vais discuter de mes projets d’avenir.

– Lorsque nous avons commencé à sortir ensemble, ça ne lui posait aucun problème. Puis, tout à coup, cet été, il a décidé qu’il ne voulait pas que je devienne actrice. D’ailleurs il ne voulait pas que je travaille, point barre. Il s’est mis en tête qu’il allait travailler dans la compagnie d’assurances de son père, dans le Vermont, et que j’allais être femme au foyer pour lui préparer le dîner tous les soirs.

Dean hausse les épaules.

– Il n’y a pas de mal à être femme au foyer, répond-il.

– Bien sûr que non, mais ce n’est pas ce que je veux. Ça fait quatre ans que je bosse comme une malade pour obtenir ce diplôme, je veux m’en servir. Je veux être actrice, et je ne peux pas être avec quelqu’un qui ne me soutient pas. Il…

– Il quoi ?

– Rien, oublie, je réponds.

Je lui enlève le joint des mains et j’inspire profondément. Trop, en fait, car je me mets à tousser et à pleurer, et lorsque j’y vois clair de nouveau, Dean est en train de m’étudier d’un air sérieux.

– Qu’est-ce qu’il a fait ? demande-t-il d’une voix rauque. Mais surtout, quel degré de souffrance mérite-t-il ? Garrett et moi on n’est pas mauvais, mais si tu veux lui casser les os, c’est Logan qu’il faut lâcher.

– Personne ne va lui casser la gueule, espèce d’abruti. Dean n’a rien fait de dramatique. La seule chose que je te demande, c’est que tu prennes ce stupide téléphone, je dis en le fourrant dans sa main. Ne me laisse pas le reprendre de tout le week-end, d’accord ? Enfin non, donne-le-moi si mon père appelle, ou si Hannah ou Stella appellent. Ou Meg, et… tu sais quoi ? Je le regarderai de temps en temps, sous ta supervision. Comme ça, tu m’empêcheras d’écrire à Sean.

Dean a l’air intrigué.

– Alors… ça fait de moi ton… chaperon ? C’est moi qui m’assure que tu ne craqueras pas ?

– Ouaip, bravo. Tu vas enfin faire quelque chose de bien de ton temps libre, je réponds d’une voix sarcastique.

Il penche la tête sur le côté.

– Et j’ai quoi en retour ?

– La satisfaction de savoir que tu aides quelqu’un d’autre que toi-même ?

– Ha ! C’est mort. Et si tu me faisais plutôt une pipe en échange ?

– Dans tes rêves, je réponds en lui faisant un doigt d’honneur.

– Ok, une branlette alors.

– Sois sympa, s’il te plaît. Je n’ai aucune volonté lorsqu’il s’agit de Sean.

Comme par magie, mon téléphone vibre dans la main de Dean et mon premier réflexe est d’essayer de l’attraper, mais il se dépêche de reculer avant de regarder l’écran.

– C’est Sean, dit-il en souriant. Tes lèvres lui manquent.

Mon cœur fait un douloureux saut périlleux.

– Nouvelle règle : tu n’as pas le droit de me dire ce qu’il écrit.

– Tu me donnes beaucoup de responsabilités, tu sais, Bébé ? Et je n’aime pas les responsabilités.

Tu m’étonnes !

– Ne t’en fais pas, Bébé, tu y arriveras. J’ai confiance en toi, je réponds en souriant.

Dean tire une dernière latte sur le joint, l’écrase dans le cendrier et se dirige vers la porte vitrée de la cuisine. Mon Dieu, même sa façon de marcher est arrogante et sexy. Mon regard se pose malgré moi sur ses fesses fermes qui sont mises en valeur par son jogging moulant. Ouaip, je suis en train de mater son cul. En même temps,

splendide, et je suis une femme, pourquoi m’en priver ?

– Tu ne t’y prends pas de la bonne manière, tu sais. Le meilleur moyen d’oublier quelqu’un est de se taper quelqu’un d’autre ASAP.

– Je ne suis pas prête pour ça, je réponds en levant les yeux de ses fesses.

– Bien sûr que si. Ça te ferait du bien, tu sais. Je me porte volontaire, si tu veux, dit-il en levant le bras.

– Dans tes rêves, Dean, je m’exclame en riant.

Cependant, dans un coin de ma tête, j’envisage sérieusement sa proposition. L’idée n’est pas si terrible, en fait. C’est un peu comme après une chute à cheval, on dit qu’il faut tout de suite remonter, n’est-ce pas ? Peut-être que c’est ce que je devrais faire, remonter en selle. À tout le moins, ça me fera oublier mon mal d’amour, même si ce n’est que temporaire.

Toutefois, ce n’est pas avec Dean que je vais me relancer. Je préférerais trouver une selle sur laquelle ne se sont pas assises toutes les meufs de Briar.

– On en reparlera plus tard, décide-t-il.

– Si par plus tard tu veux dire jamais de la vie, alors d’accord.

Dean s’arrête brusquement et se tourne vers moi pour m’étudier des pieds à la tête.

– En fait, plus j’y pense, plus l’idée me plaît, ajoute-t-il, les yeux rivés sur ma poitrine.

– Garrett m’avait promis que tu ne me draguerais pas ce week-end, je marmonne en grognant.

– Garrett devrait savoir qu’il ne doit pas faire de promesses à ma place, répond-il en souriant. Bon alors, on le regarde ce film, ou pas ?

Je le suis dans le salon, la tête dans un joyeux brouillard. Je ne sais pourquoi, lorsque Dean s’arrête pour remonter son jogging, je me mets à rire comme si c’était la chose la plus drôle au monde.

Ma bonne humeur disparaît lorsque nous nous asseyons et que Dean se colle à moi en passant un de ses gros bras sur mes épaules pour m’attirer contre lui, comme si c’était normal.

– Qu’est-ce que tu fais avec ton bras ? je demande en fronçant les sourcils.

– C’est comme ça que je regarde les films, répond-il en prenant un air innocent.

– Ah bon ? Alors, tu tiens Garrett par les épaules quand tu regardes un film avec lui ?

– Bien sûr ! Et s’il est mignon avec moi, parfois, je glisse ma main dans son pantalon, dit-il en effleurant l’élastique de mon legging.

– Ha, lâche l’affaire, Dean, je réponds en dégageant sa main.

Hélas, je ne suis pas assez rapide, car la température entre mes cuisses a déjà grimpé. Son torse est tout simplement divin et mes doigts meurent d’envie de se promener sur ses muscles. En plus, il sent très bon, comme l’océan, ou la noix de coco. Je suis trop défoncée pour identifier l’odeur, mais pas assez pour ignorer les pulsations de mon sexe.

Waouh. Ma vie sexuelle doit vraiment avoir touché le fond pour que la simple présence de Dean Di Laurentis m’émoustille.

– Qu’a-t-on d’autre à faire ? insiste Dean.

– Regarder un film, je réponds en désignant la télé.

– Je préfère te regarder toi, lance-t-il en jouant des sourcils. Tu sais, quand tu crieras mon nom en jouissant.

Cette fois-ci, je n’ai pas de frissons. J’éclate simplement de rire.

– Bon sang, tu es vraiment mauvaise pour l’ego d’un mec, râle-t-il d’une voix vexée.

Je reprends mon souffle entre deux éclats de rire. Je plane, et je n’ai plus le moindre filtre pour m’empêcher de me moquer de Dean.

– Je suis désolée, mais parfois tu es vraiment trop, j’explique en riant. Les filles aiment vraiment ce genre de réplique ?

Il baisse la tête et désigne la télé.

– Allez, c’est bon, mets-le, ton film.

– Avec plaisir.

J’appuie sur le bouton de la télécommande, puis je me décale à l’autre bout du canapé, loin de Dean. Trente minutes plus tard, je suis épatée, il n’a pas dit un mot. Ses yeux sont rivés sur l’écran, mais du coin de l’œil, je le vois gigoter sans arrêt, tapoter ses doigts sur sa cuisse, passer sa main dans ses cheveux, soupirer lorsqu’on voit le personnage principal se préparer une omelette en temps réel.

Lorsqu’elle s’assied au bar pour manger son omelette, Dean craque.

– Ce film est nul ! s’exclame-t-il. Ça y est, je l’ai dit. Ce foutu film est naze.

– Je le trouve bien, moi.

Je mens, bien sûr. Ce film est une torture. Je crois que je préférerais regarder de la peinture sécher sur un mur. Même le joint que j’ai fumé ne parvient pas à rendre l’expérience agréable, mais je ne veux pas admettre que je me suis trompée. Je ne peux pas lui donner cette satisfaction, sinon il m’en parlera tout le temps.

– Tu mens, je ne vois pas comment tu peux aimer ce film.

– Je te jure que c’est vrai, j’insiste.

Il me dévisage pendant quelques secondes, mais mes talents d’actrice me permettent d’adopter un air parfaitement innocent.

– Eh ben pas moi. Je m’ennuie à mourir.

– Et si tu retournais te branler ?

Mince, j’aurais dû me taire, car son regard s’enflamme.

– Et si tu venais le faire à ma place ? ronronne-t-il en souriant en coin.

Ce type est incorrigible.

– Tu vas vraiment recommencer ? Tu ne baisses jamais les bras ?

– Jamais, non, dit-il en se rapprochant.

Il pose sa main sur le coussin qui nous sépare et caresse lentement le tissu.

– Allez, viens t’amuser un peu. On est tout seuls à la maison… on est tous les deux beaux et jeunes…

Je ricane.

– Je passe mon tour.

– Ok, pas de sexe. Juste avec la langue, alors.

Je fais mine d’y réfléchir.

– Je donne ou je reçois ?

– Tu reçois. Et après, tu donnes, parce que c’est comme ça que ça marche, dit-il en souriant.

Je ne peux m’empêcher de rire. On peut dire ce qu’on veut à propos de ce mec, ce qui est sûr, c’est qu’il est divertissant.

– Mmm, non.

– Et si on se bécotait juste un peu ? demande-t-il d’une voix pleine d’espoir.

– Non.

– J’embrasse super-bien…

– Ha ! Ça veut dire que c’est le contraire. Chaque fois qu’un mec dit qu’il embrasse bien, il est nul.

– Ah ouais ? Tu as des exemples pour étayer ta théorie ?

– Bien sûr.

Je n’en ai aucun, et Dean le sait. Au passage, il connaît le mot étayer ? Peut-être n’est-il pas si bête, finalement.

Il a l’air sur le point de me contredire, mais nous sommes interrompus par une explosion de musique surgissant de son téléphone, et je fronce les sourcils lorsque je reconnais le morceau. Les mecs sont tous les mêmes. Ils n’ont pas une seconde pour baisser la lunette des toilettes, mais ils ont le temps de programmer le générique d’ESPN comme sonnerie ?

L’expression de Dean s’illumine lorsqu’il voit qui l’appelle.

– Maxwell ! Quoi de neuf ?

Il écoute en silence, puis il pose sur moi un regard plein d’espoir.

– Tu veux aller à une soirée ?

Je secoue la tête.

– Désolé, mec. Je ne peux pas. J’ai un baby-sitting…

Je lui frappe le bras.

– … et elle ne veut pas venir, dit-il en me fusillant du regard.

Il y a un nouveau silence.

– Non non, c’est une adulte, mec. La pote de la copine de Garrett, explique Dean comme si je n’étais plus dans la pièce. On regarde un film qui parle d’une femme qui a un cancer, et ça craint… ben ouais, le cancer craint, en général. Je suis triste pour les gens qui en souffrent, mais ce film est une torture. Ouais… non, le match est mardi… c’est clair… ouais, absolument. On n’aura qu’à aller chez Malone. À plus, mec.

Il raccroche et me dévisage en fronçant les sourcils.

– Je pourrais être à une soirée, tu sais.

– Personne ne te force à traîner avec moi, mec.

– J’essaie d’être sympa avec toi, meuf, à cause de ton petit cœur brisé. Tu pourrais faire preuve de reconnaissance, au moins. Tu ne veux même pas m’embrasser.

Je me penche et lui tapote l’épaule.

– Oh, pauvre chéri. Je suis sûre que n’importe quelle fille dans ta liste de contacts serait ravie de venir enfoncer sa langue dans ta bouche. Quant à moi, j’ai des standards.

– Quoi, je ne suis pas assez bien pour toi ? demande-t-il en haussant un sourcil. Je te ferai savoir que ton amie Wellsy a adoré m’embrasser.

– Ha ! Tu parles de ce petit bisou qu’elle t’a fait pour que Garrett ne sache pas à quel point elle avait aimé l’embrasser, lui ? C’était un baiser de désespoir, mec.

L’idée qu’Hannah a embrassé ce type ne cesse de me surprendre. Dean n’est tellement pas son genre ! Je n’aurais jamais cru que la superstar du hockey Garrett Graham l’était non plus, et regardez-les, maintenant. Ce sont de véritables âmes sœurs.

– Ce n’était pas un baiser de désespoir, rétorque Dean.

– Mais oui, continue à te dire ça, si ça peut te soulager.

Il regarde l’écran, où le personnage principal est de nouveau en train de se faire à manger. C’est son souper, cette fois-ci, et il y a bien trop de gros plans sur les patates qu’elle est en train de peler. Elle mange beaucoup, dans ce film.

– Mon Dieu, mais tuez-moi, je vous en supplie ! s’exclame Dean en passant ses mains dans ses cheveux. Je ne peux pas supporter une seconde de plus de ce film.

Moi non plus, mais il est trop tard pour faire marche arrière.

– Tu sais quoi ? annonce-t-il. Oublie le joint. Il n’y a qu’une chose qui rendra ce navet supportable.

– Ah bon ? Quoi ?

Plutôt que de me répondre, il se lève et disparaît dans la cuisine. Inquiète, j’écoute les placards s’ouvrir et se refermer, puis le bruit de verres. Il revient avec une bouteille dans une main et deux verres à shot dans l’autre.

Il s’arrête et me regarde en souriant jusqu’aux oreilles.

– De la tequila.

3

Allie

Quelqu’un me frappe la tête avec un marteau, un de ces énormes marteaux avec lesquels ils se réveillent dans les dessins animés. C’est insoutenable. Mon Dieu, j’ai une terrible gueule de bois.

Même le grognement presque inaudible qui m’échappe suffit à me percer les tempes. Je remue à peine dans le lit et une violente nausée m’assaillit. Je respire calmement, essayant de me contrôler suffisamment longtemps pour parvenir à la salle de bains afin de ne pas vomir dans les draps de Garrett…

Je ne suis pas dans le lit de Garrett.

Je m’en rends compte au moment où j’entends une respiration à côté de moi.

Cette fois-ci, je grogne à voix haute. Les souvenirs me reviennent et s’abattent sur moi comme une avalanche. Le film pourri. La tequila. Tous les shots. Tout le reste.

J’ai couché avec Dean hier soir.

Deux fois.

Mon cœur bat la chamade tandis que je fixe le plafond. Je suis dans la chambre de Dean. Il y a un emballage de capote vide sur la table de nuit à côté de moi et… ouaip, je suis à poil.

Peut-être que ce n’est qu’un mauvais rêve, dit une voix dans ma tête.

J’inspire de nouveau, je tourne la tête et ce que je vois me coupe le souffle.

Dean est complètement nu, lui aussi. Il est allongé sur le ventre et ses fesses me narguent, et pas seulement parce qu’elles sont parfaites mais parce qu’elles sont striées de marques d’ongles. Je lève une main tremblante et je découvre qu’un de mes ongles est cassé. Je me suis cassé un ongle en griffant le cul de Dean Di Laurentis. Ça a dû se passer en bas, je me rappelle que la première fois, il était sur moi dans le canapé. Quant au suçon sur son épaule, ça s’est produit ici, la deuxième fois, quand j’étais sur lui.

« Je veux voir cette chambre mystérieuse. Je veux être la première à la baptiser. »

Mes paroles reviennent hanter mon cerveau en bouillie. Il s’avère que je ne suis pas la première qu’il emmène dans sa chambre. Il me l’a dit lui-même. D’ailleurs ce n’est pas la seule chose qu’il a révélée. Je suis désormais en possession de l’information qu’Hannah essaie de découvrir depuis plus d’un an, pourquoi Dean baise partout sauf dans sa chambre.

Hélas, ce n’est pas tout ce que j’ai appris. Je sais désormais à quoi ressemble Dean à poil, la sensation de son sexe en moi, je connais les bruits qu’il fait lorsqu’il jouit.

J’en sais beaucoup trop.

Mon mal de tête redouble d’intensité.

Crotte.

Crotte crotte crotte.

