1

Flynn

Elle est en état de choc. C’est la seule manière d’expliquer que ses magnifiques yeux bruns soient vitreux et qu’elle ne prononce pas un mot. Elle tremble si violemment que je songe à appeler un médecin pour qu’il lui donne de quoi la calmer. Je ne sais absolument pas comment la réconforter.

Je l’ai ramenée chez moi en espérant la protéger de la presse déchaînée qui assiège sa maison. Mes pires cauchemars sont devenus réalité, mais ils ne sont rien à côté des siens. Maintenant que son douloureux passé a été jeté en pâture au monde entier, elle a perdu son travail et son anonymat, et c’est entièrement ma faute.

Il faut que je contacte les gens qui sont à mon service – avocats, attachés de presse, quiconque peut me livrer la tête de celui qui lui a fait du mal. Il faut aussi que Leah vienne ici, parce que Natalie a besoin d’une amie. Mais j’ai peur de la laisser seule, ne serait-ce que le temps de passer les coups de fil nécessaires. Son silence me rend dingue. Je préférais encore la voir sangloter. Cela, je comprenais. Mais ce silence irréel… Il me fiche la trouille.

C’est alors que je me rappelle qu’elle s’est entichée de mon immense baignoire, celle que je n’ai jamais utilisée depuis dix ans que je possède cet appartement. Je la laisse pelotonnée sur mon lit et je vais lui faire couler un bain. Sous le lavabo, je trouve un flacon de gel douche qui pourra faire office de bain moussant. Un œil sur elle j’attends que soit aux trois-quarts pleine avant de couper l’eau et de retourner auprès d’elle.

Je m’assieds au bord du lit, lui fais un baiser sur la joue, que je trouve glacée.

– Nat, je t’ai fait couler un bain. Cela te fera peut-être du bien de te réchauffer.

Comme elle ne proteste pas, je l’aide à se lever et se déshabiller, puis je la prends dans mes bras pour la porter dans la salle de bains où l’attend la baignoire remplie d’eau bien chaude et de mousse. Il y a deux soirs, nous avons fait l’amour pour la première fois, mais cet instant-ci n’a rien de sexuel. Quand je la dépose dans l’eau, je me retrouve avec les manches trempées et, du coup, j’enlève ma chemise et m’assieds sur le bord de la baignoire.

– Ma chérie, tu veux bien me parler ?

– Rien à dire.

Elle a répondu d’une voix sans timbre, terne comme son regard. Les larmes silencieuses qui roulent sur ses joues me brisent le cœur et menacent de me faire perdre mon sang-froid. Il faut que je fasse quelque chose pour lui venir en aide.

– Je reviens tout de suite.

Je file dans la chambre prendre mon téléphone et une chemise propre. J’ai trente-deux appels manqués et quarante-six textos. Je ne m’en occupe pas et j’appelle Gabe chez Quantum. C’est lui qui gère notre club de BDSM et qui s’occupe de la sécurité à New York.

– Flynn, dit-il. Ça va ?

– J’ai connu mieux. Il me faut un médecin pour Natalie. Tu connais quelqu’un qui peut venir et rester discret ?

– Ma cousine. Je vais l’appeler et arranger ça.

– Merci, Gabe.

– Dites-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit d’autre. On est tout là pour vous aider.

– Je le ferai. Merci encore.

Je retourne à la salle de bains, où Natalie n’a pas bougé. Ses larmes continuent de couler, et chacune d’elles me fait l’effet d’un coup de poignard en plein cœur.

– Flynn, chuchote-t-elle.

– Quoi, ma chérie ? (Je m’agenouille auprès de la baignoire.) Je suis là. De quoi as-tu besoin ?

– Je vais vomir.

J’attrape la corbeille et la lui donne juste à temps pour retenir ses longs cheveux noirs au moment où la nausée la prend.

– J’ai besoin de Flocon, dit-elle entre deux hoquets.

– Je vais demander à Leah de l’amener. Ne t’inquiète pas. (Je l’installe sur une serviette roulée en guise d’oreiller dans la baignoire, puis j’humecte d’eau froide un linge et je me penche elle pour lui essuyer le visage et la bouche.) Je vais prendre ton téléphone pour envoyer un texto à Leah. (Les larmes continuent de ruisseler sur ses joues blêmes. De toute ma vie, je ne me suis jamais senti aussi impuissant. Je ne veux même pas la quitter une minute pour aller chercher son téléphone dans son sac à main resté dans le salon.) Je reviens tout de suite, d’accord ? (Elle hoche la tête avec une résignation lasse qui me déchire. C’est ma faute et je vais tout faire pour réparer cela. Je rapporte le téléphone dans la salle de bains.) Tu peux composer ton code ?

– Tu peux le faire. C’est zéro, un, un, huit.

Je suis étrangement ému qu’elle me confie son code. Que puis-je dire ? Je suis une catastrophe pour elle. À peine ai-je composé le code que je vois que son téléphone déborde d’appels manqués et de messages sur sa boîte vocale. Sans m’en occuper, j’envoie un texto à Leah.

Salut, c’est Flynn. Natalie réclame Flocon. Tu pourrais l’amener chez moi ?

Elle répond aussitôt.

Quel soulagement d’avoir de vos nouvelles. Comment elle va ? Évidemment que je vais l’amener. Du moment que je peux me rendre utile.

Merci. Pas trop bien… Flocon lui fera du bien.

Je lui envoie un autre texto expliquant comment rejoindre mon appartement depuis le parking, une information que je ne donne tout bonnement à personne. Mais là, je ne peux pas m’arrêter à des détails sur lesquels je suis habituellement pointilleux, comme la protection de ma vie privée. Tout ce qui compte, c’est Natalie et ce que je peux faire pour elle.

L’interphone de l’ascenseur sonne et je suis de nouveau mortifié de devoir laisser Natalie seule ne serait-ce qu’une seule minute.

– Flocon arrive avec Leah. Je dois aller ouvrir. Je reviens.

Elle ne répond pas. Elle pleure toujours, mais elle a un regard absent qui me terrifie.

– Oui ? dis-je en arrivant à l’ascenseur.

– C’est moi.

La voix d’Addie. Sans hésiter, j’appuie sur l’ouvre-porte pour laisser monter ma fidèle assistante. Une minute plus tard, elle sort de l’ascenseur, laisse son sac dans l’entrée et me serre dans ses bras.

– Qu’est-ce que je peux faire ?

Elle est devenue une sorte de petite sœur pour moi depuis cinq ans qu’elle travaille pour moi. Nous ferions n’importe quoi l’un pour l’autre, et elle vient de me le prouver à nouveau.

– Je ne sais même pas de quoi j’ai besoin pour l’instant.

– Quoi que ce soit, je suis là pour vous deux.

– Comment es-tu arrivée aussi vite ?

– J’ai sauté dans un avion une heure après avoir vu l’info sur le web. Liza arrive aussi, ajoute-t-elle, mais je lui ai dit de ne pas venir ici ce soir. Ce sera bien assez tôt demain.

– Bonne décision, merci. Il faut que je retourne auprès de Natalie. Elle est dans la baignoire. Gabe envoie sa cousine médecin s’occuper d’elle.

– Je vais préparer du thé.

– Elle aime le chocolat chaud.

– Je vais lui en faire, alors. Tu n’es pas tout seul, dit-elle en me prenant le bras. Toute l’armée de Quantum s’est réunie et crie vengeance.

– Merci d’être venue, Addie.

– Je fais mon boulot, c’est tout.

– Tu fais bien plus, tu le sais pertinemment.

– Va la retrouver. Tout va bien se passer.

Bien que les paroles rassurantes d’Addie m’aient un peu apaisé, un simple regard au visage de Natalie, pâle comme la mort et ruisselant de larmes, me dit qu’il va falloir beaucoup de temps pour que tout aille bien.

– Je vais te sortir de là, ma chérie.

Et, comme une enfant, je l’aide à se lever et sortir de l’eau, puis je l’essuie et je l’enveloppe dans un de mes peignoirs avant de lui sécher les cheveux et de les brosser.

Pendant tout ce temps, elle fixe le mur d’un œil vide, pleurant toujours. Où donc est ce médecin ?

– Je vais te mettre au lit.

Elle ne cille même pas quand je la prends dans mes bras et la porte au lit. Une fois qu’elle est blottie sous l’épaisse couette, je m’assieds auprès d’elle en lui tenant la main sans savoir quoi faire.

Addie vient apporter un mug de chocolat chaud quelle pose sur la table de chevet sans un mot avant de nous laisser seuls.

– Addie t’a préparé du chocolat.

– Qu’est-ce qu’elle fait ici ?

Je suis soulagé qu’elle dise enfin quelque chose.

– Elle est venue nous aider.

– Elle ne peut rien faire.

Son ton accablé me transperce le cœur.

– Mais si, nous pouvons faire beaucoup de choses et c’est ce que nous ferons une fois que nous nous serons occupés de toi. Tu es la seule chose qui compte.

– Ta carrière, ce qui doit se raconter…

– Rien à foutre. Ma carrière est le dernier de mes soucis en ce moment. C’est de toi que je me préoccupe. Je t’aime et je m’en veux que tout cela t’arrive à cause de moi.

– Je… je ne comprends pas, enfin… Pourquoi ? Pourquoi il a fait ça ?

J’essuie ses larmes tout en retenant les miennes. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai pleuré, mais si je commence maintenant, j’ai peur de ne pas pouvoir m’arrêter.

– Qui a fait ça, Nat ?

– C’est forcément l’avocat de Lincoln. Je lui ai versé énormément d’argent pour qu’il m’aide à changer d’identité après ce qui s’est passé. Pourquoi a-t-il fait ça ?

– Pour de l’argent. (Je suis dégoûté à mesure que les pièces du puzzle s’assemblent.) Quand il t’a vue avec moi, il s’est dit que c’était une occasion de toucher le gros lot.

– J’étais sa cliente, sanglote-t-elle. Il n’a pas le droit de parler de moi.

– Je pense bien qu’il n’a pas le droit. Je vais veiller à ce qu’il soit radié du barreau et inculpé pour ce qu’il t’a fait. Sans compter que je vais lui flanquer un procès aux fesses.

– C’est comme si tout recommençait… J’ai l’impression d’être ramenée en arrière.

Elle parle de son viol à quinze ans, dont le monde entier est maintenant au courant à cause de ce foutu avocat de Lincoln, dans le Nebraska, qui l’a vendue pour se faire un peu d’argent. Beaucoup, même.

Je suffoque de rage. J’ai envie de pleurer en sachant que c’est à cause de moi qu’elle souffre de nouveau. Je l’ai entraînée dans un cauchemar qu’elle avait laissé derrière elle depuis longtemps. Si je m’étais douté qu’une chose pareille soit possible, jamais je ne me serais montré en public avec elle.

– Ce n’est pas ta faute, dit-elle doucement.

Même si je suis soulagé de voir une étincelle de vie revenir dans ses yeux habituellement si lumineux, pas question de ne pas assumer ma faute.

– Je suis totalement coupable. Étant donné que tu as été vue avec moi, la presse a voulu en savoir davantage et a fouillé jusqu’à ce qu’elle déniche quelqu’un prêt à parler moyennant finances.

– Ce n’est pas à toi que j’en veux mais à lui.

Je l’adore de ne penser qu’à moi dans un moment pareil.

– Comment s’appelle-t-il, ma chérie ?

– David Rogers. C’est la seule personne jusqu’à ce jour qui connaissait mes deux identités. C’est forcément lui.

– Tu n’en as jamais parlé à personne, même à ta famille ?

– Cela fait huit ans que je n’ai vu personne de ma famille ni même parlé au téléphone.