Qu’est-ce que j’ai fait, bon sang ?! Je n’ai jamais couché avec quelqu’un que je ne connaissais pas. Je n’ai fait l’amour qu’avec trois mecs – deux au lycée et un à la fac – et ils étaient tous des copains sérieux.

Je regarde de nouveau le grand corps musclé de Dean. Qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’ai jamais perdu le contrôle en buvant de l’alcool. Ce n’est pas comme si j’avais eu un trou noir. Je ne bafouillais pas et je ne titubais pas comme une imbécile. Je savais ce que je faisais quand j’ai fait le premier pas pour l’embrasser.

C’est moi qui ai fait le premier pas.

C’est quoi mon problème ?

Bon d’accord, calmons-nous. Ce n’est pas la fin du monde. Je me masse les tempes et je me force à ignorer l’homme qui dort à poings fermés à côté de moi. Ce n’est pas grave. C’était juste un coup d’un soir. Personne n’est mort. Je le regrette profondément, mais comme dirait mon père, les remords sont pour les mauviettes. Il faut apprendre de ses erreurs et passer à autre chose.

C’est ce qu’il faut que je fasse. Passer à autre chose. Et partir d’ici. Je vais prendre une longue douche bien chaude et je ferai comme s’il ne s’était rien passé. Je glisse sous le drap pour m’échapper, mais le matelas grince et je me fige, regardant Dean en paniquant. Il est toujours profondément endormi.

Bon. J’inspire de nouveau et je pose les pieds par terre, c’est là que Dean remue en grognant, puis il roule sur le dos et je vois son sexe. Je rougis sans le quitter des yeux. Même au repos, il est impressionnant. Il avait raison, sa bite est vraiment superbe, et si je ne m’abuse, je crois bien avoir vanté les louanges de son pénis plus d’une fois hier soir.

Je rougis de plus belle en repensant à tout ce que je lui ai dit hier soir. Tout ce que je lui ai fait. Bon, ça suffit. Finis les souvenirs, il est temps de déguerpir. Mais d’abord, je dois trouver mon téléphone.

Je balaye la pièce du regard jusqu’à trouver le jogging de Dean. Il l’a enlevé après notre petit coup sur le canapé, et je crois bien que mon téléphone est dans sa poche. Quant à mes vêtements, je ne les vois pas. La dernière fois que je les ai vus… ils étaient par terre dans le salon. Quelle horreur, ça veut dire que Tucker les a vus lorsqu’il est rentré hier soir. Merde ! Il a dû nous entendre, aussi, parce que je n’ai fait aucun effort pour être discrète lorsque la langue de Dean était sur ma…

Non… n’y pense pas.

Je saisis son jogging et je fouille ses poches. Il est là, ouf. J’entre mon code et je suis assaillie de culpabilité lorsque je vois les messages de Sean.

Mon Dieu. S’il savait ce que je faisais lorsqu’il m’envoyait toutes ces déclarations d’amour… Non pas que je lui doive une explication, car après tout, nous avons rompu et nous n’allons pas nous remettre ensemble. Cependant, je me sens affreuse d’avoir couché avec quelqu’un d’autre alors que Sean était chez lui, en train d’essayer de me récupérer.

Et je n’ai pas couché avec n’importe qui, j’ai couché avec Dean, ce mec qui était en plein plan à trois quand j’ai débarqué. Dean, celui qui baise tout ce qui bouge. Dean, celui qui…

Donne-moi ça, poupée.

Sa voix me surprend et je pousse un cri. Je tourne la tête et je le vois s’asseoir dans le lit et se passer la main dans les cheveux. Il n’a pas l’air malade, ses yeux verts sont alertes et son corps est en train de se… raffermir. Je me sens rougir en voyant son érection grandissante et je baisse les yeux pour regarder mes pieds.

– Tu pourrais te couvrir, s’il te plaît ?

– Ce n’est pas ce que tu disais hier soir… dit-il d’une voix taquine qui m’agace.

– Je refuse de parler de ce qui s’est passé hier soir.

Il a l’air encore plus amusé.

– Détends-toi, ma belle. C’était juste du sexe.

Il ne fait rien pour se couvrir quand il lève les bras au-dessus de la tête pour s’étirer, attirant mon attention sur ses poignets. Sur lesquels il y a des marques rouges.

Parce que je l’ai attaché au lit hier soir.

Jésus Marie Joseph.

Il suit mon regard, et un sourire mesquin se dessine sur ses lèvres.

– Je dois avouer que c’était bien plus sauvage que ce à quoi je m’attendais… mais je ne me plains pas, déclare-t-il en me faisant un clin d’œil.

Une nouvelle vague d’humiliation s’abat sur moi et je saisis la première chose que je trouve pour me couvrir – un t-shirt noir avec un col en V – et une odeur familière m’enveloppe. Ce même parfum viril et épicé que j’ai senti hier soir lorsque je promenais ma bouche sur son torse nu, ou encore quand je suçais son cou comme une glace à la cerise. Et… ouais, voilà le suçon qui le prouve. Bon sang, j’étais vraiment déchaînée.

– On n’en reparlera plus jamais. Ça s’est fait, c’était bien, fin de l’histoire.

– C’était bien ?

Dean pose sa main sur son ventre, au-dessus de son érection, et me regarde en souriant.

– C’était plus que bien, et tu le sais.

– Est-ce que tu pourrais t’habiller, s’il te plaît ?

– Je voudrais bien, mais c’est toi qui as mon t-shirt, répond-il en haussant un sourcil. Tu n’as qu’à l’enlever et me l’envoyer.

C’est mort. Ce mec ne me reverra plus jamais à poil. Je lui tourne le dos pour lire mes messages, ignorant ceux de Sean pour lire ceux de mes amies. Hannah me demande comme s’est passée ma nuit, et Megan me demande si je veux bruncher avec elle. Je me dépêche de répondre « OUI ! » à Meg en lui disant de venir me cherche chez Garrett. Une bulle grise m’indique qu’elle est en train de me répondre lorsque mon portable disparaît de mes mains.

– Eh !

Je suis surprise de trouver Dean derrière moi. Mon Dieu, ce mec se déplace comme un Ninja.

– C’est moi qui suis responsable de ça, tu te souviens ? dit-il en tenant mon téléphone au-dessus de sa tête, où je ne peux pas l’atteindre. En tant que chaperon, je te conseille d’ignorer… les neuf messages de ton ex, déclare-t-il en regardant l’écran. Ils ne t’apporteront rien de bien.

Il n’a pas tort, mais après ce qui s’est passé hier soir, il est hors de question que Dean soit mon chaperon.

– Ne t’en fais pas, je marmonne. Je n’ai plus besoin de ton aide.

– Ce n’est pas ce que tu disais hier soir, répète-t-il d’un ton moqueur. Ton téléphone reste avec moi tout le week-end, Alligator.

Alligator ? Il m’a donné un surnom, maintenant ? Bref.

– Je vais retrouver une amie, je réponds sèchement. Donc, j’ai besoin de mon téléphone. De toute façon, je mets officiellement fin à ton rôle de chaperon. Je rentre au foyer après mon brunch.

– Ben non, tu passes le week-end ici, dit-il en fronçant les sourcils.

– Plus maintenant, non.

J’essaie de reprendre mon téléphone, mais il fait un pas sur le côté.

– C’est parce qu’on a baisé ?

Mes joues n’ont jamais été aussi rouges.

– Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans « nous n’en reparlerons plus jamais » ?

– C’est n’importe quoi, tu ne peux pas partir juste parce qu’on était bourrés et qu’on a baisé une ou deux fois. Ta réaction est complètement disproportionnée.

Je prends quelques secondes pour reprendre mon souffle et me calmer.

– On peut changer de sujet, s’il te plaît ?

– Bébé, tu crois que j’ai envie de parler de ça ? Je préférerais me rouler dans du verre pilé que de gérer les conversations du lendemain matin. Si tu étais n’importe quelle autre fille, je te dirais juste d’oublier, mais tu es la meilleure amie de Wellsy, donc il faut qu’on en parle.

Il écarquille soudain les yeux comme s’il venait de réaliser quelque chose.

– Eh merde, Wellsy va me tuer.

Il n’a pas tort. Quant à moi, je vais avoir droit à une sévère leçon de morale quand Hannah apprendra que j’ai couché avec Dean. Peut-être que je le lui avouerai dans quelques jours, ou dans quelques années, mais pour l’instant, je veux simplement l’oublier. Il va donc falloir que je mente à ma meilleure amie aussi longtemps que possible.

– Elle ne va pas te tuer, parce qu’on ne va pas le lui dire, je dis fermement. Sérieusement. Il faut que ça reste entre nous.

– Je suis d’accord.

– Tu n’as plus le droit d’en parler. Jamais. En ce qui me concerne, il ne s’est rien passé.

– Ne te fais pas d’illusions, poupée. Maintenant que tu y as goûté, tu ne pourras plus t’empêcher d’y penser, dit-il en caressant son érection.

Un fourmillement honteux fait irruption entre mes jambes. Bon sang, cet abruti de Dean et son sexe splendide.

– J’ai déjà oublié, t’inquiète.

Bien sûr, dans ma tête, de nouveaux souvenirs sont déjà en train de refaire surface.

« J’aime quand t’es comme ça… »

« Ha ! Alors t’admets que tu m’aimes bien… » susurre Dean.

Je souris en étudiant ses poignets ligotés.

« J’ai dit que je t’aimais comme ça. »

Je promène ma bouche le long de son torse jusqu’à son érection.

« À ma merci… »

Doux Jésus. Je rougis de plus belle. Sean n’était pas toujours partant pour mes explorations sexuelles. C’était souvent moi qui devais le pousser et le supplier d’essayer les idées qui me passaient par la tête.

– Tu as besoin que je te rappelle à quel point c’était bon ? demande-t-il en penchant la tête sur le côté.

– Non. J’ai besoin que tu te comportes en adulte ! je m’exclame en perdant patience. J’ai la gueule de bois, je suis morte de honte et tu ne fais qu’empirer les choses en reparlant d’hier soir.

– Merde, rétorque-t-il, et son air moqueur disparaît.

Il se racle la gorge, lâche son sexe, puis enfile son jogging.

– Je suis désolé, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Tu sais, tu n’as vraiment aucune raison d’avoir honte. Nous sommes deux adultes qui se sont amusés et qui se sont fait jouir des tonnes de fois. Ce n’est rien de grave, d’accord ? Mais si tu veux vraiment que je n’en parle plus, je ne le ferai pas. Promis.

– Merci, je dis d’une voix tremblante.

– Tout va bien ? demande-t-il.

Je hoche la tête. J’ai encore mal à la tête, mais ce n’est pas ma gueule de bois qui me fait trembler. C’est le fait que j’ai agi de façon si contraire à ma personnalité. C’est le fait que j’ai couché avec quelqu’un d’autre à peine vingt-quatre heures après avoir rompu avec Sean. Ça ne me ressemble pas, bon sang.

– Tu es sûre ? insiste Dean.

Je me force à répondre.

– Tout va bien, Dean.

Mon téléphone vibre et je vois un message de Megan me disant qu’elle est à quelques minutes d’ici.

– Il faut que je m’habille. Megan sera bientôt là. Eh merde ! je m’exclame en me mordant la lèvre. Mes vêtements sont en bas. Tucker…

Dean se dépêche de regarder par la fenêtre.

– Il n’est pas là, la voiture de Logan est partie. Il n’a pas dû rentrer hier soir.

Je me sens d’abord soulagée, puis agacée, car où était Tucker hier soir quand j’avais besoin de lui ? S’il avait été là, je n’aurais pas fini au lit avec Dean. Cela dit, peut-être que j’aurais fini dans celui de Tucker, le roux le plus beau que j’aie vu de toute ma vie. C’est le plus calme des trois colocataires et il parle peu de lui, d’après ce que j’ai vu, il est intelligent, éloquent et respectueux.

Avec du recul, j’aurais mieux fait de coucher avec Tucker.

– Je vais en bas pour chercher mes vêtements, je marmonne.

– Qu’est-ce que tu vas dire à Wellsy pour expliquer que tu es partie plus tôt ? demande Dean lorsque j’atteins la porte. Elle va forcément poser des questions, non ?

Mince, il a raison.

– Je lui dirai que j’ai décidé d’être une grande fille et de gérer ma rupture à la maison.

Je commence à ouvrir la porte, mais Dean m’arrête de nouveau.

– Allie.

– Ouais ? je réponds en me tournant vers lui.

– Tu es sûre que ça va ? demande-t-il d’un air inquiet.

Non. Je n’en suis pas sûre du tout.

– Je vais très bien, je réponds avant de m’éclipser.

Heureusement, j’ai un peu de chance dans mon malheur, car en termes de walk of shame, celle-ci n’est pas la pire, puisqu’il n’y a personne pour me voir sortir de la chambre de Dean Di Laurentis.

4

Dean

J’ai toujours été populaire. Au CP, j’étais déjà entouré par une horde d’amis et de filles. Énormément de filles, qui gloussaient en me donnant des mots sur lesquels elles écrivaient Est-ce que tu m’aimes ??? quand le prof était face au tableau. Au lycée, elles se battaient pour attirer mon attention et faisaient la queue pour me rouler des pelles sur le terrain de lacrosse.

À la fac… que dire ? Je pensais comprendre la notion d’homme à femmes avant d’arriver à Briar, or les trois dernières années ont dépassé toutes mes attentes. Plus je vieillis, plus les nanas me kiffent.

C’est pour ça que je ne suis pas surpris qu’Allie se soit jetée sur moi hier soir. C’était inévitable, surtout une fois qu’elle avait vanté la beauté de mes « tétons parfaits ». Ce qui est nouveau pour moi, c’est son expression de dégoût lorsqu’elle s’est réveillée à côté de moi, ce matin.

– Ce foutu Corsen serait incapable d’arrêter le palet s’il glissait à deux kilomètres heure et se dirigeait droit sur lui.

Les paroles de mon coéquipier me tirent de mes pensées. Hunter, mon protégé, ne semble pas comprendre l’étiquette à suivre dans un bar. On ne va pas dans un bar pour se plaindre d’un match de hockey, on y va pour choper des meufs. Point barre.

Cependant, il n’a que dix-huit ans. Il l’apprendra tôt ou tard.

– Mec, le match était il y a deux jours. Il faut que tu t’en remettes !

Je balaie le bar des yeux à la recherche de Tucker, mais il n’est pas encore arrivé. La salle est principalement remplie de joueurs de hockey, de fans et de gagas de la crosse à moitié nues. Plus d’une d’entre elles regarde dans notre direction, mais Hunter ne semble pas le voir. Ses traits sont tirés, et il n’a presque pas touché à son verre.

– C’est de ta faute, tu sais, accuse-t-il. Je ne voulais pas jouer cette année, mais il a fallu que tu me persuades de rejoindre l’équipe. J’aurais fini ma carrière en étant l’attaquant star du meilleur lycée privé du pays, alors que maintenant je suis un ailier gauche que personne ne connaît dans une équipe qui n’a aucun espoir de gagner le championnat.

– Est-ce que quelqu’un t’a déjà dit que tu étais mauvais perdant ? je demande en sirotant ma bière.

– Oh, va te faire foutre. Comme si tu aimais perdre, toi.

– Bien sûr que non, mais je sais que la victoire ne fait pas tout. Et au passage, il vaut mieux balayer devant sa porte avant de critiquer.

– Comment ça ?

– Au lieu de critiquer Corsen pour avoir laissé passer trois palets, tu devrais te demander pourquoi tu n’as pas marqué. On n’est plus au lycée, tu sais. Les défenseurs à la fac ne sont pas aussi faciles à dépasser.

J’ai conscience d’être un peu dur avec lui, mais c’est la vérité, et Hunter Davenport a besoin de l’entendre. Le coach est cool avec lui aux entraînements, parce qu’en dehors de Garrett, il est le seul attaquant qui a du potentiel. Seulement, contrairement à Garrett, Hunter a beaucoup trop confiance en lui. Ce gamin est persuadé qu’il est le prochain Sidney Crosby.

– Tu insinues que je ne suis pas assez bon pour jouer à ce niveau ? demande Hunter, soudain inquiet.

Une des forces d’Hunter est néanmoins qu’il cherche toujours à s’améliorer.

– Ce que je dis, c’est que tu as besoin de te perfectionner. Tu as commis de grosses erreurs l’autre soir. Comme quand Fitzy était en danger de perdre le palet, tu es allé l’aider, mais ce n’est pas à toi d’aller dans le territoire de l’autre ailier. Tu dois faire confiance à ton centre pour qu’il aille aider l’autre type.