Je suis triste de réaliser qu’elle a été aussi seule pendant toutes ces années. Eh bien, elle ne l’est plus. Je veux connaître dans les moindres détails tout ce qui lui est arrivé, mais ce n’est pas le sujet à aborder pour l’instant. Je me contente donc de rester auprès d’elle en lui tenant la main et en lui faisant boire son chocolat chaud par petites gorgées jusqu’à ce qu’un coup à la porte annonce l’arrivée du médecin.

J’étais déjà soulagé que ce soit une femme. Je le suis encore plus en voyant qu’elle se fiche de qui je suis. En fait, elle se concentre uniquement sur Natalie.

– Bonjour, je suis le Dr Janelle Richmond.

Elle a les mêmes cheveux noirs et le teint mat que Gabe, avec qui elle a un air de famille.

– Merci beaucoup d’être venue, dis-je en lui serrant la main.

Natalie lève les yeux, manifestement inquiète.

– Tu as appelé un médecin ?

– J’ai pensé que cela te ferait du bien d’avoir quelque chose qui t’aide à dormir.

– Pourrais-je rester un moment seule avec Natalie ? demande Janelle.

Je n’ai pas envie de sortir, mais je m’exécute non sans avoir interrogé Natalie.

– Tu es d’accord ?

Elle ramène la couette sur elle.

– Oui, je crois.

– Je serai juste à côté. Appelle si tu as besoin de moi.

Je me penche pour lui faire un baiser sur le front avant de sortir et refermer la porte derrière moi.

– Comment elle va ? demande Addie que je retrouve dans le couloir.

– Un peu mieux. Tu peux m’appeler Emmett ?

– Bien sûr. (Elle va chercher son téléphone dans le salon et revient me retrouver devant la porte de la chambre.) Voilà.

– Emmett, dis-je en prenant l’appareil.

– Qu’est-ce que je peux faire, Flynn ? (Principal avocat de Quantum, Emmett Burke est un ami autant qu’une relation de travail. C’est aussi un membre de notre club de BDSM secret.) J’imagine à quel point tu dois être contrarié.

– Ça fait belle lurette que je ne suis plus contrarié mais enragé. C’est un avocat de Lincoln, dans le Nebraska, un certain David Rogers, qui s’est occupé du changement d’identité de Natalie. D’après elle, c’est la seule personne qui connaissait ses deux identités. Je veux sa peau.

– Je m’en occupe. (Un silence.) Flynn, je sais que tu t’es occupé de Natalie, mais ce qui a été publié sur ce qu’elle a subi… c’est… euh… il vaut mieux que tu te prépares avant de le lire. C’est v… vio… lent, mon vieux.

En dix ans de relation professionnelle et personnelle, je n’ai jamais entendu le toujours sûr de lui Emmett Burke bégayer ou bafouiller. Qu’il fasse les deux m’angoisse particulièrement.

– Donne-moi les grands traits, dis-je en me préparant au pire.

Le long soupir qui résonne dans le téléphone m’indique combien il va avoir du mal à me raconter cela.

– Son père était le bras droit de l’ancien gouverneur du Nebraska, Oren Stone. Ils étaient amis depuis toujours. Les familles étaient proches, et Natalie – April, comme elle s’appelait à l’époque – était la baby-sitter des enfants Stone. Elle partait en vacances avec eux et dormait très souvent dans la résidence du gouverneur. (Un nœud me serre le ventre à mesure qu’il raconte. Elle s’appelait April, avant…) Apparemment, Stone s’est arrangé pour qu’elle vienne faire la baby-sitter un week-end où sa femme et les gosses n’étaient pas là. Il l’a détenue tout le week-end, la violée à plusieurs reprises et menacé sa famille si elle disait quoi que ce soit.

Pour moi, c’est un coup en plein ventre.

– Quel fils de pute !

– Elle est tout de suite allée chez les flics.

Je ne peux qu’admirer la force et le courage d’une gamine de quinze ans qui a eu le courage de dénoncer le salaud qui l’a maltraitée.

C’est alors qu’Emmett m’assène le coup de grâce.

– Ses parents se sont rangés aux côtés de Stone.

– Tu rigoles ?

– Je préférerais. Les médias nationaux se sont emparés de l’affaire. Stone s’était fait beaucoup d’ennemis dans son ascension professionnelle. Des tas de gens se sont présentés pour soutenir Natalie durant son procès. Elle a demandé à être émancipée et le tribunal le lui a accordé. Elle a témoigné contre Stone, et ses déclarations très détaillées ont scellé son destin. Il a été condamné à vingt-cinq ans de prison. Au bout de quatre semaines de détention, il a été violé et assassiné dans les douches par un autre détenu. (J’éprouve un plaisir pervers à savoir qu’il a souffert ne serait-ce qu’une infime partie de ce qu’il lui a infligé.) Elle a disparu après le procès. Elle n’apparaît nulle part en ligne à partir de la date de condamnation de Stone.

– Ce doit être à ce moment-là qu’elle a changé de nom.

– Natalie Bryant a fait son apparition deux ans plus tard en première année à l’université de Nebraska. Nulle part ne figure ce qui s’est passé pendant ces années entre le procès et l’université. Elle a obtenu son diplôme au bout de quatre ans et elle a déménagé à New York pour devenir institutrice dans une école privée.

– Dis-moi qu’on va pouvoir faire quelque chose concernant ce Rogers.

– Oh, on a des tas de possibilités. Je vais passer un coup de fil au barreau du Nebraska pour commencer à préparer un procès au civil et demander également son inculpation au pénal. Il va regretter d’avoir déconné avec elle – et avec toi.

– Quoi qu’on fasse, ça ne peut pas être pire pour elle que ça ne l’est déjà.

– Malheureusement, il y a des chances que ça empire avant de s’améliorer.

L’idée que ça puise s’aggraver me donne la nausée. Je m’adosse au mur, les yeux embués de larmes. Entendre les détails de ce qui est arrivé à Natalie me déchire. Je suis dans tous mes états.