Hunter boit une longue gorgée de bière.

– Et parfois tu es incapable d’analyser le jeu. Quand le défenseur d’Eastwood a fait cette passe qui leur a permis de marquer, tu aurais dû anticiper à qui il envoyait le palet, mais tu t’es complètement planté.

– Mais je n’ai jamais quitté le palet des yeux !

– Oublie le palet, c’est le joueur que tu dois regarder. Tu dois savoir qui il vise et où vont ses coéquipiers. Deviner ce qu’il va faire pour intercepter sa passe.

Hunter reste silencieux un moment.

– Tu t’y connais vraiment en hockey, hein ? demande-t-il d’une voix admirative.

Je me contente de hausser les épaules. Je sais que j’ai la réputation de ne pas être aussi investi que mes coéquipiers, et peut-être que ce n’est pas tout à fait faux, mais ça ne veut pas dire que je ne comprends pas la mécanique et les nuances du jeu.

Le hockey fait partie de ma vie depuis que je suis tout petit. J’y ai toujours joué. J’ai aussi pratiqué le lacrosse, mais c’était surtout un moyen de m’occuper jusqu’à ce que la saison reprenne sur la glace. Mon père et mon grand frère ont tous les deux joué à Harvard, et j’aurais pu y aller aussi, mais j’ai préféré aller à Briar. J’ai toujours suivi le même chemin qu’eux, et pour une fois, je voulais me démarquer.

Je ne dis pas que j’ai joué au hockey pour faire comme eux, j’aime vraiment ce sport. Seulement, ça ne me procure pas le même enthousiasme que celui que je vois chez Garrett et Logan.

Pour être honnête, je crois que je m’amuse davantage aux entraînements. J’aime les exercices et les occasions de me perfectionner, et j’aime aider mes coéquipiers à s’améliorer. Je n’ai aucune envie de jouer chez les pros après la fac, ce qui ravit ma famille, car les Heyward-Di Laurentis ne font pas carrière dans le sport. Ils deviennent avocats. À l’automne prochain, j’étudierai le droit à Harvard comme tous les membres de ma famille, ce qui ne me déplaît pas. Je suis sûr que je serai bon. Le charisme Di Laurentis que j’ai hérité de mon père me garantit plus ou moins de convaincre tous les juges auxquels je serai confronté.

– J’ai fait d’autres conneries ? demande Hunter.

– Tu sais quoi ? Ça te dirait qu’on s’entraîne tous les deux cette semaine, juste toi et moi ? Je demanderai au coach s’il peut nous accorder du temps sur la glace.

– Tu es sérieux ? Ce serait trop cool mec, merci…

– Mais seulement si tu acceptes de ne plus parler de hockey ce soir. Regarde autour de toi. C’est un banquet de bombasses, dépêche-toi d’en choisir une, espèce d’idiot.

Hunter éclate de rire et il balaie la salle du regard. Plusieurs nanas répondent à son attention en lui souriant, mais plutôt que d’aller vers elles, Hunter me regarde, ou plutôt, il regarde mon cou.

– En fait, peut-être que tu devrais me présenter à la sauvageonne que tu t’es tapée hier soir. Mademoiselle Suçon a l’air sacrément sympa.

Je me raidis. Il est hors de question que je laisse ce gamin approcher Allie. Il est peut-être jeune, mais il est en route pour devenir un plus gros coureur que moi. Cela dit, peut-être devrais-je plutôt m’inquiéter pour Hunter. La performance d’Allie d’hier soir a prouvé qu’elle était tout à fait capable de laisser sa marque sur un homme. Putain, cette nana est un super- coup.

Eh merde, maintenant ma bite durcit. Elle a fait ça toute la journée chaque fois que j’ai pensé à Allie. C’est le meilleur coup que j’ai eu depuis longtemps. Mes poignets sont encore sensibles d’avoir été attachés au lit, mais c’est le genre de douleur qui me donne envie de recommencer.

Je n’ai pas l’habitude de coucher avec la même meuf deux fois, mais ma queue meurt d’envie de s’enfouir de nouveau dans la superbe chatte d’Allie.

– Désolé, superstar, c’est mort. Trouve-toi ta propre sauvageonne.

– Très bien, comme tu voudras, dit-il en me souriant. Ah ouais, je crois savoir avec qui je vais rentrer ce soir, dit-il.

Je suis son regard le long du bar, où se tient une grande brune qui nous tourne le dos. Elle est vêtue d’une courte robe noire et de talons aiguilles assortis, et ses longs cheveux noirs tombent en vagues jusqu’au bas de son dos. Le barman est pratiquement en train de baver et son regard brûlant est fixé entre ses seins, ce qui me dit qu’elle doit avoir une poitrine d’enfer. Moi je ne vois que ses fesses, et elles sont canon.

En temps normal, je serais le premier à me jeter sur elle, mais ce soir, je ne suis pas d’humeur. Je n’arrête pas de penser à Allie, à sa chatte, à ses seins. Putain, ses seins sont dingues. Ils sont parfaits pour ma main et ses tétons rose pâle durcissent instantanément quand je les suce.

Je soupire et je remets mon érection en place pour me mettre à l’aise. Il faut vraiment que j’arrête de penser à hier soir, bon sang. Dieu sait qu’Allie va tout faire pour oublier cette nuit.

– Tu en penses quoi ? demande Hunter.

Je regarde de nouveau la brune.

– Tu ne penses pas qu’elle est hors de ta portée ?

– Je fais du hockey, mec. Aucune femme n’est hors de ma portée.

– Bien dit, je réponds en riant.

C’est la première chose que j’ai apprise à Hunter lorsque je l’ai pris sous mon aile au début de la saison. Cependant, cette nana a le corps le plus sexy que j’aie jamais vu. Une femme comme ça peut avoir n’importe quel homme dans ce bar, et je ne suis pas sûr qu’un gamin comme Hunter, même avec son blouson de hockey, soit ce qu’elle recherche.

De l’autre côté de la salle, la nana que nous admirons se tourne brusquement, et mon admiration se transforme en dégoût profond.

– Ah non, mec. Ne t’approche pas de celle-là, gamin. Elle est toxique.

– Elle ne me semble pas toxique, à moi, murmure Hunter d’un ton admiratif.

Pauvre garçon, heureusement, je suis là pour le sauver. Sabrina James est belle à en couper le souffle, c’est indéniable, mais je préfère me verser de la cire chaude sur les couilles plutôt que de coucher avec elle. Enfin, de recoucher avec elle.

Je suis déjà passé par là.

Quelqu’un me bouscule et lorsque je me retourne, je vois Tucker venir vers nous. Son blouson de hockey noir et argent est trempé.

– Bon sang, il pleut des cordes, dit-il en s’ébrouant comme un chien qui surgit d’un lac.

– Eh, Fido, va te sécher ailleurs, je rétorque tandis que des gouttelettes m’éclaboussent le visage et les yeux.

Hunter n’a pas remarqué que Tucker ruisselle sur ses chaussures tant il est obnubilé par Sabrina.

Tuck suit son regard.

– Pas mal, dit-il en se tournant vers moi avec un grand sourire. Je suppose que tu as marqué ton territoire ? demande-t-il.

– C’est mort mec, c’est Sabrina. Elle me casse suffisamment les couilles tous les jours en cours, je n’ai pas besoin qu’elle me les brise pendant mon temps libre.

Sabrina et moi sommes tous les deux en licence de sciences politiques, et nous nous destinons tous les deux à un master en droit. Le pire, c’est que nous avons tous les deux postulé à Harvard, ce qui me déplaît tout particulièrement. L’idée de passer deux années supplémentaires dans la même salle de classe qu’elle me donne presque envie de me suicider.

– Attends, c’est Sabrina ? s’exclame Tucker. Je la vois tout le temps sur le campus, mais je ne savais pas que c’était à propos d’elle que tu râlais tout le temps.

– La seule et l’unique.

– C’est un sacré gâchis, parce qu’elle est vraiment canon.

– C’est quoi le problème ? demande Hunter. C’est ton ex ?

– Jamais ! je rétorque en grimaçant.

– Alors, je ne ruinerai pas notre amitié si je tente ma chance ?

– Tu veux tenter ta chance ? Fais-toi plaisir, mec. Mais je te préviens, cette garce te bouffera tout cru.

Sabrina tourne brusquement la tête vers nous, comme si elle avait un radar qui l’avertit dès que quelqu’un la traite de garce. Si c’est le cas, il doit sonner tout le temps. Nos regards se croisent et elle m’offre un sourire diabolique avant de me faire un doigt d’honneur, puis elle retourne à sa conversation avec son amie.

– Et voilà mes chances qui partent en fumée, grogne Hunter. Elle ne daignera même pas me regarder maintenant qu’elle m’a vu avec toi. Qu’est-ce que tu lui as fait, au fait ?

– Absolument rien, je réponds d’une voix lugubre.

– Allez mec, une nana ne fusille pas un mec du regard comme ça s’il ne lui a pas fait un sale coup. Tu l’as chopée ?

– À ton avis, gamin. Tu l’as regardée ? ricane Tucker.

– Les apparences peuvent être trompeuses, je marmonne.

Mon colocataire penche la tête sur le côté et me défie du regard.

– Alors tu n’as pas couché avec elle ?

– Si… je soupire. Mais c’était il y a longtemps. Au bout de trois ans, ça ne devrait plus compter.

Hunter et Tucker éclatent de rire.

– Laisse-moi deviner, dit Tucker. Tu ne l’as pas rappelée le lendemain.

– Non, mais pour ma défense, c’est dur de rappeler une meuf quand premièrement, elle ne te donne pas son numéro, et deuxièmement, quand tu ne te souviens pas de ce qui s’est passé.

– Comment tu pourrais ne pas te souvenir de ça ? ! s’exclame Hunter qui bave pratiquement en regardant de nouveau Sabrina.

– On était tous les deux bourrés. Crois-moi, elle ne s’en souvient pas non plus.

– Et c’est pour ça qu’elle te déteste ? demande Hunter.

– Même pas. C’est à cause d’autre chose, dont je n’ai aucune envie de parler maintenant parce que, bon sang, les mecs, c’est samedi soir et on devrait être en train de faire la fête.

– Tu as raison, dit Tucker en riant. Je vais me chercher une bière, vous en voulez une autre ?

– Merci, ça va, répond Hunter.

Tucker part vers le bar tandis que je sors mon téléphone pour regarder l’heure. Il est vingt et une heures trente. Je parcours ma liste de contacts alors qu’Hunter recommence à parler de hockey. Je suis certain d’avoir le numéro d’Allie – elle avait organisé l’anniversaire d’Hannah l’an dernier et elle avait envoyé une centaine de messages pour débattre du moindre détail de la fête.

Ouais, je l’ai toujours, enregistré sous le nom La Pote Blonde de Wellsy. Je devrais sans doute remplacer son nom par Bondage Girl.

Je lui écris un court message.

Moi : Tu es bien rentrée au foyer ?

C’est une question stupide, parce qu’elle est partie de chez nous ce matin, donc elle est forcément rentrée. Cependant, je suis surpris car elle répond tout de suite.

Elle : Ouais, j’y suis maintenant.

Moi : La météo est pourrie ce soir, vaut mieux rester au chaud.

Elle ne répond pas à mon dernier message. Je fixe l’écran de mon portable, frustré, tout en me demandant ce que ça peut me faire. Je suis le roi des coups d’un soir. Je n’ai quasiment jamais envie de remettre le couvert avec une même nana, et s’il y a une fille avec qui je ne devrais pas recoucher, c’est Allie.

Il y a peu de choses dans ce monde qui me filent les chocottes, mais la copine de Garrett en fait partie. Wellsy serait furieuse d’apprendre que j’ai couché avec sa meilleure amie, et si Wellsy n’est pas contente, Garrett ne le sera pas non plus. Logan prendra son parti, et Grace en profitera pour me rappeler que je suis un enfoiré, bientôt je me ferai insulter de tous les côtés. Je n’ai aucune raison de me mettre dans ce pétrin, mais visiblement, ma bite n’est pas d’accord.

J’ai vraiment envie d’elle.

Ce ne serait pas la fin du monde si on couchait ensemble une nouvelle fois, si ? Ou peut-être deux nouvelles fois ? Je ne sais pas ce qu’il me faudra pour parvenir à l’oublier. Tout ce que je sais, c’est que je bande dès que je pense à elle.

À mes côtés, Hunter a dirigé son attention sur un groupe de filles assises à une table près de nous, et je ne peux retenir le sentiment de fierté qui m’emplit lorsqu’un simple hochement de tête de sa part fait venir le trio à nous.

– Lequel d’entre vous va nous offrir un verre ? taquine celle qui porte une mini-minijupe.

Hunter ouvre la bouche pour répondre au moment où les lumières du bar clignotent. Je regarde Tucker qui vient de nous rejoindre.

– C’est l’Apocalypse dehors ou quoi ?

– Ouais, il pleut vraiment des cordes.

Les lumières cessent de clignoter, et je décide que c’est le bon moment pour partir. S’il doit y avoir une coupure de courant, je préfère être chez moi plutôt qu’au milieu de la route. Et puis j’ai beau parler de faire la fête, je ne suis vraiment pas d’humeur, en fait.

– Bon, je file, je dis en frappant l’épaule de mon coloc. On se voit à la maison.

Je remarque les mines déçues des nanas, mais je suis certain qu’elles m’oublieront une fois que Tuck et Hunter passeront en mode séduction.

Je sors du bar une minute plus tard et je comprends que Tuck n’exagérait pas. Durant les dix secondes qu’il me faut pour regagner ma voiture, je suis trempé jusqu’aux os, ruisselant sur les sièges en cuir de ma voiture de sport. Les éclairs qui strient le ciel sont si lumineux que mes phares sont quasiment inutiles.

Je sors de nouveau mon téléphone.

Moi : La météo est pire que je ne le pensais. Garde une lampe de poche avec toi au cas où il y aurait une coupure de courant.

Non mais je suis sérieux là ? On dirait que j’écris un guide de survie ! Pourquoi je lui écris, bon sang ?

Elle : Merci du conseil.

Un autre message suit.

Elle : Sans déconner, ne t’inquiète pas pour moi. Je lis sur le canapé, sous une couette. Comme un coq en pâté.

Moi : En pâte.

Elle : ??

Moi : Comme un coq en PÂTE. C’est ça l’expression.

Il y a cinq secondes de silence radio, puis mon téléphone sonne dans ma main, et je souris en décrochant.

– Pourquoi le coq serait en pâte ? demande Allie.

– Pourquoi il serait en pâté ?

– Parce qu’on peut faire du pâté de coq, comme le pâté d’oie. On ne fait pas du coq en pâte.

– Bien sûr que si – enfin plus aujourd’hui, mais à une époque oui –, ils mettaient le coq dans un plat et le recouvraient de pâte en laissant la tête dépasser, et après ils le mettaient au chaud dans un four. Je ne vois pas pourquoi on serait content d’être mis en pâté.

– Waouh, tu es en licence de gastronomie médiévale ou quoi ?

– Haha, j’avoue que je ne sais pas comment je sais ça.

– Mouais, ben je préfère quand même mon expression, déclare-t-elle.

Je suis momentanément distrait par la pluie qui martèle mon pare-brise. Il pleut encore plus, à présent, et une seconde plus tard, toutes les lumières du parking s’éteignent.

– Merde, il n’y a plus de courant chez Malone, je dis à Allie. Reste bien au chaud, d’accord ? Et ne te promène pas dans les couloirs de Bristol House s’il n’y a plus de lumière.

– Pourquoi, tu penses qu’un tueur en série va se faufiler dans le dortoir et se lancer à ma poursuite ? Même si c’était le cas, je suis sûre que je lui casserais la gueule.

– Ha ! Mais oui, bien sûr.

– Eh ! Je sais me défendre ! insiste-t-elle. Mon père et moi avons suivi des cours de self-défense père-fille quand j’avais quatorze ans.

– Du self-défense père-fille ? C’est pas un peu bizarre ?

– Ben, il voyageait beaucoup quand j’étais petite, alors, dès qu’il rentrait, il trouvait un moyen pour reconnecter. Et comme c’est un gros macho, on n’avait le droit de faire que des trucs de garçon, comme aller à la pêche ou faire du vélocross ou apprendre à se frapper. Bref, je raccroche parce que je veux finir de lire cette pièce. Fais gaffe sur la route.

– Attends ! je m’exclame avant qu’elle ne puisse raccrocher.

– Quoi ?

Je regarde la pluie tomber sur mon pare-brise en me demandant ce qui m’arrive.