– Je veux la protéger, mais je ne sais pas comment.

– Le plus important, c’est de l’empêcher de regarder Internet ou la télé. Elle sait ce qui s’est passé. Elle n’a pas besoin de le voir rejouer devant le monde entier. J’ai parlé à Liza, et on va s’en occuper. Contente-toi de veiller sur elle en essayant de ne pas t’inquiéter. Le soufflé va retomber dans quelques jours.

C’est peut-être vrai, mais Natalie redeviendra-t-elle la jeune fille délicieuse et enjouée qu’elle était avant que sa vie et son douloureux passé soient exposés au monde entier ?

La porte de la chambre s’ouvre et j’annonce à Emmett que je dois mettre fin à la conversation.

– Je te rappelle demain.

– À demain, alors.

Je fourre le téléphone d’Addie dans ma poche et demande à Janelle :

– Comment elle va ?

– Elle m’a autorisée à vous dire qu’elle est physiquement en état de choc, d’où ses tremblements et ses pleurs. Je lui ai donné un très léger sédatif pour lui permettre de se reposer. (Elle me tend sa carte.) Si elle a toujours des angoisses ou du mal à dormir, appelez-moi demain et je vous enverrai une ordonnance.

– Elle est… Elle va s’en sortir ?

– Tôt ou tard, mais il va lui falloir un peu de temps pour digérer ce qui s’est passé. Vous allez devoir être patient et la laisser suivre son rythme.

La patience n’est pas ma plus grande qualité, mais je vais devenir l’homme le plus patient du monde si c’est ce dont Natalie a besoin.

– Appelez-moi si je peux vous être utile à l’un ou à l’autre.

– Merci beaucoup d’être venue.

– Mais non. Gabe ne dit que du bien de vous et de tout le monde chez Quantum. Je sais ce que vous représentez pour lui.

– C’est l’un des meilleurs, c’est sûr.

– Ne me raccompagnez pas, je connais le chemin. Allez retrouver Natalie.

– Merci encore.

J’entre dans la chambre éclairée par une petite lumière qui vient de la salle de bains. Natalie a les yeux fermés, mais ses joues sont encore humides de larmes. Elle les ouvre quand je m’approche. Même au cœur de ce désespoir, je sens le lien qui nous unit depuis le jour de notre rencontre. Un lien qui a maintenant gâché sa vie.

– Tu veux que je t’apporte quelque chose ?

– Non… Tu veux bien… Tu peux… ?

– Quoi, ma chérie ? Ce que tu veux.

– Tu peux me prendre dans tes bras ? demande-t-elle dans un sanglot. S’il te plaît.

– Rien ne pourrait me faire plus plaisir.

Je suis heureux qu’elle veuille encore de moi après le gâchis que j’ai provoqué. J’enlève ma chemise et mon jeans que je laisse en tas sur le sol et je me glisse dans le lit auprès d’elle.

Laissant échapper un gémissement plaintif, elle se tourne pour m’enlacer en enfouissant son visage dans ma poitrine.

Des larmes me viennent et roulent sur mes joues. Je ne supporte pas de la voir souffrir. C’est comme si on m’enfonçait un poignard en plein cœur.

– Tout va bien, ma chérie. Je suis là et tout va s’arranger. Je te le promets.

Je caresse son dos à travers le peignoir. Ses épaules sont secouées de sanglots.

– Tout le monde va être au courant, murmure-t-elle si bas que j’ai peine à l’entendre. Le monde entier va savoir ce qui m’est arrivé.

– Et aussi que tu as survécu et que tu es allée de l’avant. Les gens le sauront aussi.

– Je ne voulais pas que ça se sache. Ni que tu le saches.

– Ma chérie, rien ne peut changer ce que j’éprouve pour toi. Je t’aime encore plus que ce matin, et jamais je n’aurais cru que ce soit possible.

– C’est humiliant.

– Tu te rappelles ce que tu m’as dit un jour ? Qu’il t’avait fallu des années de psychothérapie pour pouvoir te rendre compte que c’était toi la victime ? Que ce n’était pas ta faute ? Tu n’as rien fait. C’est quelqu’un d’autre le coupable et on va le faire payer. Je te le promets.

– Qu’est-ce que ça changera qu’il paie ? Tout le monde sera quand même au courant. Tu sais bien.

– Natalie, ma chérie, cela ne change rien pour moi. Je te choisirais quand même parmi toutes les autres.

Elle enfouit son visage dans le creux de mon épaule et je la serre contre moi. Nous restons ainsi à sangloter sans bruit quand nous entendons un aboiement familier dans l’entrée.

– Flocon !

L’enthousiasme que je perçois dans sa voix me remplit d’espoir.

– Ne bouge pas. Je vais aller te la chercher.

Je lui fais un baiser sur le front, me lève et enfile mon jeans avant d’ouvrir la porte à Leah et Addie qui s’apprêtaient à frapper.

En me voyant, Flocon retrousse les babines sur les dix dents qui lui restent.

La petite boule de poils blancs fonce dans ma chambre et saute sur mon lit retrouver Natalie.

– Merci, Leah.

La coloc’ de Natalie essaie de ne pas lorgner mon torse nu.

– Euh, de rien. Je peux voir Nat ? Juste une seconde ?

– Bien sûr, entre, dis-je en m’effaçant.

– Tu as un chien dans ton lit, observe Addie pour détendre l’atmosphère.

– Apparemment. (Un troupeau d’éléphants pourrait envahir ma chambre, si cela pouvait rendre Natalie heureuse.) Et ce n’est pas de veine, mais Flocon est totalement insensible à mes nombreux charmes.

– Alors, tu as fini par rencontrer le seul membre du sexe féminin au monde qui ne soit pas bouleversé par Flynn Godfrey ?

– Apparemment. D’ailleurs, elle m’a mordu jusqu’au sang le jour où j’ai rencontré Natalie.

– Il me semble l’avoir entendu dire, oui.

– Hayden aurait encore été indiscret ?

– Je ne révèle jamais mes sources.

Mon meilleur ami et associé est fou d’Addie, même s’il refuse de l’avouer, à elle comme à lui-même. Je soupçonne cette attirance d’être réciproque, mais Addie ne me parle pas de lui et je ne pose pas de questions.

Je ne peux pas m’empêcher de me passer la main dans les cheveux si violemment qu’ils doivent être tout hérissés.

– Dis-moi ce que je dois faire, là, Addie. Je suis complètement perdu.

– Reste simplement auprès d’elle. Elle a besoin de savoir que ce qui est arrivé aujourd’hui n’a rien changé pour toi.

– Je le lui ai déjà dit. Je ne sais pas si elle me croit.

– Continue de le lui répéter jusqu’à ce qu’aucun doute ne subsiste.

– Jamais je n’aurais cru pouvoir éprouver ça pour quelqu’un.

Addie sourit de cet aveu.

– Cela arrive aux meilleurs.

– Je ne peux pas la perdre à cause de ça. Pas question.

– Tu ne la perdras pas. Quand tout sera calmé, elle se rappellera que tu es resté auprès d’elle pour la soutenir. C’est ce qui comptera.

Si j’apprécie la confiance que me témoigne Addie, j’aimerais être plus certain que Natalie et moi sortirons indemnes de cette épreuve. Combien de temps lui faudra-t-il avant de commencer à m’en vouloir d’avoir tout gâché ?

 

2

Natalie

Je me suis maintes fois demandé ce que cela ferait si mes secrets étaient révélés, mais rien n’aurait pu me préparer à quelque chose d’aussi soudain et brutal.

C’est comme si j’étais de nouveau violée.

Flocon se comporte aussitôt avec sollicitude et lèche mes larmes comme elle l’a toujours fait depuis le commencement de mon long cauchemar. Je suis heureux de voir Leah, mon amie et colocataire, mais je vois bien qu’elle ne sait absolument pas quoi me dire.

– Je… euh… sache que tout le monde est furieux contre Mme Heffernan de t’avoir virée, dit-elle. Je reçois sans arrêt des textos de l’école. Sue a menacé de démissionner si tu n’étais pas réembauchée.

Sue est l’assistante d’administration de l’école Emerson où Leah et moi sommes institutrices.

Du moins, où je l’étais jusqu’à ce que je sois licenciée ce matin pour avoir menti sur mes antécédents et pour avoir troublé le calme de l’établissement. Comme si j’avais invité la foule de journalistes qui a assiégé l’école dans l’espoir de m’apercevoir en pleine humiliation.

– Je sais que tu ne veux pas en parler et je respecte totalement ton choix, hésite Leah, mais je tiens à ce que tu saches que je suis désolée de tout ce que tu as subi et que je regrette de m’être moquée tant de fois de ta pruderie. Je ne pouvais pas savoir, Nat.

Sa voix se brise, et je vois bien qu’elle est au bord des larmes. Je lui prends la main.

– Je t’en prie, ne t’excuse pas. Tu ne savais pas parce que je n’en ai parlé à personne. Je voulais oublier tout ce qui s’était passé, mais j’ai découvert aujourd’hui avec quelle facilité le passé peut vous rattraper.

– Flynn doit être dans tous ses états.

– Il s’en veut. Ce n’est pas sa faute.

– C’est logique qu’il le pense. C’est vrai, avant que tu fasses sa connaissance, personne ne se souciait de ton passé.

– Ce n’est quand même pas sa faute. Il est presque plus contrarié que moi.

– Peut-être que tu vas devoir lui répéter que tu ne lui en veux pas.

Je suis épuisée. Ce que le médecin m’a donné pour m’aider à dormir est en train de faire effet, et j’ai du mal à garder les yeux ouverts.

– Je vais te laisser dormir. Je peux t’appeler demain ?

– Bien sûr, dis-je en serrant sa main entre les miennes. Merci d’avoir amené Flocon.

– Ça m’a fait plaisir de pouvoir te rendre service.

– Leah… (Je me force à garder les yeux ouverts pour la regarder.) Tu es la meilleure copine que j’aie eue depuis que ma vie s’est écroulée. Je voulais te remercier.

– Oh mon Dieu, Nat, j’ai toujours été une copine affreuse, à te taquiner constamment…

– Non, tu as été merveilleuse, et presque tout ce que tu disais est vrai. Nous sommes de vraies amies, malgré nos différences. Tu n’imagines pas à quel point j’adorais la vie normale et monotone que nous menions dans cet appartement.

– Tu ne vas plus pouvoir y revenir, alors ? demande-t-elle en essuyant ses larmes.

– Je ne sais absolument pas ce que je vais faire. Tout est sens dessus dessous. Je ne sais pas comment je pourrais assurer le loyer maintenant que je suis sans travail.

– Le loyer a été payé pour toutes les deux jusqu’à la fin de l’année, dit Flynn depuis la porte. Et j’ai également veillé à la sécurité de Leah jusqu’à ce que la situation se tasse.

Je n’en crois pas mes oreilles.

– Tu… tu as payé le loyer pour un an ?

– Oui, et ne viens pas me dire que je n’aurais pas dû. Rien de tout cela ne serait arrivé si tu ne m’avais pas rencontré. Payer votre loyer et vous faciliter la vie, c’est le moins que je puisse faire après tous les ennuis que je vous ai causés.

– Viens là, dis-je en lui tendant la main. (Leah se lève pour lui laisser la place de s’asseoir sur le lit auprès de moi.) Ce n’est pas ta faute. Tu ne m’as rien fait.

– Je… euh… je vais vous laisser tranquilles, fait Leah en se raclant la gorge. Je peux t’appeler demain ?

– Bonne idée. Si tu vois mes élèves… dis-leur que je les adore.

La perspective de ne jamais les revoir est ce qu’il y a de pire dans cette journée déjà accablante.