– J’aimerais qu’on recouche ensemble.

J’entends Allie retenir son souffle à l’autre bout du fil. Quant à moi, je suis aussi raide qu’une planche de surf. Je repense à la courbe de ses fesses dans mes mains, à ses tétons dans ma bouche, à sa chatte serrée autour de ma queue, et je réprime un grognement. Putain, cette nana me rend dingue.

Après un long silence, Allie parle d’une voix agacée.

– Au revoir, Dean.

Elle me raccroche au nez, et cette fois-ci, je grogne à voix haute.

5

Allie

Mon cœur bat la chamade lorsque je raccroche. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il dise ça.

« J’aimerais recoucher avec toi. »

Cela dit, ça ne m’étonne pas, puisque je suis un super-coup.

Mais il est hors de question que je recouche avec lui alors que j’ai passé la journée à me détester. Je ne suis vraiment pas faite pour les coups d’un soir. Je me sens… sale, souillée. Ce qui est absurde, parce que si quelqu’un a été souillé, c’est bien Dean. Non seulement je l’ai séduit mais je l’ai ligoté et chevauché comme s’il était mon cheval de manège perso.

Mon Dieu, je suis une salope.

Tu n’es pas une salope.

Ok, peut-être pas. Peut-être que je suis simplement une femme de vingt-deux ans qui, pour la première fois de sa vie, s’est amusée sans penser aux conséquences. Or, le problème, c’est que j’aime les conséquences. Pour moi, le sexe et l’amour vont de pair. J’aime les câlins et les conversations jusqu’au petit matin. J’aime avoir un copain, et je peux désormais dire que je n’aime vraiment pas les coups d’un soir. Le sexe était génial, mais la honte que je ressens depuis ce matin ne vaut pas tous les orgasmes.

Je soupire et je jette mon téléphone sur le canapé pour reprendre le scénario que je lisais avant que Dean ne m’appelle. C’est une pièce de théâtre écrite par un étudiant, et ce sera ma performance de fin d’année à Briar. Je suis l’une des deux actrices principales, et même si l’histoire est un peu trop mélodramatique pour moi, j’ai hâte de commencer les répétitions. Depuis que j’ai fait mes débuts sur les planches à Boston, cet été, je meurs d’envie de rejouer devant un public.

D’ailleurs, c’est un autre facteur de stress ces jours-ci, car je suis à un croisement dans ma carrière et je ne sais pas dans quelle direction aller. Lorsque j’ai commencé la fac, j’ai demandé à mon agent de ne me trouver que des projets d’été, car je ne voulais pas être tentée de laisser tomber la fac si on me proposait un rôle alléchant, or je veux mon diplôme. Cependant, maintenant que je suis à quelques mois de l’obtenir, tout est possible. La saison des pilotes démarre en janvier, et Ira m’a déjà envoyé des douzaines de scripts pour des sitcoms et des séries type Glee, en plus de plusieurs scénarios pour des comédies romantiques qui, en temps normal, m’auraient mis des étoiles plein les yeux.

J’ai toujours pensé que j’étais faite pour des rôles comiques. Je rêve d’être actrice depuis que j’ai douze ans, et tous les petits rôles que j’ai eus étaient légers et mignons. Je voulais être la prochaine Sandra Bullock ou Kate Hudson.

Cependant, tout a changé cet été lorsque l’annonce du casting pour une pièce super-sérieuse et déprimante a été lancée. Elle était écrite par Brett Cavanaugh, un directeur de légende récompensé par un Oscar, et je ne sais comment, mon agent m’a obtenu un entretien avec lui. À ma plus grande surprise, c’est moi qui ai eu le rôle de la petite sœur héroïnomane de l’actrice principale. En deux mois, la pièce a eu un succès énorme. Depuis, j’ai reçu un tas d’offres pour des rôles dramatiques, sur les planches ou à la télévision.

Quelqu’un m’a dit que Cavanaugh était en train d’écrire une autre pièce… et je ne comprends pas pourquoi je suis si tentée de laisser tomber l’objectif que je me suis fixé. C’est une chose d’envisager des rôles plus dramatiques, mais… le théâtre ? Hollywood est synonyme de plus d’argent, de plus de célébrité, d’Oscars, de Golden Globes et de shopping sur Rodeo Drive.

Mes yeux sont rivés sur la pile de scénarios sur la table basse. Si j’étais prise pour un de ces pilotes et que la série avait du succès, ou si je décrochais un rôle dans un de ces films, j’aurais une chance de me faire une place dans le milieu… Alors, pourquoi j’envisage le théâtre ?

Je suis encore perdue dans mes pensées lorsque mon téléphone sonne de nouveau. Je regarde l’écran et, l’espace d’une seconde, je me demande pourquoi Dean me rappelle. Or, je me rends compte que ce n’est pas un D, mais un S. Bon sang, mon ex et mon plan cul ont pratiquement le même prénom, je me demande si c’est un signe…

Sean t’appelle, espèce d’idiote. Ouais, c’est sans doute la chose la plus urgente.

J’angoisse en regardant l’écran. Je ne devrais pas décrocher.

Je décroche.

– Est-ce que ça va ? demande Sean d’une voix si inquiète que je me dépêche de le rassurer.

– Je vais très bien, pourquoi ?

– Je suis passé après les cours hier soir et tu n’étais pas là. Et je t’ai écrit toute la nuit.

– Je sais. J’ai passé la nuit chez un ami. Je… je t’ai dit que je ne voulais pas te voir, je réponds en bégayant.

– J’espérais que tu changerais d’avis, dit-il d’une voix tourmentée. Putain, Bébé, tu me manques. Je sais que ça ne fait que deux jours, mais tu me manques affreusement.

Mon cœur se brise en deux.

– J’ai merdé, d’accord ? Je le sais, maintenant. Je n’aurais pas dû te donner cet ultimatum, et je n’aurais vraiment pas dû dire que ta carrière d’actrice était vouée à l’échec. J’étais en colère et je me suis défoulé sur toi, et tu ne le méritais pas. Quand je suis venu à la première de ta pièce, cet été, j’étais époustouflé. Sincèrement. Tu as tellement de talent, Bébé, je suis un connard de t’avoir dit tout ça. Je ne le pensais pas.

Il est pratiquement en train de me supplier et mon cœur se brise un peu plus.

– Sean…

– Tu es la seule chose qui compte dans ma vie, interrompt-il d’une voix pleine de désespoir. Tu es tout pour moi, et je me déteste de t’avoir fait partir. Je t’en supplie, Bébé, donne-moi une autre chance.

– Sean…

– Je sais que je peux réparer les choses. Accorde-moi une chance de…

– Sean !

– Bébé ?

Ma gorge se referme comme si mon cœur voulait m’empêcher de prononcer ces paroles. Cependant, je suis rongée par la culpabilité et je ne peux pas l’écouter me supplier ainsi après ce que j’ai fait. Je déglutis et j’oblige mes cordes vocales à coopérer.

– J’ai couché avec quelqu’un hier soir.

Un silence de plomb s’installe entre nous, qui n’en finit plus. À chaque seconde qui passe, mon estomac se noue un peu plus. Je chuchote :

– Tu m’as entendue ?

– Ouais… Je t’ai entendue, murmure-t-il.

Nous restons silencieux. Je suis anéantie en repensant au jour où j’ai rencontré Sean. C’était le premier jour de ma première année à Briar, et je me souviens d’avoir pensé que Sean était le plus beau garçon que j’avais jamais vu, avec ses cheveux châtains qui retombaient sur son front, ses yeux noisette et son petit cul ferme. Sans gêne, je l’ai complimenté sur son fessier, et ses joues sont devenues plus rouges que son t-shirt des Red Sox. Ce soir-là, nous avons dîné dans un des selfs, et une semaine plus tard, nous étions officiellement ensemble.

Trois ans plus tard, nous avons rompu, et je viens d’avouer que j’ai couché avec quelqu’un d’autre. Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ?

– Qui ?

– Qu… quoi ? je bégaie, surprise par sa question.

– Avec qui ?

– Peu importe, je réponds, assaillie par une vague de nausée. Je ne le reverrai plus. C’était… c’était une erreur. Mais je voulais que tu le saches.

Il ne répond pas.

– Sean ?

Un souffle rauque et saccadé me parvient de l’autre bout du fil.

– Merci de me l’avoir dit, marmonne-t-il.

Et il raccroche.

Je mets plusieurs minutes à enlever le téléphone de mon oreille et ma main tremble violemment lorsque je la passe dans mes cheveux.

Waouh… c’était… violent. Une partie de moi se demande pourquoi je le lui ai dit, après tout, ce n’est pas comme si je l’avais trompé. Je n’étais pas obligée de le lui avouer… D’ailleurs, en me taisant, je lui aurais évité la souffrance qu’il doit ressentir maintenant. Cependant, j’ai toujours dit la vérité à Sean, et une partie de moi, qui se sent bête et coupable, a pensé qu’il méritait de le savoir.

Mon Dieu, je me sens quinze fois plus coupable, maintenant.

Plutôt que de reprendre mon script, je saisis mon iPod et j’enfonce les écouteurs dans mes oreilles. Ensuite, je ramène la couette sous mon menton, et je mets « Wrecking Ball » de Miley Cyrus en boucle, parce que ça résume parfaitement l’état dans lequel je me sens. Démolie.

*

Dean

– Oooh, regarde-le, G, il est si mignon quand il dort.

– Comme un ange.

– Un ange qui baise tout ce qui bouge.

– Attends, est-ce que les anges baisent ? Et si oui, est-ce que les orgasmes au paradis sont mille fois meilleurs que ceux sur Terre ? Je parie que oui.

– Ben oui, tu crois qu’ils viennent d’où, les arcs-en-ciel ? Chaque fois que tu en vois un, c’est qu’un ange vient de jouir.

– Ah… ça semble logique.

J’entrouvre un œil en regardant la porte.

– Je vous entends, vous savez.

Ma voix agacée met fin à la conversation la plus bizarre que j’aie jamais entendue.

– Ah, tant mieux, tu es réveillé, dit Logan.

– Bien sûr que je suis réveillé, je grommelle en me frottant les yeux. Comment je suis censé dormir quand vous parlez des orgasmes des anges au pied de mon lit, bande d’abrutis ?

– Comme si j’étais le premier à me poser cette question, ricane Garrett.

– Tu l’es, crois-moi. Vous êtes rentrés quand ? je demande en m’asseyant dans le lit.

– Il y a une heure, à peu près, répond Logan en s’appuyant à l’encadrement de la porte. Grace devait rentrer tôt parce qu’elle produit une émission ce soir.

Je hoche la tête. La copine de Logan travaille à la station de radio du campus. D’ailleurs, ça me rappelle que…

– Tu as prévu de rappeler l’émission pour lui déclarer ta flamme une seconde fois, au fait ? je demande d’une voix moqueuse.

Il soupire avant de répondre.

– Tu ne vas jamais laisser tomber, hein ?

– Jamais.

Je regrette que personne ne l’ait enregistré. J’aurais adoré lui sortir des citations de temps en temps pour le torturer. Le week-end dernier, alors qu’il avait merdé et qu’il avait failli perdre Grace, Logan l’a reconquise en appelant l’émission de conseils qu’elle produit et en lui disant les choses les plus mielleuses qu’on puisse imaginer. Je me fais du souci pour lui, parfois.

Je rejette la couverture et je me lève, à poil. Je trouve un boxer propre et je l’enfile.

– Les mecs, si vous me dites que ça fait une heure que vous me regardez dormir, je vous jure que j’appelle les flics.

– Le coach a appelé, répond Garrett. Apparemment, il essaie de te joindre depuis ce matin mais tu ne décroches pas. Il veut te voir à la patinoire dans une heure.

– Pourquoi ?

– J’en sais rien, répond Garrett en haussant les épaules. Peut-être qu’il a appris que tu t’étais bourré la gueule ce week-end – je suppose que c’est le cas, non ? – et qu’il veut te hurler dessus.

– Comment le coach saurait ça ? Ce n’est pas comme s’il avait des gens pour nous surveiller, je réponds en fronçant les sourcils.

– Mec, le coach est comme ce type dans Game of Thrones qui a des espions partout, rien ne lui échappe.

Merde, j’espère que je ne vais pas avoir droit à une des leçons de morale interminables du coach. Nous n’avons pas le droit de boire ou de prendre de la drogue durant la saison, mais ça n’empêche personne de se mettre des cuites ou de fumer un joint de temps en temps. Et je n’ai jamais été positif à aucun test urinaire, donc je ne vois pas pourquoi le coach me harcèle toujours avec ça.

– Hannah est toujours là ? je demande à Garrett tout en cherchant un pantalon à mettre.

– Non, elle est rentrée. Elle se fait une journée filles avec Allie.

Je suis content de leur tourner le dos parce qu’à peine prononce-t-il le prénom d’Allie que mon sexe durcit. Super, maintenant il suffit que j’entende son nom pour bander ?

– Tu n’as rien fait de stupide quand elle était là, n’est-ce pas ? demande Garrett d’une voix pleine de suspicion.

Je l’ai baisée deux fois. Donc la réponse est… oui ?

J’enfile un t-shirt et un sweat à capuche avec l’emblème de Briar.

– Je me suis comporté en parfait gentleman.

– Ah ouais ? Ce serait bien la première fois, ricane Logan.

– Merci pour votre confiance, mais je tiens à vous dire que je suis très doué dans l’art de la gentlemanerie.

– Ce n’est pas un art, mec. Ni un mot d’ailleurs, rétorque Logan en levant les yeux au ciel.

Il disparaît dans le couloir, mais Garrett ne bouge pas, au contraire, il étudie mon visage pendant plusieurs secondes.

– Quoi ? je marmonne.

– Rien, répond-il, l’air soupçonneux en s’éclipsant lui aussi.

En me brossant les dents dans la salle de bains, je réalise que le suçon sur mon cou est encore très visible. Est-ce que Garrett l’a vu ? En même temps, n’importe qui a pu me sucer le cou ce week-end, il n’a aucune raison de penser que c’est Allie la coupable.

Cette fichue Allie, je lui ai dit que je voulais remettre le couvert et elle m’a raccroché au nez ! Ça ne m’est jamais arrivé. Jamais. Je suis Dean Di Laurentis, bon sang. Il me suffit de claquer des doigts pour qu’une douzaine de filles apparaissent à mes côtés en me suppliant de les chevaucher. La dernière fois que j’étais au café du campus, la barista m’a donné un café gratuit en me proposant de me tailler une pipe dans la réserve.

Alors, c’est quoi le problème d’Allie ? J’ai passé toute la soirée d’hier à me demander si elle faisait la difficile pour que je lui coure après. Après tout, ce n’est pas comme si elle n’avait pas pris de plaisir, je n’ai jamais été avec une fille qui faisait autant de compliments à propos de ma bite.

« Mon Dieu, je veux épouser ta queue ! »

« C’est la plus belle bite au monde ! »

« Dean, tu me fais jouir… »

Ses cris rauques passent en boucle dans ma tête comme un jingle pervers et aguicheur, et je m’agrippe au sèche-serviette alors qu’un grognement m’échappe. La brosse à dents dans ma bouche tombe dans le lavabo, et mon érection tapote la porcelaine de l’évier, cherchant à entrer en contact avec quelque chose, n’importe quoi.

Je me demande si le coach m’en voudra d’être en retard parce que je me suis branlé.

Sans doute.

 

Trente minutes plus tard, je glisse ma carte d’étudiant dans la porte du gymnase en sirotant mon café. Le couloir est désert et mes baskets crissent sur le parquet brillant tandis que je me dirige vers l’arrière du bâtiment. Je passe devant les salles de classe et la salle de projection, je contourne la cuisine et la salle de musculation, puis je traverse l’énorme local à matériel.

Notre gymnase est superbe. Il y a une demi-douzaine de grands bureaux luxueux que Chad Jensen aurait pu choisir, mais pour une raison inexplicable, il a choisi le plus petit, caché derrière la laverie.

Je frappe à la porte, attendant la réponse du coach avant d’entrer. Le dernier joueur qui est entré sans frapper s’est fait hurler dessus si fort que nous l’avons tous entendu sous la douche. J’aime penser qu’il se masturbe dans son bureau et que c’est pour ça qu’il insiste pour qu’on frappe. La théorie de Logan, en revanche, est qu’il se sert de son bureau pour planquer sa deuxième famille, et qu’il ne la laisse sortir que pendant la nuit. Cependant, Logan est un sombre idiot.

– Salut, Coach, vous vouliez me…

Je me fige lorsque je réalise qu’il n’est pas seul. Je suis rarement pris par surprise. Mais là, le choc qui me paralyse est accompagné d’une vague d’angoisse qui me glace le sang.

Frank O’Shea se lève de sa chaise et pose sur moi un regard de marbre. Je ne l’ai pas vu depuis ma dernière année de lycée, mais il n’a pas changé. Il a le même corps trapu, la même bouche sévère, et ses cheveux sont toujours rasés de près.

– Di Laurentis, dit-il sèchement en hochant la tête.

– Coach O’Shea, je réponds pendant que Jensen nous regarde tour à tour.

– Dean, dit ce dernier, Frank rejoint notre équipe en tant que coordinateur de la défense. Il m’a expliqué qu’il t’avait entraîné au lycée, et j’ai pensé qu’il serait mieux que vous régliez vos problèmes avant l’entraînement de demain.

Je ne peux qu’imaginer ce qu’O’Shea a dû dire à propos de nos problèmes. Quoi qu’il ait raconté, je suis sûr que c’est à la fois inexact et préjudiciable à mon égard.

Coach Jensen se dirige vers la porte.

– Je vous laisse.

Bon sang, il nous laisse seuls ? J’aurais aimé avoir un témoin dans le coin au cas où O’Shea tenterait quelque chose, après tout, c’est lui qui m’a mis un coup de poing dans le parking du lycée. Je ne l’ai pas dénoncé à l’époque parce que je savais pourquoi il l’avait fait, mais ça ne veut pas dire que je l’ai oublié ni que je lui ai pardonné.

O’Shea attend que Jensen ait refermé la porte pour prendre la parole.

– Alors, est-ce qu’on va avoir un problème ?

– À vous de me le dire, Monsieur, je réponds froidement.

– Je vois que tu es toujours le même petit con insolent qu’à l’époque, répond-il en me fusillant du regard.

– Sauf votre respect, Monsieur, je suis dans ce bureau depuis à peine cinq secondes. Je doute que vous ayez pu vous faire une opinion aussi vite.

Mon ton est poli, mais à l’intérieur, je bous de rage. Je hais cet homme, ce qui est triste, car il fut une époque où je le vénérais.

– Il n’y a aucun problème de mon côté, dit-il comme si je n’avais rien dit. Le passé est le passé. Je suis prêt à passer l’éponge si cela permet de construire un meilleur environnement de travail.

Waouh, quelle générosité !

– Tout ce que je demande en retour, c’est que tu me respectes et que tu m’écoutes lorsque nous sommes sur la glace. Je ne tolérerai aucun acte d’insubordination, et je n’accepterai aucun dérapage. Jensen dit que tu as une réputation de fêtard, ce qui ne me surprend pas, hélas. Cependant, si tu veux garder ta place dans l’équipe, j’exige un comportement exemplaire. Pas d’alcool, pas de drogue, pas de bagarre. Compris ?

Je hoche la tête.

– Quant aux problèmes que nous avons eus par le passé, nous n’en parlerons pas, dit O’Shea en me regardant droit dans les yeux. Que ce soit entre nous ou avec tes coéquipiers. Le passé est le passé, répète-t-il.

J’enfonce mes mains dans mes poches.

– Je peux y aller, maintenant ?

– Pas encore.

Il se dirige vers le bureau, où il prend un dossier. Je n’aurais jamais pu imaginer la suffisance qui brille dans son regard lorsqu’il se tourne vers moi.

– Encore deux choses, et ne t’en fais pas, j’ai l’accord du coach Jensen.

Mon estomac se noue.

– Tout d’abord, nous te faisons passer en seconde ligne avec Brodowski…

– Quoi ?!

O’Shea lève la main pour me faire taire.

– Laisse-moi finir.

Je ferme la bouche et serre la mâchoire, luttant pour ne pas perdre le contrôle. Je ne suis plus bouillant, je suis fou de rage.

Tu parles qu’il n’y a pas de problème de son côté. J’ai toujours joué en première ligne avec Logan. Nous sommes les deux meilleurs défenseurs de l’équipe, et notre duo fonctionne à merveille. Brodowski est un troisième année qui a tellement besoin d’entraînement que je ne comprends pas qu’il fasse encore partie de l’équipe.

– Jensen me fait confiance pour travailler avec sa défense et prendre toutes les décisions que je jugerai nécessaires. La deuxième ligne est faible. Kelvin et Brodowski n’ont aucune symbiose et ils profiteront tous les deux d’être en binôme avec des joueurs de ton calibre et de celui de John Logan.

– Est-ce que le coach a mentionné que nous avons déjà essayé ça avant que la saison ne commence ? je demande d’une voix suffisamment narquoise pour le faire grimacer. Je jouais avec Kelvin lors du match contre St. Anthony, et ça a été un désastre.

– Justement, tu ne seras pas avec Kelvin cette fois-ci, n’est-ce pas ? rétorque-t-il sur un ton aussi méprisant que le mien. Tu joueras avec Brodowski. La décision est prise, c’est ce qu’il y a de mieux pour l’équipe.

Tu parles. Il fait ça pour me punir, et je le sais.

– C’est quoi la deuxième chose ?

Il cligne des yeux.

– Je te demande pardon ?

– Vous avez dit qu’il y avait deux choses, je réponds en luttant pour parler d’une voix calme. Vous me changez de ligne, ça, c’est la première. C’est quoi, la seconde ?

Il penche la tête sur le côté et me regarde comme s’il essayait de décider si je lui manque de respect encore une fois. Ce mec ne sait pas à quel point je meurs d’envie de lui mettre mon poing dans la tronche.

O’Shea ouvre son dossier, en sort une feuille de papier, et son sourire satisfait refait surface quand il me tend la feuille. Je la lis en diagonale, ça ressemble à un planning d’entraînements et de matchs, mais ce n’est pas celui de notre équipe.

– Qu’est-ce que c’est ? je marmonne.

– À partir de cette semaine, tu vas généreusement te porter volontaire pour entraîner les Hurricanes de Hastings…

– Les quoi ?

– Les Hurricanes de Hastings. C’est l’équipe de hockey du collège de Hastings, des cinquièmes et des quatrièmes. Briar a un partenariat dans lequel nos athlètes entraînent ou assistent les coachs des équipes locales. L’étudiante qui travaille avec les Hurricanes est ailière gauche dans l’équipe de hockey féminine de Briar. Elle a attrapé la mononucléose et il faut la remplacer. Jensen et moi pensons que tu es le meilleur candidat pour cette tâche.

J’essaie de cacher mon horreur, mais j’échoue, apparemment, parce qu’O’Shea sourit ouvertement, à présent.

– C’est deux après-midi par semaine, et les matchs sont le vendredi à dix-huit heures. Je me suis permis de consulter ton emploi du temps et il n’interfère pas avec celui des Hurricanes, donc il n’y a aucun souci. À moins que tu n’aies une objection… ? demande-t-il.

Bien sûr que j’objecte ! Je n’ai aucune envie de passer trois jours par semaine à entraîner une équipe d’adolescents, c’est ma dernière année à Briar, bon sang. J’ai une tonne de boulot pour les cours, et je m’entraîne déjà six fois par semaine avec ma propre équipe, en plus des matchs, ce qui ne me laisse guère de temps pour moi. Cependant, si je me plains, O’Shea me rendra la vie impossible, comme il l’a fait au lycée.

– Non, ça a l’air super, je réponds en résistant à mon envie de lui faire un doigt d’honneur.

– Eh bien, voyez-vous cela. Peut-être as-tu changé, finalement. Le Dean Di Laurentis que j’ai connu ne pensait qu’à une seule personne, lui-même.

Sa remarque m’atteint plus qu’elle ne le devrait. Je sais que je peux parfois être égoïste, mais je n’avais rien fait de mal à l’époque. Miranda et moi étions sur la même longueur d’onde… jusqu’à ce qu’on ne le soit plus.

Cependant, peu importe qui a tort ou raison, parce qu’à l’évidence, Frank O’Shea ne me pardonnera jamais ce qui s’est passé entre sa fille et moi.

6

Dean

En sortant du gymnase, j’appelle mon frère. Nous sommes dimanche, donc j’essaie d’abord sur son portable, même s’il y a de fortes chances qu’il soit au bureau. Nick travaille énormément, y compris le week-end. Je crois qu’il essaie d’impressionner notre père, et je pense que ça marche.

Cependant, la voix chantante qui décroche n’est pas celle de mon frère.

– Dicky ! Super ! Ça fait une éternité que je ne t’ai parlé !

Ce surnom ne me gênait pas lorsque nous étions petits, mais nous sommes adultes maintenant, et ça me fout la honte chaque fois que je l’entends. En ce qui me concerne, une fois que ma petite sœur a appris à dire Dean, mes parents auraient dû la forcer à oublier Dicky. Cependant, demander quelque chose à Summer implique plus ou moins qu’elle fera l’inverse. Ma petite sœur est têtue comme une mule.

– Pourquoi tu réponds au téléphone de Nick ?

– Parce que j’ai vu ton nom s’afficher et que je voulais te parler. Tu ne m’appelles jamais, tu sais.

Je l’imagine faire la moue, et ça me fait sourire.

– Tu ne m’appelles jamais, toi non plus… je rétorque.

Summer se tait un instant, puis elle soupire de manière théâtrale.

– Tu as raison, c’est vrai. Je suis une affreuse petite sœur.

– Mais non, tu es sans doute aussi occupée que moi, je dis en me dirigeant vers le parking du gymnase.

– C’est vrai que j’ai été occupée, admet-elle.

J’entends un raclement de gorge exagéré derrière elle.

– C’était quoi, ça ? je demande.

– Rien, c’est juste Nick, il m’a rendue folle tout le week-end. Il a toujours été aussi coincé ou c’est seulement depuis qu’il est devenu avocat ?

Elle dit « avocat » comme si c’était un gros mot, ce qui est sans doute le cas aux yeux de Summer. Ma sœur a déclaré à l’âge de douze ans que le droit était ennuyeux à mourir, et huit ans plus tard, elle n’a pas changé d’avis. Elle a accepté d’aller dans une fac de l’Ivy League pour calmer nos parents, mais la dernière fois que je lui ai parlé, elle m’a dit qu’elle voulait devenir décoratrice d’intérieur.

– Comparé à toi, tout le monde est coincé, petite sœur. Et ça ne veut pas dire que j’approuve toutes les conneries que tu fais.

Summer a deux ans de moins que moi et, à côté d’elle je suis sage comme une image, je suis surpris que nos parents ne l’aient pas encore déshéritée.

D’ailleurs, à ce propos…

– Qu’est-ce que tu fais à Manhattan, au fait ? Tu ne devrais pas être à la fac ?

– J’avais envie de rendre visite à mon grand frère, répond-elle d’une voix bien trop innocente pour que ce soit vrai.

– Menteuse.

– C’est vrai ! proteste Summer. Je voulais voir Nicky. Et je veux te voir, toi aussi, alors ne sois pas surpris si je débarque à Briar un de ces quatre. D’ailleurs, j’envisage de m’y faire transférer.

Une alarme retentit dans ma tête.

– Pourquoi ? Je croyais que tu étais bien à Brown ?

– Je le suis. Mais… euh… J’ai été suspendue.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu as fait ?

– Qu’est-ce qui te fait penser que j’ai fait quelque chose ? demande-t-elle en reniflant.

– Garde tes larmes de crocodile pour les parents, je ricane. Non pas que ça marche encore sur eux, d’ailleurs. Maintenant, dis-moi ce qui s’est passé.

– Disons simplement qu’il y a eu un incident dans une sororité, qui impliquait des toges.

Je réprime un éclat de rire.

– Tu peux être un peu plus précise ?

– Non.

– Summer…

– Je te dirai tout quand je te verrai, chantonne-t-elle joyeusement. Nick veut te parler.

– Summer…

Elle est déjà partie, et la grosse voix de mon frère prend le relais.

– Salut, dit-il.

– Qu’est-ce qu’elle a fait ? je demande.

Nick éclate de rire.

– Je ne veux pas te gâcher la surprise, tout ce que je dirai, c’est que c’est du Summer tout craché.

Bon sang, je ne suis plus certain de vouloir le savoir.

– Maman et Papa sont au courant ?

– Ouaip. Ils ne sont pas ravis, mais elle n’a pas été expulsée, c’est juste une suspension de deux mois et vingt heures de travaux d’intérêt général.

Les dernières paroles de mon grand frère me font oublier les problèmes de Summer.

– À propos de travaux d’intérêt général…

Je raconte rapidement mon entretien avec O’Shea.

– Merde, répond Nick quand j’ai fini. Est-ce qu’il a parlé de Miranda ?

– Non, mais à l’évidence il m’en veut encore pour ce qui s’est passé. Une partie de moi est tentée de la traquer et de lui demander de dire la vérité à son père.

– Elle n’a pas pris la peine de le faire à l’époque, remarque Nick, je ne vois pas pourquoi elle le ferait maintenant.

Il n’a pas tort.

– Je sais, mais…

J’arrive à ma voiture. Je suis encore à cran après la réapparition soudaine d’O’Shea dans ma vie et j’ai envie de fuir le gymnase aussi vite que possible.

– Bref. Je suppose que je suis débile de penser que Miranda m’aiderait. Je suis le monstre qui lui a brisé le cœur, n’est-ce pas ?

– Tu veux mon avis ? Fais-toi tout petit. Sois à l’heure aux entraînements, fais ce que te dit O’Shea, et ne cherche pas la bagarre. Ce sera bientôt le printemps, tu vas avoir ton diplôme et tu ne le verras plus jamais de ta vie.

– Tu as raison. Il ne mérite pas que je me prenne la tête. J’en aurai bientôt fini avec Briar.

– Exactement. Mais dis-moi s’il te prend la tête, ok ? Je trouverai une raison de lui coller un procès aux fesses.

– Haha, sauf que tu ne fais pas de droit civil.

– Pour toi, petit frère, je ferai une exception.

Je suis de bien meilleure humeur lorsque je raccroche. Mes amis aiment se moquer du fait que je suis un petit riche du Connecticut, et je suis sûr qu’ils pensent que mes parents sont des snobs et que mon frère, ma sœur et moi sommes pourris gâtés, mais en toute honnêteté, ma famille est géniale.

Mes deux parents sont des avocats réputés, mais je ne connais personne qui ait autant les pieds sur terre qu’eux. Je ne dis pas qu’on n’a pas eu une enfance privilégiée – on avait une nounou et une femme de ménage, on est allés dans des écoles privées et on avait de l’argent poche. Cependant, nous avions aussi nos corvées à faire dans la maison et il fallait que nos devoirs soient finis si on voulait voir le moindre centime. Si nos moyennes baissaient, nous étions punis en un claquement de doigts. Et si nous essayions de jouer la carte de donne-moi-ce-que-je-veux-parce-qu’on-est-riches, nous étions punis aussi. La seule et unique fois que j’ai exigé que mon père me donne du fric, il a fait don de l’argent qui devait servir à mon inscription à la fac à une charité pour enfants défavorisés, et il m’a fait travailler tout l’été à son cabinet pour rembourser cette somme.

– Qu’est-ce que voulait le coach ? demande Garrett quand j’entre dans le salon un quart d’heure plus tard.

– Il voulait me présenter le nouveau coordinateur de défense, je réponds en me laissant tomber sur un fauteuil.

Apparemment Garrett et Logan jouent à Ice Pro, et à en juger par le score, Logan se prend une raclée.

– On a un coordinateur de défense ? demande Logan en mettant le jeu sur pause. Pourquoi il voulait te le présenter en privé ?

Je choisis mes mots avec précaution.

– Il s’appelle Frank O’Shea. C’était mon coach au lycée, alors Jensen a pensé qu’on voudrait se revoir avant qu’il le présente à toute l’équipe.

– Ok… mais pourquoi il n’arrive que maintenant ? demande Logan en fronçant les sourcils. La saison a déjà commencé, c’est bizarre qu’il débarque après notre premier match.

– Premier match qu’on a perdu, marmonne Garrett.

– Ouais, mais ce n’est qu’un match, insiste Logan. Ce n’est pas comme si on était si mal en point qu’on avait besoin d’un nouveau coach. On dirait que Jensen panique, vous ne trouvez pas ? Il est comment d’ailleurs ? C’est un bon mec ?

C’est le diable incarné.

– Il est plutôt cool, je mens, avant de changer de sujet. Où est Tuck ?

– Je ne sais pas. Je crois qu’il n’est pas rentré hier soir, dit Logan en relançant le jeu et en se concentrant de nouveau sur la partie.