– Je leur dirai. Et je récupérerai tes affaires dans ta salle. (Elle se retourne sur le seuil.) J’espère que tu sais que t’avoir virée pour ça, c’est suffisant pour lui intenter un procès. Elle n’avait pas le droit.

– Fais-moi confiance, dit Flynn. Mes avocats s’en occupent. S’il y a un moyen d’y parvenir, nous ferons réintégrer Natalie.

– Tant mieux. Essaie de te reposer. Je t’appelle demain.

– Merci encore de m’avoir amené Flocon.

En entendant son nom, ma chienne bien-aimée lève la tête pour voir ce qui se passe avant de se recoucher et ronfler béatement dans mes bras.

Leah partie, je me retourne vers Flynn.

– Merci de me laisser garder Flocon ici.

– Tu peux faire ce qui te plaît. Tu ne le sais pas, depuis le temps ?

– Oui, mais bon… Elle n’est pas très gentille avec toi. Et maintenant, la voilà dans ton lit.

– Tu y es bien, toi. Si je dois m’accommoder de l’une pour avoir l’autre…

Malgré sa tentative d’humour, il a l’air triste et dépité. Je m’en veux d’en être la cause. Je lui prends la main et enlace mes doigts dans les siens.

– Ce n’est pas si dramatique que la dernière fois.

– Comment ça ?

– Tout. La dernière fois que ma vie a été chamboulée, j’étais toute seule. Cette fois, je vous ai, toi, Leah, Addie et tous les gens qui nous aident.

– Tu es loin d’être seule, répond-il farouchement, le regard flamboyant. Je serais capable de tuer pour toi, Natalie.

– Ne fais pas ça, je t’en prie. J’ai besoin que tu restes auprès de moi, pas que tu sois en prison.

Il porte nos mains enlacées à ses lèvres et m’effleure les doigts. J’adore la sensation de sa barbe sur ma peau. Il est si passionné et si beau, et il m’a montré à quel point il m’aime en s’occupant de moi ce soir.

– Viens te recoucher.

Flocon gronde d’un air menaçant et je ne peux m’empêcher de rire devant son comportement ridicule.

– C’est agréable de t’entendre rire.

Je soulève Flocon pour la mettre du côté opposé au sien.

– Je crois que c’est sans danger.

Il fait le tour du lit, enlève son jeans et se recouche.

Flocon se met à aboyer frénétiquement quand il se colle contre moi.

Je trouve cette grotesque petite comédie follement amusante et je ne peux plus m’empêcher de rire. Puis je me remets à pleurer en me rappelant que je n’ai nulle part où aller demain, que mes gamins ne comprendront pas pourquoi je ne suis pas là et que le monde entier va connaître mon sordide passé et traîner le nom de Flynn dans la boue avec le mien.

– Nat, soupire-t-il. Viens là.

Je laisse Flocon à ses fureurs et me tourne vers lui. J’ai beau adorer Flocon, c’est du réconfort de Flynn que j’ai besoin en cet instant. Il m’enveloppe de ses bras et je me blottis contre lui.

C’est alors qu’il sursaute et pousse un cri.

– Merde !

– Qu’est-ce qu’il y a ?

– Elle m’a mordu. Encore.

Il lève la main pour me montrer la marque rouge, mais heureusement, cette fois, il ne saigne pas.

– Flocon ! Non ! On ne mord pas ! (Je me redresse et me tourne vers ma petite chienne têtue.) Non, non ! (Elle me regarde d’un air qui signifie qu’elle ne regrette absolument rien et qu’elle recommencera dès qu’elle en aura l’occasion.) Je suis vraiment désolée.

Je me retourne vers Flynn et m’aperçois qu’il est en train de rire.

– Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ?

– Elle t’a regardée genre va te faire foutre.

La justesse de son analyse me fait rire à mon tour.

– Elle est épouvantable ! On ne peut quand même pas avoir à redouter de se faire mordre dans son propre lit.

– Si tu savais ce que je pourrais te répondre…

– Flynn ! Je suis sérieuse. Elle est intenable.

– Elle te protège. Je respecte ça. (Il tend les bras vers moi.) Allez, viens.

– Et on ne mord pas ! dis-je en agitant un index menaçant devant Flocon. Sinon…

– Je suis incroyablement excité, là. Tu promets de me gronder, un de ces jours ?

Son irrévérence me fait rire, et un instant, j’oublie le cauchemar qu’est devenue ma vie.

Revenue dans ses bras, j’essaie de me calmer pour pouvoir dormir. Depuis ces derniers jours, son odeur est devenue pour moi celle du foyer familier, et sa poitrine l’endroit où je préfère poser ma tête. Dans la chaleur de ses bras, je suis rassérénée. Même au milieu de mon pire cauchemar, je me sens en sécurité et aimée grâce à lui.

Le médicament que je viens de prendre commence à faire son effet, mais je ne pourrai pas dormir tant qu’il ne saura pas ce que j’éprouve.

– Flynn ?

– Quoi, ma chérie ?

– Je veux juste que tu saches… J’ai longtemps craint que cela arrive. J’en ai toujours eu peur. Mais maintenant que je suis avec toi… je serais devenue folle si tu ne m’avais pas dit que tout allait s’arranger.

– Je te promets que tout va s’arranger. Pas question que tu t’inquiètes. Ferme les yeux et dors. Je reste avec toi.

J’ai envie de parler avec lui. D’être avec lui. Mais je ne peux plus lutter contre le médicament. Je lui chuchote :

– Je t’aime.

– Moi aussi. Plus que tout au monde.

 

Flynn

Je veux retrouver le salaud qui lui a fait ça et l’étriper de mes propres mains, mais après l’avoir fait souffrir. Je déborde tellement de fureur que je ne sais pas comment l’évacuer. Et avec Natalie qui dort dans mes bras et son monstre de chienne qui ronfle de l’autre côté du lit, je ne peux rien faire d’autre que fulminer.