C’est à mon tour de froncer les sourcils. Tucker n’a pas dormi à la maison vendredi soir, non plus. Je me demande s’il a une nouvelle copine, parce qu’il n’a pas l’habitude de découcher deux soirs d’affilée.

Étant donné que mes colocataires sont occupés avec leur jeu vidéo, je monte dans ma chambre pour rattraper le retard que j’ai pris sur mes cours. Je passe le reste de la journée à lire et à dormir, et je ne descends que le soir pour voler quelques parts des pizzas que Garrett et Logan ont commandées. Je ne sais pas pourquoi je me sens à ce point antisocial. Peut-être que je suis encore sur les nerfs à cause d’O’Shea, ou peut-être parce que chaque fois que je ferme les yeux pour dormir, je vois la bouche pulpeuse d’Allie sur ma bite, ses courbes dorées plaquées contre moi et ses seins dans mes mains.

Pourquoi je n’arrive pas à l’oublier, bon sang ? Certes, le sexe était phénoménal, et certes, je la trouve attirante. Cependant, ce ne sont pas des choses nouvelles pour moi.

Remets-t’en bon sang, j’ordonne à ma queue lorsqu’elle durcit de nouveau en pensant à Allie.

Elle sursaute en guise de réponse, comme pour me narguer.

– Bon sang de bordel ! je grogne.

Je tâte mon lit à la recherche de mon téléphone et j’affiche le numéro que j’ai composé hier soir.

Lorsqu’elle décroche après la quatrième sonnerie, la voix d’Allie est soucieuse.

– Salut, qu’est-ce qui se passe ?

– J’ai envie de rebaiser avec toi, je dis d’une voix rauque.

– C’est ton nouveau jeu ? Tu vas m’appeler tous les soirs pour me dire ça ?

– Peut-être.

Nom de Dieu, je suis agacé et excité et complètement perdu.

– Dis oui, poupée. Dis oui et abrège mes souffrances.

– Je t’ai déjà dit que c’était la première et la dernière fois. Je n’aime pas les coups d’un soir. On s’est amusés, c’est clair, mais… merde, faut que j’y aille. Appelle une de tes gagas de la crosse, je suis sûre qu’elle s’occupera de toi.

Pour la deuxième fois en deux jours, Allie me raccroche au nez.

*

Allie

– C’était qui ?

Je sursaute en entendant la voix d’Hannah. J’ai raccroché lorsque j’ai entendu ses pas approcher, mais je ne m’attendais pas à ce qu’elle débarque dans ma chambre aussi vite.

– Euh, personne.

Waouh, super-réponse, Allie.

– Personne ? demande-t-elle en haussant un sourcil.

– Juste un démarcheur, c’est-à-dire personne.

Elle commence immédiatement à râler en venant s’asseoir sur mon lit.

– Comment ils obtiennent nos numéros ? Quand j’ai signé avec mon opérateur, il y avait toute une section du contrat qui stipulait qu’ils ne donneraient jamais mon numéro à une tierce personne. Eh bien, ce sont des conneries, parce que je reçois des coups de fil tous les jours de compagnies aériennes et de marques de vêtements pour m’annoncer leur super-promo ou que j’ai gagné un prix bidon. Mon Dieu, le pire, c’est une compagnie de croisière qui commence l’appel avec une corne de brume ! C’est atroce !

Le discours d’Hannah dure plusieurs minutes, ce dont je lui suis reconnaissante parce qu’elle est trop énervée pour se rendre compte que je lui ai menti et pour me voir lire le message qui s’affiche sur l’écran de mon téléphone.

Dean : Il faut vraiment que t’arrêtes de me raccrocher au nez.

Moi : Alors il faut vraiment que t’arrêtes de me poser cette question. Je sais que je suis un super-coup, mais passe à autre chose !

Lui : Je ne peux pas. Crois-moi, j’ai essayé.

Moi : Essaie encore.

Lui : Allez, poupée. Juste une fois. Tu sais que ce serait génial…

Bien sûr que ce serait génial. Dean est un champion du sexe, mais ça ne change pas le fait que je n’aime pas les plans cul.

Moi : Lâche-moi. Je répète avec Hannah.

Lui : Écris-moi quand t’as fini et je me faufilerai dans ta chambre. Wellsy ne saura même pas que je suis là.

Je commence à ressentir une vague de chaleur humide entre les jambes en imaginant Dean me prendre pendant qu’Hannah dort paisiblement dans la chambre d’à côté. Cependant, j’ignore la réaction de mon corps et je réponds à Dean.

Bonne nuit.

Je me tourne de nouveau vers Hannah.

– Tu as fini de te défouler sur les démarcheurs téléphoniques ? Parce que mon script ne va pas se lire tout seul, chérie.

– Désolée, je ne peux pas m’en empêcher. J’entends « démarcheur » et je me transforme en boule de rage.

Elle s’assied en tailleur au milieu du lit et attrape le script que je lui lance. Je reste debout, car dans la première scène, mon personnage doit faire les cent pas et je veux voir l’impact qu’a la marche sur mon souffle.

– Ok. Je suis qui ? Jeannette ou Caroline ?

– Caroline. Ses traits de caractère principaux sont jolie et insensible.

– C’est moi qui joue la garce ? demande Hannah en souriant. Sympa.

Honnêtement, je regrette que ne soit pas moi qui aie ce rôle. Mon personnage est une jeune veuve qui a perdu son mari en Afghanistan, et c’est le rôle le plus exigeant d’un point de vue émotionnel. Hélas, après ma rupture avec Sean, ma réserve d’émotions est presque tarie et j’ai peur de ne pas pouvoir faire justice à ce rôle.

Ma peur n’est pas infondée, nous n’avons pas répété cinq pages que je suis déjà épuisée, alors j’annonce une pause.

– Waouh, dit Hannah en lisant les répliques suivantes. Cette pièce est intense. Tout le monde dans le public va chialer comme une madeleine.

Je m’écroule sur le lit à côté d’elle et j’étire mon dos.

– C’est surtout moi qui vais chialer comme une madeleine, je réponds. Mon personnage pleure au moins une fois par scène.

Hannah s’allonge en se redressant sur ses coudes et un silence agréable s’installe entre nous. J’aime ça, parce que je n’ai pas ça avec beaucoup d’amis, même avec Megan et Stella, dont je suis très proche. Il faut toujours que l’une de nous essaie de combler le silence. Je crois qu’il faut un certain degré de confiance pour rester aux côtés de quelqu’un sans ressentir le besoin urgent de jacasser.

Mon père m’a dit un jour que la façon dont une personne réagit à un silence en dit beaucoup sur sa personnalité. J’ai toujours cru qu’il disait des conneries, parce que papa a l’habitude de sortir des conneries de ce genre en laissant penser qu’elles sont vraies. Cependant, aujourd’hui, je vois qu’il avait raison. Lorsque je pense à mes silences avec mes autres amies, je me rends compte qu’ils en disent long sur elles.

Meg rompt le silence avec des blagues, faisant de son mieux pour le remplacer par des rires, et depuis que je la connais, elle s’est toujours tournée vers l’humour quand les choses deviennent trop sérieuses pour elle.

Stella remplit les blancs en bombardant les autres de questions, et en effet, elle évite toujours de parler d’elle-même. Je suppose que c’est pour ça que j’ai été si surprise lorsqu’elle a commencé à sortir avec Justin Kohl, le footballeur que kiffait Hannah avant qu’elle tombe amoureuse de Garrett.

– Au fait, est-ce que Garrett a fini par admettre qu’il s’était trompé à propos de Justin ? je demande à Hannah.

Elle fronce les sourcils.

– Ça sort d’où, ça ?

– Désolée, je pensais juste à Stella et ça m’a rappelé à quel point Garrett était convaincu que Justin avait des motivations peu louables. Il ne disait pas que Justin était une raclure ?

– Si, dit-elle en se relevant et en riant. D’ailleurs on en a parlé il n’y a pas très longtemps. Je l’ai accusé d’être inconsciemment jaloux de Justin.

– Ha ! Je parie qu’il a adoré.

– C’est la seule explication logique, en fait. Justin est un des mecs les plus gentils que je connaisse, mais Garrett se contente de dire qu’il s’est trompé sur lui.

– Ok. En tout cas, je suis contente que Justin se soit avéré être un mec sympa. Stella mérite d’être heureuse, je dis d’une voix mélancolique en espérant qu’Hannah ne l’entende pas.

Perdu.

– Tu mérites d’être heureuse, toi aussi. Tu le sais, n’est-ce pas ?

– Je sais.

Je déglutis pour ravaler la boule qui se forme dans ma gorge tandis qu’elle prend un air timide.

– Allie… tu regrettes d’avoir rompu avec Sean ?

La boule devient plus grosse, m’empêchant de respirer, surtout lorsque je repense à l’agonie dans la voix de Sean lorsqu’il m’a demandé avec qui j’avais couché.

– Non, je réponds finalement. Je sais que j’ai pris la bonne décision. On voulait des choses complètement différentes pour notre avenir et ce n’était pas un point sur lequel on aurait trouvé un compromis, pas sans que l’un finisse par détester l’autre.

Hannah prend un air pensif.

– Tu crois que tu es prête à recommencer à sortir avec des mecs ?

– Non, loin de là, je réponds en soupirant.

En revanche, ce que j’aimerais, c’est une bonne distraction. J’en ai marre d’être triste, de me demander comment va Sean et de lutter contre l’envie de l’appeler. Je n’ai peut-être pas envie qu’on se remette ensemble, mais je n’aime pas savoir que j’ai fait du mal à quelqu’un à qui je tiens. J’ai la fâcheuse tendance à vouloir rendre les gens heureux, même si c’est aux dépens de mon bonheur. Mon père dit que c’est une qualité admirable, mais parfois je regrette de ne pas être plus égoïste.

Je suppose que je l’étais vendredi soir, cependant. Mon plan cul avec Dean n’a servi qu’à assouvir mon besoin primaire de sexe, et j’ai beau me sentir coupable et honteuse, je ne peux pas nier que c’était sacrément satisfaisant.

Merde, peut-être que Dean a raison et qu’on devrait remettre le couvert.

– Peut-être qu’il me faut une amourette, je dis à voix haute pour tester l’idée auprès d’Hannah.

Sa réponse est rapide.

– Tu as déjà essayé, tu te souviens ? Après tes deux premières ruptures avec Sean ? Tu as détesté.

C’est vrai, j’ai détesté.

– Ouais, mais je n’ai pas couché avec eux, je remarque. Je me suis contentée de quelques rencards pourris et de rouler des pelles à des abrutis. C’était peut-être ça mon erreur – de sortir avec ces mecs. Peut-être que cette fois-ci, je devrais juste choisir un mec canon et me le faire pendant quelques semaines. Juste du sexe, zéro attente.

– Eh bien, bonne chance. On sait toutes les deux que tu ne peux même pas embrasser un mec sans t’imaginer à l’église avec lui.

C’est encore vrai.

Mais pourquoi je pense à ça, de toute façon ? Si c’est ainsi que répond Hannah lorsque je lui parle d’un simple flirt, je n’imagine même pas sa réaction si je lui disais que j’envisage un flirt avec Dean. Ce mec est un coureur de jupons. Non seulement il n’est pas le genre à se mettre en couple mais je doute qu’il puisse s’engager dans une petite amourette. Je ne pense pas qu’il soit capable d’être exclusif, ce qui est non négociable pour moi, parce qu’il est hors de question que je couche avec quelqu’un qui se tape d’autres nanas.

Mouais… il faut que j’oublie cette idée. Je ne sais pas pourquoi il a tellement envie de recoucher avec moi, mais je lui fais confiance pour tourner la page, ce mec a la capacité de concentration d’un poisson rouge et le besoin d’affection d’un chiot abandonné, offrant sa dévotion sexuelle à la première femme qui lui donne une friandise.

Je change de sujet.

– Tu fais quoi pour Thanksgiving, au fait ?

– Garrett et moi allons chez mon oncle et ma tante à Philadelphie. Mes parents nous retrouvent là-bas.

– Super, ça va être chouette !

– Ouais ! Toi, tu seras à Brooklyn ?

Je hoche la tête. Je passe toutes les vacances et les fêtes avec mon père. J’ai toujours hâte de le voir, mais cette année je suis un peu inquiète parce que la dernière fois que je lui ai parlé, il a insisté pour préparer le repas tout seul.

En temps normal, cette annonce m’aurait ravie parce que mon père est le meilleur cuisinier au monde. Cependant, depuis qu’on lui a diagnostiqué une sclérose en plaques il y a cinq ans, je fais de mon mieux pour qu’il ne se fatigue pas trop. J’ai refusé une bourse d’études en licence de théâtre à UCLA pour ne pas m’éloigner trop de lui. Mon père est une véritable tête de mule et il a beau dire qu’il n’a pas besoin d’aide, je n’avais pas envie d’être à l’autre bout du pays, surtout depuis que ses périodes de rémission sont de moins en moins espacées. J’ai bien fait de prendre cette décision, car l’état de papa a sévèrement empiré cette dernière année.

Comme la plupart des gens atteints de cette maladie, on lui a d’abord diagnostiqué une sclérose en plaques cyclique rémittente, mais elle s’est désormais développée en forme progressive secondaire, ce qui veut dire que ses poussées sont plus fréquentes et plus sévères qu’auparavant. Lorsque je suis allée le voir cet été, j’ai été choquée de voir à quel point son état s’était détérioré. Tout à coup, il avait du mal à marcher, alors qu’avant il n’avait qu’une perte occasionnelle d’équilibre et un engourdissement des doigts et des orteils. Il a eu deux crises de vertige quand j’étais là, et lorsque j’ai insisté, il a avoué que la douleur empirait et qu’il avait parfois des troubles de la vue.

Tout ça me fout une peur bleue. J’ai déjà perdu ma mère, qui est morte d’un cancer quand j’avais treize ans. Il ne me reste plus que mon père, et je refuse de le perdre aussi, même si je dois le ligoter à son fauteuil dans notre maison de Brooklyn et l’obliger à regarder le football pendant que je fais à manger.

– Ok, la pause est finie.

Une fois de plus, Il faut que je laisse de côté mes pensées lugubres. Je m’assieds en grognant et j’ouvre le script là où nous nous sommes arrêtées.

– Caroline est sur le point de crier de nouveau sur Jeannette, je rappelle.

Hannah remet une mèche derrière son oreille.

– Au passage, si ton mari mourait, je ne te traiterais jamais de pleurnicharde et je ne te dirais pas de te « ressaisir », dit-elle sur un ton sérieux. En d’autres termes, tu peux continuer à déprimer à propos de Sean aussi longtemps que tu le veux. Je te promets que je ne te jugerai pas.

Je suis soudain accablée par les émotions et par mon amour pour cette fille.

– Merci, je parviens à dire d’une voix étouffée.

7

Dean

Malgré son beau discours sur le passé qui est le passé, il est clair que mon ancien coach prend un malin plaisir à rendre ma vie misérable. Le premier entraînement avec notre nouveau coordinateur de défense finit avec une heure de retard, mais seulement pour les défenseurs. Les autres joueurs de l’équipe filent sous la douche, alors qu’O’Shea nous oblige à faire des exercices supplémentaires en déclarant que nous sommes les pires hockeyeurs qu’il ait jamais vus.

Lorsqu’il nous libère enfin, mes coéquipiers et moi-même sortons de la patinoire en jurant et en grommelant. Nous sommes dégoulinants de sueur, et de la vapeur s’échappe de nos casques. Quant à notre humeur, inutile de préciser qu’elle est lugubre.

– Un mec cool, tu as dit ? demande Logan sur un ton sarcastique.

– Il voulait juste nous montrer qu’il a une plus grosse bite que nous, c’est tout. C’est sans doute pour qu’on le respecte.

Bien évidemment, je ne pense pas ce que je dis, je sais que c’est sa façon de me punir pour avoir fait souffrir sa fille, mais je garde cette information pour moi. Non pas parce qu’O’Shea m’a ordonné de ne pas en parler avec mes coéquipiers mais parce que je préfère ne pas repenser à tout ce qui s’est passé avec Miranda.

Le pire, c’est que les conséquences de ma relation avec Miranda ne se sont pas limitées à ma vie au lycée. Elles débordent aussi sur ma vie à la fac. C’est à cause d’elle que je déclare toujours mes intentions – exclusivement sexuelles – avant de coucher avec une fille. Certes, je pensais l’avoir fait, à l’époque, mais à l’évidence je n’avais pas été assez clair. Aujourd’hui, je m’assure que les femmes savent à quoi s’en tenir avant qu’elles puissent se faire de films.

– Tu fais quelque chose ce soir ? demande Logan lorsque nous passons à la douche. Grace prend du chinois à emporter et elle me retrouve à la maison. Je crois qu’elle en rapporte assez pour tout le monde.

– Ah merci, mais je vais boire un verre avec Maxwell. Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer.

Notre conversation prend fin lorsque nous entrons dans nos douches respectives. J’ai à peine fini de me savonner les couilles que Logan éteint sa douche. Je n’ai jamais vu quelqu’un se laver aussi vite.

– À plus, dit-il en nouant une serviette autour de sa taille avant de regagner le vestiaire.

Je sais qu’il a hâte de voir Grace, et je ne sais pourquoi, ça me tracasse. Ce n’est pas tout à fait de la jalousie ni de la rancœur… peut-être de la déception ?

Je ne suis pas bête. Je comprends que mes meilleurs amis sont amoureux et qu’ils préfèrent faire des câlins à leurs copines que de traîner avec leurs potes, et je ne leur en veux pas. Le truc, c’est que j’ai l’impression que c’est le début de la fin.

Lorsque mon grand frère a fini Harvard, il a vite perdu contact avec ses amis de la fac. Il ne parle presque jamais aux coéquipiers pour lesquels il se disait prêt à mourir. Quant à ses amis de la fac de droit, ils s’échangent un mail par mois maximum.

Je comprends que les amis s’éloignent après la fac. Certains se marient ou déménagent, et de nouvelles amitiés se créent. Cependant, je déteste l’idée que Garrett, Logan ou Tuck ne feront plus partie de ma vie. Je déteste aussi la partie cynique de mon cerveau qui surligne l’inévitabilité de cette issue.

Je serai en fac de droit l’an prochain. Je n’aurai pas le temps de dormir, et encore moins de voir mes amis. Garrett vivra sans doute dans une autre ville où il jouera pour une équipe de la NHL et, si tout se passe bien avec les Providence Bruins, l’équipe de formation qui a déjà demandé à le recruter lorsqu’il sera diplômé, Logan habitera à Boston. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne rejoigne les pros et qu’il déménage lui aussi. Je n’ai pas la moindre idée de ce que va faire Tuck une fois qu’il sera diplômé. Peut-être qu’il retournera au Texas.

Merde, pourquoi je suis si nostalgique ce soir ? Peut-être est-ce parce que je n’ai pas baisé depuis trois jours. Hélas, pour moi, c’est long, et ça ne plaît pas à mes testicules. Bien évidemment, je tiens Allie pour responsable de mon mal-être.

– Dean !

Une voix familière m’appelle alors que je sors du gymnase. Je vois Kelly venir lentement vers moi, vêtue comme un mannequin de magazine. Une grosse écharpe rouge est nouée autour de son cou, elle porte des bottes en cuir marron et un long caban gris, ses cheveux blonds sont attachés dans un chignon fouillis et de longues mèches encadrent son visage.

Bon sang, elle est méga canon, je n’ai pas repensé à elle ni Michelle depuis que j’ai couché avec Allie. Cependant, je ne me sens pas coupable de ne pas leur avoir écrit, et Kelly ne me le reproche pas. Comme je l’ai dit, les nanas savent à quoi s’attendre avec moi, et il s’avère que lorsque Kelly et Michelle m’ont dragué chez Malone, elles m’ont devancé en m’expliquant qu’elles ne cherchaient rien de sérieux. Elles m’ont tout de suite dit que c’était ma bite qu’elles voulaient, et j’ai été ravi de la leur offrir.

– Tu as passé un bon week-end ? demande-t-elle.

– Ç’aurait pu être mieux, je réponds en haussant les épaules.

Et c’est vrai, si une certaine blonde ne m’avait pas mis deux râteaux.

– Oh, c’est dommage, répond-elle en souriant. J’ai quelque chose qui pourrait te remonter le moral. Ma sœur est en ville. Je lui ai parlé de toi, et elle adorerait te rencontrer. Elle dort chez Michelle et moi…

– Ah, eh bien…

Je ne sais pas trop quoi répondre.

– Est-ce que je t’ai dit que c’est ma sœur jumelle ?

Doux Jésus.

– Ah, et Michelle est partante, aussi, ajoute Kelly en me faisant un clin d’œil. Tout le monde dit que trois est un chiffre magique… mais moi je pense que quatre est encore meilleur.

J’attends la réponse de ma queue. Je lui ordonne de répondre, mais rien n’y fait. À ce stade, je me contenterais d’un minuscule soubresaut, de n’importe quoi bon sang, mais il ne se passe rien. C’est comme si elle ne marchait plus.

Allez, Petit Dean, aide-moi, là. On parle d’un plan à quatre, bon sang !

Rien. Apparemment, Dean ne va coopérer que si je lui donne ce qu’il veut. Hélas, ce qu’il veut n’est ni Kelly, ni sa sœur jumelle, ni Michelle, ni les trois à la fois.

C’est Allie Hayes.

– Ça a l’air… incroyable, vraiment. Mais je suis obligé de refuser. Je bois un coup avec un pote, ce soir.

– C’est quelqu’un que je connais ?

– Euh, peut-être. Beau Maxwell. C’est le…

– Le quaterback, termine-t-elle.

Un éclat séducteur illumine son regard.

– Invite-le. Ça peut être aussi bon à cinq qu’à quatre…

Jésus Marie Joseph.

J’ai envie d’être excité. Je prie pour que je le sois. Mais Petit Dean ne veut rien savoir. Plus frustré que jamais, je marmonne une excuse, je lui dis que ce n’est que partie remise, et je marche d’un pas agacé vers ma voiture en rouspétant contre ma bite.

 

 

Vingt minutes plus tard, je m’assieds sur une banquette de chez Malone.

– Désolé pour le retard, je dis à Beau. L’entraînement a fini tard.

– Pas de souci, répond la star de Briar. Je viens d’arriver.

Je suis soulagé de voir que la bière devant lui est à peine entamée. J’enlève mon blouson et je le jette sur la banquette à côté de moi, puis une jolie serveuse vient prendre ma commande.

– Alors, quoi de neuf ? demande Beau lorsqu’elle est partie. Je ne t’ai pas vu depuis la fin des partiels de mi-semestre.

– Je sais, mec. Notre programme d’entraînement est surchargé. On a perdu tous nos matchs amicaux et le coach Jensen pète un plomb.

– Merde, ouais, je comprends. Deluca pète un câble, lui aussi, admet Beau en parlant de son entraîneur. On n’a aucune chance d’atteindre les phases finales du championnat, dit-il d’une voix lugubre.

Je ne l’ai jamais vu aussi dépité, mais je ne peux pas faire grand-chose pour le rassurer. L’équipe de football a déjà perdu trois matchs. S’ils n’en avaient perdu qu’un ou deux, ils auraient une chance de se rattraper, mais là c’est impossible.

Le regard de Beau s’assombrit. Il boit sa bière en vidant presque la moitié de la pinte. Je comprends sa frustration. Je sais ce que c’est que d’être au-dessus de la moyenne lorsqu’on joue dans une équipe qui est en dessous. Certes, la saison de hockey ne fait que commencer et nos défaites ne comptent pas, mais notre jeu est inexistant et nos entraînements n’annoncent rien de bon pour la saison.

En même temps, nous avons gagné le championnat trois années d’affilée, donc je ne vais pas pleurer tous les soirs si nous n’arrivons pas en finale cette année. Peut-être que ce sont les dieux du hockey qui nous font perdre pour que nous restions humbles.

Toutefois, la situation de Beau est différente. Briar l’a recruté à la sortie du lycée et il a épaté tout le monde dès son premier match. Il a mené l’équipe toute une saison sans la moindre défaite jusqu’en finale du championnat. Ils ont perdu, certes, mais cela faisait dix ans que Briar n’était pas arrivé aussi loin.

L’année suivante fut une catastrophe. Presque tous les meilleurs joueurs de l’équipe ont été diplômés ou recrutés par les pros, laissant Beau avec des attaquants faibles et une défense plus médiocre encore. Depuis, ils enchaînent les défaites, ce qui est triste, de manière générale, mais encore plus parce que Beau est un quaterback vraiment talentueux.

– Tu as eu l’occasion de jouer pour LSU en deuxième année. Ils t’ont pratiquement taillé une pipe pour te recruter, je lui rappelle.

– Et quoi, j’aurais dû abandonner mon équipe ? Quel genre de connard fait ça ?

Un connard qui veut jouer pour la NFL. C’est ce que j’ai envie de dire, mais je ravale ma remarque. Étant donné les performances récentes de Briar, les chances de Beau d’être recruté par une équipe professionnelle sont sacrément minces. Cependant, je suppose que sa loyauté envers Briar est admirable. Ça en dit long sur le genre de personne qu’il est.

– Changement de sujet, ordonne Beau. Tout de suite, avant que je me mette à chialer.

C’est alors que la serveuse revient avec ma bière. J’ai demandé une bouteille plutôt qu’une pression, et elle fait tout un cinéma en la décapsulant et en se baissant pour me montrer son décolleté généreux.

– Faites-moi signe si vous avez besoin de quelque chose, les garçons. Je ne suis pas loin.

Nous matons tous les deux son cul lorsqu’elle nous tourne le dos. Je ne me sens pas sale en le faisant, parce qu’elle nous invite à le faire en remuant ses fesses et en se déhanchant. Sa minijupe noire me rappelle l’autre cul que j’ai vu ce week-end. Un cul que Beau, en dépit de mes nombreux avertissements, a l’habitude de voir.

– J’ai vu Sabrina chez Malone vendredi.

– Ah ouais ? demande-t-il en arrachant son regard du cul de la serveuse.

Je hoche la tête.

– Tu continues de la voir ?

Et par voir, je veux dire baiser, bien sûr, parce que Beau et moi sommes des âmes sœurs sur le plan relationnel.

– Non, c’est tombé à l’eau. Elle est trop occupée, admet-il.

– Occupée à quoi ? je demande.

Pour autant que je sache, Sabrina n’a pas de boulot.

– Aucune idée, mais elle habite à Boston, donc je suppose que les allers-retours incessants doivent prendre du temps. On en est arrivés au stade où elle venait me voir une, parfois deux fois par mois, et elle n’est jamais là le week-end. C’est comme si elle disparaissait, ajoute-t-il en haussant les épaules. J’ai d’abord pensé qu’elle faisait la difficile pour que je lui coure après, mais maintenant je me demande si elle ne mène pas une double vie.

Il marque une pause, puis il me regarde d’un air sérieux.

– Tu crois qu’elle bosse pour la CIA ? demande-t-il.

J’envisage l’hypothèse une seconde.

– Aucune conscience, sans cœur… ouais, ça paraît logique.

– Oh, arrête mec, ricane-t-il. C’est une meuf cool, même si elle est indéchiffrable.

– Si par cool tu veux dire que c’est une garce qui passe son temps à critiquer les autres, alors je suis d’accord avec toi.

C’est à mon tour de changer de sujet.

– Au fait, Justin est passé à la maison la semaine dernière et il a dit qu’il y a un première année au poste de receveur qui pourrait valoir quelque chose.

– Ouais, Johnson, répond Beau. Il est rapide, mais il a du mal à garder le ballon.

Nous passons les dix minutes suivantes à parler de nos équipes respectives. Nous ne pratiquons pas le même sport, mais nous sommes fans du sport de l’autre, donc la conversation se poursuit tranquillement. Après avoir commandé une deuxième tournée, nous reparlons de nanas et je raconte d’une voix lugubre la proposition que m’a faite Kelly dans le parking du gymnase.

– À quoi tu joues, mec ? Tu as refusé une partouze ? Une partouze à laquelle j’étais invité ? s’exclame-t-il en secouant la tête. Tu as la grippe ou quoi ?

Je promène mes doigts le long de ma bouteille de bière.

– Non, c’est juste que je n’étais pas d’humeur.

– Tu n’étais pas d’humeur pour une partouze, avec des sœurs jumelles ? dit-il incrédule. Qui es-tu et qu’as-tu fait de mon ami Dean ?

– Je ne sais pas… Je suis foutu, mec. J’ai baisé avec une meuf, l’autre soir, et maintenant je n’arrive pas à me la sortir de la tête.

– Tu déconnes.

– Non, c’est vrai.

Beau continue de me dévisager, bouche bée.

– Tu crois que ça me plaît ? je m’exclame. Crois-moi, mec, je n’ai absolument pas besoin de ça en ce moment, je dis avant de boire une gorgée. Eh, tu sais Twilight ?

– Je te demande pardon ? répond-il en clignant plusieurs fois des yeux.

– Twilight. Le bouquin sur les vampires.

Il m’étudie d’un air soucieux.

– Et alors ?

– Ben, tu sais, la manière dont le sang de Bella est spécial pour Edward, qu’il le fait bander dès qu’il est près d’elle ?

– Tu te fous de ma gueule, là ?

J’ignore sa remarque indignée.

– Tu crois que ça peut arriver dans la vraie vie ? Avec les phéromones et toutes ces conneries ? Est-ce que c’est une théorie débile qu’a inventée un psychopathe pour justifier son attirance pour sa mère ? Ou est-ce qu’il y a une raison biologique qui explique qu’on est attiré par certaines personnes ? Comme dans cette foutue série, Edward la désire sur un plan biologique, non ?

– Tu es vraiment en train de parler de Twilight avec moi ?

Mon Dieu, oui. C’est à ça que m’a réduit Allie, à un pauvre loser pathétique qui va dans un bar et oblige son pote à rejoindre un fan-club de Twilight.

– Je ne sais pas si je dois me moquer de toi ou te donner le numéro d’un psy, dit Beau d’une voix solennelle. Tu es le premier mec que je rencontre qui a lu ce bouquin.

– Je ne l’ai pas lu, ma petite sœur était obsédée par cette série quand elle est sortie. Elle me suivait partout dans la maison en me faisant des résumés contre mon gré.

– Mais oui, bien sûr. Mets la faute sur le dos de ta sœur, dit Beau en éclatant de rire avant de redevenir sérieux. Ok, donc cette meuf t’excite. Pourquoi tu ne te la retapes pas ?

– Parce qu’elle ne veut pas.

– C’est impossible. Elles veulent toutes coucher avec toi.

– Je sais ! C’est ça qui est dingue ! je réponds en buvant une gorgée. Alors, qu’est-ce que je dois faire ?i.

– Passe à autre chose. Sors avec quelqu’un d’autre. Regarde autour de nous, le bar est plein de nanas qui vendraient leur premier-né pour rentrer avec toi. Choisis-en une et baise jusqu’à ce que tu aies oublié l’autre meuf.

– Ma bite ne me laisse pas faire, je marmonne.

Beau ricane.

– Tu peux répéter, s’il te plaît ?

– Ma bite fait la difficile, j’explique d’un ton agacé. J’ai essayé de me branler devant un film porno hier soir, et je te promets que je n’ai pas réussi à bander. Puis j’ai pensé à All… à cette nana, et bim, j’étais dur comme fer.

Beau me regarde d’un air pensif.

– Tu sais, je ne crois pas qu’on parle d’une situation de type Bella et son sang magique.

– Ah non ?

– Non, je pense que tu as imprégné la chatte de cette meuf.

Un rire étouffé retentit derrière nous et je me tourne à temps pour voir notre serveuse passer, les joues rouges et les lèvres pincées comme si elle se retenait de rire.

– Comment ça ? je demande à Beau.

– Je pense que tu es plutôt dans la situation de Jacob. Tu as imprégné sa chatte, et maintenant c’est la seule chatte à laquelle tu peux penser. Tu n’existes plus que pour cette chatte. Comme Jacob et le bébé mutant bizarre.

– Espèce d’enfoiré, c’est toi qui as lu ces livres !

– Pas du tout, proteste Beau avant de sourire timidement. Mais j’ai vu les films, avoue-t-il.

Je décide de garder mes moqueries pour plus tard, parce que nous avons d’autres chats à fouetter.

– Alors, c’est quoi le remède, Docteur Maxwell ? Faire un marathon de baise pour me désimprégner ? Ou continuer à la charmer jusqu’à ce que je la séduise ?

– Qu’est-ce que j’en sais moi ? répond mon pote en levant sa pinte. Je suis bourré, mec. Personne ne devrait m’écouter quand je suis saoul.

Il vide son verre et fait signe à la serveuse de lui en apporter une autre.

– D’ailleurs, ajoute-t-il, personne ne devrait m’écouter non plus quand je suis sobre.

8

Dean

Le deuxième match de la saison est un désastre sans nom, un véritable bain de sang.