Je ne ferme pas l’œil de presque toute la nuit en songeant à ce qu’il va falloir faire. Quand mon cerveau épuisé n’en peut plus de penser à l’enfer que j’ai déchaîné sur la femme que j’aime, je laisse mon esprit vagabonder et me remémore les moments que nous avons passés ensemble. Depuis cette fatidique première rencontre dans le square de Greenwich Village jusqu’à ce dernier week-end à Los Angeles, cela n’a été qu’un tourbillon romantique de passion et de désir.

Jamais je n’aurais imaginé tomber amoureux ainsi. Après la fin de mon mariage, j’étais heureux d’être un play-boy blasé et cynique qui passait d’une femme à une autre comme d’autres enchaînent les bières. Je travaillais comme un fou et je baisais autant et aussi souvent que je le pouvais. Les week-ends au Club Quantum étaient la récompense de mon dur labeur. Le club de BDSM que j’ai lancé avec quatre de mes amis les plus proches était au centre de ma vie jusqu’à ce que je décide que j’ai davantage besoin d’elle que de ce genre de vie.

Le week-end dernier, elle m’a raconté qu’elle a été violée. En l’apprenant, j’ai compris qu’il n’y avait aucune chance que je puisse lui faire connaître mon côté dominateur. Cela s’est donc résumé à un choix : elle ou mes fantasmes. C’est elle que j’ai choisie. Et je la choisirais encore si je devais recommencer. J’ai davantage besoin d’elle. C’est aussi simple que cela.

Elle est tout ce dont j’ignorais avoir besoin jusqu’à ce qu’elle me tombe littéralement dessus et bouleverse ma vie du tout au tout. Et maintenant, je lui ai rendu la pareille en bousillant la vie qu’elle s’est donné tant de mal à se construire.

Quand vient l’aube, je ne sais toujours pas comment arranger la situation. Natalie dort à poings fermés, mais j’ai besoin de faire quelque chose – n’importe quoi. Je me lève, prends une douche et enfile un jogging et un t-shirt à manches longues.

Addie, qui a passé la nuit sur le canapé de mon bureau, est déjà levée et a préparé le café. Elle me tend un mug avec du lait et un rien de sucre, exactement comme je l’aime.

– Il faut que tu voies ça, dit-elle en me tendant son téléphone.

J’ai peur de regarder.

– Ne me dis pas que la situation a empiré du jour au lendemain.

– Lis, c’est tout.

C’est un tweet de mon meilleur ami et associé, Hayden Roth : Certains sujets ne sont pas vos oignons. #TeamNatalie #Pasvosoignons

Je suis incroyablement touché par son geste. Il n’est pas le plus grand fan de Natalie étant donné qu’il a peur que je m’implique trop avec une femme dont les goûts sexuels sont si différents des miens. Il a connu la dégradation de mon mariage lorsque ma femme a découvert mes fantasmes et a rendu la monnaie de sa pièce à son mari « dépravé » en couchant avec le réalisateur avec qui nous tournions à l’époque. La fin a été hideuse et j’ai évité de m’engager depuis.

Jusqu’à maintenant. Jusqu’à Natalie.

– Clique sur le hashtag, dit Addie. Il y en a d’autres.

De ma plus proche amie Marlowe Sloane : Bisous et affection à mes chers amis @FlynnGodfrey et Natalie. #TeamNatalie #Pasvosoignons.

De ma sœur Ellie : Toute mon affection à @FlynnGodfrey et celle qu’il aime, Natalie. #TeamNatalie #Pasvosoignons

De l’un de mes associés de Quantum, Jasper Autry : Ces enfoirés de paparazzi ont dépassé la limite. Foutez le camp ! #TeamNatalie #Pasvosoignons

Un autre associé de Quantum, Kristian Bowen : C’est dégueulasse de faire ça a quelqu’un qui a déjà été une victime. Assez ! #TeamNatalie #Pasvosoignons

Je suis bouleversé par cette démonstration de soutien de ma famille et de mes amis. Beaucoup d’autres gens que je ne connais pas s’y ont mis également en accusant les médias d’être allés trop loin en publiant l’histoire de Natalie.

– Les gens sont furieux, dit Addie. TeamNatalie est à la hausse.

– Tant mieux. Il faut que les gens soient furieux. Toute cette affaire est scandaleuse.

– Emmett a appelé tard hier soir. Il a contacté l’avocat de l’école de Natalie. J’ai peur que les nouvelles ne soient pas très bonnes de ce côté-là. Son contrat stipule qu’elle peut être licenciée « pour faute » à tout moment, et que c’est sans appel.

– Tu rigoles.

– J’aimerais bien. Je n’ai pas jugé utile de vous réveiller pour vous l’annoncer.

– Et quelle est la faute qu’ils invoquent, alors ?

– Dans les faits, elle a menti sur ses antécédents en déclarant n’avoir jamais été connue sous aucune autre identité.

– Elle l’a fait pour une bonne raison !

– Nous le savons tous les deux et Emmett déclare que l’avocat convient qu’elle avait une bonne raison, mais la directrice est inébranlable.

– Je n’en reviens pas. Natalie ne va jamais me pardonner.

– Flynn, arrête. Elle sait bien que ce n’est pas ta faute.

– En quoi ça ne l’est pas ? Si je ne l’avais pas emmenée aux Globes, nous n’en serions pas là.

– Tu savais ce qui lui était arrivé ? Avant le week-end dernier ?

– Non. Je savais qu’elle avait été agressée dans son adolescence, mais pas le reste.

– Alors comment pouvais-tu la protéger de quelque chose que tu ignorais ? (Avant que j’aie pu répondre, elle poursuit.) Tu ne pouvais pas. Ce n’est pas ta faute. C’est celle de l’homme qui l’a agressée. De celui qui l’a trahie pour se faire un peu d’argent. Ce n’est pas la tienne.

– Tu devrais l’écouter, Flynn, dit Natalie derrière moi.

Je fais volte-face et je la vois, vêtue de mon peignoir, serrant Flocon sur sa poitrine. Elle est d’une pâleur inhabituelle, et des cernes noirs sous ses yeux ternissent son teint sans défaut.