Personne ne dit un mot lorsque nous nous réfugions dans le vestiaire, traînant l’humiliation de notre défaite derrière nous comme une mare de goudron. Nous aurions pu baisser nos frocs, lever nos culs en l’air et demander gaiement à nos adversaires de nous mettre une fessée, ça revenait au même. Nous leur avons offert la victoire sur un plateau d’argent.

J’enlève mon maillot en me repassant chaque seconde du match, toutes les erreurs que nous avons commises sont gravées dans ma mémoire. Je déteste perdre, et les défaites à domicile sont encore plus dures à encaisser.

Il va y avoir une horde de fans déçus chez Malone, ce soir. Je n’ai pas hâte de les affronter, et je sais que mes coéquipiers sont aussi dépités que moi. Notamment Hunter, qui se dépêche d’arracher son maillot comme s’il était recouvert de fourmis.

– Tu as fait de belles frappes ce soir, je lui dis en toute sincérité.

Si nous n’avons pas marqué, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Nous avons bien joué, mais l’autre équipe était meilleure.

– Ç’aurait été cool que l’une d’elles passe le goal, marmonne-t-il.

– Leur gardien était en forme ce soir. Même G n’a pas réussi à marquer.

Garrett arrive devant son casier à ce moment-là et il se dépêche de rassurer notre nouvelle recrue.

– Ne t’en fais pas, gamin. Nous aurons encore plein d’occasions de nous rattraper et on y arrivera, tu verras.

– Ouais, si tu le dis.

Hunter n’est pas convaincu, mais je n’ai pas le temps de l’encourager davantage, car le coach Jensen entre dans le vestiaire, suivi par Frank O’Shea.

Jensen ne perd pas de temps à nous livrer son bref discours post-match. Comme d’habitude, il semble lire un PowerPoint à voix haute.

– On a perdu, c’est nul. Ne vous laissez pas abattre. Ça veut juste dire qu’il faut travailler plus dur aux entraînements et jouer plus fort au prochain match.

Il hoche la tête en regardant chacun d’entre nous, et il sort.

Je pourrais croire qu’il nous en veut, seulement ses discours de victoire sont à peu près les mêmes. « On a gagné, c’est cool. Mais ne vous prenez pas le chou. On travaillera tout aussi dur aux entraînements et on gagnera d’autres matchs. » Si les premières années s’attendent à des discours de motivation épique, ils vont être déçus.

O’Shea reste après lui, et mes épaules se crispent lorsqu’il vient vers moi.

– Tu as bien défendu ta zone, ce soir. C’était un beau blocage dans la seconde période.

– Merci.

Je reste sur mes gardes après ce compliment inattendu, mais il est déjà passé à Logan pour le féliciter d’avoir récupéré le palet et évité un but dans la troisième période.

Je jette mon équipement dans un des énormes paniers à linge et je file sous la douche pour m’enlever l’odeur de la défaite. Je n’aime pas perdre, mais je ne m’autorise jamais plus de dix minutes pour m’apitoyer sur mon sort. Mon père m’a appris ça quand j’avais huit ans, après une défaite particulièrement démoralisante sur le terrain de lacrosse.

– Tu as dix minutes, m’a-t-il dit. Dix minutes pour penser à tes erreurs et à la tristesse que tu ressens. Tu es prêt ?

Il a carrément appuyé sur le bouton de sa montre pour me chronométrer, et durant les dix minutes suivantes, j’ai boudé en pensant à la honte que je ressentais. Je me suis rappelé les erreurs que j’avais faites et je les ai corrigées dans ma tête. J’ai imaginé frapper tous les joueurs de l’équipe adverse dans la mâchoire, puis mon père m’a dit que mes dix minutes étaient terminées.

– Là. C’est fini, a-t-il déclaré. Maintenant, regarde vers l’avant et pense à la manière dont tu vas t’améliorer.

J’adore mon père.

Le temps que je sorte de ma douche, mon amertume s’est estompée et je l’ai rangée dans mon trieur interne sous l’étiquette « trucs merdiques ». Je crois que Garrett a le même trieur, parce qu’il est presque bondissant de joie lorsque nous retrouvons Hannah dans le parking.

– Coucou chérie, dit-il en la prenant dans ses bras pour l’embrasser.

– Coucou, dit-elle en se blottissant contre lui. Il fait super-froid, je ne serais pas surprise qu’il neige ce soir.

Elle n’a pas tort, le sol commence à geler et un nuage blanc s’échappe de nos bouches lorsque nous parlons.

– On va au bar ou à la maison ? demande Logan en nous rejoignant.

– Au bar, dit Garrett. J’ai la flemme d’inviter des gens chez nous, pas vous ?

Après un match, nous allons soit chez Malone, soit chez nous avec le reste de l’équipe et nos amis, mais à l’évidence, personne n’a envie de recevoir des invités ce soir.

– Ouais, allons au bar, répond Logan.

– On attend Tucker ? je demande en balayant le parking du regard sans le trouver. Et Grace ?

– Tuck est déjà parti avec Fitzy, répond Logan, et Grace ne vient pas ce soir, elle est à la radio.

– Et ta moitié ? je demande à Hannah sur un ton parfaitement nonchalant.

– Je suis là, répond Garrett.

– Je veux dire son autre moitié, je précise en souriant à Hannah. La petite comédienne blonde avec qui tu traînes ?

– Elle n’était pas d’humeur ce soir. Elle est trop occupée à déprimer.

– À propos de quoi ? je demande.

Cependant, je connais déjà la réponse, c’est à cause de son ex, bien sûr.

– Sean l’a appelée ce matin, et je ne sais pas ce qu’il lui a dit, mais elle est devenue très silencieuse après lui avoir parlé. Depuis, elle déprime. Je serais restée à la maison, ce soir, mais je ne voulais pas rater le match.

Garrett se penche pour embrasser sa joue rougie par le froid.

– Je suis content que tu sois venue. On apprécie ton soutien, ma chérie.

– Je suis tellement triste que vous ayez perdu, répond-elle.

Personnellement, je suis surtout inquiet à l’idée qu’Allie déprime toute seule dans sa chambre. Elle est sans doute enfouie dans de la glace Ben & Jerry’s en écoutant l’album de Mumford & Sons.

– Tu es sûre que tu ne devrais pas aller lui tresser les cheveux, ou quelque chose comme ça ? je demande à Hannah. C’est ce que vous faites pour vous consoler entre meufs, non ?

– Oui, Dean. C’est exactement ce qu’on fait. On se fait des tresses. Et après, on fait des combats de polochons et on s’entraîne à s’embrasser.

– Je peux venir ? je demande en même temps que Logan.

– Dans vos rêves. Eh non, je ne rentre pas encore. J’ai écrit à Allie durant la troisième période et elle m’a dit qu’elle allait bien. Elle boit des margaritas en regardant une série affreuse. Vraiment affreuse.

– Quelle série ? demande Garrett.

– La pire chose qui soit arrivée à la télévision, répond-elle simplement, et tout le monde éclate de rire.

Logan tapote le capot de mon coupé sport.

– On y va ?

– En fait… ça te gêne de monter avec G et Wellsy ? J’ai un truc à faire avant. Je vous retrouve là-bas.

– Ok, répond-il simplement.

Il s’éloigne de ma voiture pour aller vers la Jeep de Garrett.

Je m’assieds au volant et je démarre, mais j’attends que la Jeep sorte du parking avant de partir. Je n’ai qu’un truc à faire, et je n’ai pas envie que mes amis sachent ce que c’est.

*

Allie

Lorsque quelqu’un frappe à ma porte, je suppose d’abord que c’est Sean et je prie pour que ce ne soit pas lui. Je ne suis pas prête à le revoir après la conversation étrange que nous avons eue ce matin.

« Je te pardonne. »

C’est ce qu’il a dit dès que j’ai eu décroché. Quant à moi, j’ai dû me retenir de lui cracher tout mon venin, parce que son pardon sous-entend que j’ai commis une faute, or ce n’est pas le cas. Je ne l’ai pas trompé et je ne lui ai pas menti. Certes, coucher avec Dean un jour après notre rupture n’est pas quelque chose dont je suis fière, mais je ne suis pas la première fille sur terre à faire ce genre de chose, et je ne serai pas la dernière non plus.

Toutefois, en dépit de la rancœur qu’a déclenchée son « pardon », une partie de moi a été soulagée de l’entendre. Dieu sait à quel point je me sens coupable depuis ma nuit avec Dean, et peut-être que son absolution était ce que je voulais quand j’ai fait mon aveu à Sean.

Or, ça ne signifie pas que je suis prête à un face-à-face avec lui. Il m’a demandé si nous pouvions nous voir pour un café en décrétant qu’il avait d’autres choses à me dire mais qu’il ne voulait pas le faire au téléphone, et je lui ai répondu que j’allais y réfléchir. Maintenant, alors qu’on frappe de nouveau à ma porte, j’espère sincèrement qu’il n’a pas décidé de m’imposer cette rencontre.

Je me prépare pour une confrontation et j’ouvre la porte. Ce n’est pas Sean. C’est Dean.

– Salut ma poupée, dit-il en me souriant et en s’invitant chez moi. Wellsy a dit que tu déprimais, alors je suis passé te remonter le moral.

– Je ne déprime pas, je marmonne.

– Encore mieux, ça m’évite de sortir le grand jeu.

Il défait son blouson et le jette sur l’accoudoir du canapé, puis il enlève son sweat, le laissant en jean, torse nu.

– Tu viens vraiment d’enlever ton pull ? je demande en écarquillant les yeux.

– Ouais, je n’aime pas ça.

Il n’aime pas les pulls.

Ce mec est… bon sang. Je ne sais vraiment pas ce que je pense de lui.

Il se tourne vers le canapé et la manière dont son jean moule ses fesses me rappelle à quel point elles étaient fermes lorsque je les ai serrées dans mes mains. À présent il s’assied, et la façon dont son jean s’étire sur son paquet me rappelle comment ma bouche a salivé quand elle a accueilli sa queue.

« Oh ouais, suce-la, Bébé. Suce-la comme si elle t’appartenait. »

Ses mots résonnent dans ma tête et mes lèvres fourmillent parce que, bon sang, j’ai tout donné en le suçant. Eh merde. Je pense que je viens de rougir, et le clin d’œil de Dean me le confirme. Est-ce qu’il sait que je repense à la pipe que je lui ai taillée ?

Mais qu’est-ce que je dis ?! Bien sûr qu’il le sait. Un mec comme Dean suppose probablement que tout le monde, toute la journée, s’imagine lui tailler une pipe.

Il étend son bras sur le dossier du canapé et tapote le coussin à côté de lui avec son autre main.

– Tu t’assieds ou quoi ?

– Je vais rester debout, merci.

– Oh, allez, je ne mords pas.

– Eh bien si, en fait.

– Ouais, tu as raison, c’est vrai que je mords, concède-t-il alors que ses yeux verts pétillent.

Il a l’air bien trop confortable sur mon canapé, à la manière d’un Adonis blond, avec son torse bronzé et musclé, et son visage parfait. Si le hockey ne marche pas pour lui, il devrait envisager de devenir mannequin. Dean Di Laurentis respire le sexe. Il mettrait sa tronche sur une pub de laxatif, toutes les femmes du monde se mettraient à prier d’être constipées.

– Sans rire, Alligator, assieds-toi. Tu vas me faire croire que je ne suis pas le bienvenu.

– Mais tu n’es pas le bienvenu, en fait. Je passais une très bonne soirée avant que tu arrives.

Il a l’air blessé, mais je ne sais pas si c’est sincère ou s’il fait semblant. Je pense plutôt qu’il a des talents de comédien.

– Tu ne m’aimes vraiment pas, hein ?

La culpabilité m’assaille de nouveau. Merde, peut-être qu’il était vraiment vexé.

– Ce n’est pas ça. Je t’aime bien. Mais je ne plaisantais pas en disant que je n’aime pas les coups d’un soir, d’accord ? Chaque fois que je repense à ce qu’on a fait ce week-end, je me sens…

– Chaude ? propose-t-il.

Oui.

– Sale, je réponds.

Je ne m’attendais pas à le voir agacé.

– Tu veux mon avis, ma belle ? Efface ce mot de ton vocabulaire.

Soudain, je me sens à nouveau coupable, mais je ne sais pas pourquoi. À contrecœur, je décide de le rejoindre sur le canapé, en m’assurant de garder une distance de sécurité entre nous.

– Je suis sérieux, poursuit-il. Arrête de t’en vouloir. Les gens devraient pouvoir baiser quand ils veulent, autant de fois qu’ils veulent, avec autant de partenaires qu’ils veulent sans qu’on les traite de salopes ou de je ne sais quoi.

Il a raison, mais…

– Sauf que c’est le cas, qu’on le veuille ou non.

– Ouais, mais c’est seulement à cause de connards puritains et d’abrutis jaloux qui regrettent de ne pas se faire prendre régulièrement, répond Dean en secouant la tête. Il faut que tu arrêtes de penser qu’on a fait quelque chose de mal. On s’est amusés, on s’est protégés, et on n’a fait de mal à personne. Ce que tu fais dans ta chambre ne regarde personne, d’accord ?

Bizarrement, ses paroles parviennent à diminuer la honte que je retiens en moi depuis vendredi soir. Mais elle ne disparaît pas complètement.

– Je l’ai dit à Sean.

Dean fronce les sourcils.

– Je n’ai pas dit que c’était toi, mais je lui ai dit que j’avais couché avec quelqu’un d’autre.

– Pourquoi tu as fait ça ?

– Je ne sais pas, je grommelle. Je me suis sentie obligée de lui dire la vérité, mais c’est absurde, puisqu’on n’est plus ensemble. C’est juste qu’on l’a été pendant si longtemps… je me suis habituée à tout lui dire.

Dean frotte le coussin derrière ma tête d’un air pensif, et son mouvement attire mon attention sur ses biceps musclés.

– Sois honnête, dit-il enfin. Tu veux te remettre avec lui ?

Je secoue lentement la tête.

– Tu en es sûre ?

– Certaine.

Je repense aux disputes sans fin que nous avons eues depuis le début de l’été, et je suis encore plus confiante d’avoir pris la bonne décision. Je repense à tous les commentaires haineux qu’il m’a crachés au visage… à sa façon de constamment se moquer de mes rêves… à ses ultimatums…

Sean m’a peut-être pardonné pour ce que j’ai fait après notre rupture, mais soudain, je ne suis pas certaine de pouvoir lui pardonner ce qu’il a fait avant.

– Ça ne collait plus. S’il était possible de rester à la fac toute la vie, alors oui, Sean et moi serions sans doute restés ensemble. Mais il est temps de grandir, et nous voulons des choses complètement différentes pour l’avenir. Du moins, je le crois. Je ne sais plus quoi penser depuis cette rupture.

– C’est ça ton problème, justement. Tu réfléchis trop.

Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire.

– Waouh, c’est ça ton conseil ? D’arrêter de réfléchir ?

– Arrête d’y penser tout le temps, répond Dean en haussant les épaules. Tu as rompu avec lui pour une raison, une très bonne raison, si tu veux mon avis, et maintenant il faut que tu restes ferme. Arrête de lui parler et de douter de toi-même.

– Tu as raison, je concède.

– Bien sûr que j’ai raison. J’ai toujours raison.

Il se rapproche de moi avec un sourire arrogant et il pose une main énorme sur mon genou.

– Ok, donc voilà le programme de ce soir. On baise pour se détendre, puis on commande une pizza pour refaire le plein d’énergie, et on remet le couvert. Ça te va ?

Bon sang, chaque fois que je pense que Dean n’est peut-être pas qu’un obsédé du sexe, il me prouve le contraire. Ou plutôt, il me prouve que ma première impression était la bonne.

– Tu as envisagé d’aller voir un psychiatre à propos de tes illusions ? je demande poliment. Parce que, chéri, il n’y a pas la moindre chance qu’on baise ce soir.

– Très bien. Sinon, je peux juste te faire un cunni et toi une pipe.

– Et sinon, tu peux aussi partir.

– Attends, j’ai une contreproposition. Je reste, et on se frotte l’un à l’autre en restant habillés.

Mon Dieu, ce type est incorrigible.

– Contreproposition, tu peux rester, mais tu n’as pas le droit de parler.

– Je reste, j’ai le droit de parler, mais je ne te drague pas.

J’y réfléchis un instant.

– Tu restes, tu ne me dragues pas, et tu dois regarder ma série avec moi sans râler une seule fois.

Un grand sourire s’étend sur son visage.

– J’accepte vos conditions, Madame.

 

 

 

 

 

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