– Bonjour, ma chérie, dis-je en lui tendant la main.

– Addie a raison, dit-elle en venant vers moi. Rien de tout cela n’est de ta faute. Je suis allée avec toi le week-end dernier en sachant ce qui était en jeu. J’ai fait confiance à quelqu’un qui ne le méritait pas. S’il avait fait son travail et fermé son clapet, rien de tout cela ne serait arrivé.

– Et si j’allais promener Flocon ? propose Addie.

– Merci, dit Natalie, qui repère la laisse avec les jouets de Flocon sur un comptoir et la met à la chienne.

Dieu merci, Flocon n’a pas l’air de s’inquiéter d’aller se promener avec quelqu’un d’autre que sa chère Natalie. Je fais un sourire reconnaissant à Addie. Promener la chienne de ma petite amie ne fait pas partie de ses attributions.

– Si on ne t’avait pas vue avec moi, dis-je à Natalie quand nous nous retrouvons seuls, ton histoire n’aurait eu aucune valeur pour la presse.

– Encore une fois, ce n’est pas de ta faute. La semaine dernière, j’ai fait une recherche en ligne sur mon nom et je n’ai rien trouvé d’autre que l’université où je suis allée et mon boulot ici. Du coup, je ne craignais pas d’être vue en public avec toi. (Elle vient poser ses mains sur ma poitrine.) Ce n’est pas de ta faute. Je veux t’entendre le dire.

Je répète, avec un sourire forcé :

– Ce n’est pas de ta faute.

– Flynn…

Je lui donne en soupirant ce qu’elle demande :

– Ce n’est pas de ma faute.

– Continue de te le répéter jusqu’à ce que tu le croies. (Elle se hausse sur la pointe des pieds et m’embrasse.) Je n’échangerais contre rien au monde une minute de notre week-end. Il a été le meilleur moment de ma vie.

– Pour moi aussi, ma chérie, dis-je en la serrant dans mes bras. Et pas parce que j’ai remporté un Globe. (Le soir où j’ai reçu la plus grosse récompense de ma carrière et fait l’amour à Natalie pour la première fois me semble remonter à des mois plutôt qu’à quelques jours. Après avoir savouré le plaisir de la serrer contre moi un moment, je recule pour contempler son sublime visage.) Tu as l’air d’aller un petit peu mieux.

– Sans doute, répond-elle sans conviction.

– Hayden a lancé un hashtag TeamNatalie sur Twitter qui est en pleine hausse.

– Ah bon ? C’est vrai ?

– Oui. Le déferlement de soutiens est stupéfiant. Tout le monde est furieux de ce qu’on t’a fait.

– C’est gentil de sa part, surtout qu’il ne m’aime pas beaucoup.

– Ce n’est pas vrai. Il ne te connaît pas. Vous êtes partis du mauvais pied le jour où nous nous sommes rencontrés. Tout ira bien quand vous ferez vraiment connaissance.

Comme elle semble aller nettement mieux qu’hier soir, je m’en veux d’avoir à lui dire ce qu’Emmett a conclu concernant son licenciement.

Comme toujours, elle a lu dans mes pensées mieux que quiconque.

– Peu importe ce que c’est, dis-le.

– Mon avocat a étudié le problème de ton licenciement.

– Et ?

– Le contrat tient debout. On peut te licencier pour « faute ». Sans préciser ce qui constitue une faute. Apparemment, c’est à la directrice de juger.

– Alors, cette face de porte de prison de Mme Heffernan peut se débarrasser de moi sans que je puisse rien faire.

– En gros oui, lui dis-je prudemment, ne voulant pas la contrarier de nouveau. Tu le savais quand tu as signé ?

Elle se mord la lèvre en hochant la tête.

– Jamais je n’imaginais que je commettrais une faute qui me vaudrait d’être licenciée. Les gosses vont tellement me manquer, dit-elle, les yeux embués.

J’essuie ses larmes et une idée me vient. Mais il me faut son téléphone pour la réaliser.

– Veux-tu du café ?

– Oui, s’il te plaît. (Je lui prépare une tasse exactement comme pour moi. C’est l’un de nos nombreux points communs.) Je vais faire quoi, maintenant ? Tout le monde sait qui je suis, mon boulot s’est envolé et je ne peux pas retourner chez moi parce que mon immeuble est assiégé par les médias.

– J’ai ma petite idée.

– J’écoute.

– Retournons à L.A. traîner à la plage en attendant que ça se tasse.

– Tu ne blagues pas.

– Non. Hayden a une maison pas très loin de chez Marlowe à Malibu. Je sais qu’il nous la prêtera aussi longtemps qu’on en aura besoin. Personne ne songera à aller nous chercher là-bas.

– Alors, on prend juste un avion pour aller en Californie ?

– Pourquoi pas ? Si nous restons ici, nous allons devoir nous cloîtrer chez moi. Si nous allons là-bas, au moins nous pourrons profiter du soleil et de la plage.

– Ça me fait bizarre de n’avoir à aller nulle part.

– Je sais, ma chérie. Je me range à ton avis. C’est toi qui décides.

Elle me regarde.

Ses grands yeux bruns m’anéantissent et me tétanisent, comme d’habitude.

– Je peux emmener Flocon ?

– Évidemment que oui.

– C’est très gentil de ta part, surtout qu’elle t’a mordu dans ton propre lit.

– Elle ne me fait pas peur. (Je la prends par les épaules et plonge mon regard dans le sien.) La seule chose que je redoute, c’est de te perdre maintenant que je t’ai trouvée.

– Tu ne vas pas me perdre, Flynn. N’oublie pas que c’est toi qui te rends responsable de tout ça. Je ne t’accuse pas, moi.

Rempli de gratitude, je pose mon front contre le sien.

– Alors c’est L.A. ? Oui ?

– Oui, allons-y.

 

 

 

 

 

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